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La Maraîchine Normande
8 février 2014

CATHERINE-FRANCOISE DU CHILLEAU, ÉPOUSE DU VICOMTE ROCH DE CHASTEIGNER LA ROCHE-POZAY (1734-1793)

MADAME DE CHASTEIGNER

Madame de Chasteigner paya de sa vie les quelques réserves et provisions de ménage qu'elle avait faites à sa maison de campagne.


Catherine-Françoise du Chilleau - épouse du vicomte Roch de Chasteigner La Roche-Pozay - le représentant d'une des plus illustres maisons du Poitou, restait seule dans son château de Chincé, son mari étant parti pour l'émigration en même temps que pour la mort.
La bonté et la charité de la noble dame étaient proverbiales, non seulement à Jaulnay sa paroisse, mais aussi à Poitiers où elle tenait résidence une partie de l'année.

 

château de Chincé


Riche, d'ailleurs, elle partageait, avec son mari mestre de camp de l'ancien régime, devenu colonel de la garde nationale, qu'on nous dépeint "grand, de haute mine, cordon rouge le meilleur et le plus simple des hommes", l'estime des habitants du pays. Elle fut longtemps protégée par le maire de Jaulnay, mais il arriva un moment où ceux qui avaient résolu de la perdre devinrent les plus forts, et lui imputèrent à crime son admirable charité.

Un commissaire des vivres ayant trouvé dans les greniers du château une quantité de blé supérieure à celle qui avait été déclarée, à vue d'oeil, par la municipalité et le garde Philipponet, le prêtre apostat Couturier dit Mimi, administrateur du district de Poitiers vint faire des perquisitions à Chincé et interroger les serviteurs.
Assisté de Brunet, de Chinlaud et de Joseph Mignot, de Jaulnay, il interrogea la femme de chambre, Victoire Gendre, et François Philipponet, le domestique, ou plutôt l'homme de confiance de la maison, ainsi que Cherprenet, fermier et bourrelier à la fois, et deux servantes, les mère et fille Courtois.
A l'administrateur qui les pressait de questions, Victoire et François répondirent l'un et l'autre "qu'ils n'ont jamais rien vu faire que du bien à leur maîtresse et qu'ils ne savaient pas autre chose". Mais déjà tout est sens dessus dessous au logis. Dans un caveau on trouve six barriques de vin dont quatre récemment défoncées, de la literie dissimulée entre deux murs, une batterie de cuisine, cinq barriques remplies de linge, trois autres remplies de blé, des pommes de terre sous des "balles", un baricaut contenant des pois blancs, un charnier plein de cochon salé, au-dessus duquel étaient deux pots de graisse et un pot de miel demi pourri, la plupart de ces denrées "dans des trous faits dans un toit à brebis et dans le lieu où on mettait les légumes". Ailleurs on découvre un baril d'huile, du vin en bouteilles, du charbon, des caisses d'argenterie, de la bougie, de la chandelle, "des denrées de première nécessité" enfouies dans la terre "sous des javelles" et par surcroît deux girouettes portant l'empreinte de fleurs de lis.


Les gendarmes Latouche et Moricet arrêtent Madame de Chasteigner, Victoire Gendre et François Philipponet et les conduisent en prison.


Peu après, les prévenus comparaissent à la barre du tribunal criminel, et par un jugement en date du 23 prairial, qui ne porte aucune signature, pas même celle du président, ils sont les uns et les autres condamnés à la peine capitale, comme coupables et complices du même crime, par application de l'article XV de la loi sur le maximum ainsi conçu : "Ceux qui, par malveillance auraient fait périr ou laissé volontairement périr des denrées propres aux subsistances seront punis de mort et leurs biens confisqués au profit de la République".


Tel était le prétexte légal de la condamnation. "Nous avons vu aux Archives de France, dit M. de Coursac, qu'un vil délateur lui faisait un crime (à Madame de Chasteigner) d'appartenir à la famille la plus illustre de la province, famille qu'il appelait la Montmorency du Poitou, et il pressait la condamnation et l'exécution de ce modèle de charité, coupable sans doute et surtout à ses yeux, d'appartenir à une trop noble lignée".
La fortune des châtelains de Chincé était, sans doute, un autre motif, aussi important encore, de l'arrestation de Madame de Chasteigner, que ses origines féodales.


Condamnée comme infraction à la loi du maximum, Catherine-Françoise du Chilleau fit appel en cassation et, chose étrange, on ne lui opposa pas le caractère révolutionnaire du jugement et du délit.
L'exécution fut ainsi retardée de quelques mois ; elle n'eut lieu que le 12 fructidor - 19 août 1794 ; - c'est par erreur que l'ordonnance d'exécution porte : 12 thermidor.
La Terreur était alors terminée, ses artisans en prison, mais les juges, s'en tenant à l'application de la loi, avaient rejeté l'appel.
La mort de Madame de Chasteigner restait, dans l'esprit des contemporains de la Révolution, comme un des évènements les plus tristement mémorables de cette époque.


Ceux qui avaient rencontré par la ville le funèbre cortège ou qui, pris dans la foule, s'étaient trouvés sur la place du Pilori, les témoins de cette triple exécution, en avaient conservé une impression inoubliable.
Ils voyaient encore, quand le cauchemar de sang s'était depuis longtemps dissipé, la charrette, escortée de la force armée, emportant vers l'échafaud sa victime calme et résignée.


Les deux serviteurs étaient à ses côtés. Sa tête touchait celle de Victoire Gendre et ses mains serraient le crucifix sur son coeur, comme pour se défendre de tout trouble et de toute faiblesse.
Madame de Chasteigner, qui s'était fait raser les cheveux par ses domestiques et avait tenu à leur rendre le même et pieux office, portait, sur sa tête dénudée, un petit bonnet blanc maintenu par un ruban violet.
En allant à la mort, elle avait fait montre d'une résignation héroïque et seules quelques larmes silencieuses avaient mouillé ses paupières : larmes de la famille perdue, des espérances anéanties, des pauvres abandonnés, de la vie achevée. Ces larmes, - touchant et admirable spectacle bien digne d'inspirer le génie d'un artiste - Victoire Gendre les essuyait doucement, avec son tablier d'indienne, pour qu'on ne vît pas pleurer sa maîtresse.
François Philipponet, considéré comme le moins coupable, la jeune fille ensuite, furent étendus sur la planche fatale, et Madame de Chasteigner - suprême torture - vit rouler, au pied de l'échafaud, les têtes convulsées de ceux qui mouraient pour elle.
Son tour vint enfin ! Aussitôt, pêle-mêle, au galop d'un cheval, les corps des trois victimes, unies jusqu'après la vie, étaient, en toute hâte, emportés vers la fosse commune.


La tradition raconte que la mère de la suppliciée aurait été témoin de ces horreurs. Il faut espérer qu'elle se trompe, mais, certes, elle ne s'égare point en vénérant à la fois la mémoire de Madame de Chasteigner comme celle d'une martyre et d'une ange de charité.
On se souvient encore à Jaulnay et à Vendeuvre de la "bonne dame Chasteigner". "Elle était de la manière, nous disait un habitant de Chincé, elle y a tout de même passé !"

Extrait
Terreur à Poitiers
Etienne Salliard
1912

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