SUPERSTITION : LES CHOUETTES ACCUSÉES ...

3 février 2014

SUPERSTITION : LES CHOUETTES ACCUSÉES ...

OISEAUX DE MALHEUR
Par J. Michaud

Oui, l'imagination a joué un grand rôle dans le comportement de l'être humain vis-à-vis des oiseaux de nuit. La preuve ? Par l'analyse des oeuvres de certains artistes peintres, par la lecture de poésies, mais surtout par l'étude du folklore ...
Jules Garinet (Histoire de la sorcellerie en France) s'en prend à juste titre à "la folle du logis", lorsqu'il écrit : "les croyances nous viennent des erreurs et des maladies de notre imagination". Il faut ajouter que si elle se fait aider de la superstition et de la bêtise c'est une catastrophe. Une phrase de la présentation de M. Gérald Thomas concernant les contes de Jean le Sot recueillis et réunis par Mme Cadet (Société d'études folkloriques du Centre-Ouest) convient très bien au sujet présent : "vivant dans son monde à lui, le sot peut attribuer aux objets ou aux animaux les qualités qu'il veut." Autrement dit, si les qualités attribuées sont mauvaises tant pis pour eux ! La liste des accusations vraies ou fausses risque d'être longue. Les chouettes, les hibous ... sont souvent dans ce cas.

LES CHOUETTES

Première accusée : La chouette effraie.

1° Domicile - Elle préfère les ruines, les vieilles granges, les vieux arbres, le clocher ou encore le vieux moulin du pays, hélas, en ruine.
2° Signalement - Au repos elle présente un "visage" en coeur ; les yeux sont placés sur le devant de la tête. Son dos est roux doré. Sa poitrine est blanche. Son attitude est dressée. La femelle est plus grise que le mâle.
En vol. - Ailes blanches en dessous, longues et arrondies. Vol lent et oscillant.
3° Nourriture - 60 % de petits rongeurs, 30 % de musaraignes, 10 % de grenouilles et de petits passereaux.
4° Reproduction - Les oeufs que la chouette va déposer dans un tronc d'arbre "cabourne" (creux) sont blancs et de forme presque sphérique. Elle les déposera dans un lit de pelotes de réjection. Ces pelotes sont des boulettes de substances non digérées et rejetées par voie buccale (plumes, poils, os, éléments d'insectes). La ponte a lieu en juillet et se compose de six oeufs en général. La femelle couve seule pendant trente trois jours. Le mâle la ravitaille. Les poussins sont élevés par les deux parents pendant trois mois. Ils vont commencer à voler à deux mois et demi. Si les rongeurs sont abondants une seconde ponte peut avoir lieu entre juillet et décembre.

5° Acte d'accusation.

a) Témoins à charge.

Premier témoin ; la frayeur provoquée par son apparition dans un rayon de lumière.
Deuxième témoin : son art d'approcher ses victimes sans bruit même dans le noir absolu avec des serres puissantes et un bec crochu.
Troisième témoin : sa réputation d'annoncer la mort. Ah ! ça on ne le lui pardonne pas. On l'accuse même de venir chuinter sur la maison où se trouve un malade. Il n'en faut pas plus. Une dame m'a assuré que la veille de la mort de son oncle la chouette était venue heurter le carreau de la chambre avec son bec. Son cri, espèce de râclement soufflé, ajoute encore à la frayeur provoquée. Bien mieux, du temps où les lampes fonctionnaient à l'huile on accusait l'effraie de vider celle des églises. Et c'est peut-être pour la punir que les Espagnols faisaient bouillir la coupable dans l'huile, sans la plumer, et en tiraient ensuite un remède contre certaines maladies. Pourquoi se casser la tête à la recherche de formules savantes ?

b) Témoins à décharge.

Si l'homme en général n'aime pas rencontrer l'effraie, par contre l'effraie aime bien le voisinage de l'homme. Son cri sur le toit est-il vraiment l'annonce d'une issue fatale ? Je crois plutôt que la lumière, aussi petite soit-elle, qui est restée allumée une grande partie de la nuit dans la maison, a attiré l'effraie dans le voisinage immédiat.
M. Jean-Paul Clebert (Bestiaire fabuleux) dit que l'on n'a pas hésité à confondre l'effraie et l'orfraie. C'est une confusion regrettable. L'orfraie est en réalité un rapace diurne de la tribu des aigles. On le nomme aussi Pygarge ou grand aigle de mer.

Deuxième accusée à la barre : La chouette-hulotte alias chat-huant alias "chavent" dans le Centre-Ouest.

1° Domicile - Cette chouette se tient là où il y a beaucoup d'arbres. Elle aime bien l'ombre car la lumière l'éblouit. J'ai vu souvent les oiseaux la repérer dans la journée et ne pas se gêner pour la houspiller.
2° Signalement - Sur le devant d'une grosse tête ronde, deux gros yeux bruns noirs. Le plumage est brun tacheté sur la poitrine : "en sapin renversé". Taches blanches sur l'épaule. Certains individus sont plus roux que d'autres. Par contre, certains sont plus gris. Voilà pour le portrait au repos. En vol, on remarque surtout les deux ronds de la face, ses ailes arrondies et sa queue courte.
3° - Nourriture - 50 % de petits rongeurs, 20 % de musaraignes, 20 % de petits passereaux et 10 % de grenouilles.
4° - Reproduction - Elle va faire son nid dans un trou d'arbre, là où habitait ces temps derniers un écureuil ou une corneille, ou encore dans un trou "d'chafau" (trou laissé par le maçon lors de la démolition de son échafaudage). Dans ce nid seront déposés en février, mars ou avril, 2 à 4 oeufs sphériques et blancs. La femelle couvre seule pendant vingt-huit à trente jours. Le mâle la ravitaille. C'est encore la femelle qui, après l'éclosion, va nourrir ses poussins exigeants. Le mâle a assez à faire de son côté pour ramener les provisions pour toute la famille.

5° Acte d'accusation.

J'ai vu plus d'une fois de jeunes hulottes au nid. A dire vrai ça n'a rien d'engageant. Aussi petite soit-elle, elle fait vite à se mettre sur la défensive. Elle écarte largement ses ailes, se gonfle et fixe de ses yeux brillants et ronds celui qui vient de la déranger. Écoutez ses parents : "BOU HOU HOU HOU HOU" "BOU HOU HOU HOU HOU". Il y a sûrement quelques paysans et à plus forte raison un plus grand nombre de citadins en vacances qui ont frémi lorsqu'ils ont eu l'occasion d'entendre leur voix lugubre. Il n'a pas fallu grand-chose pour imaginer que cette chouette était elle aussi un oiseau de malheur, un suppôt de Satan, la compagne attitrée des sorcières. On vit alors notre malheureux oiseau nocturne crucifié sur la porte des écuries pour empêcher le diable de pénétrer plus avant. Cataloguée également comme capable d'annoncer la mort par son cri, alors commença l'hécatombe. Le nombre des condamnés au supplice ? Il fut considérable. Entre nous, comme si le cadavre de cette pauvre bête à la porte d'une étable était la barrière contre le virus de la fièvre aphteuse qu'on avait baptisée "cocotte". Il va sans dire que cette maladie était souvent imputée au diable ou à son représentant sur terre : le "j'teu d'sort" !

Maintenant, regardons quelle est la chouette qui se trouve dans le box des accusés ... Mais c'est la Chevêche, à laquelle les savants ont donné le nom d'Athena Noctua.

1° Domicile - Elle se tient de préférence sur les arbres en choisissant les branches les plus basses ; on en a vu parfois sur les fils télégraphiques.
2° Signalement - Au repos : plumage gris brun marbré. Grosse tête carrée, front plat. Queue courte. Yeux jaunes, paupières plumeuses. En vol : elle a les ailes rondes et courtes. Elle chasse le jour, souvent.
3° Nourriture - 70 % de petits rongeurs, 10 % de musaraignes, 10 % de petits passereaux, 10 % d'insectes et d'escargots.
4° Reproduction - La chouette déposera ses oeufs ronds et bleus au fond d'une cavité, soit d'"ine oumia" (d'un ormeau) soit d'un mur, d'un rocher ou encore d'un terrier. Elle pond 5 à 6 oeufs en avril-mai puis couve seule pendant vingt-huit jours. Le temps venu, les parents nourrissent les jeunes et ceux-ci s'envolent à cinq semaines. Il peut exister une deuxième couvée si la nourriture est abondante.

5° Acte d'accusation - Il faut bien dire que les avis sont partagés à ce sujet.

a) Témoins à charge.

son cri plaintif : "KIOUEK-KIOUEK" ou ses jappements répétés, ou encore ses coups de sifflet stridents.
Lorsqu'on l'approche, elle se gonfle ou se tapit. Elle agite sa grosse tête d'un mouvement rapide et très curieux d'ailleurs. La têts s'agite, tourne sans que le corps accuse le moindre mouvement. Un dominicain espagnol, théologien et cardinal de surcroît : Juan de Torquemada (1388-1468) affirme dans son Hexameron que cette chouette était capable de sucer le sang des jeunes enfants. Pas besoin d'ajouter qu'elle a rejoint les autres chouettes comme oiseau de malheur.
Elle chasse le jour. On l'a accusée de s'attaquer au jeune gibier ou aux couvées de basse-cour malgré les cris d'alarme du "jau" (coq) et les cris des poules courant se réfugier sous le hangar.
Le peintre hollandais Jérôme Bosch (1462-1516) dans le célèbre tableau la "Tentation de Saint-Antoine" a représenté la chevêche sur la tête d'un bouffon. L'hérésie est figurée par la chouette et la bêtise par le bouffon. Telle serait l'interprétation.

b) Témoins à décharge.

Autrefois les Ahténiens étaient très favorables au contraire à cet oiseau. René Ménard (Mythologie dans l'art ancien et moderne) fait remarquer que la chouette est à Athènes ce que la louve et les deux enfants sont à Rome. On lit dans la "Légende dorée" "la chouette dont l'oeil brillant éclate dans la nuit était avec le coq et le serpent particulièrement consacrée à "la Déesse au regard éclatant". Une pièce de valeur d'un tétradrachme présente à l'avers Minerve et au revers la chouette (cabinet des médailles, Bibliothèque nationale). Oiseau de Minerve elle en conserve encore le nom dans les livres qui traitent d'ornithologie : Anthène noctua.
Étant donné que le regard de la chouette perce les ténèbres elle a incarné pour certains la science du caché (avenir dans les cartes, marc de café, boule de cristal). Pour d'autres enfin, elle a, avec le lion, le pélican et le dragon, symbolisé les recherches de l'alchimiste dans son laboratoire pour découvrir la pierre philosophale, en compagnie du cerf et de la licorne.

Extrait
Société d'Etudes Folkloriques
du Centre-Ouest
Le Subiet
Publication patoise
Janvier-Février 1975