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La Maraîchine Normande
17 février 2014

SAINT-ANDRÉ-GOULE-D'OIE (85) - LE PERE GIRARD

UN DES ANCIENS DE LA GRANDE GUERRE

LE PERE GIRARD

Il y a cinquante ans, un type bien curieux existait encore dans notre pays ; c'était celui du survivant des grandes guerres. Presque toutes les communes de France possédaient un de ces débris glorieux d'une époque si fertile en évènements et l'entouraient de respect et d'admiration. Certes, ils n'étaient pas tous en état de subvenir à leurs besoins, car la plupart d'entre eux se trouvaient réduits à la pauvreté sinon à la misère ; mais la charité publique s'efforçait de faire vivre ces soldats aux cheveux blancs, les entretenait, les choyait, et c'était pour elle un insigne honneur que de se dévouer afin de conserver les miettes d'un passé qui devait se perdre dans l'avenir.

 

St André goule d'oie



A 5 kilomètres de Saint-André, dans mon village natal du Clouin, vivait autrefois le père Girard, surnommé Quollion - je ne sais pourquoi, - grand vieillard d'esprit  simple et de foi robuste, dont la masure en ruines livrait passage à tous les vents.
J'avais alors huit ou neuf ans, et je me souviens qu'à cet âge, j'aimais à faire partie du groupe d'auditeurs qui, dans notre hameau, écoutaient les histoires du bonhomme. Ma mémoire a fidèlement conservé le souvenir de ces réunions sur lesquelles planaient les ombres de Charette et de Napoléon, les deux modèles incomparables que citait le père Girard à ses concitoyens.


Ah ! ce père Girard ! je le vois encore avec son visage taillé au couteau, ses longs cheveux de neige et sa haute taille d'ancien grognard ! ... Il s'en allait toujours clopin-clopant, d'une allure de faucheux, vêtu de la grande veste à basques datant de Louis XVI, et coiffé d'un large chapeau crasseux ; entre ses lèvres constamment un brûle-gueule culotté aussi court que possible, et dont l'âcre fumée devait le réjouir d'aise.
Comme presque tous ses anciens frères d'armes, il était pauvre, mais ne s'en portait pas plus mal. Ma pieuse mère nous avait appris à pratiquer la charité, et c'était, d'après ses conseils que, mes frères et moi, nous portions du lait à la maison de Quollion, aliment dont il se contentait presque exclusivement. Le jour, il se rendait dans la forêt pour y ramasser du bois mort ; personne ne se fût opposé à cette maigre prise qui, durant l'hiver, devait réchauffer les membres fatigués du vieux soldat. Il y coupait aussi des branches de bouleau dont il fabriquait des balais à l'usage des aires et des écuries, et qu'il vendait pour quelques sous ; il apportait également des fagots de bourdaine aux vanniers, que ceux-ci lui achetaient à bas prix. Il faut peu de chose pour soutenir ces corps à demi-usés de vétérans. Ils ont supporté tant d'épreuves au cours de leur vie aventureuse, qu'ils s'habituent aisément aux privations.
Tel était le père Girard, solitaire endurci auquel on ne connaissait point de compagnons, homme-type dont le seul plaisir était de raconter les évènements, qu'il avait vécus, les batailles auxquelles il avait assisté, les exploits dont il s'était rendu témoin et d'exalter les vertus héroïques des grands généraux de la guerre vendéenne et de l'épopée napoléonienne.


Combien en comptait-on de ces vénérables survivants devant lesquels on se découvrait avec respect ? Ils gardaient l'antique costume et portaient encore le bonnet de laine de nos pères ; dans leurs demeures, l'ancien fusil vendéen restait accroché au manteau de la cheminée ou aux poutres du plafond, comme une relique inviolable et sacrée. On les voyait, à l'église, prendre une attitude humble et recueillie, et leurs têtes branlantes, blanches parmi les blanches, offraient le spectacle de la piété et de la résignation. Ces hommes avaient souffert pour Dieu et la patrie, ils s'étaient conduits en héros, et maintenant que la mort les guettait, ils redevenaient enfants devant le Maître tout-puissant, auquel ils avaient tout donné.
Que de chose gravées en ces cerveaux de vieillards ! On les consultait comme des oracles. Ils étaient la gloire de la contrée ; chaque village était fier de compter un de ces guerriers parmi les habitants. A Saint-Laurent-sur-Sèvre, où je fus vicaire à partir de 1873, j'ai connu un survivant des grandes guerres âgé de 94 ans ; comme il était malade, je le visitais très souvent, et ce fut moi qui eus la consolation de le préparer à la mort.
Le père Girard, lui, s'est éteint à 85 ans environ, emportant dans la tombe les regrets de tous ses amis du Clouin et des villages de chez nous (le Pin, la Partellière, la Gandouinière, la Lambardière, etc. ...)
Lorsqu'il racontait ses histoires belliqueuses, le grand vieillard paraissait rajeunir ; sa voix était forte, vibrante, son regard brillant, son geste vif et animé. Tout en lui se transformait ; on eut dit qu'il faisait un bond formidable en arrière et qu'il assistait de nouveau aux luttes épiques que la France soutint durant un quart de siècle contre l'Europe coalisée. Nous étions tous autour de lui, buvant ses paroles, ne le quittant pas des yeux, et bien qu'il ne fût guère intelligent, il savait intéresser par la façon personnelle dont il traduisait ses impressions.


Il avait pris part à toutes les batailles de la Révolution, notamment à celles de Saint-Fulgent et des Quatre-Chemins : et le nom de Charette revenait à chaque instant, sur ses lèvres, comme celui d'un dieu auquel il avait voué un culte idolâtre. Charette était l'incarnation de la Vendée catholique et royaliste. Pour cet humble, l'énergique et courageux condottiere dépassait de cent coudées le plus illustre des généraux vendéens.
Ses récits se succédaient les uns aux autres, passant de 93 au Consulat et à l'Empire, et alors c'était Napoléon qui le disputait à Charette en gloire et en vertus. Il avait fait toutes les campagnes du grand homme.
Nous vivions, pour ainsi dire, les victoires de la France, avec lui nous volions à la conquête et, quoique bien jeunes, nos coeurs tressaillaient d'enthousiasme aux histoires enflammées que nos oreilles entendaient. Le père Girard s'était trouvé en Russie et avait passé la Bérésina. Nous n'imaginions pas trop ce que cela pouvait signifier, mais le vieillard nous semblait alors un être à part, quelqu'un d'une autre époque, fait différemment que le commun des mortels, et sa taille paraissait plus haute, sa voix plus mordante, son regard plus perçant. Son langage n'était point celui d'un académicien, tant s'en faut ; mais sa rudesse convenait admirablement aux membres de l'auditoire. Ses expressions imagées, souvent pittoresques, nous comblaient de joie, car nous sentions passer sur nos têtes le souffle de la bataille et nos petits pieds trépignaient d'ardeur chevaleresque.
- "Y leur foutiront la déroute !" disait-il souvent en parlant des Bleus, et cette phrase soulevait d'unanimes applaudissements.


Pauvre père Girard ! Son souvenir s'est évanoui dans le passé comme tant d'autres que je me plais à évoquer ... Les gars d'aujourd'hui ne peuvent plus courir après lui en criant : "Vieux père Quollion ! Vieux père Quollion !", ainsi que nous le faisions jadis ; mais l'image de ce brave et fidèle serviteur reste gravée en ma mémoire et c'est pourquoi j'ai voulu la rappeler dans ce livre, heureux d'offrir une place à celui qui sacrifia trente années de sa vie pour le salut de la patrie.

F. CHARPENTIER
Prêtre

Chapitre extrait de : Ma paroisse sous la Terreur
(Saint-André-Goule-d'Oie en 1793).
Notes et souvenirs d'un vieux Vendée.
Par M. l'abbé F. Charpentier.

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