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La Maraîchine Normande
13 mars 2014

FONTENAY-LE-COMTE (85) - LE THEATRE DE FONTENAY SOUS LA TERREUR

LE THÉATRE DE FONTENAY SOUS LA TERREUR

Oncques on ne vit plus d'amères tristesses
meslées à tant de liesses et d'esbâts.

Au plus fort de la tourmente révolutionnaire, et alors que des milliers de victimes allaient porter leur tête sur l'échafaud, on vit dans les prisons de la capitale des femmes, qui sans se faire illusion sur le sort qui leur était réservé, n'en consacraient pas moins leurs instants à se parer et s'embellir. "C'était, dit le comte Beugnot, un parterre émaillé de fleurs, mais encadré dans du fer."

 

Fontenay le comte

 


Pour être moins lugubre à Fontenay, le tableau n'en était pas moins saisissant. Lorsqu'une température printanière se fit sentir, au mois d'avril 1794, la population du chef-lieu de la Vendée avait eu à subir tous les fléaux de l'épouvantable guerre civile, qui, depuis un an déjà, avait éclaté dans l'Ouest. L'aspect de la ville était lamentable. Les troupes de la garnison, aussi bien que celles de passage, avaient encombré les rues, les places, les cours et même les habitations de monceaux d'immondices, pour l'enlèvement desquelles les moyens de transport faisaient complètement défaut. Ces détritus de toute sorte ne pouvaient manquer d'engendrer dans son sein des miasmes pestilentiels parmi sa population. D'un autre côté les prisons étaient saturées de détenus et les hôpitaux de malades et de blessés ; ce qui les transformait, eux aussi, en foyers infectieux, à tel point que la mortalité affaiblit, en dix mois, la population de 669 habitants. Mais, chose inouïe, malgré une situation si alarmante, nos Fontenaisiens éprouvèrent, au milieu de la tempête, l'irrésistible besoin de faire diversion à leurs maux, et de se livrer à quelques instants de gaîté.


Un jour, c'était le 10 mai 1794, pendant que la Société Populaire tenait séance, un de ses membres, prenant la parole, proposa, pour donner plus de solennité à la célébration des fêtes décadaires, d'organiser un bal patriotique, où les citoyens et citoyennes pussent s'égayer et manifester leur satisfaction du régime républicain et des bienfaits de la liberté.
Renchérissant aussitôt sur la motion du préopinant, un autre membre exposa que, pour propager l'esprit révolutionnaire, on devrait jouer, à cette occasion, des pièces patriotiques et républicaines, pour épurer les moeurs, développer l'amour de la patrie et la haine de la tyrannie. Applaudissant chaleureusement à cette double motion, l'assemblée décida aussitôt qu'on nommerait un comité chargé de prendre les noms des personnes désireuses de faire partie de la troupe.


Quant au choix du local à transformer en théâtre, les avis étaient partagés. L'examen de la question fut confiée à une commission composée des citoyens :
Pigeau, Joseph, 24 ans, bijoutier ;
Périot, Pierre, 31 ans, conducteur des ponts et chaussées ;
Joubert, Pierre, l'aîné, administrateur du département ;
Denfer, Julien, l'aîné, propriétaire ;
Poëyd'avant, Jean-Augustin, receveur du domaine national ;
Joly, François-Louis, huissier du département.


Quelques jours auparavant, le 23 avril, on avait pu prendre un avant-goût de ce délassement à l'occasion d'une représentation donnée par les officiers de la garnison et quelques habitants au profit des soldats blessés.
Le placard, affiché à la porte de la salle, était assez alléchant et était ainsi conçu.

 

placard théâtre Fontenay


Il y aura musique militaire.
Le spectacle commencera à sept heures du soir.
Prix des places : 1 livre aux premières : 10 sous aux secondes.
Les enfants paieront demi-place.
La Recette sera au profit des blessés de l'armée.


On jouait alors la comédie à l'établissement désigné sous le nom de Blanchisserie, (rue Nationale 14), local laissant bien à désirer pour l'aménagement d'un théâtre et trop peu spacieux pour y recevoir les spectateurs. Aussi proposa-t-on d'y substituer les salles de la Société Populaire beaucoup plus propres à cette destination. Cependant les actrices improvisées se montrèrent assez hésitantes à venir étaler leurs charmes aux feux de la rampe ; on mit alors en avant les noms des citoyennes Varailhon, Raison, Giraud, Poëyd'avant et Lecomte. Après quelques pourparlers engagés à cet effet, Perreau, qui présidait, ce jour-là, la séance, engagea les dames Raison, Tillier, Poëyd'avant, Giraud, Dubois, Lecomte, Gallet, Phelipeau, Latouche, Bouron, Vinet la Naulière, Arnaud, Pigeau, Coyaud de la Châtaigneraie, veuve Thomas, Latouche mère, Boutin, Fleury, Martineau, Godet de Saint-Hermine, Chambonneau, à vouloir bien accepter des rôles dans les pièces patriotiques qu'on se proposait de représenter.
Lorsqu'on en vint à la désignation des acteurs, les choix se portèrent sur les citoyens, Guillet, Boutheron, Isidore Lemercier, Tronson, St-Céran, Turin, Poëyd'avant, Durand, Victor Denfer, Magué, Dillon, Noël, Martinet, Gauly, Verdon, Fayau jeune, Bomard, Gallet, Pigeau, Godet, jeune, Tillier, Barbedette, Bias Mercier.


On se met alors en quête d'un local. On s'agite avec ardeur, on va, on vient, on cherche dans tous les coins et recoins de la ville. Un mois s'écoule ainsi, et les recherches sont toujours vaines. Enfin le comité chargé de ce soin vient informer l'Assemblée, que la ci-devant église du collège serait propre à remplir le but désiré. De tous côtés arrivent des propositions de contribuer aux frais d'appropriation de l'édifice. Mais on avait tellement hâte de prendre quelques instants de plaisir et de distraction, que le président mit en demeure les acteurs désignés à se présenter au Comité pour y recevoir les rôles qui devaient leur être donnés. Malheureusement le procès-verbal garde le silence sur la pièce mise à l'étude. Tout ce que nous en savons, c'est que chacun d'eux fit diligence et s'acquitta de sa mission avec le plus grand zèle. Aussi, le 8 juin, jour de la célébration de la Fête de l'Etre Suprême, deux pièces de comédie purent être offertes au public, par la nouvelle troupe improvisée.
Entre temps, on vaquait sans désemparer à l'aménagement de la salle, pour laquelle, du reste, les souscriptions ne s'étaient pas fait attendre. On eut bien, sans doute, de sérieuses difficultés à surmonter : les matériaux manquaient pour la construction du parquet de la scène, et les décors brillaient par leur absence. - "J'ai du bois, s'écrie avec enthousiasme, le citoyen Fleury, et j'en fais hommage à la Société." On applaudit, avec frénésie, à la générosité du donateur, dont le nom est inscrit au procès-verbal de la séance. Mais, hélas ! malgré l'activité déployée, il y avait tout à faire, et la main d'oeuvre faisait défaut. Aussi, les travaux n'avancèrent-ils qu'avec une extrême lenteur, et des commissaires durent être nommés pour les activer.
Sur ces entrefaites, le comité chargé d'élaborer un règlement de police avait terminé sa tâche et venait en donner lecture à l'Assemblée.


Ce document était libellé comme suit :
REGLEMENT
Sur le choix des pièces et l'ordre à observer dans la salle des Fêtes Décadaires de Fontenay-le-Peuple
ARTICLE PREMIER
Toutes les pièces, qui se joueront sur le théâtre de la Société, seront examinées par le Comité des Fêtes Décadaires, qui y fera tous les changements dont elles seront susceptibles, sous le rapport de la politique et de la morale, et soumises ensuite à la censure de la municipalité.
ART. 2
Les rôles seront distribués par le Comité.
ART. 3
Tout acteur qui aura accepté un rôle, et qui, après l'avoir conservé pendant trois jours, refuserait de jouer sans motifs légitimes, sera rayé du tableau d'inscription.
ART. 4
Tout acteur qui se permettrait d'ajouter à son rôle quelques expressions satyriques, ou indécentes, sera rayé du tableau d'inscription.
ART. 5
Tout acteur qui se permettrait, soit aux répétitions, soit aux représentations, le moindre geste, le moindre propos susceptible de blesser les moeurs et la décence envers qui que ce soit et particulièrement envers les citoyennes qui veulent bien se prêter à ce genre d'amusement et d'instruction, sera rayé du tableau, exclu des représentations et dénoncé à la Société.
ART. 6
On ouvrira la salle, les jours de représentation, à cinq heures précises.
ART. 7
A cinq heures et demie, l'orchestre jouera des airs patriotiques, et on commencera de suite.
ART. 8
Les commissaires de la salle et les acteurs pourront seuls rester sur le théâtre et dans le foyer.
ART. 9
Les acteurs et actrices ne pourront introduire personne dans les coulisses.
ART. 10
La mère, dont la fille aura un rôle, ou le père, en cas d'absence de la mère, pourront seuls être placés dans les coulisses. On n'y souffrira aucun enfant, sous quelque prétexte que ce puisse être.
ART. 11
L'orchestre ne sera occupé que par des musiciens, les actrices qui joueront le jour même et les receveuses, lorsqu'elles n'auront pu être placées ailleurs.
(Les receveuses étaient chargées de recevoir les offrandes patriotiques des citoyens et citoyennes qui assisteraient à la comédie. Elles étaient remplacées à chaque représentation.)
ART. 12
Les répétitions se feront à huis clos. Personne ne pourra y être admis, à l'exception des personnes comprises dans l'art. 10.
ART. 13
Les répétitions ne commenceront qu'à sept heures du soir.
ART. 14
La veille de chaque représentation, la municipalité sera prévenue et invitée à prendre, pour le maintien du bon ordre et de la décence, à l'intérieur et à l'extérieur de la salle, toutes les mesures qu'elle jugera convenables.
ART. 15
On ne pourra, sous aucun prétexte, faire retenir des places.
ART. 16
Les loges seront destinées pour les citoyennes, et ne pourront être occupées par les citoyens, qu'autant qu'il y aurait des places vacantes.
ART. 17
Le présent règlement sera imprimé, distribué à chaque acteur et affiché partout où besoin sera.


La lecture de cette pièce suggère diverses réflexions. On y remarque que les art. 4, 5 et 14, veillent à ce que tout se passe avec décence dans les représentations, et la faculté assez étrange donnée aux actrices et aux receveuses de se mêler aux musiciens par l'art. 11.
On se demande, en outre, pour quel motif l'art. 15 interdit la faculté de retenir des places, et pourquoi le mari n'a le droit de se joindre à sa femme ou le père à sa fille, dans les loges, que lorsqu'il y a des places vacantes.

 

Fontenay - l'Union Chrétienne

 


Qu'advint-il de ce théâtre hybride, c'est ce qu'on ignore. L'absence de pièces sur la matière, jusqu'à l'année 1796, ne permet point de renseigner à cet égard. Peut-être y a-t-il lieu de croire que ces représentations se maintinrent jusqu'à la suppression des Sociétés populaires le 23 août 1795. A cette époque, celle-ci tenait ses séances dans la chapelle du Couvent de l'Union-Chrétienne, et Poëyd'avant, son dernier président, en ferma les portes le 17 septembre suivant.
Les choses en restèrent là jusqu'au 29 mars 1796, époque à laquelle une pétition fut présentée à la municipalité de la ville par quelques militaires de la garnison et citoyens de la commune, pour pouvoir jouer des pièces patriotiques.


Voici cette pièce :
A Fontenay-le-Peuple le 9 germinal an 4e de la République française.
Aux officiers municipaux de la commune de Fontenay.
CITOYENS,
Quelques militaires de la garnison, réunis à des citoyens de votre commune, doivent former une Société d'amateurs, afin de contribuer à l'amusement de la ville, vous invitent à leur accorder un emplacement situé près du Collège, pour y établir une salle de spectacle, ce local ayant été précédemment destiné pour ces objets. Ils ont tout lieu d'espérer de votre zèle pour l'intérêt public, que vous ne vous y refuserez pas, et que vous donnerez en même temps votre approbation à l'établissement de cette Société.
Salut et fraternité. (Suivent les signatures).
P.-S. Nous observons que nous avons toute espèce de succès, ayant dans le bataillon de La Dordogne une très bonne musique, qui doit arriver sous quelques jours, ainsi que des danseurs ; notre intention n'étant que de représenter des pièces patriotiques et de donner des concerts ou des bals.


La municipalité accueillit favorablement la demande et l'administration départementale, prenant en considération l'état de dégradation de la chapelle du ci-devant collège, par suite des aménagements qui y avaient été faits précédemment pour l'établissement d'un théâtre, arrêta qu'elle serait affermée dans les formes prescrites par la loi, sauf aux pétitionnaires à s'en rendre adjudicataires et à y former l'établissement proposé.
Le moment était donc on ne peut plus propice pour se livrer à un peu de plaisir, car la capture de Charette allait enfin permettre de pacifier la contrée, mais allait priver la ville des troupes qui y tenaient une garnison jusqu'à ce jour. Quelques mois après, en effet, il n'y restait plus que quelques détachements sans importance. Le départ de la garnison amena celui des acteurs et musiciens qui formaient la troupe théâtrale, et l'établissement dut fermer ses portes jusqu'au jour où des troupes nomades vinrent reprendre le cours de leurs représentations interrompues par les troubles.


Quoi qu'il en soit, au début de l'année 1797, la ville ne possédait point encore de salle, et le local y consacré n'avait point été encore aménagé convenablement. Ce fut ce qui engagea Caldelar, l'entrepreneur, à demander la concession d'un terrain inculte sur la rive gauche du Pont-Neuf pour y installer une salle de spectacle, également propre aux concerts et fêtes publiques. Il eût gain de cause et s'empressa de mettre son plan à exécution. Mais dans son empressement, il avait oublié que le local était presque au niveau de la rivière, et lors des crues d'eau, les spectateurs étaient menacés de voir les eaux faire invasion dans le parquet et le transformer en aquarium. Cet état de choses persista jusqu'à l'avènement de l'Empire. L'ancienne chapelle du collège des Jésuites fut transformée en théâtre, et la salle de Caldelar devint un véritable balnéarium. Pauvres Fontenaisiens ! A quelle hygiène vous étiez condamnés ; la tête dans le feu, les pieds dans l'eau ! ...

A. BITTON
Revue du Bas-Poitou
1899

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