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La Maraîchine Normande
16 janvier 2014

LUCHÉ (72) - UN FOYER DE PETITE-ÉGLISE

UN FOYER DE PETITE-ÉGLISE

petite égliseA la lisière des anciennes provinces du Maine et de l'Anjou, dans la petite bourgade sarthoise de Luché, coquettement assise sur les bords de ce Loir dont Ronsard disait, parlant du pays qu'il baigne, que "Nulle française rivière n'en peut laver un plus beau".
Là, dis-je, se rencontre encore tout un hameau infecté par l'erreur dite de la Petite Église. Il semblerait pourtant qu'à voir couler les eaux limpides du fleuve, les idées se fassent, elles aussi, plus claires et plus nettes : il n'en est rien.
Aussi bien, l'erreur remonte aux premiers jours.
Ce n'est point ici le lieu de rappeler comment quelques prêtres, imbus d'idées gallicanes, refusèrent de reconnaître le Concordat et, se séparant de l'Église Romaine, formèrent un groupe, assez compact dans le principe, mais qui s'émietta peu à peu, auquel on donna le nom de Petite Église.
Au diocèse du Mans, les principaux fauteurs de l'erreur furent les abbés Meriel-Bucy, Fleury, Merille, Grangeard. C'est à ce dernier que le groupe de Luché doit son existence.

Né au Mans en 1754, Pierre Grangeard était, depuis 1781, curé de Souligné-sous-Vallon, lorsqu'éclata la Révolution. Réfractaire à tout serment, il s'exile en Angleterre. En 1801, il revient en France, ne fait qu'y passer, et, sous les habits d'ouvrier, se réfugie en Hollande. Il est de retour en 1803. Il se met aussitôt en relation avec les prêtres dissidents, Messieurs Mériel-Bucy et Fleury, du Mans, Beaumier, de Blois. Mais, bientôt, trouvant les manceaux trop "papistes", il s'éloigne du Mans et vient à Luché, où le ménage Lefranc, propriétaire de la ferme de la Noirie, le recueille, le loge et le nourrit jusqu'à sa mort.
De là, il se répand à travers le diocèse et dans celui d'Angers : Le Mans, Brûlon, Epineu-le-Chevreuil, Durtal, Parcé, Bazouges, Daumeray et d'autres villages, reçoivent sa visite. Partout il prêche la révolte contre le Souverain Pontife, les évêques et les prêtres soumis au Concordat.


A La Flèche, il réunit ses adeptes rue du Collège et y administre les Sacrements. 

 

LA NOIRIE


Mais, c'est surtout à la Noirie qu'il les groupe. Les dimanche et les jours de fête, on y voyait arriver des bandes nombreuses d'hommes, de femmes et d'enfants, qui faisaient facilement reconnaître leurs vêtements de couleur sombre et leur longs cheveux taillés en rond.
Au milieu de ces "vrais chrétiens", comme ils s'appellent, M. Grangeard préside toutes les cérémonies. De petite taille, mais robuste et énergique, il formait à lui-seul son Église. Jamais il ne reconnut au pape, en gallican intransigeant qu'il était, le droit de s'ingérer dans les affaires de France, surtout de déposer les évêques et de parler avec l'"Usurpateur". Aussi malmenait-il fort devant ses ouailles Pie VII, le cardinal Caprara et les évêques concordataires.


Au demeurant, en dépit de son entêtement, c'était un prêtre vénérable, d'une grande régularité de moeurs et de conduite, au dire de tous ceux qui l'ont connu. Ceux même qui ont quitté la Petite Église en ont conservé un bon souvenir et ne sont pas loin, tous convertis qu'ils sont, de le regarder comme un saint.


Sur la fin de sa vie, M. Grangeard s'attristait fort à la pensée que la "vraie religion" allait être de plus en plus abandonnée. "Qu'allez-vous devenir quand je ne serai plus" disait-il ; "plus de prêtres pour vous donner les sacrements, vous confesser, vous marier ... Soyez fidèles quand même. Pour le baptême, contentez-vous de donner l'eau en attendant des temps meilleurs. Pour la pénitence, ne manquez jamais à Pâques d'examiner soigneusement vos péchés, de vous exciter du fond du coeur à la contrition, de confesser vos fautes sincèrement devant le Bon Dieu et de vous en imposer vous-même une salutaire pénitence. Pour le mariage, puisqu'il n'y a plus de prêtres légitimes, attendez. Peut-être la religion reviendra-t-elle à ce qu'elle était auparavant, et alors vous retrouverez ses avantages ; en attendant, ne vous mariez pas."
Il leur disait encore : "N'ayez aucun rapport avec les intrus ; ... n'entrez pas dans leurs temples ; ... ne communiquez avec eux d'aucune sorte, ni avec ceux qui les fréquentent. Gardez-vous purs dans la foi. Il est bien difficile de garder la foi sous les armes, abstenez-vous, tant que vous le pourrez, du service militaire : vous ne le devez pas, du reste, à un gouvernement usurpateur."
Ces paroles sont-elles textuelles ? On ne saurait l'affirmer d'une façon certaine ; mais, on peut le croire, étant donné la mémoire, la conviction de celui qui nous les a dites, répétées comme une leçon mille fois entendue.

Le pauvre prêtre schismatique mourut dans son erreur et dans son entêtement. Ce fut en vain que M. l'abbé Pilleur, curé de Luché à cette époque, averti de sa fin prochaine, demanda à le voir à ses derniers moments. M. Grangeard refusa, ou on refusa pour lui, et le 1er mars 1832, il termina sa vie, seul, au milieu de ses fidèles, venus nombreux, qui le pleurèrent comme un père, et voulurent du moins, conserver son corps. Il fut enterré à la Noirie même, et l'on mit, dit-on, dans son cercueil, ses vases sacrés, calice et ciboire. On garde comme des reliques ses ornements sacerdotaux qui restent exposés dans la chambre-chapelle où se trouvent également sa bibliothèque, son testament et ses dernières recommandations. Sa bibliothèque est surtout composée de sermons français et latins, de livres ou brochures ayant trait au schisme, de vieux cantiques, rituels et catéchismes : ce sont ces livres qui servent aux réunions des dimanches et fêtes.

Après la mort du prêtre rebelle, les réunions continuèrent, en effet. M. Lefranc qui avait hospitalisé l'abbé Grangeard devint le chef et le Pontife de la Petite Église, charge qu'il a transmise à ses enfants. Sa dernière fille, morte en 1889, sans alliance, selon l'ordre qu'avait donné à ses affiliés, M. Grangeard, a légué son office et son bien à une vieille demoiselle élevée à la Noirie, qui, avec un vieux garçon et quelques vieilles filles, forment actuellement toute leur église.


M. Lefranc avait reçu le testament et les instructions dernières du prêtre schismatique ; il les accomplit à la lettre. Il avait mission de réunir les dimanches et fêtes les "vrais chrétiens", de les faire prier en commun, de les instruire, de les fortifier dans la foi et de leur faire observer, le plus strictement possible, la "vraie religion".
Tous les dimanches donc, toutes les fêtes chômées (celles d'avant le Concordat), on se réunissait à la Noirie, moins nombreux qu'au temps de M. Grangeard, mais avec non moins de ferveur entêtée. Là on priait ensemble ; commençant par les Litanies du Saint Nom de Jésus, le Miserere, le De Profundis, on continuait par les récitations des Prières de la Messe. Après l'Evangile, M. Lefranc, se servant d'un ancien rituel, faisait le prône, annonçait les fêtes, les jours de jeûne et d'abstinence, il lisait un sermon ou une explication de l'Evangile. Après la prière, il y avait repas en commun. Puis, le soir, nouvelle réunion où l'on récitait les Vêpres et le Chapelet et où l'on parlait familièrement de la religion, de ses épreuves, des moyens de les supporter ou de les éviter, où l'on expliquait et faisait apprendre aux enfants le Catéchisme dont le manuel était l'ancien catéchisme manceau d'avant la Révolution. Presque toujours aussi on chantait de vieux cantiques et on lisait quelques pages de la vie ou des souvenirs de M. Grangeard. Il avait, en effet, écrit un journal où il raconte, au jour le jour, paraît-il, tout ce qui lui arriva, depuis le commencement de son exil, et où il apprécie, à sa façon, les choses et les gens de la Révolution, particulièrement le Concordat et la résistance qui lui fut faite. Ce journal, très curieux, existe encore, mais gardé et caché avec un soins jaloux, comme tout ce qui a appartenu à M. Grangeard.
Comme faisait M. Lefranc, ainsi firent ses enfants, et ainsi font, encore aujourd'hui, les héritiers de ceux-ci.

Pénétrons maintenant dans ce hameau, et, bien que les habitants semblent réfractaires à toute conversation, surtout avec un prêtre que, de nos jours encore ils appellent un intrus, essayons de surprendre quelques-unes de leurs coutumes. Nous aurons là comme l'expression de leur âme.
Au principe de leur vie religieuse se trouve la prière. Elle se fait en commun à la Noirie, matin et soir. Le soir, jamais aucun n'y manque. En carême, on ajoute à la prière du soir la lecture de l'Evangile et de la Vie des Saints. Aux jours de fêtes chômées, supprimées par le Concordat, la réunion se fait comme le dimanche. Le matin on y récite le chapelet, les litanies du saint nom de Jésus, le Miserere, le De Profundis, les prières de la messe, on y lit le rituel. Le soir, on chante des cantiques, on récite le chapelet et on lit dans des livres pieux.
Les adhérents de la Petite Église n'ont plus maintenant qu'un seul sacrement : le baptême. L'eau seule est versée sur la tête de l'enfant, en attendant que des temps meilleurs permettent de le présenter à des pasteurs légitimes.
Depuis la mort de M. Grangeard, il n'y a plus de mariage. Ses partisans ne voulant pas se présenter devant les "intrus", le schisme s'éteindra donc forcément.
Les morts reçoivent des prières, et ces pauvres gens disent bien haut que leurs sépultures ne sont nullement des enterrements civils, "puisqu'on y prie, qu'il y a des croix, des cierges". Un terrain spécial est réservé dans le cimetière de Luché, pour y mettre à part ceux qui font partie de la Petite Église.

Voici comment se font ces sépultures.
Le corps du défunt est transporté à la Noirie, à la Chambre-Chapelle ; là, toutes les prières des morts sont récitées ; des cierges allumés autour du corps, de l'eau bénite jetée sur la dépouille mortelle (cette eau qu'on ménage avec soin, a été bénite en assez grande quantité, par M. Grangeard). Les prières dites, le corps est conduit au cimetière, accompagné de tous les dissidents. L'un va devant tenant un vieux crucifix ; de chaque côté sont les porte-cierges. Au cimetière, il n'y a aucune cérémonie, ni récitation d'aucune prière, en vertu de ce principe qu'il ne saurait y avoir aucune communion de prières ou de culte avec les "intrus" qui sont là. Les assistants se contentent de jeter un peu d'eau bénite et tous s'en vont lorsque la fosse est couverte. Sur la tombe ne se voit aucun signe de religion ; seules, quelques fleurs jonchent le tertre fraîchement remué ; la croix n'ombrage point le dernier repos de ces pauvres gens !
Huit jours après la sépulture, a lieu à la Noirie un service de prières, dit de septime, avec cierges allumés ; de même à l'anniversaire.
Les adhérents de la Noirie observent tous les jeûnes et toutes les abstinences du temps passé ; le Carême entier, le vendredi et le samedi de chaque semaine, les jours des rogations, tous font maigre, sans exception. Peut-être le jeûne est-il moins strictement observé.

Tenaces dans leurs opinions religieuses, les dissidents ne le sont pas moins vis-à-vis de l'Etat que toujours ils regardent comme un usurpateur. Tant que les jeunes gens ont pu se soustraire au service militaire, ils l'ont fait, sur la recommandation de leur prêtre. Pour ne pas servir, ou bien ils se rachetaient, ou bien ils se cachaient. On cite, par exemple, le cas de Jacques Panneau, le propriétaire actuel et le chef de la Noirie qui, après s'être caché cinq ans, finit par être pris, et, comme réfractaire, fut condamné à passer un an aux compagnies de discipline. Il ne dût sa grâce qu'à de hautes interventions. Il n'est plus, à l'heure actuelle, question de service militaire pour les dissidents ; le plus jeune atteignant bientôt la cinquantaine !

Leurs relations extérieures sont rares. Ils en ont le moins possible. Jamais ils n'entrent dans une église qu'ils appellent un "temple". Les curés actuels sont à leurs yeux des "intrus". Quand ces derniers marient des catholiques, le mariage n'est pas valide, disent les dissidents. Aussi, se gardent-ils bien de dire "la femme de M. un tel, ou Madame N...," mais "la femme qui est chez M. un tel."

Toutefois, le petit nombre de dissidents actuels, n'a plus la même autorité, ni la même ferveur qu'au temps passé. Partant, ils sont devenus moins sauvages. Les prêtres reçoivent aujourd'hui chez eux non seulement l'accueil qu'on leur refusait autrefois à leurs prédécesseurs, mais une certaine déférence ; ils peuvent faire parvenir à la Noirie le Bulletin paroissial, qui y est lu avec avidité, non sans critique cependant. Pourtant, il faut ajouter que, en dehors de la Noirie, la bienveillance disparaît : il semble encore que tout contact avec l'"intrus" soit regardé comme irréalisable.

Avant que ne s'éteigne ce dernier foyer sarthois de la Petite Église il était bon, ce nous semble, d'en fixer le souvenir et les usages. Puissent les dissidents, comme tant d'autres, reconnaître enfin la saine lumière de la foi et rentrer dans le sein de l'Église leur vraie mère ! (1)

LOUIS CALENDINI

(1) Nous avons utilisé pour ce travail les renseignements que nous a fournis un fermier de Luché qui, venu en cette paroisse vers 14 ou 15 ans, fut élevé à la Noirie et y demeura dans le schisme jusqu'à 40 ans. Il s'est alors converti et marié religieusement. M. le Curé, auquel nous sommes redevables de bon nombre de notes, nous a garanti l'authenticité du récit de notre narrateur.

Annales Fléchoises et la vallée du Loir
Janvier-Décembre 1913

http://divin-decret-damour-de-jesus.org/temoignages/PETITE_EGLISE.htm

http://frererudy.e-monsite.com/pages/page-8.html

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