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La Maraîchine Normande
2 janvier 2014

L'ABBÉ PRONZAT DE LANGLADE, VICAIRE-GÉNÉRAL ET CHANOINE DE NANTES, CURÉ DE PAIMBOEUF

L'ABBÉ PRONZAT DE LANGLADE

VICAIRE-GÉNÉRAL ET CHANOINE DE NANTES,
CURÉ DE PAIMBOEUF

Parmi les prêtres qui, à l'époque de la Révolution, exilés en Angleterre, en Espagne, en Portugal, en Allemagne, etc., surent se concilier l'estime et l'admiration de leurs hôtes compatissants et empressés, en donnant au loin une si haute idée du clergé français, le diocèse de Nantes compte de nombreux représentants. L'un des plus dignes de ces vétérans du sacerdoce, ayant traversé l'ère des persécutions, fidèles à leurs devoirs et à leurs caractère sacré, est sans contredit M. Pronzat de Langlade, successivement vicaire de Chantenay, chanoine de la Collégiale, recteur de Rouans, curé de Paimboeuf, vicaire général et chanoine honoraire de Nantes, mort à sa cure en 1824.
Quelques notes éparses, pieusement conservées par ses petites-nièces, nous furent communiquées par hasard. Nous avons aussitôt songé à ne pas laisser disparaître ces feuilles légères, que tant de causes peuvent égarer ou détruire, sans essayer de les utiliser. Déjà, du reste, ce nom, qui avait frappé notre oreille d'enfant, s'était retrouvé plus tard sur les registres de Notre-Dame de Nantes. Ce n'était donc pas celui d'un inconnu ; aussi saisissons-nous avec empressement l'occasion de rendre un respectueux hommage à la mémoire de l'un des dignitaires de cette insigne église dont nous avons eu l'honneur d'être le modeste historien

Maurice-Justin Pronzat de Langlade naquit à Nantes le 13 décembre 1745, de Maurice Pronzat de Langlade et de dame Jeanne-Jacquette Le Forestier, son épouse. M. Pronzat père, issu lui-même d'une famille recommandable depuis longtemps fixée à la Guadeloupe ou à Saint-Domingue, vint s'établir à Nantes, au milieu du siècle dernier. Il avait un frère, dont le fils assista le curé de Paimboeuf, son oncle, à ses derniers moments. Celui-ci, retourné à Saint-Domingue, y épousa Mlle de Brillancourt ou Billancourt. Revenu en France, il fut nommé président du tribunal d'Ancenis, puis conseiller à la cour de Rennes. Il laissa en mourant trois enfants qui lui survécurent peu, et une fille mariée à M. du Bourblanc, de Rennes, en sorte que le nom est éteint aujourd'hui.

Le jeune Pronzat se fit remarquer de bonne heure par la rectitude de son jugement, ses dispositions heureuses, et une imagination brillante, présage de ce qu'il devait être un jour. Entré au petit séminaire, ses succès rapides et soutenus le placèrent, sans conteste, en tête de son cours, à la suite duquel il commença l'étude de la médecine. Non moins distingué par sa piété, sa douceur et sa modestie, que par sa facilité et son goût pour le travail, lorsque sa vocation ecclésiastique fut décidée, il mérita d'être rapidement promu aux ordres mineurs et de recevoir la prêtrise avant l'âge exigé par les décrets canoniques. Il débuta comme vicaire de la paroisse de Chantenay, en 1768, et sut montrer dans cet emploi combien il était apte à diriger les consciences et à s'attirer l'estime et la confiance des fidèles.
Nommé à l'une des prébendes de la Collégiale, le 9 avril 1772, l'abbé Pronzat dut résigner son canonicat dans le courant d'octobre de la même année, pour obéir à son évêque, qui le destinait à d'autres fonctions. La cure de Rouans étant devenue vacante, Mgr de la Musanchère voulut, de préférence à beaucoup d'autres, en donner la direction au jeune chanoine. "Allez, lui dit le prélat, allez, et faites qu'on ne s'aperçoive pas que vous êtes jeune, en montrant à vos paroissiens toutes les vertus de l'âge mûr."
Nul, mieux que le nouveau curé, ne pouvait remplir cette belle tâche et justifier l'espérance si justement fondée dont il était l'objet. La bonté, qui faisait le fond de son caractère, se traduisait par une aménité inaltérable. L'urbanité exquise et naturelle empreinte dans ses paroles, dans ses gestes, dans tous ses actes, était bien cette vraie politesse, ainsi définie par un habile maître : "l'habitude des procédés au moyen desquels les autres sont contents de nous et d'eux-mêmes ;" art délicat, puisé dans l'éducation de la famille et les relations distinguées et choisies, qui forment l'esprit et le coeur, auquel tant de gens prétendent, que si peu atteignent, et que l'égoïsme et le système scolaire d'aujourd'hui rendent de plus en plus rares.

ancienne église de Rouans



A la mort de son père, en 1774, M. l'abbé Pronzat recueillit un riche patrimoine, qui lui permit de donner libre carrière à son ardente charité. Des connaissances étendues en botanique et en médecine lui fournissaient les moyens de soulager les souffrances et les infirmités de ses paroissiens, auxquels il prêchait par son exemple l'amour du bien et la pratique d'une solide piété. Une pharmacie, composée des remèdes les plus usuels, était constamment et gratuitement ouverte à la cure.
A quelque heure qu'on recourût à son ministère, il était prêt à panser les infirmes, à secourir les indigents, à porter le viatique. Un hiver, pour assister un malade, il s'engagea sur les glaçons recouvrant les vastes marais de la Chenau, quand le dégel déjà commencé menaçait d'ouvrir à chaque instant un abîme sous ses pas, sourd aux prières et aux sollicitations des habitants qui, groupés sur les rives, tremblaient, sans pouvoir arrêter cet élan généreux.
L'ancien presbytère de Rouans tombait en ruines ; le curé le fit reconstruire de ses propres deniers, sur un plan beaucoup plus large, et le transforma en une habitation aussi commode qu'agréable. Il en augmenta le pourpris, par l'acquisition de diverses pièces de terre et rendit enfin cette résidence l'une des plus confortables du diocèse. Incendiée pendant la Terreur, mais seulement dans la partie haute et la toiture, elle fut restaurée par la commune, lors du concordat.

Cependant les années s'écoulaient rapidement, et, le 2 juillet 1791, l'Assemblée nationale décrétait la constitution civile du clergé. La Révolution marchait à grands pas dans son oeuvre ; encore exempte de crimes et d'excès, elle était saluée comme une ère brillante de liberté par les esprits avides de nouveautés et de réformes, invinciblement entraînés dans le mouvement qui allait les déborder et dont ils ne prévoyaient pas les fatales conséquences. Partagé en deux camps, sous les dénominations de premier et second ordre, le clergé vit la division se glisser dans ses rangs. Les ecclésiastiques compris dans la dernière de ces prétendues catégories, séduits par un semblant de retour à la discipline primitive, flattés dans leurs secrètes ambitions, déterminés par des convenances d'intérêt personnel, trouvèrent là de spécieux prétextes à une faiblesse impardonnable. Encore, un grand nombre de prêtres assermentés se rétractèrent-ils bientôt d'une façon éclatante, réduisant ainsi à des proportions minimes le chiffre de ceux qui persévérèrent dans l'erreur.

Placé dans cette alternative, qu'allait faire l'abbé Pronzat ? Depuis dix-neuf ans, il était curé de Rouans ; les liens les plus étroits l'attachaient à sa paroisse, à sa famille, à sa demeure ; son patrimoine avait été presque en entier sacrifié à ses bonnes oeuvres ; enfin, il fallait opter entre la patrie et l'exil. De tous côtés de pressantes sollicitations lui arrivent avec les promesses les plus flatteuses. Mais il sait puiser dans sa foi profonde la force de résister à ces faciles entraînements ; son esprit droit et juste n'éprouve pas la moindre hésitation ; sa religion n'admet pas le plus léger doute. "Il n'y a," disaient ses persécuteurs en visitant la charmante maison qu'il venait d'abandonner, "il n'y a que l'homme de bien qui sache faire à sa conscience de pareils sacrifices."

signature de l'abbé Pronzat de Langlade


Les registres de la paroisse de Rouans contiennent sur cette époque de la vie de M. Pronzat un détail qui fait trop d'honneur au curé et aux officiers municipaux pour être passé sous silence. Vers les premiers jours de mai 1790, le curé reçut la lettre suivante, du frère de l'archevêque de Paris, considéré comme le seigneur du pays et de la paroisse :

Paris ce 1er mai 1790
Je m'empresse, Monsieur, de vous adresser une copie de la déclaration que vient de faire une grande partie des membres de l'Assemblée nationale ; elle a cru le devoir à sa conscience comme catholique, et au respect qu'elle conserve pour les serments. Votre zèle pour notre sainte religion et pour le bonheur de vos paroissiens, dont elle est la source, ne vous permettront pas de leur laisser ignorer que nous luy sommes fidèles.
L'impiété s'est répandue sur la surface du royaume. L'égalité de culte que l'on veut établir entre toutes les religions prouve assez qu'on ne tient plus à aucune, et cette indifférence condamnable ouvre la porte à toutes les suites philosophiques et même à l'athéisme. Sans religion il n'y a point de moeurs, et sans moeurs point de société, et par conséquent point d'empire. Ce sont ces vérités effrayantes qui ont déterminé notre conduite.
Je suis, etc.
Signé, LE MARQUIS DE JUIGNÉ.

Le 23 mai, le curé de Rouans, du haut de la chaire, donna lecture de cette lettre et de la déclaration qu'elle renfermait, ayant rapport au refus formulé le 12 avril par l'Assemblée d'adopter la proposition du chartreux Dom Gerle, demandant que la religion catholique fût toujours celle de l'État.
Après l'office, l'abbé Pronzat fit prier, par M. l'abbé Gogué, son vicaire, le conseil municipal de copier ces deux pièces sur le registre des délibérations. - "Sur quoi délibérant, porte le procès-verbal de la séance, avons pour preuve de la reconnaissance que nous avons à M. de Juigné, pour nous avoir instruit de l'état de crise où est mise la religion, par ce décret, et pour donner nous-mêmes un témoignage authentique de notre zèle et de notre attachement à la religion catholique, apostolique et romaine, avons fait inscrire les pièces susdites, et déclaré adhérer de coeur à la protestation ci-dessous, en tout ce qu'elle contient, et protestons également contre le décret et contre les suites fâcheuses qu'il peut avoir. - Arrêtons au surplus qu'il sera envoyé copie de la présente à M. le marquis de Juigné, pour en faire tel usage qu'il croira bon pour la cause de la religion sainte que nous professons et professerons avec la grâce de Dieu jusqu'à extinction de nos jours."
Les membres du district de Paimboeuf, ayant eu connaissance de ce fait, députèrent des commissaires qui rédigèrent procès-verbal. Mais le conseil de Rouans protesta de son innocence, assurant qu'il ne voulait que prouver son amour à la religion, sans chercher à se mettre en opposition avec l'Assemblée, et les choses en restèrent là.

La garde nationale du Pellerin, mise en réquisition par le district, reçut l'ordre de venir à Rouans, sous prétexte d'enlever les armes confiées à la municipalité, mais en réalité avec la mission d'arrêter le curé et le vicaire, M. Gogué ; car déjà étaient commencées les persécutions accomplies au nom de la nation contre les prêtres réfractaires, c'est-à-dire restés fidèles à l'Église.
La nuit avait été choisie pour exécuter le projet. Prévenu au dernier moment, l'abbé Pronzat se réfugia en toute hâte dans un moulin, situé à peu de distance, et revêtit des habits de paysan,  tandis que la bande avinée livrait le presbytère au pillage et se répandait dans le village, cherchant le curé chez les habitants effrayés, accablés d'outrages  et de mauvais traitements. Au point du jour, le fugitif gagna la forêt de Princé. Il y resta caché plusieurs semaines, errant au plus épais des bois, passant les nuits, tantôt chez l'une de ses soeurs, dont l'habitation était située au milieu de ce pays solitaire, tantôt dans les fermes ou les maisons voisines.
Ce genre d'existence, si pénible et si précaire, qu'une incommodité rendait encore plus dangereuse, ne fit que l'affermir davantage dans son refus de prêter un serment à la faveur duquel il pouvait reprendre ses fonctions et jouir d'un peu de repos. Pressé de songer à sa conversation, il consentit enfin à céder aux instances de ses amis, et, à l'aide de son déguisement villageois, réussit à se rendre sans encombre à Nantes, chez son beau-frère.

Passer à l'étranger n'était pas chose facile. On parvint pourtant à obtenir un passeport, au nom du neveu de M. Pronzat, âgé de vingt ans, qui allait en Angleterre, accompagné d'un homme de confiance, afin d'étudier à fond la langue anglaise et le commerce.
L'oncle et le neveu partirent, munis de lettres de recommandation, destinées à aplanir les difficultés inévitables de la route et à leur faire obtenir un accueil favorable de l'autre côté du détroit. Le trajet s'effectua en chaise de poste et faillit être malheureusement interrompu à Rennes, où ils eurent les plus grandes peines à se procurer des chevaux. Arrivés à Saint-Malo, ils subirent une minutieuse visite, à laquelle M. Pronzat eut la chance de soustraire son bréviaire qu'il n'abandonnait jamais, et dont la découverte eût compromis sa vie en révélant son caractère. L'entremise d'un personnage influent leur procura une autorisation d'embarquement, et bientôt un navire de Guernesey les éloigna des côtes de France. A peine quittait-on le rivage que le saint prêtre, ouvrant son bréviaire, le récita joyeusement, savourant ainsi le bonheur de ne plus se cacher pour prier Dieu en liberté.

CROYDON


Après un court séjour à Guernesey, nos voyageurs visitèrent Portsmouth, puis Londres, et vinrent se fixer à quelques milles de la capitale, dans la petite ville de Croydon. L'anglais leur devint promptement familier, et M. Pronzat put s'adonner avec ardeur à l'exercice du saint ministère parmi les catholiques du voisinage. Les dimanches, il célébrait la messe au bourg de Mitcham, distant d'une lieue de Croydon, chez M. French, propriétaire d'une jolie maison, où les Français exilés étaient accueillis avec la plus parfaite cordialité. C'est là que le curé de Rouans passa paisiblement la première année de son exil, et sut, par sa piété et sa douceur, se concilier au plus haut degré non-seulement l'affection des catholiques, mais encore des protestants, dont plusieurs lui donnèrent la consolation de revenir à l'orthodoxie.

Mais les évènements politiques se succédaient en France avec une effrayante rapidité. Louis XVI avait porté sa tête sur l'échafaud ; la Terreur régnait dans toute sa violence. Ceux qui pouvaient échapper à la déportation ou à la mort, cherchaient un refuge à Londres. Les membres épouvantés du clergé de France y descendaient en foule. Groupés autour de leur évêque, les prêtres de chaque diocèse, sauvés miraculeusement pour la plupart, s'agenouillaient autour du premier pasteur, rendant grâces à Dieu de leur délivrance et consacrant par un acte religieux et solennel le premier pas sur la terre étrangère. Ce spectacle frappa le peuple anglais d'étonnement et de respect. Un comité s'établit à Londres pour subvenir aux plus pressants besoins de si nobles infortunes. Plusieurs membres du clergé, désignés par leurs confrères, devinrent les distributeurs de ces utiles secours. Dès l'origine, l'abbé Pronzat fit partie du conseil d'administration de l'oeuvre, qui allouait à chaque prêtre quatorze schellings par semaine, soit environ deux francs quarante centimes par jour, et subsista pendant plusieurs années.
Cependant, l'oncle et le neveu apprirent que les personnes de leur famille restées à Nantes ou dans les environs, étaient vivement poursuivies et traduites devant les tribunaux révolutionnaires, comme accusées de les entretenir à l'étranger. Ils résolurent donc de quitter le sol anglais. Le premier, vers la fin de 1794, prit passage sur un navire, venant en France, confondu avec l'équipage, dont il passait pour être le cuisinier, tandis que le second s'embarquait pour les États-Unis.

Caché à Nantes, mais ne pouvant y demeurer longtemps sans compromettre ses hôtes, M. Pronzat réussit à sortir de la ville et rejoindre, non sans péril, l'armée vendéenne, commandée par Charette. Alors, au milieu des vicissitudes de la guerre, il donna libre carrière à son inépuisable charité, pansant les blessés sans acceptation de parti, prodiguant indistinctement ses soins et les secours de la religion. A diverses reprises, le sort des armes le fit tomber aux mains des soldats de la République ; il dut son salut et sa liberté à sa réputation d'humanité et de bienfaisance, connue et appréciée dans les deux camps.

 

SAINT MARTIN DES NOYERS



Dans une de ces rencontres sa délivrance tint presque du prodige. Surpris à Saint-Martin-des-Noyers (Vendée), où, sur la foi d'un armistice, il exerçait le saint ministère, il vit tout à coup sa chambre envahie par des soldats chargés de l'arrêter. Un violent accès de fièvre le clouait au lit. Tandis que Simon, son ancien et fidèle jardinier, venu plein d'empressement servir son maître, cherche à occuper les soldats, sûrs de leur prisonnier, en les faisant boire outre mesure, l'abbé Pronzat se lève en sueur, tout tremblant, dissimule ses mouvements et parvient à s'évader par une porte qui, de l'alcôve, communiquait avec l'église. La neige en ce moment couvrait la terre ; il fuit à travers champs, nu pieds, à peine vêtu, et sa santé n'éprouve aucun accident fâcheux d'une aussi rude secousse.
Afin de le soustraire aux continuelles recherches dont il était l'objet, les paysans construisirent dans cette même partie de la Vendée, avec des débris et des branchages, une hutte, située au milieu des bois touffus et des halliers, sous laquelle il vécut avec son dévoué domestique, nourri par ses modestes protecteurs. Entouré de dangers sans cesse renaissants, sa gaieté naturelle ne lui faisait jamais défaut, et si le hasard lui fournissait l'occasion d'envoyer des nouvelles à sa famille alarmée, il signait : Jean des Bois, allusion à son séjour habituel.

Quand, après la lutte opiniâtre des Bretons-Vendéens, les esprits fatigués semblèrent aspirer vers un peu d'ordre et de repos ; quand le régime de la Terreur, s'adoucissant, pour ainsi dire, malgré lui, fit place à des mesures plus pacifiques, le clergé catholique des provinces de l'Ouest reprit en silence l'exercice de ses travaux, si longtemps interrompus. Devant le retour marqué de l'opinion populaire, les agents du pouvoir fermèrent les yeux sur le rétablissement du culte dans les oratoires particuliers et dans les églises de la campagne.
L'ambitieux génie du premier consul saisit habilement ce nouveau moyen de popularité, et la religion entra promptement dans la voie de son rétablissement. M. l'abbé Pronzat n'avait pas attendu cet instant pour revenir à son ancienne paroisse. Dès qu'il en avait entrevu la possibilité, il s'était rendu à Rouans, au sein d'une population amie, ardemment désireuse de le revoir. Ne pouvant habiter le presbytère, dévasté et sans toiture, une chaumière étroite et délabrée, joignant l'église, devint son refuge. Son zèle, aidé du concours empressé des paroissiens, lui procura les moyens de restaurer les autels.

Dans un état voisin de l'indigence, le digne curé ne regrettait nullement l'élégance et le confortable de la première demeure créée par ses soins, et dans laquelle il avait passé jadis des jours heureux, en compagnie de parents et d'amis, la plupart disparus. La satisfaction qu'il paraissait éprouver semblait annoncer, au contraire, que cette pauvreté évangélique, cet isolement, cette vie plus que modeste, convenaient mieux à ses goûts simple et mortifiés. Sous l'humble toit de chaume, le savant, l'homme du monde, l'agréable causeur, le vrai chrétien, paraissait au-dessus des coups de l'adversité. Les pauvres seuls n'avaient rien perdu, car toujours il savait, pour les soulager, trouver des ressources inattendues.
Son unique ambition était de rester parmi ses chers villageois, villageois lui-même et pauvre comme eux. Mais la Révolution avait creusé de grands vides dans le clergé diocésain, et les qualités précieuses de l'abbé Pronzat le désignaient pour une mission plus importante. Sur l'ordre de Mgr Duvoisin, il se vit obligé de quitter à regret sa paroisse bien-aimée pour celle de Paimboeuf, chef-lieu de sous-préfecture, à laquelle il fut nommé le 26 janvier 1803.

 

église de Paimboeuf



Le nouveau troupeau confié à ses soins avait besoin d'un pasteur aussi éclairé. Les esprits fermentaient encore. Parmi quelques fidèles appelant de tous leurs voeux le rétablissement du culte, se trouvaient des adversaires nombreux de l'ordre et de la religion, de ces hommes qu'on rencontre partout à la suite des troubles et des bouleversements sociaux, et alors plus particulièrement réfugiés dans une population formée en partie d'étrangers et de marins de toutes nations, se ressentant de la licence des moeurs de l'époque.
Les plaies ouvertes par la Révolution n'étant pas cicatrisées, les partis, nés de la différence d'opinions politiques, du schisme et de l'intrusion, se trouvaient encore en présence. Le jour de l'installation de M. Pronzat, une femme de la lie du peuple l'invectiva de la façon la plus grossière, et s'emporta même, dit-on, jusqu'à le frapper. Le digne prêtre reçut ces injures sans s'émouvoir, et opposa une patience inaltérable aux violences dirigées contre sa personne. Au reste, la mort imprévue et soudaine de celle qui avait ainsi abjuré toute retenue, dépouillé toute honte, arrivée peu après cette scène d'emportement, frappa de crainte les esprits les plus prévenus, et fit taire tout à coup une opposition aussi malveillante que peu méritée.

Le curé assermenté résidait encore à Paimboeuf. Aidé de ses partisans, qui n'étaient ni les moins turbulents, ni les moins audacieux, il disputa le terrain avec une opiniâtreté soutenue. Une autre faction mettait également en avant ses exigences : elle demandait, au lieu de M. Pronzat, le retour de M. de la Ville, ancien curé, que l'autorité diocésaine avait chargé de la cure de Clisson ; respectable ecclésiastique dont le nom, bien malgré lui, servait de prétexte aux mécontents.
Malgré tant d'obstacles, le nouveau pasteur, animé du désir d'assurer l'exécution des ordres de ses supérieurs, eut bientôt gagné l'estime et mérité le respect de tous ses paroissiens. Son irrésistible vertu acheva de lui soumettre cette population cosmopolite, et dès lors commencèrent pour Paimboeuf les années heureuses d'une administration pastorale dont cette ville ne perdra jamais la mémoire.

Les sous-préfets, comme les maires, qui successivement eurent en main la direction des affaires, marchèrent toujours d'accord avec le sage curé, dont parfois ils sollicitaient le conseil. Sa réputation s'étendait au loin. Deux ans à peine s'étaient écoulés depuis son arrivée, lorsque le gouvernement lui proposa un siège épiscopal. Mais sa modestie lui fit immédiatement décliner un tel honneur ; et ce doit être un glorieux souvenir pour l'église de Paimboeuf qu'une semblable preuve d'attachement donnée par un tel pasteur. Aussi, Mgr Duvoisin, juste appréciateur du mérite, le nomma-t-il vicaire général honoraire, le 6 septembre 1805.
Ces pouvoirs, dans un temps où les communications étaient difficiles et si lentes qu'il fallait presque une journée, passée dans une barge incommode, pour descendre de Nantes à Paimboeuf, le mettaient à même d'aider ses confrères et de leur rendre beaucoup de services. Il devint donc le conseiller naturel des prêtres de la contrée, déjà tous ses amis, heureux d'écouter ses avis et de suivre son excellente direction.

En 1819, Mgr d'Andigné appela l'abbé Pronzat à faire partie du chapitre de la cathédrale comme chanoine honoraire, restituant à ses vieux jours une dignité qu'il avait abandonnée presqu'au début de sa carrière, pour exercer activement le saint ministère.

Paimboeuf lui est redevable de plusieurs institutions pieuses et utiles. Il contribua puissamment à l'érection du beau calvaire qui domine la ville ainsi que la rade, et sert à diriger les navigateurs. Une école de charité pour les jeunes filles pauvres lui doit sa fondation. Mais, par dessus tout, il chercha à développer la piété et la religion, et ses succès furent d'autant plus satisfaisants qu'il y avait plus à faire. Nombre d'ecclésiastiques, de soeurs de la Sagesse, de soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, sont sortis de cette population maritime.
Sa charité inépuisable savait prendre toutes les formes pour distribuer ses aumônes parmi les nombreux indigents, qui, à des heures accoutumées, assiégeaient le presbytère. Souvent il ne fallait rien moins que le respect et la reconnaissance pour contenir les exigences impérieuses des gens rassemblés en foule autour de lui, toujours trop disposés à considérer comme un droit acquis les dons de la bienfaisance.

Doué d'une complexion assez robuste, M. Pronzat éprouva dans sa vieillesse plusieurs infirmités douloureuses qui, sans l'empêcher de remplir ses fonctions, l'obligeaient parfois à les suspendre. Son zèle, cependant, semblait s'accroître à mesure que ses forces diminuaient. Les soins multipliés de sa paroisse le trouvaient toujours prêt, malgré ses vives souffrances, qui n'avaient pas altéré son air habituel de santé, lorsque, dans le cours d'une mission donnée en 1824, par les missionnaires de Saint-François, - aujourd'hui de l'Immaculée-Conception, - il se sentit tout à coup arrêté par la maladie. L'alarme gagna bientôt la ville et les campagnes. La porte de la cure était heurtée à chaque instant par une foule avide de connaître ce qu'il y avait à espérer pour la conservation d'une existence si précieuse. De son lit de douleur, le mourant députait vers elle son neveu, qui, après avoir prononcé quelques paroles de consolation, remontait près de son oncle chargé des voeux les plus ardents formulés par les visiteurs désolés. Au moment de paraître devant le souverain juge, il ressentit un instant cette crainte qui, à l'heure suprême de la mort, saisit le juste lui-même. "Espérez, disait son neveu, que vos bonnes oeuvres plaideront éloquemment votre cause devant Dieu." - "Le penses-tu, mon fils ?" demanda-t-il une dernière fois, et, sur l'assurance réitérée de cette consolante assistance, son âme montait jouir des célestes récompenses dues à ses travaux et à ses vertus.

Il serait difficile de peindre la douleur des habitants de Paimboeuf, à la nouvelle de cette mort qui, quoique prévue, retentit comme un coup de foudre dans le pays de Retz. Un concours immense suivit les funérailles ; chacun voulait contempler, une fois encore, le prêtre vénérable dont la vie avait été un long acte de charité. Un étranger, voyant dans la bière les traits nobles et calmes du pieux ministre des autels, laissa tomber de ses lèvres ce touchant témoignage, appréciation vraie d'un si beau caractère : "Quand les regrets de tout ce peuple ne me diraient pas que l'homme qu'il pleure était un homme de bien, je l'aurais reconnu à son seul aspect."

L'année suivante, Mgr de Guérines accomplissait à Paimboeuf sa tournée pastorale. Sa grandeur se rendit au cimetière et remarqua plusieurs tombes. L'une d'elles touchait les marches de la croix ; Mgr demanda le nom du défunt. L'assistance était nombreuse ; des gémissements et des sanglots révélèrent à l'éminent évêque que là reposaient les restes d'un de ses dignes collaborateurs, dont pouvait s'honorer le diocèse.

Ce modeste tombeau tire son plus bel ornement de celui dont il renferme la dépouille mortelle. Sur la pierre qui le recouvre, avec la date du décès, "11 septembre 1824", sont gravés les noms de M. Pronzat, et ces simples paroles de l'Ecclésiaste :

DILECTUS DEO ET HOMINIBUS ;

réminiscence du verset : Et placebut tam Deo quam hominibus, que l'abbé Dandé avait pris pour texte de l'oraison funèbre qu'il avait prononcée à Paimboeuf, au service anniversaire, le 11 septembre 1825.

Citons, pour terminer, un littérateur dont les travaux et le nom sont fort connus dans les départements de l'Ouest. En écrivant la notice de sa ville natale, destinée à figurer dans le bel ouvrage intitulé : Nantes et la Loire-Inférieure, par H. Charpentier, 1850, Pitre Chevalier s'exprime ainsi à l'égard de M. Pronzat : "Il fut jusqu'à sa mort le pasteur, le père, le médecin de son troupeau. Deux générations de pauvres ont écrit son panégyrique avec leurs larmes, et le plus bel éloge qu'on puisse faire de son successeur, M. l'abbé Aupiais, c'est que la paroisse entière le réclama pour remplacer celui qui est vénéré comme un saint."

S. DE LA NICOLLIERE-TEIJEIRO
Revue de Bretagne et de Vendée
1869 (A13, SER3, T6)

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