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La Maraîchine Normande
8 mars 2014

MAYENNE (53) - UNE ARRESTATION EN 1791 - MARQUIS ET MARQUISE DE LANTIVY DE LA LANDE

UNE ARRESTATION EN 1791

A la fin de juin 1791, une véritable Jacquerie ravageait le département de la Mayenne, et les campagnes voyaient flamber, çà et là, les châteaux. Le 26, on vint annoncer à Craon que la Maison-de-Cuillé était en flammes. La municipalité expédia la garde nationale et un détachement du 10e régiment de cavalerie, ci-devant Royal-Cravatte, pour arrêter, s'il en était temps encore, le pillage et les progrès de l'incendie. Vers neuf heures et demie du soir, les troupes revenaient de Cuillé, où ne restaient que des décombres fumants, en poussant devant elles trois ou quatre des malfaiteurs. Tout à coup l'avant-garde découvre au loin quelque chose sur la route ; on s'avance prudemment : c'est une berline arrêtée, et dont on dételle les boeufs pour les remplacer par des chevaux de trait, sous la surveillance d'un cavalier "vêtu en jokai", qui a soigneusement rabattu son chapeau sur son visage.


Jamet, procureur de la commune de Craon, fait cerner le véhicule par ses soldats, s'approche de la portière, l'ouvre, interpelle les voyageurs, un homme et deux femmes.
Ils se nomment : marquis et marquise de Lantivy de la Lande, en route pour Paris avec leurs fils et leurs gens, comme en font foi leurs passeports signés du maire de Niafles. Mais Jamet est un homme soupçonneux : qu'est-ce qu'un ci-devant marquis, sinon un aristocrate et un contre-révolutionnaire ? Et pourquoi rôde-t-il à cette heure par les chemins, si ce n'est pour émigrer ? Qu'on fouille ces gens-là ! Et pendant que les gardes inspectent les prisonniers et ouvrent les malles, Jamet démontre que le château de la Lande était le siège de conciliabules contre "notre Sainte Constitution", un rendez-vous de nobles, ayant des intelligences avec d'Autichamp, l'auxiliaire de ondé, et de prêtres insermentés qui entretenaient les ouailles "dans le chimérique espoir d'une contrerévolution". Plus de doute ! Voici sur l'un des voyageurs une liasse de lettres peu enthousiastes pour l'état actuel des choses, donc ils conspirent ; et voilà dans leurs bagages de l'or et de l'argent, donc ils font sortir le numéraire du royaume, crime prévu et puni par les décrets de l'Assemblée nationale. En prison ! Et la patrouille emmène les nocturnes voyageurs, malgré leurs protestations, et les incarcère à Craon.


Messire André-Louis, chevalier, comte de Lantivy, seigneur de la Lande, Niafles, Bouchamps, l'Isle-Tizon, Bouche-d'Uzure, l'Epinay, Baranton, Champiré et autres lieux, était alors un vieillard de soixante-dix ans, presque aveugle, perclus des rhumatismes qu'il avait gagnés dans ses campagnes de Bavière et de Bohême, et beaucoup moins ingambe qu'aux beaux jours de 1738 où il portait l'élégant costume de page du roi en la grande écurie. Fringant officier au régiment de Fouquet-Cavalerie, il épousa, par contrat du 11 février 1749, la nièce de M. l'évêque de Valence, Henriette de Milon ; elle mourut en juillet 1752. Le marquis se remaria le 1er février 1754, avec demoiselle Charlotte-Hyacinthe-Claudine-Josèphe de Montecler, fille de François-Joseph, chevalier, marquis de Montecler, seigneur de Saint-Christophe-du-Luat, Châtres, Saint-Léger-en-Charnie, et de Hyacinthe de Menon de Turbilly, marquise de la Rongère, baronne de Villiers-Charlemagne. Du premier lit naquit, le 13 août 1750, une fille, Marie-Innocente-Jeanne-Marie. Du second lit naquirent : 1° Louis-André-Charles, qui vit le jour le 18 février 1760 et reçut le supplément des cérémonies du baptême en l'église de Niafles ; 2° Louis-Georges-Maurice, reçu le 7 novembre 1763 chevalier de Malte de minorité, et le 17 avril 1778 garde de la marine ; 3° Louise-Charlotte-Julie ; 4° Louise-Hyacinthe.

 

château de la Lande


Au moment de la révolution, le marquis et la marquise vivaient en leur château de la Lande, en la paroisse de Niafles. Pendant ce temps, leur aîné, Louis-André, chevalier, comte de Lantivy, seigneur de l'Isle-Tizon, la Lande, Baranton, Champiré, l'Epinay, la Guittonière, Niafles, Faouëdic, Bouche-d'Uzure, Kermainguy et autres lieux, soutenait le nom de sa famille à l'armée : des lettres du 31 janvier 1774 l'avaient nommé lieutenant au régiment des dragons de Montecler (plus tard dragons de Monsieur), dont son oncle, le chevalier Henri-François de Montecler était mestre de camp ; mais il fallait aussi faire figure à la Cour. En janvier 1789, il fit ses preuves de noblesse au cabinet des ordres du roi pour être admis à suivre les chasses et à monter dans les carrosses de Sa Majesté. La Révolution, qui éclata, le dispensa d'en fournir d'autres et lui épargna les rigueurs de l'étiquette.
Le vieux marquis n'accueillit pas avec beaucoup de sympathie les réformes de l'Assemblée nationale ; pourtant il donna son obole à la ville de Craon quand il s'agit d'en équiper la garde nationale, et tâcha de soulager la misère que la disette rendait grande. Il prêta 1.500 # à la municipalité craonnaise pour ses approvisionnements de grains. Mais les désordres qui éclatèrent dans le Maine, le brigandage qui ravagea les châteaux sous prétexte de découvrir les blés accaparés et de détruire les titres féodaux, le désabusèrent. Il se fâcha tout rouge quand, le 19 juin 1790, un décret de l'Assemblée constituante abolit la noblesse héréditaire et les insignes nobiliaires. Une fâcheuse cataracte obscurcissant sa vue, il fit écrire par la marquise une lettre indignée, adhérant à la protestation de la noblesse de France, et qui fut publiée dans la Gazette de Paris du 21 juin 1791.
Voici en quels termes s'exprima cette mère, "bien digne de ce titre sacré" : "L'un de ses fils, maintenant à Malte, apprend à l'école des Héros comme on combat les infidèles ; comment ne protesterait-il pas contre nos mandataires ? Un père eût signé pour ses enfans, mais il est privé de la clarté des cieux, il ne lui reste plus pour guide et pour interprète qu'une mère dont le coeur est un chef-d'oeuvre de la nature et le sanctuaire de l'honneur : ce sont quatre protestations en une : mère, époux, enfans, n'ont qu'une même âme. Leur nom est Montecler de Lantivy. En apprenant que son voeu est public, le père regrettera moins de ne plus voir le jour. Je l'ai donné, dira-t-il, à deux fils dignes de protester avec les chevaliers françois ; c'est assez pour mon bonheur."


L'année 1791 s'avançait, les circonstances s'aggravaient. Le refus du serment constitutionnel par le clergé, l'installation des prêtres jureurs, des protestations parfois violentes contre les intrus agitaient les campagnes. Le château de la Lande et ceux des environs donnèrent asile aux ecclésiastiques dépossédés ; ceux des nobles qui n'avaient pas émigré vivaient dans le regret du passé, la terreur du présent, la crainte de l'avenir, escomptant, en dépit de tout, une intervention efficace des émigrés et des puissances. D'un manoir à l'autre, et des villes aux manoirs, les courriers ou la poste colportent les lettres. L'Assemblée nationale a supprimé les armoiries, et les armoiries, narguant ses décrets, timbrent le cachet des billets adressé à la Lande. De Vitré, d'Angers, les correspondants de la marquise signalent les faits divers, exhalent leurs rancunes, leurs alarmes, leurs espoirs ; depuis la cataracte du marquis, c'est la marquise qui reçoit et lit les missives, y répond, ou avise ses voisins des fraîches nouvelles. Elles ne sont pas gaies, les nouvelles : disettes, ravages des émeutes, nobles ruinés, prêtres sans asile, bruits de guerre civile et étrangère. Tout à coup l'incendie se rallume dans la Mayenne. Une lettre épouvantée, la dernière, un fragment écrit en toute hâte sur un mauvais papier, arrive chez le marquis. Les manoirs de Cuillé, Martigné, brûlent ; la Lande même, et les châteaux voisins, sont menacés des flammes. Demain, cette nuit peut-être, les vieux toits de la Lande flamberont. La famille se rassemble, effarée, tient conseil. Il faut fuir : à Angers ? l'Anjou est aussi troublé que le Maine ; à Paris, plutôt. On sera plus en sûreté dans les murs de l'hôtel de Montecler, rue du Cherche-Midi. D'ailleurs M. de Lantivy trouvera dans la capitale l'occasion, toujours retardée, de faire opérer sa cataracte. La marquise fait demander au maire de Craon par M. de la Jacopière des passeports pour Paris ; on les refuse sous prétexte que la délivrance de ces pièces appartient au maire de la commune de Niafles, dont dépend la Lande. Le maire de Niafles acquiesce, signe les papiers, la berline sort des écuries, les malles, bâclées, sont hissées. On ne partira qu'à la nuit ; deux boeufs traîneront le véhicule dans les chemins creux jusqu'à la grand'route où on attellera les chevaux. Aux dernières lueurs du couchant, disant adieu à la Lande, la caravane s'ébranle et cahote une lieue et demie dans les ornières pour aller se faire arrêter par la patrouille de Craon.


Il était onze heures du soir quand Jamet amena sa prise à la municipalité de Craon. Les autorités, prévenues, accoururent, tout heureuses qu'on eût mis la main sur de dangereux perturbateurs, un peu surprises ensuite de voir que ces redoutables conspirateurs étaient un septuagénaire aveugle et une vieille dame. Cependant les soldats fouillèrent les fugitifs, sans leur ménager les propos narquois ou menaçants ; c'est que les flancs de la berline et les poches du marquis recèlent une fortune. Des couverts d'argent, une cassette de bijoux, 780 louis, quatre sacs d'argent de 600, 924, 543 et 450 livres ; 336 livres dans d'autres boîtes, de riches vêtements, des dentelles, viennent s'amonceler sur la table sous les yeux avides des gardes nationaux qui chuchotent. Voilà pourquoi le numéraire est si rare, accaparé, caché et transporté hors du royaume ; voilà pourquoi le louis d'or enchérit de 3 et 4 livres pièce. A quatre heures du matin seulement ces premières formalités prirent fin et les prisonniers purent se reposer. Pour leur éviter la maison d'arrêt, le chirurgien Juhel Dupaty leur offrit son logis où ils furent incarcérés sous sa responsabilité !


Le 2 juillet, les officiers municipaux de Craon faisaient part de leur zèle à l'Assemblée nationale : "Augustes représentans, écrivait l'un d'eux, tandis que vous donnez vos ordres pour la sûreté de l'empire avec le calme qu'il (sic) convient aux législateurs d'une grande nation, nous vollions aux devant des brigands qui vouloient incendier les châteaux des ci-devant seigneurs pour les forcer, nos armes d'une main et vos augustes décrets de l'autre, de respecter les propriétés et les personnes." Malheureusement, ils arrêtaient les volés en même temps que les voleurs.
Quelques jours après, le citoyen Jacques-René Chasseboeuf, juge au tribunal du district de Craon, commença les interrogatoires ; il questionna le marquis que la cécité empêcha de signer sa déposition, puis la marquise, puis le jeune comte, enfin les laquais, Julien Houdmon, Mathieu Hunault dit la France, et la chambrière, Anne Aillery, femme Chaillot. Toutes les réponses concordèrent ; les suspects ne firent aucune difficulté d'avouer qu'effrayés des dangers qui menaçaient leur demeure, ils avaient résolu de mettre en sûreté leurs personnes et leurs objets les plus précieux ; ils protestèrent qu'ils n'avaient aucunement l'intention d'émigrer, mais seulement de gagner Paris ; d'ailleurs, l'état des yeux de M. de Lantivy exigeait une consultation sérieuse et une opération pratiquée par les spécialistes de la capitale. Les ressources qu'ils emportaient en argent et en effets, suffisantes pour vivre à Paris selon leur rang, étaient trop faibles pour un départ à l'étranger ; enfin il n'y avait point de loi qui interdit à un citoyen français de voyager quand bon lui semble et de quitter la campagne pour la grande ville.
Chasseboeuf n'avait entamé cette instruction que le 13 juillet ; le 14, les fugitifs, voyant l'affaire traîner et trouvant le temps long depuis dix-sept jours de détention non motivée, adressèrent une protestation au comité des recherches et pétitions de l'Assemblée nationale. D'ailleurs, des difficultés avaient surgi : les juges Esnue-Lavallée, Chasseboeuf et Doussault, quelque prévention qu'ils eussent contre des ci-devant, étaient fort embarrassés. Ils avaient oublié une formalité de procédure, ce qui pouvait entraîner la nullité des poursuites ; ils avaient négligé d'arrêter l'homme qui amenait de la Lande les chevaux destinés à remplacer les boeufs de la berline : d'après l'avis et sur la requête du juge Midy, il fallait recommencer réglementairement tous les interrogatoires. On en référa au Directoire du département, qui consulta la Constituante. Le 16, Chartier, commissaire du district, faisant provisoirement fonction de procureur syndic du district de Craon, réclama les lettres suspectes trouvées sur les prévenus pour les adresser à l'Assemblée nationale saisie en dernier ressort ; l'affaire fut portée du district de Craon au Comité des recherches. Le 3 août, ce comité donna l'ordre de relâcher sur le champ les voyageurs indûment arrêtés.


Je ne sais ce que devinrent ensuite le marquis et la marquise. Emigrèrent-ils ? Leur nom n'est pas porté sur la liste des émigrés. Monsieur de Lantivy mourut-il à Paris à temps pour n'être ni emprisonné ni guillotiné sous la Terreur ? Aucun acte de décès à ce nom n'existe aux Archives de la Seine. Quand à sa veuve, elle vivait encore en 1801, et elle vendit cette année-là, nous dit M. de la Jacopière, sa terre de la Nicoulière à M. Letort-Lhommeau. L'un des fils dut prendre part à la guerre de Vendée, et y périr. Un Lantivy signa, le 1er floréal an III, le traité de la Mabilais, avec Cormatin, La Raîtrie, d'Andigné et d'autres chefs royalistes, mais ce n'est probablement pas le "jokai" qui fit si grand peur à Jamet. Le cadet resta sans doute à Malte.
Quant à leur soeur, elle n'avait pu émigrer avec son mari, le comte J.-Ch. de Maurey. Elle fut mise en prison, à Château-Gontier sans doute, et condamnée à mort. Pour échapper au supplice elle se résolut à épouser l'ex-intrus d'Azé, Louis Davière, secrétaire greffier de Château-Gontier. Cette mésalliance dut faire tressaillir les cendres des Lantivy.

notes - une arrestation en 1791 - Mayenne



L'hôtel de Lantivy existe encore au n° 9 de la rue du Cherche-Midi, près le carrefour de la Croix-Rouge ; c'est une maison de deux étages, au toit mansardé et qui garde encore devant les hautes fenêtres du premier des balcons où l'M des Montmorency s'entrelace aux arabesques de fer forgé. Là s'élevaient en effet, avant l'hôtel de Montecler, les écuries de Montmorency ; plus tard, le logis appartint aux Maillé de Saint-Priest. C'est cette façade aussi sombre, aussi morte que la rue, qui vit un soir d'août une berline s'arrêter devant le portail et un vieux gentilhomme descendre en s'appuyant sur l'épaule de son fils, pestant sans doute contre ces marauds, ces faquins de révolutionnaires, qui ne respectaient plus rien, pas même les marquis et la liberté de voyager.

Extrait
La Mayenne révolutionnaire : notes & documents
Dr Paul Delaunay
Laval - 1906

 

Selon Jean Sibenaler, auteur de "Les premiers préfets du Maine-et-Loire : naissance d'un département français, "Louis-André, qui avait atteint sa soixante-dixième année, décéda à Orléans lors de son retour clandestin d'émigration, le 16 mars 1793."

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