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La Maraîchine Normande
23 janvier 2014

LETTRE DE M. PRONZAT, CURÉ DE PAIMBOEUF A MADEMOISELLE CHARETTE - 1806

CHARETTE 9

 

LETTRE DE M. PRONZAT, CURÉ DE PAIMBOEUF
A MADEMOISELLE CHARETTE

14 mars 1806

MADEMOISELLE,

Malgré toute la bonne volonté que j'aurois de contribuer à la rédaction de l'ouvrage qui doit faire connoître les traits remarquables de la vie du général Charette, je serois bien en peine de fournir à l'auteur une seule anecdote intéressante. Arrivé dans la Vendée seulement à la fin d'août 1795, je ne séjournai au Recrédi près de Belleville qu'environ six semaines, pendant lesquelles je ne me trouvai à même de voir M. votre frère que très rarement, parce qu'il étoit toujours en course.
A l'époque de la malheureuse affaire de Saint-Cyr, je m'éloignai du voisinage de l'armée et du quartier-général, pour me livrer aux soins de l'hôpital militaire qu'il m'avoit confié et que je suivois. Sa troupe, dès ce moment, diminua insensiblement et se réduisit au point, qu'après sa déroute de la Rebruffière, qui fut sa dernière affaire un peu importante, il ne lui resta qu'une escorte de soixante ou quatre-vingts volontaires, qui l'ont suivi jusqu'à son arrestation. Tout ce que je puis donc avoir  observé sur son caractère par le peu de relations et de conversations que j'ai eu avec lui, c'est :

1° Une grande fermeté d'âme qui lui fit conserver une contenance rassurée, et même une gaieté aimable après ses plus grands échecs.
2° Un grand désintéressement qui le portoit à ne jamais rien garder en réserve, et à donner toujours jusqu'au dernier écu, quand ses volontaires lui exprimoient le moindre désir de se procurer quelques douceurs.
3° Beaucoup de sobriété et même d'insouciance pour sa nourriture. Il abandonnoit volontiers à son état-major les morceaux les plus délicats, et profitoit moins qu'aucun des siens des présents que les personnes aisées des environs se faisoient un plaisir d'envoyer au quartier-général.
4° Enfin un dévouement inébranlable à la cause royaliste, qui l'empêcha d'accéder aux propositions que les généraux républicains lui firent faire, et aux offres avantageuses pour sa sûreté et pour sa fortune, s'il vouloit mettre bas les armes et se retirer en pays étranger. Il a dit souvent, et je l'ai entendu une fois (quand tout sembloit désespéré pour le parti, et que son état-major et quelques officiers réduits aux abois se rendirent, en s'excusant sur leur position extrême) : "Que quand on avoit entrepris une cause semblable, il falloit savoir mourir pour elle".

Quand à M. Favereau, il ne peut articuler que quelques traits d'humanité envers des soldats et officiers républicains qu'il a arraché plusieurs fois à la fureur de ses paysans, lorsque dans les déroutes ils tomboient sous leurs mains ; entre autre à Machecoul et à Boupaire, il en fit porter huit à dix à l'hôpital et les fit soigner. Il fit son possible à Belleville pour éviter de faire périr deux cent soixante-dix-sept hommes qu'il ne pouvoit garder en prison, et donna la vie à tous ceux qui voulurent adopter sa cause. Tout le monde sait qu'il demanda et obtint la grace du général Jacob républicain, défait aux Sorinières. Favereau a perdu le journal qu'il avoit rédigé ; mais, d'après l'idée que je m'en fais, il n'eût pas été d'un grand secours à l'écrivain. Je suis fâché de ne pouvoir contribuer à transmettre à la postérité les vertus morales et militaires d'un homme pour lequel j'ai conservé la plus haute estime.

Veuillez croire, Mademoiselle, que vous la partagez, et que j'y joins le plus profond respect.

M. J. PRONZAT, curé de Paimboeuf.

Extrait
Supplément à la Vie du général Charette, Commandant en Chef
par M. René-Thomas le Bouvier-Desmortiers
M DCCC XIV

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