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La Maraîchine Normande
24 février 2014

PIERRE-ANTOINE PAREIN DIT PAREIN DU MESNIL - GÉNÉRAL SANS COMBATTRE - ASSASSIN A LYON - MOUCHARD AU SERVICE DE FOUCHÉ

PIERRE-MATHIEU PAREIN DIT PAREIN DU MESNIL

Né au Mesnil-Aubry (Seine-et-Oise) le 13 décembre 1755, littérateur et auteur dramatique, officier dans la compagnie des volontaires de la Bastille en septembre 1789, commissaire du Conseil exécutif dans les départements de la Seine-Inférieure et de l'Oise, le 29 août 1792, employé en Vendée en mai 1793, commissaire des guerres le 29 juillet 1793, commissaire des guerres le 29 juillet 1793, général de brigade le 2 octobre 1793, président de la commission révolutionnaire à Commune-Affranchie le 9 frimaire an II (29 novembre 1793), général de division provisoire le 13 ventôse an II (3 mars 1794), chef de l'état-major général de l'armée des Côtes de Brest en messidor an II (juin 1794), destitué le 27 vendémiaire an III (18 octobre 1794), réintégré le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), à cause de sa participation à la journée du 13 vendémiaire, compromis dans la conspiration de Babeuf et acquitté par la Haute Cour de Vendôme le 7 prairial an V (26 mai 1797), admis au traitement de réforme le 15 fructidor an V (1er septembre 1797), remis en activité le 23 fructidor an V (9 septembre 1797), commandant le département de la Nièvre, admis au traitement de réforme le 19 floréal an VI (8 mai 1798), remis en activité le 19 thermidor an VII (6 août 1799) et envoyé à l'armée d'Italie, ne rejoint pas son poste pour raison de santé et admis au traitement de réforme le 8 germinal an IX (29 mars 1801), retraité le 6 juin 1811, mort au Mesnil-Aubry le 24 mai 1831.
(Correspondance générale de Carnot - par Etienne Charavay - Tome IV - Novembre 1793 - Mars 1795 - 1857)

 

L'INTERNEMENT A CAEN DU GÉNÉRAL RÉVOLUTIONNAIRE PAREIN
DE 1812 A 1814

Dans les derniers jours de janvier de l'année 1812, on commença à voir circuler, à peu près toujours aux mêmes heures, par les rues de la ville de Caen, un personnage que jusqu'alors personne n'y avait encore aperçu. Une femme l'accompagnait. A en juger par sa taille un peu voûtée, par les rides de son visage, par sa démarche lente, lourde et même difficile, l'homme devait avoir tout près de 70 ans s'il ne les avait déjà. Le couple était silencieux. C'étaient sans doute des hôtes de passage auxquels n'étaient familiers ni les choses ni les gens. La femme était quelconque. Quant au mari, plutôt petit et mince, sans nulle prestance, il avait l'air d'un ancien huissier ou greffier ou bien encore de quelque employé d'une des régies de l'État, depuis quelque temps admis à la retraite. S'il y avait eu sur leur parcours un Balzac, il se serait retourné, les aurait suivis du regard, et leurs traits se seraient fixés dans sa mémoire. On les aurait plus tard retrouvés sur les pages d'un de ses romans de la Comédie humaine, cette comédie qui n'est que de l'histoire.
Seules dans la cité de Malherbe, deux personnes étaient à même de savoir non seulement ce qu'étaient dans le présent, mais ce qu'avait été dans le passé ce nouveau venu aux allures discrètes, qui ne parlait à personne parce qu'il ne connaissait personne. L'une était le préfet du Calvados, l'autre le commissaire spécial de la Rochette, auditeur au Conseil d'Etat. Ce dernier était même le mieux renseigné. Sous un titre en apparence modeste, il remplissait des fonctions en réalité très hautes et très importantes. Détaché au ministère de la police générale, il étendait sa surveillance policière non seulement sur tout le département du Calvados, mais même sur certains arrondissements des départements voisins. Le préfet lui-même n'échappait pas à ses regards indiscrets et inquisiteurs et il devenait ainsi comme son inférieur.


Le mystérieux hôte de l'Athènes normande, très normande mais peu athénienne alors, était un hôte involontaire. Arrivé le 23 janvier, il avait dû dès le lendemain 24 se présenter au domicile du commissaire spécial de la Rochette qui n'avait rien de commun avec un vulgaire commissaire de police municipale ni par le rang, ni par l'éducation, ni par les fonctions puisqu'il appartenait au Conseil d'Etat et occupait un rang élevé dans la hiérarchie administrative napoléonienne. Étranger aux contraventions et délits ordinaires, il ne s'inquiétait que des affaires politiques. Ce fut lui qui reçut le passeport du visiteur.
Ce passeport n'était pas ordinaire. Au dessous des mentions habituelles relatives au lieu de naissance, à la profession, au signalement, il portait en effet une mention particulière, de la main même du ministre de la police générale, Savary, duc de Rovigo. On y lisait "Placé en surveillance à Caen jusqu'à nouvel ordre."
On sait ce qu'était la surveillance sous le Consulat et l'Empire. C'était une mesure de haute police, qui pour être extra légale, n'en avait pas moins pris un véritable caractère de légalité. Tout le monde y était si bien fait, que personne ne s'en étonnait. Il suffisait de la signature du ministre de la police ou d'un des quatre conseillers d'Etat ses collaborateurs au bas d'un simple billet pour vous obliger à quitter votre domicile, à abandonner votre profession, à vous séparer de votre famille pour aller vivre au loin dans telle ou telle localité qui vous était assignée et dont vous ne deviez plus désormais sortir sous aucun prétexte. Si Paris était votre résidence, vous n'étiez pas placé d'ordinaire à moins de quarante lieues. Les autorités locales étaient prévenues. L'interné devait se présenter devant elles à des dates fixes pour faire voir qu'il était bien là. D'ailleurs, les préfets, sous-préfets, maires et les policiers de tout ordre ne le perdaient jamais de vue. La maison qu'il habitait était soumise à un contrôle spécial. Tous ses gestes, toutes ses paroles étaient épiées. On le suivait partout où il allait.
La mise en surveillance était une mesure de bienveillance si on la comparait à l'internement dans une prison d'Etat comme Pierre-Châtel, Fenestrelles, Ham, Bouillon, Saumur ou Vincennes où l'on était effectivement détenu, enfermé dans une chambre, gardé par des geôliers et privé d'une façon absolue de toutes les formes de liberté. Le Second Empire devait la connaître comme le Premier.

 

caen


Le nouveau Caennais malgré lui était né à Mesnil-Aubry, aujourd'hui commune du canton d'Ecouan dans le département de Seine-et-Oise, le 13 décembre 1755. C'était le fils d'un bourrelier ; mais il avait reçu soit sur place, soit ailleurs une certaine instruction, et, au lieu de continuer la profession paternelle, il s'était rendu à Paris et y était entré comme clerc chez un procureur. Il était ainsi devenu un de ces robins de bas-étage que la Révolution devait tirer de l'ombre des études où ils grossoyaient pour faire de plus d'un d'entre eux de grands personnages en les plaçant à la tête des municipalités, des administrations de districts et même des administrations de districts et même des administrations départementales. On en verra jusque sur les bancs des Assemblées révolutionnaires. Pour marquer son ascension, il avait ajouté un nom de lieu à son nom patronymique en les reliant par une particule.


L'année 1789, dès le début, avait été une année de grande fermentation dans tous les milieux, et le clerc de procureur Parein s'était signalé par des écrits de circonstance comme : L'extrait du Charnier des Innocents, ou Cri du plébéien immolé, le Supplément à l'Extrait du Charnier des Innocents, le Massacre des Innocents, l'Exterminateur des Parlements, la Girouette française ou le despotisme ressuscité, l'Exterminateur des Parlements, les Crimes des Parlements ou les horreurs des prisons judiciaires dévoilées.
Les volontaires de la Bastille ! Ce fut au lendemain de la prise de la fameuse citadelle, représentatif symbole de l'Ancien régime que fut créé ce titre enviable et envié, parfois usurpé de noblesse révolutionnaire. La liste en fut dressée. Des pensions leur furent accordées tant et si bien que le nombre s'en accrut et que des absents vinrent grossir le nombre des présents.

vainqueurs de la Bastille


A n'en pas douter, quoique son rôle ne soit pas exactement connu, Parein était là et ce fut là qu'il conquit cette notoriété qui devait lui valoir le grade de général sans avoir passé par les grades inférieurs ni accompli sur un champ de bataille le moindre exploit stratégique.
Au lendemain du 14 juillet 1789, il est de toutes les manifestations relatives à la Grande journée. Le 18 février 1790, quand se présentent à l'Assemblée Nationale une adresse à la main, les sieurs Lauzier, fils de l'ancien président à l'élection de Grenoble et Dupont, ancien officier de la marine royale, il s'est joint à eux pour réclamer un insigne spécial destiné à distinguer les courageux citoyens qui ont pénétré dans ce repaire de la tyrannie.
Le 6 novembre 1791, parmi les membres d'une députation à la même Assemblée de ces mêmes vainqueurs qui jurent d'être toujours prêts à verser leur sang pour le maintien de la Constitution et le triomphe de la Liberté, on le trouve encore.
C'est par le théâtre que le mémorable évènement entrera pour n'en plus sortir dans la mémoire des générations : Parein se fait auteur dramatique. Il compose sous le titre de "Prise de la Bastille", une pièce en trois actes mêlée d'ariettes et l'offre au Théâtre Italien. Elle n'y fut jamais jouée, mais l'Assemblée en agréa l'hommage dans sa séance du 1er août 1791.
Partout où allaient les Vainqueurs, il allait avec eux. Lorsque en octobre, ils prirent part à la marche sur Versailles, il était au milieu de leur bataillon. Cité à comparaître devant les juges du Châtelet à l'occasion de cette manifestation, il s'était posé non en témoin, mais en accusateur et avait bafoué le tribunal : "Je croirais à la fois m'avilir et me compromettre, s'était-il écrié avec véhémence, en parlant le langage de la vérité devant des hommes qui ont donné tant de preuves éclatantes de leur haine envers elle, de leur amour pour le mensonge et de leur tyrannie contre les ennemis de la Révolution !"
Naguère, n'étaient-ce pas eux qui "l'avaient rendu victime de sa franchise en le plongeant deux ans dans les cachots pour avoir rendu hommage à la vérité dans une affaire où il avait été entendu comme témoin au sujet d'un vol fait à son père ?"


Quelle mission lui avait été confiée en 1792 avec le citoyen Pierre Gonord, un vainqueur comme lui de la Bastille et le citoyen Vincent, sous-chef de bureau au ministère de la guerre, comme commissaire du pouvoir exécutif ? On ne sait. Dans une requête du 5 décembre il rappelait en son nom et au leur "qu'ils avaient rempli leur mission au prix des plus grands dangers, ayant fait un voyage de 400 lieues chacun par les pluies et les mauvais temps dans cinq ou six départements". Ils sollicitaient "une indemnité proportionnée aux services qu'ils ont rendus et à leurs sacrifices personnels".
Il n'ajoutait pas qu'il avait fait de la prison pour dettes. Un huissier complaisant qui lui avait avancé une assez forte somme avait été obligé de le faire incarcérer en juillet 1792. Il avait juré de se venger, et, quelque peu effrayé d'avoir en face de lui un vainqueur de la Bastille irrité et vindicatif, le malheureux créancier en était réduit à solliciter contre son débiteur la protection du commissaire de police du quartier.
Besogneux, il avait réclamé au début de cette année une place dans les bureaux de l'administration chargée de mettre en circulation les assignats. Qui pouvait être plus utile que lui ? N'était-ce pas lui qui avait dénoncé et arrêté lui-même des fabricateurs de faux assignats et l'Assemblée Constituante n'avait-elle pas rendu hommage à son civisme en récompensant sa dénonciation par une allocation de 12.500 livres ?


En août, toujours en 1792, quand il s'était agi de mettre les faubourgs sur pied, qui avait-on choisi comme commissaires ? Fournier l'Américain, Rossignol et lui.


Ce n'étaient là que des débuts, d'humbles débuts. Parein, sans que l'on puisse le suivre pas à pas, marche avec la même rapidité que la Révolution. C'est la Révolution qu'il s'est donnée comme carrière.
En même temps qu'à Paris, la Terreur sévissait en province et c'était Paris qui la transportait en province. Les représentants du peuple étaient ses organisateurs et c'était parmi les plus notables patriotes qu'ils choisissaient leurs agents d'exécution. Orateur du club des Jacobins avec tout le prestige que lui donnait, outre sa faconde, son titre glorieux de triomphateur de la geôle des tyrans, Parein ne pouvait manquer d'être désigné par eux pour une de ces missions.

 

RONSIN GENERALDétaché auprès du général Ronsin à l'armée des côtes de la Rochelle chargée de combattre les Vendéens, en sa qualité sans doute d'ex-homme de loi, il passa du camp au prétoire. C'étaient d'ailleurs des prétoires très révolutionnaires que ceux de ces commissions militaires souvent ambulantes qui suivaient les armées sur le théâtre même des opérations, ou s'installaient dans leur voisinage. Véritables conseils de guerre, sans souci des formes ordinaires de la justice, elles procédaient avec une sommaire rapidité, écoutaient à peine les prévenus et les envoyaient d'office au peloton d'exécution.


Ce fut une commission de ce genre que forma, au cours d'un séjour à Angers, le 10 juillet 1793, le général Ronsin, adjoint au ministre de la guerre. En principe, elle était destinée à juger avant tout les militaires mais par extension de ses pouvoirs, elle fut chargée de faire comparaître également devant elle tous les civils prévenus de conspirer contre la République, royalistes, prêtres réfractaires, insurgés, suspects en tout genre. Les représentants, en ce moment à Angers, confirmèrent le lendemain l'arrêté de création et elle entra sans plus tarder en fonctions d'abord à Angers même, puis à Saumur et à Chinon pour revenir à Angers et à Saumur, se rendre à Laval, retourner de Laval à Angers, siéger aux Ponts-de-Cé, à Doué-la-Fontaine, pour la troisième fois à Saumur et terminer ses opérations à Angers le 9 mai 1794, date de sa dissolution.
Au cours de cette existence d'environ neuf mois, composée de cinq juges et d'un secrétaire, elle eut comme premier président Parein qui la quitta le 4 octobre pour regagner Paris où sa présence était estimée nécessaire.
Du 13 juillet au 4 octobre 1793, sous la présidence de Parein, alors simple capitaine, elle jugea 110 prévenus. La plupart étaient des militaires accusés de désertion, de vols chez les habitants, ou de sévices sur les personnes dans les lieux où ils étaient cantonnés.
Cependant ce ne fut pas à des délits militaires, mais à des délits politiques qu'allèrent les condamnations à mort. A Saumur, le ci-devant noble Camille Abraham, Carrefour de la Pelouse, chevalier de Saint-Louis, ancien officier d'artillerie, sera guillotiné pour avoir arboré la cocarde blanche et s'être paré de sa croix, ainsi que le ci-devant noble Etienne Saint-Hubert, prévenu d'avoir été vu portant la même cocarde, d'avoir dîné avec des chefs Vendéens et de s'être promené avec eux. A Chinon, un homme de loi, officier des eaux et forêts, subira le même sort pour avoir donné l'exemple du port de la cocarde antinationale.
Tant après qu'avant le départ de Parein, la commission avait jugé 2.248 accusés. 238 dont 36 femmes furent guillotinés et 931 fusillés, ce qui élève à 1.169 le chiffre des exécutions. Une centaine de religieuses furent condamnées à la déportation perpétuelle. Les autres prévenus, pour la plupart des militaires, traités avec indulgence, n'encoururent en général que des peines légères ou furent acquittés.


Dès son retour à Paris, Parein accorde aux Jacobins sa première visite. Sous la présidence de Barras, il monte à la tribune. Pour le récompenser de son civisme, il s'est vu élu général. Il remercie et, sans phrases, pour montrer que l'on peut compter sur lui, il réclame une seconde guillotine pour la capitale.
"J'arrive de la Vendée, dit-il, je ne vous donnerai pas de détails sur ces contrées. Momoro qui va me succéder à la tribune a promis de le faire.
Vous m'avez nommé général à l'armée révolutionnaire. Je viens vous assurer que je justifierai votre confiance. Boulanger, mon collègue, vous a demandé une guillotine. Je vous en demande une seconde et je vous promets que les aristocrates et les accapareurs rentreront bientôt dans le néant."
On avait applaudi.
Momoro, montant à son tour à la tribune, décerna à son collègue et ami le plus magnifique certificat de Républicanisme.
"Je déclare à la société, s'était-il écrié, que le citoyen Parein qui m'a précédé à la tribune et qui a demandé une seconde guillotine, a lui-même fait guillotiner un très grand nombre d'aristocrates dans la Vendée."
Et l'on avait de nouveau applaudi !
C'étaient là de magnifiques états de service. Ils justifiaient tous les espoirs. Un tel Républicain, qui avait à son actif tant de condamnations à mort, était le président à l'avance désigné pour toute commission militaire ou autre qui aurait à faire fonctionner où que ce soit la guillotine, ou si la guillotine était trop lente et insuffisamment expéditive, à lui substituer le fusil ou le canon au besoin.
Justement, à ce moment même, se présentait une occasion exceptionnelle de ne pas laisser sans emploi un homme d'une telle énergie.

 

LYON DE 1550 A 1815 PLACE DES BROTTEAUX 1815


Par un décret du 12 octobre 1793, la Convention avait ordonné que pour s'être associée aux menées des royalistes et avoir assassiné le "grand patriote" Chalier, la ville de Lyon serait détruite, qu'elle perdrait son nom et s'appellerait désormais sous sa forme nouvelle "Ville Affranchie". Sur ses ruines, une colonne serait élevée avec cette inscription destinée à édifier les générations futures : "Lyon fit la guerre à la liberté. Lyon n'est plus."
L'armée révolutionnaire envoyée pour réduire la cité rebelle y était entrée après un véritable siège, le 25 novembre 1793, avec les représentants du peuple Albitte, Fouché et Collot d'Herbois.
Aussitôt sur tous les murs revêtus de leurs signatures, on avait pu lire cette affiche pleine de redoutables menaces.
"La justice est le plus fort lien de l'humanité. Son bras terrible doit venger tous les attentats commis contre la souveraineté du peuple. Tout délai est un outrage à sa toute puissance. L'exercice de cette justice n'a besoin d'autre forme que l'expression de la volonté du peuple. Cette volonté énergiquement manifestée doit être la conscience des juges. Presque tous ceux qui remplissent les prisons ont conspiré pour l'asservissement de la République, médité le massacre des patriotes. Ils sont par là même hors la loi. Leur arrêt de mort est de ce fait prononcé."
A l'effet de leur infliger le châtiment digne de leur forfait, était établie dès le jour même une Commission révolutionnaire. Elle devait faire comparaître successivement devant elle tous les hôtes des prisons et les soumettre à un dernier interrogatoire. Les innocents, s'il s'en trouvait, seraient remis sur le champ en liberté et les coupables envoyés à la minute même au supplice. "Conduits en plein jour en face du lieu où les patriotes furent assassinés, ils y expieraient sous le feu de la foudre une vie trop longtemps criminelle."
La guillotine était ainsi mise au rancard ; le bourreau placé en non activité. Pour la grande besogne patriotique de la justice nationale, les fusils n'étaient pas de trop. C'étaient eux qui allaient représenter la foudre et remplir son office.
La conduite à tenir était ainsi définie à l'avance aux juges : "Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître. Il s'agit moins de les punir que de les anéantir. Il n'est pas question de donner quelques exemples, mais d'exterminer les implacables satellites de la tyrannie. L'indulgence envers eux est atroce. La clémence est parricide."


Le nombre des juges primitivement fixé à sept fut ramené à cinq. Aucune forme judiciaire ne leur était imposée. Il n'y avait ni accusateur public, ni avocats. L'instruction préalable avait été supprimée pour plus de célérité et il en avait été de même de l'audition des témoins pour la même raison. Des preuves morales en face de la conscience civique des juges. Il n'en fallait pas davantage.
Chaque jour, ce tribunal à tous les points de vue "extraordinaire" devait tenir deux séances, l'une de neuf heures du matin à midi, l'autre de sept heures à neuf heures du soir, dans la salle du Consulat à l'hôtel de ville.
Rien chez les juges ne rappelait le costume des magistrats de l'Ancien Régime. Ils étaient revêtus d'un uniforme militaire avec des épaulettes et portaient au côté un grand sabre. Ils étaient coiffés d'un chapeau surmonté d'un panache rouge. Sur leur poitrine, descendait une petite hache d'acier brillant retenue au cou par un ruban tricolore. Cette hache était le véritable emblème de leur ministère.


Réduits à leur plus simple expression, c'est-à-dire à une simple constatation d'identité, les débats n'exigeaient que quelques minutes. "Quels sont tes noms et prénoms et ta profession ? Qu'as-tu fait pendant le siège ? Es-tu dénoncé ? Telles étaient invariables les seules questions posées. Tout en faisant semblant de les écouter, les inquisiteurs jetaient un coup d'oeil sur quelques notes étalées sur leur table, puis après s'être penchés les uns vers les autres, ils laissaient à leur président le soin de faire connaître lui-même la sentence. Pour ce faire, point n'était besoin à celui-ci de prendre la parole et de développer des considérants, même sommaires. S'il portait la main à son front c'était la fusillade, s'il touchait sa hache, c'était la guillotine, s'il étendait le bras sur la table, c'était la mise en liberté.
Le guichetier comprenait cette mimique. Selon le cas, il faisait passer le prévenu par une issue ou par une autre. L'une conduisait directement sur la place des Terreaux où étaient déjà épaulés les fusils, l'autre menait sur une autre rue au bout de laquelle on pouvait se vanter de l'avoir échappé belle.
A vrai dire, cette cour telle que l'on n'en avait encore jamais vu, ne faisait qu'enregistrer et publier les sentences prononcées en dehors d'elle par un Comité dit de "Surveillance républicaine". C'était ce comité qui recevait les dénonciations, lançait les mandats d'amener, interrogeait les détenus, recueillait les renseignements et les transmettait à la Commission révolutionnaire en indiquant d'un mot la solution de chaque affaire. Il n'avait pas semblé possible de trouver une meilleure division du travail judiciaire.


La Commission prenait la place du tribunal révolutionnaire jugé trop lent dans ses opérations. Elle rendit son premier arrêt le 4 décembre, le lendemain même du jour où rendait le dernier des siens le tribunal, dont le président avait ainsi présenté ses successeurs : "Un grand acte de justice nationale se prépare. Il sera de nature à épouvanter dans les siècles les plus reculés les traîtres qui penseraient à s'insurger contre la République française ... Je voudrais que ce jour fût un jour de fête. J'ai dit jour de fête et c'est le propre. Quand le crime descend au tombeau, l'humanité respire et c'est la fête de la vertu".
Du 4 décembre 1793, jour de son ouverture, au 13 avril 1794, jour de sa clôture, la Commission siégea soixante-quatorze fois et statua sur le sort de 3.539 individus. Elle en condamna à mort 1.684 par 63 jugements et en remit en liberté 1.692 par seize jugements. Par un seul jugement elle prononça en outre 162 mises en détention jusqu'à la paix.
La terreur à Lyon a fait l'objet de nombreuses études très documentées et l'on peut y trouver tous les détails des fusillades de la place des Terreaux qui ont pu servir de modèles aux exécutions soviétiques.
Le Président de la Commission n'était autre que Parein.
Les historiens de la Terreur Lyonnaise le représentent d'après les témoignages du temps sous le costume de mélodrame qu'il portait avec ses collègues, libre dans ses propos et dans ses actes, volontiers gouailleur, cherchant par ses sarcasmes les rires de l'assistance, sorte de clown d'une sanglante parade pseudo-judiciaire.
Selon qu'il est de bonne ou de mauvaise humeur, que la tête du comparant lui plaît ou ne lui plaît pas, selon aussi que l'attitude et le langage varient, il change de ton et donne à ses facéties des formes appropriées.


Un condamné nommé Grivet s'était endormi au moment où l'on venait chercher les prisonniers destinés à la fusillade et il avait ainsi échappé momentanément au sort commun. Il comparaît de nouveau devant ses juges. "Que dirais-tu de nous si nous te rendions la liberté, lui dit Parein ?" - Je dirais que la liberté est aussi vraie pour moi que la vérité d'un proverbe qui prétend que la fortune vient en dormant". - Parein se prit à rire et le condamné fut élargi.


Un accusé du nom de Calas se présente. - "Es-tu parent du fameux Calas, lui demande le président ? Et sur une réponse affirmative, il s'entend dire, à sa profonde stupéfaction : "Sois libre. Ton parent t'a sauvé."
Un prêtre peu courageux ou incrédule avait pensé échapper à la mort en se déclarant athée. A cette question : "Crois-tu en Dieu ? il avait répondu : Peu." - Meurs, s'était écrié Parein, et va le reconnaître !"
Que penses-tu de Jésus ? avait-il demandé à un autre ? - "Je le soupçonne d'avoir voulu tromper les hommes." Sur cette réponse, il s'entend condamner à mort en ces termes : "Cours au supplice scélérat ! Jésus, tromper les hommes, lui qui prêcha l'égalité et qui fut le premier, le meilleur sans-culotte de la Judée !"


Un curé des environs de Lyon apparaît. "Crois-tu à l'Enfer ?" Ainsi interpellé le curé riposte bravement : "Comment n'y croirais-je pas en vous voyant et en considérant ce qui se passe autour de vous ?" Ce qui devait lui arriver lui arriva.


La plaisanterie se fait à l'occasion crapuleuse.
"Une jeune religieuse d'une grande beauté est amenée. Voici le dialogue que l'on put entendre : "C'est dommage de mourir si jeune quand on est si jolie, s'esclaffe le président. Je voudrais te sauver la vie, mais je ne vois qu'un moyen à cela. - Quel est-il ? C'est que tu accordes à l'un de nous la nuit que nous te ferons passer demain avec les anges si tu nous refuses audjourd'hui." - Vous avez le droit de prendre ma tête mais non de m'insulter", répliqua-t-elle." Et sa tête fut prise.


Entre la séance du début de la matinée et la séance de la soirée, il y avait de longues heures vides que les juges ne savaient trop comment employer. Pour passer le temps, Parein faisait des armes avec un professeur d'escrime. Installé sur le quai Saint-Clair dans la maison des "Médaillons", il s'était donné une garde pareille à celle qui veillait naguère à la porte des Tuileries. Des sentinelles défendaient l'entrée et nul n'était admis sans les plus minutieuses précautions après de multiples démarches.
Sortait-il ou entrait-il ? Des femmes, des vieillards, des enfants faisaient la haie sur son passage, se jetaient à ses genoux tendant vers lui des mains suppliantes avec des placets. Il les recevait, les mettait négligemment dans sa poche. La plupart n'en sortaient jamais pour être lus.


La Commission avait si bien travaillé que ses organisateurs, les représentants Albitte, Fouché, Laporte et Collot d'Herbois tinrent à lui décerner un témoignage public de satisfaction.
"La terreur, la salutaire terreur est vraiment ici à l'ordre du jour. Elle comprime tous les efforts des méchants. Elle dépouille le crime de ses vêtements et de son or. C'est sous les haillons honorables de la misère que se cache le riche royaliste fumant encore du sang des républicains."


C'était la gloire. Cette gloire ne fut cependant pas sans mélange. Contre les brutalités inouïes de cette répression sans précédent dans les annales de la Terreur, des protestations s'élevèrent et elles pénétrèrent jusqu'à la tribune de la Convention, le 30 frimaire An II.
"A peine le jugement a-t-il été prononcé, put-on entendre, que les condamnés sont exposés en masse au canon chargé à mitraille. Ils tombent les uns sur les autres frappés par la foudre et, souvent mutilés ils ont le malheur de ne perdre à la première décharge que la moitié de leur vie. Les victimes respirent encore, après avoir subi ce supplice sont achevées à coups de sabre et de mousquets.
La pitié même d'un sexe faible et sentimental a semblé un crime. Deux femmes ont été traînées au carcan pour avoir imploré la grâce de leurs pères, de leurs maris et de leurs enfants. La nature est forcée de combattre ses plus justes et ses plus généreux mouvements."
Autant en emporta le vent.

 

GRACCHUS BABEUFAssez obscure et difficile à suivre est la carrière de ce général à nul autre pareil. Le 27 vendémiaire an III (14 oct. 1794) malgré les attestations du général en chef de l'Armée des Côtes de Brest qui déclarait lui avoir vu remplir avec zèle et bravoure les fonctions de chef d'état major général près de lui, il fut destitué. Mais pour avoir concouru à Paris à la défense de l'Assemblée nationale lors de la journée du 13 vendémiaire, il fut réintégré dans son grade. Au lieu de rejoindre avec ses galons l'armée à laquelle il appartenait, il resta à Paris et ce fut à Paris que le rencontra la conspiration de Gracchus Babeuf à laquelle il fut mêlé.
Sur des listes dressées par Babeuf et ses associés qu'avait saisies la police figuraient un grand nombre de noms de notabilités révolutionnaires. En regard de chaque nom, il était fait mention du rôle qui était attribué à chacun d'eux pendant ou après la bataille. Parmi ces noms, en bonne place, se détachait le nom du général Parein. Avait-il ou n'avait-il pas été pressenti ? Il semble bien qu'il avait été inscrit pour ainsi dire d'office, sans avoir été effectivement mêlé aux agissements des Babouvistes. Mais il savait par expérience sur autrui que quand on veut vous condamner on n'est jamais à court de motifs et à la première nouvelle des recherches policières, il s'était prudemment escamoté.
Le 25 floréal An IV (15 mai 1796), le juge de paix de la section de la Fidélité s'était présenté avec un mandat d'amener au domicile du général, rue de la Tacherie. A la place de Parein, il ne trouve que sa logeuse, une femme Renard. Elle professait pour son pensionnaire une admiration profonde, le regardait comme un admirable apôtre. Elle ignorait où il pouvait bien être, mais se déclarait prête à subir la mort plutôt que de le compromettre au cas où elle aurait su où il était. Au fond d'une paillasse, on avait seulement découvert le sabre de guerre. Le juge s'en saisit. Ce fut tout son butin. De papiers Babouvistes ou non babouvistes, point.
Toujours invisible, le fugitif, du fond de sa retraite, protesta contre l'arbitraire des recherches dont il était l'objet. Nul n'avait jamais plus fidèlement que lui servi la République. Nul non plus ne la servirait jamais mieux. Son passé répondait du présent et de l'avenir.
"Il y a sept ans, écrivait-il le 13 prairial an IV, au citoyen Carnot, que je sers la Révolution. J'y ai occupé onze places également importantes. Je défie qui que ce soit de me reprocher d'avoir fait tort d'un liard à la République. Mon patriotisme a toujours été aussi franc que tout fruit de mes travaux, qu'une conscience intègre et la satisfaction d'avoir travaillé à fonder la Liberté et l'Egalité.
... Ainsi les Républicains n'auront travaillé que pour essuyer toutes sortes de dégoûts, que pour être eux-mêmes livrés à la misère et à l'opprobre ! Que dis-je ! A l'opprobre ? Je me trompe. Il n'en est point pour homme innocent. Et croyez que si je me suis soustrait au mandat d'arrêt, ce n'est pas que je redoutais de passer par le creuset de l'instruction, mais parce que je connais les lenteurs des tribunaux et qu'il est toujours douloureux pour ne pas dire révoltant de rester plusieurs mois en prison. Que la justice travaille avec activité et sans relâche à l'examen de la conspiration et vous me verrez bientôt monter sur le banc des accusés pour couvrir de honte mes misérables délateurs."
Dans une autre lettre, il protestait non moins vivement de son innocence, et expliquait sa conduite. Sans doute, il était demeuré à Paris au lieu de rejoindre son poste à l'armée de Brest, mais c'est que tout lui avait manqué pour se mettre en route, tout jusqu'à une paire de bottes.
... Je puis vous protester au nom de ce qu'il a de plus sacré que non seulement je n'ai pas eu connaissance du complot, mais que je n'ai jamais assisté à aucun conciliabule. Je défie dont les malheureux qui m'ont dénoncé de fournir contre moi le plus léger indice fondé de leur accusation.
Me reproche-t-on de ne pas m'être rendu à mon poste depuis que j'ai reçu mes lettres de service ? Je répondrai d'abord que pour rétablir ma santé délabrée par sept années de révolution, j'ai toujours été pour ainsi dire à la campagne, preuve évidente que je ne conspirais pas à Paris. Ensuite je dirai qu'il m'a fallu faire bien des démarches pour obtenir tout ce qui était nécessaire et surtout des chevaux. En ce moment, je ne suis pas plus avancé que le premier jour. On m'observe que la loi ne m'en accorde point et qu'il faut que j'en achète. C'est ce qui m'a empêché et m'empêchera toujours de partir parce que je suis sans fortune pour m'en procurer à mes dépens. Je n'ai pas été plus heureux auprès du bottier. Sous prétexte que le gouvernement ne les paie point, il m'a refusé des bottes.
D'après des faits constants, j'espère que vous vous empresserez de réparer l'acte d'injustice qui a été commis contre un citoyen innocent. Salut et vive la République."


Aux guérets de la Vendée et de la Bretagne où à un tournant de chemin on risque d'être abattu par la balle d'un ennemi invisible, le vaillant général Parein préférait évidemment les salles des commissions militaires où l'on envoie d'un signe de tête à la guillotine ou au canon les ennemis de la République en toute sécurité et sans remords de conscience.
Ce singulier guerrier, d'après sa correspondance même, malgré le port du sabre et de l'épaulette, continuait à battre plus ou moins monnaie à Paris avec son métier d'homme de loi. En l'obligeant à se dissimuler pour se soustraire à d'injustes poursuites, on l'empêche de s'y livrer et on le prive de la "plus belle des jouissances".
"Je défendais gratuitement, ajoute-t-il dans sa défense, quatre-vingt malheureux pères de famille contre un riche fermier d'émigrés pour arracher de ses mains avares une centaine d'arpents de terre dont la loi leur accorde la jouissance ; et les voilà sans défenseur, les voilà réduits, leurs femmes et leurs enfants, à la plus affreuse détresse et pour longtemps !"
En se dérobant aux recherches de la police du Directoire, Parein avait été des mieux avisés.  A la porte de son logement on afficha bien l'ordonnance prescrivant son arrestation comme prévenu de complicité d'une conspiration tendant au renversement du gouvernement et de la constitution, au rétablissement de la constitution de 1793 ; à la destruction des Conseils législatifs et du Directoire exécutif, à celle des autorités civiles et militaires, à armer les citoyens les uns contre les autres."
A Vendôme, quand se réunit la Haute Cour pour juger Babeuf et les Babouvistes, on publia bien "à son de trompe cette même ordonnance devant la porte du tribunal où elle siégeait, mais on n'avait pu mettre la main sur sa personne. Il échappa ainsi à ce convoi des accusés qui traversa tout Paris au milieu de tout un déploiement de compagnies de gendarmerie et de régiments de cavalerie. Il échappa de même à la prison préventive et enfin à ces interminables débats qui, ouverts le 2 ventôse an V ne se terminèrent que cinq mois plus tard.
Les prévenus étaient au nombre de 63, dont 18 contumaces. Deux avaient été condamnés à mort, cinq à la déportation, et cinquante six avaient été acquittés. Parein était du nombre de ces derniers.


Que devint sous le Consulat, après le Coup d'Etat de Brumaire, ce général sans troupes qui, quand on lui avait donné un commandement avait trouvé toutes sortes de raisons pour ne pas aller l'exercer ? On ne sait trop. Révolutionnaire par ses origines, par tous ses actes depuis la prise glorieuse de la Bastille jusqu'à l'avènement de Bonaparte, il ne peut faire oublier ses antécédents. D'autres, Fouché en tête, réussiront à servir le Consulat et l'Empire comme ils avaient servi la Révolution. Lui n'y parvient point quoique après tout il ne soit pas sensiblement plus coupable que le duc d'Otrante et qu'il le soit même moins, ayant agi par ordre.
On sent qu'il est réduit pour vivre aux expédients et tout prêt à assurer son existence à accepter n'importe quelle besogne, si malpropre soit elle. Et en effet, c'est une besogne malpropre qui lui est confiée. Il n'appartiendra jamais comme fonctionnaire au cadre régulier de la police, mais il appartiendra au cadre irrégulier de ces auxiliaires que sont les mouchards.


Premier Consul ou Empereur, Napoléon a besoin d'être régulièrement et exactement renseigné sur les agissements de deux sortes d'ennemis du régime consulaire ou impérial, les ennemis de droite, les royalistes et les ennemis de gauche, les Républicains, les révolutionnaires non convertis parce que non nantis pour la plupart. Qui connaîtrait mieux les révolutionnaires que Parein ? Qui est plus à même de les bien voir de près en raison de la confiance qu'il leur inspire ? Bonaparte ne le connaît que fort peu, mais Fouché est son ancien chef à Lyon. Il a servi sous ses ordres. Ils se voyaient tous les jours, l'un donnant les consignes, l'autre les exécutant. Ils s'entendaient alors. Pourquoi ne s'entendraient-ils pas encore pour une besogne à la fois différente et la même, une besogne de délation ?


En 1801, l'armée avait été épurée de bon nombre de ces officiers d'origine révolutionnaire et Parein s'était trouvé compris dans cette épuration. Grâce à la protection du ministre de la police, il s'était vu accorder une sorte de solde réduite d'inactivité, mais qui fut plus tard convertie en pension de retraite. Ce n'était pas pour lui une ressource suffisante et il trouva une ressource d'à côté dans l'exercice de ses facultés policières. Ce fut ainsi que lui furent dévolus comme champ d'exploration les milieux révolutionnaires. Ce surveillant d'origine suspecte était d'ailleurs lui-même surveillé.
"L'ex-général Parein qui a marqué longtemps dans le parti, lit-on dans un rapport à la préfecture de police du 22 juin 1803, et qui était à la campagne depuis quelque temps, recommence à paraître et voit fréquemment un certain nombre d'exclusifs. Il jouit d'un grand crédit parmi eux et il a su obtenir toute leur confiance. Les femmes des déportés disent qu'elles lui ont les plus grandes obligations et qu'il a souvent prodigué des secours. Parein a dit à quelqu'un qu'il ne venait (à Paris) que momentanément et qu'il allait retourner en province, qu'il avait voulu s'assurer de l'état des choses. Tout hardi qu'il soit, on a remarqué qu'il a l'air soucieux."


Personnage à double face, obligé par son rôle même à conserver un double visage, Parein demeura ainsi au service de Fouché aussi longtemps que Fouché demeura lui-même au ministère de la police générale de l'Empire, jouant tout en bas un rôle analogue à celui que jouait tout en haut son éminent protecteur.

savary duc de RovigoMais en 1809, il se produisit soudain dans le monde policier une véritable révolution. Le duc d'Otrante est remplacé par le duc de Rovigo et le premier acte du nouveau titulaire du ministère est de casser aux gages les plus notables auxiliaires de son prédécesseur, ses hommes de confiance. Ce fut ainsi que non seulement il se priva du jour au lendemain des services de Parein, mais que pour plus de sûreté afin de l'empêcher de lui nuire, il le fit exiler à Caen. On ne saurait, pensa-t-il, servir deux maîtres à la fois et sous couleur de servir Savary, l'ex-général n'aurait pas manqué de continuer à servir en dessous Fouché.
Le rapport adressé à l'Empereur par le duc de Rovigo, le 17 janvier 1812, ne laisse aucun doute sur les motifs de l'éviction. "J'ai fait observer le général Parein, écrit-il, et j'ai acquis la certitude que pendant le dernier séjour de M. le duc d'Otrante à Paris, il avait été à plusieurs reprises lui remettre des notes et des rapports et ce fait m'a été confirmé par une personne qui les a vus ... Ses relations et ses intentions ne pouvant plus être révoquée en doute, je supplie Votre Majesté de m'autoriser à le renvoyer dans son département."
En tête de la lettre, de sa main même, Napoléon, deux jours plus tard, griffonnait avec sa signature : "Il y a longtemps que ledit Parein et cinquante autres de son espèce auraient dû être à cinquante lieues de la capitale Paris. Il faut en purger la capitale."


Chargé d'exécuter cette décision qui ne souffrait pas plus d'appel que de délai, le préfet de police manda à son cabinet le général au nom du ministre de la police. Il l'invita à faire ses malles sur le champ. Sa pension cesserait de lui être payée ailleurs qu'à la résidence qui lui était assignée. Cette résidence n'était autre que Caen.


Parein n'avait qu'à obéir. Il prit tout juste le temps d'avertir sa femme pour qu'elle le suivit. C'était ainsi que dès le 23 janvier, la ville de Caen, par ordre de l'Empereur, comptait une âme de plus.
Pour suivre dans toutes ses démarches un interné de choix tel que l'ex-vainqueur de la Bastille dont la Révolution avait fait un général entre deux séances du club des Jacobins, il fallait un observateur de choix et le Commissaire de la Rochette désigna pour cette surveillance spécialement un "Agent délié et intelligent".
Entrant de suite en fonctions, cet agent s'attacha aux pas de l'interné qui mène avec sa femme une vie retirée, si retirée que personne ne les connaît dans le quartier où ils habitent.
Cependant, madame Parein ne prolonge pas son séjour. Sa présence ne saurait être inutile à Paris et son mari l'envoie vers le milieu de novembre 1812 en mission auprès du duc de Rovigo. Elle prendre le ministre de la police par les sentiments et parviendra peut-être à l'attendrir. Munie d'un passeport, elle regagne en effet la capitale le 16 novembre et elle descend rue de la Mégisserie, 16, où le ménage a conservé son logement. Il y a lieu de la surveiller, écrit de la Rochette. D'après des rapports secrets, cette dame vient à Paris  pour solliciter l'intérêt du duc d'Otrante qui protège son mari et chercher à obtenir par lui son rappel.
Les démarches n'aboutirent pas et avant la fin de l'année la solliciteuse était de retour auprès de son époux. Leur existence à tous les deux était aussi monotone que paisible et rassurante.
"Parein n'a fait aucune absence de Caen, relate le commissaire. Il fréquente très peu de personnes. Il conserve quelquefois avec la dame Poissonnier chez laquelle il est logé en garni et voit la dame Paysant, marchande quincaillère, qui lui rend les visites. Ces deux femmes ne sont pas mal notées sous le rapport de la politique.
Il dîne chaque jour avec sa femme chez un traiteur et paie comptant sa dépense. Dans l'appartement où il prend ses repas se trouvent à une table séparée deux habitants de Caen avec lesquels il s'entretient d'objets indifférents. Il lui est souvent arrivé de se retirer dans une autre salle que celle où son couvert est placé lorsqu'il y avait plusieurs personnes réunies.
Il reçoit un assez grand nombre de lettres. Une venant de Paris lui a été remise le 28 de ce mois. Il lui en est parvenu une de la Grande Armée. On ne sait qui les lui adresse ni ce qu'elles contiennent.
... Cet officier est tellement retiré qu'il est absolument inconnu dans le quartier qu'il habite. On ignore si son opinion s'est améliorée, mais on peut affirmer qu'il ne manifeste aucune opposition à l'ordre établi et qu'il a paru durant ces jours derniers aussi étranger aux affaires politiques que précédemment ..."


Les journées étaient longues et avec ses instincts de policier en même temps que par désir de se faire bien voir en haut lieu au ministre de la police, Parein envoie au duc de Rovigo des communications secrètes sur la ville de Caen.
"La situation de la ville de Caen, il y a deux ans, avait véritablement quelque chose d'effrayant. On peut dire que c'était le tableau de la misère personnifiée ou plutôt de l'humanité expirante : De tous côtés et surtout dans les faubourgs, on ne voyait que des figures pâles, hâves et hideuses, semblables à des squelettes ambulants. Des vieillards, des femmes, des enfants ne s'approchaient de vous que pour vous implorer vos bienfaits.
Aujourd'hui, et depuis le décret de Sa Majesté qui taxe le froment, le seigle et l'orge, etc. on s'aperçoit que la joie et la gaieté reparaissent sur les visages. A chaque coin de rue où cette sage mesure est affichée, des groupes se rassemblent pour en prendre lecture et s'en féliciter ...
... Le détail que les journaux ont donné sur la foire de Caen est assez exact. C'est dire que la partie des cuirs et de tout ce qui tient à l'agriculture a été brillante et enlevée en vingt-quatre heures. La vente en détail dans la bonneterie et les shales a été assez bien, mais faiblement dans les autres parties."
Avec le Conseiller d'Etat Réal qui, collaborateur de Fouché au ministère de la police, est resté celui de Savary, l'exilé donne à ses doléances une forme volontiers familière. On est déjà en juillet 1813 et la lettre libératrice tant de fois sollicitée n'est pas encore arrivée.
"La position du suppliant, dit-il dans sa requête rédigée en forme de requête d'avoué, est d'autant plus à plaindre qu'ayant été habitué toute sa vie à boire du vin, la médiocrité de sa fortune absorbée par l'éducation de ses enfants le met dans la dure nécessité de ne boire actuellement que du cidre, vu que le vin est exorbitamment cher en Normandie et surtout dans la ville de Caen.
De plus, la boisson de cidre n'ayant rien d'agréable pour le palais du suppliant, il s'aperçoit que sa santé s'altère de jour en jour et qu'elle finira par se délabrer entièrement à moins qu'il ne soit remis au régime du vin. Son goût, pour cette liqueur, ne peut qu'être approuvé par tous les hommes sensés, outre qu'il est conforme au sentiment d'Arlequin lui-même, auquel on demandait un jour : lequel aimes-tu le mieux, Arlequin, du cidre ou de la bière ? Ma foi, dit-il, j'aime mieux le vin."
Cette opinion d'Arlequin est très respectable et elle est fondée sur le vers d'Horace : Laudibus arguitur vini vinosus Homerus.
"Ce qui augmente encore la situation critique du suppliant, c'est qu'il se trouve relégué au milieu de tous ces bons Normands, et que, comme le proverbe dit que quand on est avec les poules on gratte, le suppliant tremble que sa sincérité n'en reçoive du dommage par la crainte qu'il a d'être attaqué de la maladie épidémique qui règne parmi eux. Cette maladie consiste dans une haine individuelle contre la vérité et un amour excessif dans toutes les réponses pour l'amphibologie. Il n'est pas de puits plus profond où la vérité soit mieux cachée qu'en Normandie. C'est avec la plus vive douleur que le suppliant remarque que les habitants de cette contrée ont beaucoup dégénéré de la franchise de leurs ancêtres puisque Boileau a dit de ceux-ci, en parlant du siècle de Saturne :
Le Normand même alors ignorait le parjure.
... En rendant la liberté au suppliant, Monsieur le Conseiller d'Etat, vous lui rendrez la santé puisque vous lui procurerez la facilité de rouvrir sa cave pour boire du vin dont les effets salutaires ne contribueront pas peu à lui faire chanter le triomphe de nos armées. Vous délivrerez le suppliant de l'atteinte de la contagion générale dont les Normands sont frappés et qui a pour principe une certaine horreur de la vérité ..."


Napoleon_on_his_Imperial_throneAu dessus du Ministre de la police, il y a l'Empereur et Parein n'hésite pas à écrire directement à l'Empereur.
La mesure d'exil prise à son égard ne saurait être qu'une erreur. Nul n'a donné depuis douze ans à Sa Majesté de preuves moins équivoques d'attachement : "Oui, Sire, puisqu'il faut que je vous le dise,  j'ai éloigné de Votre Majesté le poignard des assassins. Le plaisir d'avoir fait une belle action a été ma seule récompense. Comment donc se fait-il que je sois persécuté au nom de Sa Majesté surtout lorsqu'il est impossible de me faire le plus léger reproche fondé."
Pour plaider sa cause, l'exilé jugeant la prose insuffisante à recours à la poésie. A l'intention du Duc de Rovigo, il compose une fable transparente à la manière de La Fontaine sous le titre de "L'Aigle et son Ami". L'Aigle, c'est naturellement l'Empereur et l'ami, c'est lui-même. Des méchants conspiraient. Ils voulurent abattre l'aigle, heureusement l'ami de l'aigle veillait.
L'ami de l'aigle instruit de leurs complots sinistres
En fait part sur le Champ au Conseil des ministres.
Chargé de maintenir par son activité,
L'union, le bon ordre et la tranquillité.
De ces desseins pervers la trame fut coupée
Et du crime puni l'espérance trompée.
A l'aigle, on enleva son ami.
Bientôt d'autres pervers se rassemblent dans l'ombre
Pour recommencer leurs coupables complots,
D'envoyer l'aigle enfin vers le royaume sombre
Que du noir Achéron environnent les eaux.
Libres d'inquiétude et traînant en silence,
Qu'arriva-t-il, hélas ! L'aigle fut tué !
Déplorable effet de l'absence
De son ami loin de lui relégué ;
Qui par ses soins et sa présence
Fût encore pu lui sauver l'existence !
La fable ne comptait pas moins de cent vingt vers. Savary, duc de Rovigo ne la lut vraisemblablement pas jusqu'au bout s'il daigna la lire. En tout cas, il ne comprit pas l'apologue et le fabuliste en fut pour sa fable.


Ce redoutable ministre est père de famille. Qui sait s'il ne se laissera pas fléchir par une jeune voix, la voix d'un fils privé de la présence de l'auteur de ses jours. Le farouche président des Commissions militaires d'Angers et de Lyon n'est plus un tigre au griffes toujours menaçantes. C'est un agneau, un tendre et doux agneau plein de sensibilité que chérit sa progéniture. Quel bonheur si dans le petit appartement du numéro 16 de la rue de la Mégisseraie, la famille au complet pouvait bénir et l'Empereur et son ministre !
Élève à Sainte-Barbe, le jeune Parein, inconsolable, entre deux devoirs, implore tantôt en français, tantôt en latin, la clémence ministérielle en faveur du déporté au pays normand.
Monseigneur,
La lettre d'exil que vous avez envoyée à mon père a été cause que j'ai bien mal passé les fêtes du Carnaval. Mais j'espère que votre bonté me fera goûter plus de plaisir à Pâques en permettant qu'il se rende dans son pays natal.
Croyez, Monseigneur, qu'il ne viendra pas davantage à Paris étant au Mesnil qu'étant à Caen. J'attends avec impatience cette grâce de votre bonté car vous êtes en même temps bon père et bon mari et ayant été au collège vous connaissez combien un jeune élève est fâché d'être longtemps sans avoir le plaisir de voir ses parents. Si vous voulez bien m'accorder cette grâce, soyez persuadé que j'en conserverai toujours le souvenir.
J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, votre très respectueux et très obéissant serviteur.
Parein fils,
Elève de Sainte-Barbe.
Domine
Tua in bonitate extrema sita est spes mea. Revisendi patris ardenti flagro cupiditate et si animi tui moderationem notam non haberem, ut exulera patrem non Lutetiam, sed villam petere sinas, preces non admoverem.
Oro, princeps ob virtutes omnibus carus, noli quod a te peto deuegare. Tanta enia mea esset laetitia, ut clementiam tuam non nunquam praedicarem.
Tibi sum omnino addictus.
Parein Filius.


Deux années durant, l'ex-général multiplie les suppliques. Deux années durant, son fils, bien stylé, y ajouta les siennes et la générale, en tendre épouse, assiégea l'antichambre du ministère de la police, à l'angle de la rue de Beaune, et du quai des Augustins. Tout fut inutile, Réal le protège mais la protection de R2al se heurte à la volonté formelle, obstinée du duc de Rovigo de ne point laisser remettre les pieds à Paris à celui qu'il regarde comme l'âme damnée de son prédécesseur le duc d'Otrante. Tout ce que pourra obtenir l'interné, ce sera une autorisation temporaire d'aller régler à Amiens des affaires d'intérêt, autorisation dont il n'usera pas d'ailleurs.
Les semaines se sont ajoutées aux semaines et les mois se sont ajoutés aux mois. La débâcle impériale est proche. Le trône craque et ses craquements ne sont pas sans être perçus par plus d'une oreille. La police, elle-même, cette police qui, comme l'avare Achéron, ne rendait pas sa proie, se relâche de ses rigueurs. A la fin de 1813, Parein a enfin quitté Caen et il a pu regagner ses pénates de Mesnil-Aubry. Mais Mesnil-Aubry, si près qu'il soit de la capitale n'est point Paris et c'est Paris qu'il faut à cet ancien révolutionnaire qui a toujours vécu au milieu des bas fonds politiques parisiens. Aussi bien Mesnil-Aubry n'est-il plus un séjour idyllique.


Les Alliés approchent à grands pas et sous peu on apercevra sans doute les flammes des lances des Cosaques. Ces lances, le brave général juge prudent de ne pas les attendre : "Outre que mes affaires personnelles m'appellent à Paris non pour y séjourner mais pour venir y passer quelques heures de temps en temps, c'est que dans les circonstances actuelles, je désire me trouver à Paris pour y défendre le Gouvernement en cas de besoin. Mon intention n'est pas de me laisser égorger par les Cosaques à ma campagne. Je vous prie donc, Monsieur le Comte, de faire votre possible pour m'autoriser à venir à Paris momentanément. Je ne désire nullement y fixer mon domicile."
Napoléon n'est plus Empereur. Savary, duc de Rovigo n'est plus ministre de la police. C'est Louis XVIII qui couche aux Tuileries, et c'est le comte Beugnot qui est assis rue de Beaune sur le fauteuil du grand chef des policiers, la police survivant à toutes les vicissitudes gouvernementales. En dépit de ses démarches réitérées, Parein est condamné à ne pas quitter sa villégiature de Mesnil-Aubry.
"Je lui ai refusé l'autorisation de s'installer à Paris, répond le ministre de la guerre à Beugnot, par la raison qu'il m'est revenu indirectement que cet affreux général avait été attaché à la police pendant le ministère de M. Fouché et qu'il s'était montré dans le cours de la Révolution l'ennemie de la dynastie des Bourbons.
Si de votre côté, vous parvenez à vous procurer les mêmes renseignements sur sa conduite, Votre Excellence jugera sans doute convenable de lui prescrire de quitter Paris et de le faire surveiller dans le lieu où il déclarera vouloir se retirer.
Veuillez, je vous prie, me faire connaître les mesures que vous aurez cru devoir prendre à son égard."
Tout en faisant des démarches pour quitter Mesnil-Aubry, l'indésirable Parein, indésirable sous le nouveau régime comme sous l'ancien, s'était installé à Paris au moment même où le Directeur de la police du royaume proposait de ne pas lui en laisser la faculté. Cet aventurier laissé pour compte par l'Ancien Régime à la Révolution, et par la Révolution à l'Empire, était ainsi représenté avec plus d'indulgence que de vérité psychologique et d'exactitude historique.
"Sa conduite a toujours annoncé un caractère faible et même timide. Son exil provoqué par le duc de Rovigo eut pour motif réel ses anciens rapports avec le duc d'Otrante, et le danger de sa présence à Paris ne fut mis en cause que pour colorer cette mesure.
M. Parein pendant son séjour de trois années à Caen n'a pas encouru le moindre reproche. Toutes les autorités du pays ont donné de sa conduite les témoignages les plus avantageux. Aussi, le ministre de la police crut-il le rapprocher de la capitale vers la fin de 1813 et d'autoriser sa résidence à Mesnil-Aubry.
L'âge et les infirmités de M. Parein ont encore augmenté sa faiblesse morale. Parmi les hommes qui ont servi la révolution, il en est peu qui soient maintenant moins dangereux que lui.
Si cependant son nom donnait encore de l'ombrage au gouvernement et que son éloignement parût nécessaire, l'on pense qu'il suffirait de l'inviter à se retirer à Mesnil-Aubry."


L'homme de la Terreur et des Terroristes qu'avait été Parein n'avait jamais pu être qu'un instrument utile de la police impériale, un de ces instruments dont on use mais que l'on rejette et que l'on brise quand on estime n'en avoir plus besoin. Volontiers, il aurait sans nul doute servi la Restauration si la Restauration avait manifesté le moindre désir d'utiliser ses talents. Mais son passé ultra révolutionnaire qu'il ne pouvait céler ne permettait pas aux Bourbons de s'adresser à lui. Ce fut ainsi que par la force des choses, il se vit contraint de se ranger parmi les ennemis d'un régime qui assurait le triomphe des descendants de ses victimes.
Était-il un Républicain impénitent ou un Napoléonien oublieux des sévices impériaux ? On ne se le demandait même pas. Mais il faisait partie de ce clan d'individus dont on peut tout attendre et dont seuls les évènements selon leur nature définissent le rôle et règlent la conduite. Aussi ne cesse-t-il d'être épié par les successeurs de Fouché  et de Savary dans toutes ses paroles, ses gestes et ses démarches. Qu'il soit à Mesnil-Aubry ou à Paris, on ne le perd pas un instant de vue.


En novembre 1815, le colonel de gendarmerie de Seine-et-Oise fait connaître au ministre de la guerre que l'ex-général "à l'arrivée du roi n'a cessé de nuire au rétablissement des Bourbons par des provocations de toute espèce ; qu'il a beaucoup de fortune et peut faire des choses contre l'intérêt du gouvernement actuel, que les autorités locales disent qu'il peut nuire ; qu'il n'a cessé d'être dans la plus grande intimité avec M. Fouché, ex-ministre de la police générale ; qu'il a des relations fréquentes avec un nommé Jean Bleu, homme immoral et révolutionnaire ; enfin, qu'il ne passe pas pour un excellent sujet et qu'il ne paraît pas être porté pour le Roi et qu'il est dangereux sous tous les rapports."
A Paris, dans son appartement du numéro 16 du quai de la Méssagerie, même vigilance de la part des policiers Parisiens.
Le comte Anglès qui a dirigé sous l'Empire un arrondissement de police sous les ordres de Fouché est devenu un successeur de Fouché sous la Restauration. Il connaît donc Parein comme il est connu de Parein. Rien ne lui est plus aisé que de renseigner sur le compte de cet ancien agent.
"Il ne sort jamais, écrit-il au ministre de la guerre, et il est visité tous les jours par différents individus qui, quoique en habits bourgeois et sans décorations sont soupçonnés d'être des officiers supérieurs. Il s'enferme avec eux dans un cabinet pendant plusieurs heures et durant ce laps de temps fait consigner sa porte à toute personne qui s'y présente.
Le général Parein a été trop marquant dans les malheurs de la révolution pour qu'on pense qu'il puisse aimer le gouvernement des Bourbons et la réunion qu'il entretient chez lui doit faire naître des soupçons qu'il est nécessaire d'éclaircir.
Je pense qu'il est convenable de faire une perquisition dans ses papiers d'après l'examen desquels on pourra faire arrêter, s'il y a lieu, le sieur Parein et tous ceux qui seront reconnus pour être les auteurs ou les distributeurs des écrits séditieux qui pourraient être trouvés.
Les dénonciations pleuvaient alors comme elles pleuvent toujours quand on change de régime. Parein ne pouvait y échapper. De sa puissance passée au temps de la Révolution on concluait à une semblable puissance présente qui au lieu de s'exercer comme autrefois en plein jour, s'exerçait désormais dans la nuit.
Un agent suprême, lit-on dans une de ces dénonciations sans signature, existe à Paris. C'est un homme dangereux par l'étendue de ses relations et l'or qu'on tient toujours à sa disposition, par son autorité et son influence à l'ancienne police, par ses intelligences avec les membres de la race usurpatrice, les ex-grands dignitaires et l'écume de l'armée, par son expérience révolutionnaire, son habileté à soulever la canaille et à la porter aux plus violents excès.
Cet ex-Septembriseur, ce Jacobin, ce Cordelier, cet ancien président de la Commission temporaire de Lyon, ce digne ami et confident du duc d'Otrante, ce républicain farouche tout couvert de crimes et tout dégoûtant du sang de 4.000 Lyonnais, cet auteur de tous nos troubles actuels et notamment en ce moment de ceux du Midi, ce conspirateur infatigable qui ourdit en ce moment les plus noirs complots, ce monstre qu'on ne saurait désigner plus odieusement que par son nom, c'est Parein, ex-général de brigade dans la Vendée et ex-chef de division de la police de Fouché, demeurant quai de la Méssagerie, n° 14. Se saisir incontinent de sa personne et de ses papiers, ce serait contribuer au repos de la France, ce serait trouver le chef d'un grand nombre de conspirations.
Parein est bien connu, comme il y a une correspondance sur lui, mais assurément il ne peut pas faire tout ce qu'on dit là."
Cette note marginale mettait les choses en point.


Avec ses écrasants antécédents révolutionnaires, Parein ne pouvait espérer des Bourbons ni l'oubli, ni le pardon qui aurait accompagné l'oubli. De ses services, nul n'aurait voulu à si bas prix qu'il les eût mis, à supposer qu'il fût encore capable d'en rendre. Seul l'Empereur qui avait besoin du maître en la personne de Fouché serait encore à même de prendre avec le maître son domestique. Ce fut ainsi qu'au nom de ses intérêts, non de ses principes, l'ex-général, durant les Cent jours, quels que fussent ses griefs à l'égard de Napoléon, fut amené à se ranger du côté de son ennemi de la veille. Avec sa victoire, c'était de possibles récompenses, de même qu'avec sa défaite, c'était la proscription, l'exil ou (qui sait ?) peut-être pis encore.
Parmi les sociétés politiques qui se formèrent et déployèrent leur activité durant ces trois mois sans lendemain de résurrection Napoléonienne, figura une Confédération Parisienne créée par un Lyonnais du nom de Michel Carret, successivement officier de santé à Lyon, député du Rhône aux Cinq Cents, membre du Tribunal puis conseiller maître à la Cour des Comptes.
Michel Carret et Parein s'étaient probablement connu naguère à Lyon, au temps du proconsulat de Fouché et des fusillades des Terreaux. Le commun péril les rapprocha et l'ex-général devint un des dirigeants de la société qui tenait ses réunions rue de Grenelle, au Tivoli. Officiers en demi-solde dépouillés de leurs galons, ces survivants des temps révolutionnaires impénitents mettaient en commun leurs passions pour rêver de vagues conspirations. Ils n'échappaient pas aux policiers et moins que tout autre leur échappait Parein qui ne pouvait pas faire un pas sans que l'on sût où il allait, jusque chez le juge à la cour de Cassation, Gaillard, auquel Fouché avait confié une partie de ses papiers et qui devait en extraire comme une esquisse de Mémoires.
"Nous avons l'honneur, lira-t-on dans un rapport du 25 novembre 1815, de rendre compte à Monsieur l'Inspecteur général, que nous avons commencé la surveillance du général Parein à six heures de relevée, qu'il n'est sorti de chez lui qu'à six heures, est allé au café Irlandais, carrefour de l'Odéon, où il est resté à lire les journaux pendant une heure. Après plusieurs feintes et détours, il est entré dans une maison de la rue de Condé, n° 12, chez le sieur Gaillard, juge en Cassation. Nous avons remarqué plusieurs hommes qui sont entrés dans cette maison de même que huit ou dix hommes en sont sortis, dont quelques-uns étaient décorés, ce qui nous a confirmé qu'il existait une réunion dans la maison. Parein était entré dans la maison à sept heures et demie, en est sorti à neuf heures et est rentré chez lui à neuf heures et demie."


Faire oublier ! Faire oublier qu'il avait conquis ailleurs que sur les champs de bataille son grade de général ! Faire oublier qu'il avait présidé la sanglante commission militaire ambulante de l'armée des Côtes de la Rochelle pour passer ensuite à la présidence du terrible tribunal révolutionnaire de Lyon ! Faire oublier que s'il n'avait pas appartenu à la secte Babouviste des Egaux, il avait été jugé digne d'y appartenir par Gracchus Babeuf lui-même ! Faire oublier qu'au service de Fouché, complice de tous ses secrets desseins, il était devenu l'espion des milieux républicains où il avait gardé un certain crédit ! Faire oublier que son internement à Caen n'avait été qu'une mesure de sûreté de la part du successeur du duc d'Otrante, à l'égard d'un agent capable de tout ! Faire oublier qu'au début de la Restauration, uniquement parce qu'on ne voulait pas et ne pouvait pas vouloir de sa personne ailleurs ; il avait dû s'allier aux officiers en demi solde ! Faire oublier tout cela pour qu'on ne pensât plus à lui et qu'on le laissât achever dans l'ombre son existence mouvementée ! Tel fut sans doute l'unique dessein de l'ex-serviteur de Fouché, et il semble bien que ce dessein ait réussi à en juger par l'absence complète de notes de la police à son sujet, soit à Paris au ministère de la police générale, soit à Versailles à la préfecture de Seine-et-Oise, à partir de 1816.
Ceux qui aiment l'histoire romancée peuvent se le représenter comme passant en revue avec ou sans remords à ses heures dernières tous les évènements extraordinaires de son extraordinaire existence, mais ce n'est pas là de l'histoire, ce n'est que du roman.

Annuaire des cinq départements de la Normandie
1932

APPOSITION DES SCELLÉS AU PALAIS DE JUSTICE (PARIS)

Conformément aux décrets de l'assemblée nationale, la municipalité de Paris se transporta, le 15 octobre au Palais de Justice pour y apposer les scellés sur les greffes et dépôt des actes et arrêts ; quand nous disons que la municipalité se transporta, c'est fut transportée qu'il faudrait écrire pour être exacte, car elle ne parcourut pas le court trajet de l'Hôtel de Ville au Palais à pied, mais bien en carrosse.
Comme on craignait une émeute, annoncée à grand bruit par les royalistes, on avait massé trois mille gardes nationaux depuis l'Hôtel de Ville jusqu'au Palais ; ils gardaient les avenues et contenaient la foule, très nombreuse, accourue pour assister à ce spectacle.
A midi précis, Bailly, à la tête de la municipalité, arrive dans la grande cour. Parvenus au pied du grand escalier, les municipaux se ceignent de leurs écharpes tricolores à frange d'or et d'argent - écharpes que l'on avait payées quatre-vingt-quatorze francs l'une. Quand ils sont sur la plate-forme précédant le vestibule, les bravos et les applaudissements de la foule éclatent ; il semble au peuple que c'est lui qui entre en maître dans le vieux temple du Parlement où ont été si souvent consacrées tant d'injustices et tant d'iniquités ...
En pénétrant dans l'intérieur, Bailly et ses collègues trouvent les salles ouvertes, les greffes fermés, les greffiers absents et point de chefs ; seuls les garçons de salle ... se présentent aux municipaux pour donner des renseignements. Les scellés sont mis sur les portes des greffes à l'aide de larges bandes de papier blanc et de cire marquée aux armes de la Ville.
Pendant l'opération, un sapeur abat, à coups de hache, le tableau du royaume de la basoche, de ce pouvoir dont s'était autrefois montré jaloux François Ier ; ce tableau était accroché au mur de la grande cour.
Tandis que la municipalité procède à ces formalités, qui durent de midi à 16 heures du soir, un avocat nommé Parein, un des vainqueurs de la Bastille, passant devant l'autel situé dans la grande salle du Palais, se prosterne et, à genoux, récite à haute voix le "Te Deum" en action de grâces pour remercier le chef de la destruction du Parlement, destruction considérée par cet avocat comme un bonheur public.
Après la mise des scellés, la porte extérieure est fermée et le Palais ne se rouvrira plus que pour l'installation des nouveaux magistrats élus. ...
(Extrait : Journal Le Rappel - 1923)

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