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La Maraîchine Normande
30 décembre 2013

LE MARTYRE D'UN PEUPLE OU INTERNEMENT DES BASQUES SOUS LA TERREUR

LE MARTYRE D'UN PEUPLE
OU INTERNEMENT DES BASQUES
SOUS LA TERREUR

Par L'ABBÉ P. HARISTOY
Curé de Ciboure

Le Martyr d'un peuple (basque)


L'INTERNEMENT DES BASQUES DE SARE ET DU LABOURD

Prélude de l'infâme arrêté du 13 ventôse an II (3 mars 1794)

Nous commençons par la séance du Conseil général de la commune de Chauvin-Dragon (St-Jean-de-Luz), du comité de surveillance et des commissaires de la société révolutionnaire, à la date du 4 frimaire an II (25 novembre 1793). Voici ce que l'on y dit :
"L'assemblée, considérant que la commune de Sare a constamment manifesté la haine la plus marquée contre la Révolution, que cette commune n'est habitée que par des aristocrates, qu'étant ouverte de tous les côtés, ses habitants et tous les traîtres qui s'y réfugient, communiquent et avec la République et avec ses ennemis ; qu'il est constant par tous les rapports des déserteurs que tous les espions des satellites du despote espagnol passent presque tous par Sare et que c'est de là qu'ils reçoivent tous les avis ; que l'incivisme des habitants de cette commune doit lui attirer l'animadversion de tous les patriotes et la vengeance républicaine, qu'il est dangereux de laisser dans ses environs des individus aussi corrompus et qui par la connaissance des localités pourraient encore entretenir leurs criminelles liaisons avec l'Espagne ;
Considérant, que quoique ce soit par la commune de Sare que s'entretient la plus grande partie de l'espionnage des espagnols, il est encore quelques autres points de la République par où les traîtres à la Patrie peuvent communiquer avec les valets de l'Inquisition ;
...
Arrête, que les Représentants du peuple, près l'armée des Pyrénées-Occidentales, seront invités à faire effectuer dans le plus court délai possible l'évacuation totale de la commune de Sare, en envoyant les laboureurs dans les départements du Lot et de Lot-et-Garonne, les marins et les charpentiers sur les vaisseaux et dans les chantiers de la République, les artisans dans les communes d'Auch et Condom, à déposer les vieillards et les infirmes des deux sexes ainsi que les enfants hors d'état de travailler dans les maisons nationales de quelques départements éloignés, faire vendre les grains de la commune de Sare à celle de Chauvin-Dragon, les foins et pailles aux fonctionnaires des armées de la République, les bestiaux dans les foires et marchés voisins, pour le produit en être déposé entre les mains du receveur du district ou du receveur des droits de l'enregistrement de Chauvin-Dragon, à prendre sur ce produit les frais de voyage de tous ceux qui seront envoyés, à raison de six sous par lieue pour chacun et les frais d'entretien des vieillards, infirmes et enfants qui seront déposés dans les maisons nationales, de faire séquestrer dans les églises des communes environnantes les meubles et outils aratoires qui ne pourront pas être emportés, distraction préalablement faite des meubles qui pourront servir à loger dans cette commune les défenseurs de la Patrie qui y seront envoyés, enfin à faire tracer et former par les généraux un cordon de troupes depuis Louhossoa et Itsassou par Espelette, Ainhoa, St Pée, Sare, Ascain et Urrugne jusqu'au camp des Sans-Culottes à Hendaye, au-delà duquel il ne serait permis à personne de rester ni dépasser sous peine d'être fusillé. De tout quoi a été fait acte pour être envoyé aux citoyens représentants du peuple.
Ont signé : Pagès, maire, Pre Diharce, procureur de la commune, Geliguy, Daguerre, Betry-Laxalde, Et. St-Martin, Fonrouge et d'Etchevers, officiers municipaux ; Pre Laxalde, Dautezat, Halsouet, Bertrand Noguès, membres du conseil ; Dhiriart, Martin Pagès, Larrouy, Villeneuve, Olagaray, Dumas, Bouchaud, Bernard Pagès, Martin Sarouble, membres du comité de surveillance ; Bachelet (?), Paloque, Paquier, Larralde, Puchu, Jourdain, J.-B. Larreguy et Michel Harismendy, commissaires de la Société populaire" (1). C'est, on le voit, tout un programme, approuvé par les représentants Pinet et Cavaignac, le 13 ventôse suivant (3 mars 1794). Le 1er article de leur arrêté, qui devait faire verser des torrents de larmes, portait : "Les habitants des communes infâmes de Sare, d'Itsassou, d'Ascain, seront enlevés de leurs domiciles et conduits dans les départements intérieurs à une distance au moins de 20 lieues des frontières. Art. II. Les habitants des communes d'Espelette, d'Ainhoa et de Souraide, sur le compte desquels il sera élevé ou s'élèvera le plus léger soupçon de haine pour la Révolution ou d'amour pour les Espagnols seront avec leurs familles soumis à la même peine ..."

Causes et prétextes de l'internat

On a dit et écrit que la désertion de 47 volontaires basques de la commune d'Itsassou avait motivé l'arrêté du 13 ventôse. Rien n'est moins vrai, puisque cette désertion eut lieu dans la nuit du 1er au 2 ventôse an II (19 au 20 février 1794) (2), date postérieure à la délibération de la municipalité luzienne.

 

SARE



Qu'avaient donc fait Sare et les autres communes comprises dans l'horrible arrêté du 13 ventôse ? Leur tort fut d'être religieuses, royalistes, d'être voisines de l'Espagne (3). Sare fut érigé en chef-lieu de canton des communes d'Ainhoa et d'Ascain. L'assemblée du canton convoquée à Sare, le 19 juin 1791, pour la formation des électeurs des députés à la Législative ne réunit que 61 votants : Crime ! Sare refusa d'accepter un curé apostat : Crime ! Le 30 avril 1793, les espagnols enlevèrent le camp établi à Sare en face de Zugaramundy : Crime ! La guerre continua sur cette frontière avec des succès divers : Crime ! Mais laissons M. le capitaine Duvoisin exposer les reproches adressés aux habitants de Sare. Ces reproches, il les a tirés des minutes de diverses pétitions écrites par les particuliers, et pour la commune, par Haramboure, ancien syndic général du Labourd, natif de Sare. "Sare, écrit Duvoisin, étant une commune voisine de la frontière, cette position lui devint un crime, à cause des rapports qui devaient exister plus ou moins entre les paysans des côtés de cette frontière. Le 1er mai 1793, les Espagnols entrèrent en force et surprirent un poste avancé français qu'ils massacrèrent dans la gorge d'Ibanteli. Nos troupes furent repoussées sur St-Pée. Les ennemis de Sare profitèrent de l'occasion de cet accident de guerre pour reprocher aux habitants de Sare de ne s'être pas soulevés en masse et de n'avoir pas pris les armes qu'ils avaient demandées et qu'on leur avait refusées ; et afin de fortifier cette accusation, on répandait des bruits de trahison et d'intelligence avec l'ennemi. Ces faits consignés dans une pétition rédigée au nom de la commune, sont en face des preuves de patriotisme données par les habitants : 250 jeunes gens combattant sur terre et sur mer, les immenses fournitures faites gratuitement à l'armée, les grands travaux exécutés pour établir, fortifier ses camps etc. Quelle commune pouvait présenter un pareil état de services ?"
Devant ces actes incessants de dévouement, la calomnie se tut un moment ; elle se releva plus violente que jamais, au moment où la désertion de la compagnie d'Itsassou souleva l'indignation de tous et fortifia les soupçons conçus contre les habitants de la frontière dans l'esprit des représentants Pinet et Cavaignac. Daguerressar et ses associés en terrorisme exploitèrent la colère de Pinet, qui, plus encore que son collègue, est resté dans la mémoire des habitants de Bayonne et du pays comme le type du tigre à face humaine. La pétition représente ces deux hommes comme "forts de leurs passions, de la terreur qu'ils inspiraient, dépourvus de la liberté d'être justes, s'attribuant le droit de vie et de mort, et incapables de s'imaginer que leurs arrêts pussent être sujets à une contradiction quelconque, inattaquables eux-mêmes sur le sommet où ils étaient placés".

Voici comment un officier français, qui s'est trouvé en cantonnement à Sare en 1847 rend compte, de son côté, des maux que les habitants eurent à souffrir durant la période révolutionnaire, plus encore des agents du gouvernement français que de la part de l'ennemi.
"C'est pendant toutes ces guerres, c'est lorsque les habitants de Sare voyaient chaque jour leur pays saccagé, pillé, ruiné, leurs maisons brûlées ou détruites et ne cessaient néanmoins de se dévouer pour le bien public, soit en aidant nos troupes dans leurs travaux, soit en les guidant dans les montagnes à travers mille dangers, soit enfin, marchant à la tête des reconnaissances chargées de juger de la position de l'ennemi, de voir la marche de ses travaux et de s'assurer du nombre de ses troupes, reconnaissances qu'ils étaient quelquefois chargés de faire seuls, et d'en rendre compte aux représentants du peuple et aux généraux ; c'est pendant qu'ils s'exposaient à ces mille périls, que quelques infâmes haut placés alors, pleins d'envie et de convoitise, rappelant quelques vieilles haines particulières qui semblaient être éteintes depuis longtemps et qu'ils cachaient sous le masque d'opinions de partis, juraient et accomplissaient la perte du pays" (4).
Ici l'auteur raconte une anecdote : Deux séides de la Terreur se trouvant sur une hauteur de Sare, l'un pour encourager son digne compagnon, dit : "Encore un peu d'audace et il n'en restera plus ! et puis, tout cela nous appartiendra à toi et à moi". Ensuite l'auteur reprend :
"La cause première, ou plutôt le premier prétexte de tous les maux qu'on fit fondre sur cette malheureuse commune fut l'installation du curé Duronea, prêtre assermenté. Les habitants, fidèles à leurs anciens principes, ne voyant dans les prêtres assermentés que des renégats, pleuraient sur leur religion perdue. D'ailleurs ils connaissaient déjà le curé Duronea et ne pouvaient pas voir dans un jeune étourdi les garanties nécessaires pour remplir le divin sacerdoce. Ils s'opposèrent donc à sa nomination. Mais le curé Duronea avait un frère commissaire au district d'Ustaritz et il fut élu.
Les habitants continuèrent à protester et refusèrent de le recevoir. Ce fut alors que le commissaire partit d'Ustaritz à la tête d'un détachement de troupes et vint procéder à l'installation par la force ; et pour punir les habitants de leur rébellion, il laissa les troupes en garnison logées et nourries aux frais des habitants.
Après cet acte de violence arbitraire, on voulut encore en commettre un plus grand en forçant les habitants à aller à l'église qui restait déserte. Comme on ne réunissait qu'imparfaitement, et qu'on savait qu'il y avait des personnes qui allaient entendre la messe sur le territoire espagnol, on ordonna, sous prétexte qu'il y avait des espions, que les habitants de la commune de Sare seraient passés en revue, et ce fut un déserteur espagnol qui fut chargé de cette mission.
"Tous les habitants furent placés sur un rang et le déserteur passa devant et derrière : sur un signe qui lui était fait, il signalait les personnes désignées d'avance et dont quelques-unes ne furent signalées qu'en passant par derrière. Les signes ayant été probablement mal compris, il y en eut une de St-Pée qui fut renvoyée ; son innocence, disait-on, avait été reconnue.
Le nombre de personnes ainsi arrêtées fut de onze, ce fut la première série ; d'autres ne devaient pas tarder et comprendre tous les habitants de la commune. En vain on protesta contre ces infâmes arrestations. La municipalité adressa de vives réclamations aux représentants du peuple, mais rien ne fut écouté". Le signal était donné. Il n'y avait qu'à continuer.

Arrêté du 4 ventôse, an II (22 février 1794) des représentants Pinet et de Cavaignac.

"Cet arrêté provoqué par la déplorable désertion des 47 soldats de la commune d'Itsassou était écrit en termes d'une violence extraordinaire et ordonnait la poursuite des parents et le séquestre de leurs biens. Quoique les habitants de Sare ne fussent pour rien dans cette affaire, ils furent pourtant compris dans le terrible arrêté des mêmes représentants qui parut quelques jours après, le 13 ventôse, an II (3 mars 1794)".

 

signature Cavaignac et Pinet



Nous avons donné les deux premiers articles de cet arrêté, un des plus terribles qui ait jamais paru. Il déclarait infâmes les communes de Sare, d'Itsassou et d'Ascain, condamnait tous les habitants, ainsi que ceux d'Espelette, d'Ainhoa, de Souraide sur lesquels s'élèverait le plus léger soupçon d'attachement aux Espagnols, à un internat à 20 lieues pour le moins de la frontière, il mettait leurs biens sous le séquestre ... nommait une commission extraordinaire pour juger les délits contre-révolutionnaires. L'arrêté n'annonçait aucun fait précis, aucun délit caractérisé, et livrait tout à la merci de l'agent national du district d'Ustaritz. Et Dieu sait si ce dernier, avec ses dignes collègues, usa et abusa de son autorité !

Une des pétitions des habitants de Sare, que nous avons sous les yeux, s'exprime ainsi : "C'était à la diligence de l'agent national d'Ustaritz et par conséquent sous sa responsabilité que cette opération devait être faite suivant l'article III de l'arrêté ... Il ne fallait que procéder à un inventaire exact et légal et nommer des séquestres propres et solvables ... Les biens meubles et immeubles des habitants de Sare n'ont été ni constatés, ni légalement décrits ; tous nos meubles et effets mobiliers ont été enlevés et portés confusément dans des communes voisines au lieu de les déposer dans des lieux sûrs ; on en a vendu une partie aux enchères. C'est ainsi qu'on nous a volé plus de 10.000 têtes de bétail, une quantité immense de linge, tous les ameublements de nos maisons ... Hélas, les infâmes agents de la tyrannie auraient été peut-être moins inhumains, s'ils avaient été moins avides, et ils n'auraient pas tant désiré notre mort, s'ils n'avaient espéré de s'emparer de nos biens. Reynon parlant dans sa Première Phase (organisation de la Terreur) de la déportation en masse des habitants de Sare et d'Ascain, écrit : "Plus de 150 charrettes attelées de boeufs transportaient les familles avec leurs meubles".
"On ne pouvait les plaindre, on ne pouvait rien dire
De leur malheureux sort, ni plaindre leur martyre,
Sans exposer sa tête au glaive destructeur".

Exécution de l'arrêté ; marche, dispersion, détention, décès des internés.

Sans nous arrêter à établir les responsabilités des instigateurs, des auteurs et des exécuteurs de l'arrêté du 13 ventôse, ni à compter les fugitifs que sa menace même fit exiler en Espagne, ni enfin à décrire les scènes navrantes auxquelles son exécution donna lieu au sein des familles, continuons à raconter simplement les faits.
Dès que l'affreux arrêté est lancé, Daguerressar, Hiriart, Monduteguy et Doyhambehère (5), entourés d'une nombreuse escorte, s'abattent sur Sare ; tous les habitants, hommes, femmes, vieillards, enfants - la population était alors de 2.400 âmes - sont entassés dans l'église et y passent la nuit. Cependant les agents de la Terreur répandent partout les bruits les plus infâmes pour soulever le peuple des communes voisines contre les gens de Sare ; ils auraient voulu susciter une émeute dans laquelle ils auraient porté les premiers coups et provoqué un massacre. C'est pourquoi, au lieu de les conduire directement à Bayonne, on les amène le lendemain après-midi à St-Pée, où ils sont enfermés dans l'église. (On les avait menacés d'être fusillés, on ne put provoquer que des insultes). Le second jour à onze heures, on les pousse sur St-Jean-de-Luz où ils sont accueillis par des cris hostiles. (Leurs gardiens leur promettaient une noyade générale). On les fait tourner sur Ciboure, ils y demeurent deux nuits et un jour, entassés dans l'église et le sous-sol d'une maison (6), assourdis par les vociférations de la canaille, sous le poids de la terreur, accablés d'insomnie et exténués par la faim. Le 17, à midi, la triste procession défile sur St-Jean-de-Luz ; les ennemis de ces pauvres gens ne provoquent encore que des insultes à l'adresse des malheureux qui arrivent à Bayonne, la mort peinte sur le visage.

Outre les internés de Sare, il y en avait beaucoup d'autres appartenant aux communes d'Ascain, de Serres (section d'Ascain et de St-Jean-de-Luz), de Biriatou, d'Itsassou, de Cambo, d'Espelette, d'Ainhoa, de Souraide, de Larressore, de Macaye, de Mendionde et de Louhoussoa. Avant leur répartition dans les communes des Landes, ils furent détenus dans les églises de St-Jean-de-Luz, d'Anglet, de Biarritz, d'Arcangues, d'Arbonne, de Villefranque, d'Ustaritz, d'Urt, de St-Esprit, de la Grande-Redoute (St-Etienne), etc. Les communes des Landes où on les interna sont : Dax, Saubion, Thil, St-Geours, St-Lon, St-André, Soustons, Saint-Vincent de Tyrosse, Saint-Pandelon, Ondres, Saint-Etienne d'Orthez, Capbrutus (Capbreton), etc.
L'auteur de la pétition de sare, que nous avons résumée dans le paragraphe précédent, nous fournit encore les détails suivants : On divisa les internés par groupes sans égard pour les liens du sang ; le mari séparé de sa femme, la fille de sa mère, au milieu d'une angoisse poignante, se dirent d'éternels adieux, qui arrachèrent des larmes à ceux qui en étaient témoins. La séparation fut en effet éternelle pour beaucoup d'entre eux qui ne purent supporter leurs misères et leurs douleurs dans les lieux d'exil où ils furent disséminés. Ces malheureux Basques avaient été amenés avec les seuls effets qu'ils portaient au moment où ils furent surpris ; plusieurs étaient sans chaussures, aucun n'avait du linge ; sur les routes, les infirmes et les vieillards (on en avait amené qui étaient aveugles), étaient traînés dans des charrettes ; des femmes accouchèrent sur ces charrettes, ou pendant la nuit, sur la pierre nue dans les églises ; on les y parquait tous pêle-mêle sans secours d'aucune sorte (7), dispersés dans les Landes et dans les départements voisins, au milieu d'une population dont ils ne comprenaient pas la langue ; ne recevant qu'une nourriture insuffisante et distribuée d'une manière irrégulière ; le chagrin, la faim, la maladie diminuaient sans cesse leur nombre (8). Les jeunes filles étaient exposées à tous les outrages. Il y en eut qui acceptèrent de leurs gardiens un pain qu'elles portèrent en pleurant à leurs mères mourantes : c'était le prix de leur honneur ; mais ce fut là une faible exception ; la plupart se laissèrent plutôt mourir. Des enfants couraient errant de commune en commune, à la recherche de leurs parents, visitant les églises, les prisons des déportés ; leur douleur était navrante, quand ils ne trouvaient plus qu'un tombeau, car la mort faisait chaque jour des victimes.

La Société populaire de Bayonne dénonça, le 1er janvier 1795, à la Convention, la conduite de Pinet et de Cavaignac, et les accusa, entre autres faits, d'avoir dépeuplé des villages entiers du pays basque et d'avoir par cette déportation (arrêté du 3 mars 1793) causé la mort de 1.600 individus (9). Et toutes ces horreurs se passaient pendant que 250 jeunes gens de Sare, - on pourrait en dire autant de ceux des autres paroisses - combattaient glorieusement, les uns dans le golfe de Gascogne, et les autres dans l'armée qui soumettait une partie de l'Espagne. Par une mesure étrange, ils furent requis pour conduire en triomphe la femme de Pinet, d'Urrugne dans le pays conquis. Les populations témoins des souffrances de nos compatriotes n'y restèrent pas insensibles. "Et, dit une des pétitions résumées ici, la reconnaissance nous ordonne d'attester que nous sommes redevables à leur pitié de ce que ces fléaux n'ont pas creusé le tombeau de nous tous." Le capitaine Duvoisin à qui nous empruntons ces renseignements, conclut en écrivant : "Tous ces détails rappellent involontairement la désolation de la Judée, quand Nabuchodonosor fit transporter les Juifs en Chaldée".

Nous devons de nouveaux détails à un habile et érudit chercheur, M. l'abbé Gabarra, curé de Capbreton. Nous résumons ceux qu'il a bien voulu nous donner sur les internés basques de sa paroisse (ab uno disce omnes). Le directoire du district d'Ustaritz informa en ces termes les commissaires administrateurs du directoire des Basses-Pyrénées, des Hautes-Pyrénées, du Gers, du Lot-et-Garonne et des Landes, de l'exécution du terrible arrêté. "Nous vous prévenons qu'en exécution de l'arrêté des représentants du peuple Pinet et Cavaignac, nous avons procédé à l'arrestation des détenus basques. Sur 1.208, il vous en revient, etc."
Par arrêt du 24 ventôse an II, les représentants du peuple réglèrent que la ci-devant église de Capbreton serait convertie en prison et que dans la huitaine elle serait prête à recevoir les habitants de Sare, d'Itsassou et d'Ascain, mis en état d'arrestation. En conséquence, le mobilier ou du moins la grande partie, qui était encore à l'église, après inventaire de tous les biens meubles et immeubles, fut mis sous clef dans la maison appelée de Cazaubon
La prison étant prête, "les infâmes basques", au nombre de 229, accusés d'avoir voulu tromper la république, mais en réalité coupables de n'avoir pas voulu trahir la foi chrétienne, la religion de leurs pères, arrivèrent au lieu de leur détention le 2 germinal. Ils étaient escortés, comme des bandits, par des gendarmes. Parmi ces malheureux, on voyait des vieillards octogénaires et des enfants. (10)

 

CAPBRETON 1850



Une lettre en date du 2 germinal adressée par Lapouple, maire, et Lanneluc, officier municipal de Capbreton, au général Laroche, révèle la misère et les traitements qui les attendaient. "Nous te rendons compte, disaient-ils, que le citoyen Ville, lieutenant de la gendarmerie, nous a remis ce jour 229 reclus, que tu nous as envoyés pour être enfermés dans la cy-devant église de cette commune, aujourd'hui le temple de la Raison. N'ayant pas reçu d'arrêté qui fixe sur les vivres que nous devons leur donner et sur la manière que nous devons les traiter, nous te prions de nous tracer la conduite que nous devons tenir, et de nous répondre aux articles suivants : 1° Combien de pain à donner à chaque homme (nous n'avons pas de pain ici, ce n'est que de la méture) ? 2° Pouvons-nous consentir à ce qu'ils s'achètent du vin ou autres provisions ? ; 3° Nous t'observons que nous n'avons point de viande ; 4° Pouvons-nous leur permettre d'avoir de la lumière, la nuit, dans un fanal ? ; 5° Pouvons-nous permettre qu'ils aient leurs matelas ou paillasses ? Nous leur avons fait porter de la paille pour coucher ; 6° Pouvons-nous permettre qu'ils sortent deux à deux pour laver le linge ? ; 7° S'il y a des malades, sommes-nous autorisés à les faire sortir de la maison de réclusion pour les traduire dans d'autres pour les faire traiter ?
"La municipalité a arrêté que les tuiles qui doivent leur servir de latrine seraient vidées par les reclus, qui ne pourraient sortir que deux  à la fois et qui seraient accompagnés de trois fusilliers. Nous te prévenons que nous avons, de concert avec l'inspecteur particulier des vigies, fait la consigne au corps-de-garde que nous faisons passer. Salut et fraternité".

Ainsi, ni pain, ni viande, un peu de paille, la nuit pas de lumière ! Quand ces malheureux sortent un instant, et deux par deux, trois hommes armés pour les garder ! Voilà la situation faite, au nom de la fraternité républicaine, à ces paisibles habitants de nos campagnes !
Nous ne connaissons pas la réponse du général Larroche. Elle ne dut rien changer à la situation des reclus. Aussi, bien vite, la maladie et la misère firent-elles de nombreuses victimes. Le citoyen Bertrand Lafon, officier de santé, était chargé de distribuer les "médicaments". Huit jours étaient à peine écoulés qu'il eut à constater le décès d'un vieillard de 84 ans, Pierre Apesteguy, "époux de Vve Marie Harriaga, d'Itsassou". Ce vieillard, dont la vie ne devait pas être un danger pour la République, s'éteignit dans la nuit, au milieu de ses compagnons, vers 2 heures du matin, le 11 germinal. - Le 18, c'était le tour d'un rentier de Cambo, Salvat Diharce, âgé de 71 ans : il avait épousé la citoyenne Haïtse. Deux de ses frères, Jean-Baptiste et Jean étaient prisonniers avec lui : il dut mourir entre leurs bras, ils signèrent du moins de leurs noms sur les registres de la municipalité en déclarant son décès. - La nuit du 23 germinal, moururent Jean Finonde, duranguier (lanificier) de Sare, âgé de 77 ans, et Pierre Lapits, laboureur d'Ainhoa, âgé de 66 ans. Celui-ci avait été arrêté avec son fils Martin et son gendre, Martin Ostha, duranguier.

Cependant les subsistances envoyées pour nourrir les détenus étaient près de s'épuiser. "Nous sommes bientôt à bout de la 1re réquisition", écrivait le 26 germinal, l'agent municipal de la commune à l'agent municipal du directoire du district de Dax ; il le priait de fournir le plus tôt possible à leur subsistance par une "nouvelle réquisition", établie sur les communes voisines. Hélas ! le pain et la méture même devaient leur manquer souvent. Aussi, la mort faisait-elle de nouvelles victimes. - Dans la nuit du 30 germinal, mourut un laboureur d'Itsassou, Pre Berrouet, âgé de 65 ans. Le 4 floréal, les officiers municipaux visitant la maison de réclusion constataient la mort de Salvat Monduteguy, tailleur d'habits d'Ainhoa, décédé la veille, à l'âge aussi de 65 ans. - Le 6 prairial, le pain manquait de nouveau. Les citoyens Fatsecau (?), agent municipal, et deux membres du comité de subsistance constatent que "les grains, requis dans les communes environnantes pour la nourriture des Basques, étaient presque terminés et consommés" et ils réclamèrent "90 quintaux de maïs" que les habitants de la commune de St-Geours devaient fournir au pris du maximum et ce, sous peine, en cas de refus, d'être déclarés suspects. Le grain arriva-t-il ? Je l'ignore. Ce qu'il y a de certain, c'est que le représentant du peuple Monestier (de la Lozère) porta, le 5 prairial, un arrêté d'après lequel (art. IV) "dans toutes les communes où il y avait un temple il devait être dédié à l'Etre suprême," et si dans quelques-unes il n'en existait pas, il était "ordonné aux municipalités de l'ouvrir et de l'indiquer de suite à cette fin dans quelques-unes des cy-devant églises". L'arrêté fut lu, le 10 prairial au pied de l'arbre de la liberté. Dès lors l'église de St-Nicolas devint le temple dédié à l'Etre suprême et les Basques furent transportés en grande partie dans différentes communes.

On choisit une nouvelle prison pour ceux d'entre eux qu'on avait gardés. Voici les noms de quelques-uns : Michel Gorostarsou, apothicaire à Espelette, 38 ans ; Jean Goity, chirurgien ib., 76 ans ; Pre Apesteguy, laboureur d'Itsassou, 84 ans ; J.-B. Diharce, rentier à Cambo, 57 ans ; Jean Deharce, négociant à Espelette, 62 ans ; Salvat Diharce, rentier à Cambo, 71 ans (les trois étaient frères) ; Augustin Etcheverry, laboureur de Sare, 67 ans ; Jean Larria, it., 44 ans ; Jean Tuionde, duranguier, it., 77 ans ; Martin Lapits, laboureur d'Ainhoa, 30 ans ; Martin Ostha, duranguier et laboureur d'Ainhoa, 60 ans ; Martin Lapits, lab. d'Ainhoa, 66 ans : il était père de Martin Lapits et beau-père de Martin Ostha ; Jean Berrouet, lab. d'Itsassou, 50 ans ; Pre Berrouet, lab. d'It. 65 ans, père du précédent et voisin du suivant ; Pre Ithurbide, lab. d'It. 40 ; Martin Elhorga, laboureur d'Ainhoa, 60 ans ; Betridoy Harçabal, lab. d'It. 32 ans ; Salvat Monduteguy, tailleur d'habits d'Ainhoa, cousin de Mn Elhorga, 65 ans ; Dque Lesca, notaire public à Espelette, 55 ans ; Jean Caupenne, marinier d'Ascain, 43 ans ; Pre d'Etchegoyen, lab. d'Itsassou, 62 ans (il y mourut) ; Jean Detsail, lab. de Sare, 44 ans (un détenu de ce nom et du même lieu, âgé de 60 ans, mourut le 16 prairial) ; Sabin Benac, marchand d'Espelette, 37 ans ; Jean Detsail, lab. de Sare, 50 ans. La commune de Capbreton avança pour l'entretien de nos basques 3.487 l. 23 s. 6 d., somme que par lettre du 2 thermidor, elle réclama aux représentants du peuple Pinet et Cavaignac.

Dans l'église de St-Vincent de Tyrosse, il y eut 300 basquaises recluses. La municipalité de cette commune demanda, le 13 floréal an II, une douzaine de fusils "pour rester par manière d'arsenal à la garde qu'elle était obligée de faire faire journellement, et 30 pour la garde de 300 recluses. Cette mesure fut prise par suite de la désertion de la garde nationale, qui chargée de rester aux portes de la cy-devant église" pour veiller à la garde des recluses, avait abandonné son poste et s'était retirée dans une auberge pour se divertir (9 floréal an II, reg. de la Mairie, p. 26-7).

Dans l'église d'Ondres, il y avait 106 détenus. Du 21 floréal au 15 prairial, ils dépensèrent 700 l., à raison de 28 l. par jour. Dans les registres de l'état civil de cette commune, nous avons constaté le décès de Estonte d'Aguerre de Sare, âgée environ de 50 ans, épouse de Michel d'Elissalde en réclusion aussi à Capbreton (3 floréal an II) ; Michel Etchave, âgé de 9 ans, fils légitime de Joannès Et. et de Gracieuse Ibar (5 floréal an II) ; Michel Camino, de Sare, âgé de 11 ans, fils de Joannès C. en réclusion à Capbreton et de Marie Etchave (7 floréal) ; Michel Elissalde, fils de Michel E. en réclusion à Capbreton et de Jeanne Aniosbehere de Sare (10 floréal) ; Jean Garat de Sare, âgé de 3 ans, fils de Peillo G. et Françoise Mihoura (15 floréal) ; Joannès Ihousquisouhi, âgé de 3 ans, fils de Joannès I. et de Agnès Garrau.

Dans les registres de la commune de Soustons, sont constatés les décès de Michel Larralde, de Sare, âgé de 70 ans (IV vendémiaire an III) ; de Gracy Duhart, âgée de 28 ans (25 fructidor), etc... Pousser plus loi cet exposé, serait sortir du cadre de notre travail. (11)

Pétitions, nouvelle dispersion, retour des internés

Les internés ne cessèrent d'adresser des pétitions, soit aux représentants du peuple, soit aux autres administrateurs. Une de ces pétitions intitulée : "Relation de nos promenades du temps de la tyrannie de Robespierre et de ses agents, à commencer de Sare jusqu'à Bayonne et différentes autres églises" et écrite par un de ces malheureux, raconte toute leurs souffrances, toutes leurs tortures et retrace des scènes qui font frémir. Presque tous ces malheureux exhalaient leurs plaintes ; chacun rappelait les services qu'il n'avait cessé de rendre au pays. Tous demandaient du moins à connaître le motif de leur arrestation. Un seul, plus heureux que les autres, reçut une réponse, ce fut Dithurbide, l'ex-maire de Sare.
Voici cette curieuse pièce caractérisant l'époque :
Réponse de Pinet, représentant du peuple : "Les motifs de ton arrestation sont consignés dans le tableau déposé au Directoire du district et dont une copie a été envoyée au comité de sûreté générale. Tu y es peint comme un aristocrate et comme un homme dangereux ; et tu mérites sévèrement le portrait qu'on a fait de toi. Pinet, aîné".

"Lorsque Pinet et Cavaignac eurent étouffé, dit l'abbé Légé, dans le sang les complots du département des Landes, ils revinrent à des sentiments plus calmes - est-ce bien vrai ? - ils pensèrent enfin à s'occuper du sort des basques. Ces malheureux, au nombre de 640 femmes, enfants à la mamelle, vieillards, infirmes, saisis brutalement, jetés sur des charrettes sans autres vêtements que ceux dont ils étaient couverts, avaient été enfermés dans les églises basses et humides d'Ondres, de Capbrutus ou Campbreton et de St-Vincent de Tyrosse ... Ils y périrent de froid et de misère, surtout les femmes. On adressa un rapport aux représentants du peuple. Ceux-ci répondirent, le 12 floréal, que la sûreté des frontières et le salut de l'armée des Pyrénées avaient rendu nécessaires des mesures fortes, terribles même, à l'égard des basques habitant la frontière, depuis Chauvin-Dragon (St-Jean-de-Luz) et Urrugne exclusivement jusqu'à Ainhoa ... que cependant la prudence des représentants ayant satisfait à tout et la sûreté de l'armée n'excitant plus de sollicitudes, l'humanité réclamait ses droits et devait être écoutée". Ils arrêtèrent donc que les basques, hommes, femmes et enfants renfermés dans les ci-devant églises du district de Dax, à la réserve de ceux qui sont dans celle de la Grande Redoute (St-Etienne) seraient mis à la disposition de l'administration du district de Dax. Celui-ci écrivit, le 27 floréal, que l'humanité, apanage des républicains, exigeait que cette opération fut faite dans le plus court délai.
"Il arrêta que les 640 basques reclus dans lesdites églises seraient répartis et envoyés de suite dans les communes des cantons de J.-J. Rousseau, Peyrehorade, Pouillon, Dax et Vert-Rameau. Tout prisonnier, homme ou femme, sortant sans permission du territoire de la municipalité ou du district, devait être condamné à six ans de fer ou de prison, à l'exposition sur l'échafaud, durant trois jours consécutifs, une heure par jour". Telle fut la mesure d'humanité prises par les républicains en général et spécialement par leurs chefs, Pinet et Cavaignac. Nous avons connu nous-mêmes plusieurs personnes du Labourd, qui, à dos d'âne ou de mulet, portèrent des vivres à leurs parents dans les diverses localités de ce nouvel exil.

Cependant le temps de l'internement touchait à sa fin. Par arrêté du 8 vendémiaire, an III (30 septembre 1794) les représentants du peuple, Baudot et Garrau, rappelèrent dans leurs foyers les habitants du district d'Ustaritz soumis à l'internat. Les prêtres et les nobles étaient exceptés, et les citoyens, qui, compris dans la mesure de l'internat, seraient trouvés au delà des postes français, devaient être traités comme émigrés et la loi appliquée dans les vingt-quatre heures. Le 10 vendémiaire, les mêmes représentants prirent un nouvel arrêté pour réintégrer lesdits internés dans leurs biens meubles, immeubles, et effets encore existants. Par le 2e article, ils ordonnèrent la cessation de toutes les ventes et la remise des effets aux légitimes propriétaires. L'article 3 ménage à ceux dont les biens mobiliers sont vendus leur pourvoi en indemnité par devant le directoire du district, réservant aux représentants eux-mêmes de statuer définitivement. L'art. 4 lève le séquestre sur les biens-fonds. L'art. 5 prescrit aux commissaires de l'internat de rendre compte de leurs opérations. Le 6e et dernier article charge l'agent national de faire imprimer l'arrêté, de le publier, de l'envoyer à toutes les municipalités et d'en assurer l'exécution. Daguerressar dut s'exécuter lui-même tout le premier. C'est sans doute en frémissant de rage qu'il ajouta sa signature au "certifié conforme". Mais s'il ne put empêcher le retour des internés, il trouva assez de complices pour que les autres dispositions de l'arrêté restassent à l'état de lettre morte.

Le régime de la Terreur était tombé. Mais Daguerressar et consorts ne remplissaient-ils pas encore toutes les administrations ? Quelle que fut la bonne volonté des représentants, même après la Terreur, leurs ordres étaient souvent impunément méconnus. En voici un exemple entre mille. Une jeune fille, du nom de Dornaletche, pourvoyait par la mendicité à la nourriture de trois petites soeurs ; elle demande à Baudot la permission d'aller glaner sur les terres que leur mère a laissées en mourant et qui avaient été livrées au pillage. Le représentant accueille la requête ; mais Daguerressar qu'on n'avait pas encore destitué, repousse la jeune fille en présence de Baudot lui-même et de son secrétaire. "Tu n'as pas de pain ? dit-il, eh bien ! meurs de faim". C'est dans ces circonstances que la commune de Sare, par l'organe de M. Dithurbide et de trente-trois de ses principaux notables, adressa une magnifique protestation au représentant Garrau. Ce long mémoire, écrit d'un ton ferme et digne, fait un affreux tableau de l'internat, depuis le commencement jusqu'à la fin. Voici le passage relatif au retour des internés :
"La chute des derniers tyrans a été l'heureuse époque de notre retour à la vie. Déjà la faim, la maladie et le chagrin avaient fait périr un grand nombre des habitants de Sare ; nous qui les avons vus rendre les derniers soupirs, nous, tristes restes de cette commune infortunée, nous avons obtenu la grâce de retourner au lieu de notre naissance.
Mais quel affreux spectacle s'est offert à nos yeux ! nos campagnes frappées de stérilité, nos maisons à demi-incendiées, partout l'aspect de la plus terrible misère. On ne nous a rendu ni des lits, ni des sièges pour nous reposer, ni des provisions pour vivre, ni des instruments, ni des grains pour cultiver nos terres. Le sauvage qui cache sa nudité au fond d'une caverne n'est pas plus dénué que nous de toutes les choses nécessaires à la vie.
Citoyen représentant, nous vous demandons vengeance contre les auteurs de nos calamités ; nous vous demandons vengeance de la mort de nos concitoyens, qu'ils ont fait périr de faim et de soif ; nous vous demandons vengeance de leurs attentats contre notre vie ; nous vous demandons vengeance, enfin, de leurs odieux brigandages". (12)

L'officier, qui a transcrit ce mémoire sur la minute restée à Sare, ne dit point l'accueil qu'y fit Garrau. Monestier (de la Lozère) par arrêté du 28 pluviôse an III (17 février 1795), ordonna que tous les habitants expropriés du district d'Ustarits seraient réintégrés dans leurs biens, que tous les fonctionnaires chargés de la séquestration et de la vente des biens en rendraient compte ... que les dilapidateurs seraient dénoncés aux tribunaux. Le représentant Chaudron-Rousseau, de son côté, faisant droit à la pétition de M. Dithurbide et des trente-trois signataires de Sare, demanda, par sa lettre du 13 prairial an III (2 juin 1795), que l'arrêté des membres du Comité du Salut public, du 4 floréal, concernant les basques de la Biscaye et du Guipuzcoa, fut également appliqué aux basques français ; il voulait que les uns et les autres fussent réintégrés dans leurs biens, et que les auteurs des atrocités qui avaient été commises à leur égard, fussent traduits devant le tribunal criminel des Basses-Pyrénées.
"Ces justes plaintes ne furent pas malheureusement entendues, et de nouvelles pétitions dans lesquelles on porte les dégâts commis dans la commune à 782.000 fr. n'eurent pas de plus heureux résultat. Ce n'est qu'en 1817, après d'incessantes réclamations, que la commune de Sare obtint une espèce de satisfaction ; elle signalait une perte de 782.000 fr., on lui accorda, en deux fois, et pour toute compensation la somme de 1.400 fr. 26 ; ce qui faisait en moyenne à peu près 10 fr. par personne".

Nous avons fait mention plus haut des "fugitifs" de Sare. Qui pourra compter ceux que les menaces et la crainte des atrocités de l'internat jeta au delà des Pyrénées (13) ? Nous donnons plus loin une complainte de ces infortunés, qu'on ne lira pas sans être ému jusqu'aux larmes.

Voici (traduite en basque) une proclamation du représentant Auguste Isoard, en date du 18 mars, 1795, pour le rappel de ces infortunés émigrés :

proclamation de Auguste Isoard

proclamation de Auguste Isoard

proclamation de Auguste Isoard



Les municipalités françaises elles-mêmes ne se pressèrent pas d'obéir aux arrêtés des représentants du peuple et de faciliter à nos internés les moyens de retourner dans leurs foyers. Nous en trouvons la preuve dans les documents suivants :

"A Pau, l'an troisième de la République française une et indivisible. Les membres composant le comité de surveillance siégeant à Pau, au maire et officiers municipaux de la commune de Morlàas.
Frères et amis,
Nous vous envoyons ci-joint un collationné de l'arrêté que nous avons pris, relativement à Guiroye et autres, vous voudrez nous en accuser la réception.
Salut et fraternité, signés : Diligent, Pr Labourdette, fils, Pr le Sre.
Pau, le 24 vendémiaire, l'an 3 de la République française une et indivisible."

Le Directoire du District de Pau à la Municipalité de Morlàas.
"Nous venons d'être instruits dans ce moment, citoyens, que les internés basques qui sont dans votre commune, que bien loin de favoriser leur retour chez eux, conformément à l'arrêté des représentants du peuple que nous vous avons transmis, vous y formez obstacle sous le prétexte inhumain d'exiger d'eux le paiement de leur transport, ainsi que de leurs effets, loyer, etc., auxquels ils sont dans l'impuissance de satisfaire, que même vous exigez qu'ils vendent leurs effets pour y remplir. L'intention des représentants étant que ces infortunés soient réintégrés chez eux, il n'est d'aucun doute que leur intention ne soit aussi qu'il leur soit accordé les mêmes facilités qu'en venant et si votre inhumanité se porte jusqu'à vous refuser de leur accorder gratuitement cette générosité, vous n'aurez qu'à nous remettre l'état de ces dépenses. Nous agirons pour le faire allouer, s'il est possible, sur le tout ; que leur départ ne soit pas différé par votre fait, vous en sentez sans doute la conséquence.
Salut et fraternité. Signés : Patte, Palas, Buisson, Bournos, Mounou, frères."

Voici la réponse qui fut faite à ces reproches :
"Morlàas, le 25 vendémiaire, l'an 3e de la République française, une et indivisible.
Les maire et officiers municipaux de la commune de Morlàas, aux citoyens du Directoire du District de Pau.
"En conséquence de votre lettre du 21 du mois courant, nous avons fait appeler les individus basques envoyés dans notre commune, en exécution de l'arrêté des représentants du peuple en date du 5 prairial dernier, nous leur avons fait donner lecture de l'arrêté qui lève l'internat, et nous leur en avons fait expliquer les dispositions par un interprète, nous leur avons expédié deux passeports, l'un pour la famille de Jean Duhart et un autre pour la famille de Gracieuse Hiriberrey, et après avoir fait mettre à leur disposition deux voitures commodes pour le transport des vieillards ou infirmes ou de leurs effets, ils partent pour retourner dans leurs foyers au nombre de onze, savoir : Jean Duhart, Marie Gelos, sa femme, François Duhart, Jean Duhart, Catherine Duhart, Gracieuse Hiriberrey, veuve d'Araspé, Marie d'Araspé, Marie St-Martin et Thérèse St-Martin qui nous furent adressés à la suite de votre lettre du 23 messidor dernier, et Jean Daraspé et Martin Décola auxquels il fut permis de se retirer dans notre commune et qui y ont résidé en conséquence de votre arrêté du 21 thermidor dernier.
Nous avons lieu d'être surpris que sur le simple rapport d'une partie mal à propos plaignante, vous vous soyez écartés des principes de fraternité qui doivent unir les autorités constituées, ainsi que tous les citoyens dans un gouvernement républicain. Comment pouviez-vous supposer que la municipalité, qui jouit de quelque réputation de justice et de probité, dont un membre a été honorablement proclamé "philanthrope" à la tribune de la société populaire, par un représentant du peuple, était capable d'exiger des individus basques le payement de leur transport, ainsi que de leurs effets, loyers, etc., qu'elle exigeait encore qu'ils vendissent leurs effets ? Certes ces fortes inculpations ne sauraient nous atteindre à deux cents lieues de rayon et nous avons eu assez de rapports ensemble pour pouvoir nous flatter que vous aurez quelque peine à nous avoir écrit la lettre d'hier, nous vous ferons quelques observations sur les faits qui ont donné lieu aux plaintes susdites de quelques basques.
D'abord ils ont toujours cru que la municipalité leur devait la nourriture et le logement szans le travail, ce qui est contraire aux arrêtés des représentants du peuple ; nous éprouvions le plus grand embarras pour les subsistances à leur arrivée dans cette commune et nous nous empressâmes de les répartir parmi les citoyens les plus aisés de la commune, qui furent invités de les recevoir et de leur fournir la nourriture et le logement, ainsi que le salaire de leur travail, ce qui fut accepté par les citoyens de la commune, qui s'empressèrent à l'envie d'en avoir la préférence et ce qui fut opiniâtrement refusé par les basques qui ne voulurent point se séparer et que nous fûmes forcés de loger dans deux maisons différentes.
Hier, les deux propriétaires de ces maisons réclamèrent fortement et avec instance le prix du loyer ; et comme nous voyions que les basques jouissaient d'un traitement que nous jugeons conforme aux principes de générosité d'une grande nation, nous crûmes que nous pouvions regarder cette dette comme sacrée, et nous nous proposions de vous consulter sur la conduite que nous devions tenir, lorsque nous reçumes hier la lettre qui fait le sujet de cette disgression. Nous ne devons point vous laisser ignorer que les enfants de la "Duhart" ont été constamment nourris par le citoyen maire, Latour, et Lassus, officiers municipaux, et que Marie Gelos a été entretenue par les citoyens Casenave et Salinis ; les autres plus en état de travailler ont gagné leur journée et ont été nourris et payés par ceux qui les ont employés. Il est aisé de conclure de tous ces faits qu'ils ont été assez bien traités dans notre commune pour mettre la municipalité à l'abri de l'inculpation d'inhumanité.
Salut et fraternité, signés : Bergeret, maire, Lassus, Paul, officiers municipaux, et Cousté, secrétaire d'office."

La réponse de la municipalité de Morlàas, identique à celle de plusieurs autres, ne détruit point le reproche du Comité de surveillance de Pau. Tout mauvais cas est niable. Enfin qui pourra compter les internés, tombés victimes de leur cruel exil, et qui ne purent ou ne voulurent pas profiter même de l'arrêté du représentant du peuple Isoard ? Non, nous le répétons, après M. Duvoisin, il n'y a que la désolation des Juifs dans la Chaldée qui soit comparable à celle de nos basques internés ou émigrés. Il y a là pour un poète le sujet d'une émouvante tragédie, qui perpétuerait la mémoire de ces infortunés, parmi les générations à venir.

Liste des basques internés à Cap breton

Liste des basques internés à Cap breton

Liste des basques internés à Cap breton



"Je soussigné, commissaire nommé par le district de Dax, certifie le présent tableau montant à 227 individus reclus dans la maison de détention de la commune de Capbrutus (Capbreton),
Capbrutus, le 16 floréal l'an II de la République une et indivisible. FOSSECASE, comre".

Liste de 162 détenus habitant Ascain

Liste de 162 détenus habitant Ascain

Liste de 162 détenus habitant Ascain



CHANT ANTI-RÉVOLUTIONNAIRE

chant

chant 3



TRADUCTION
COMPLAINTE DES FUGITIFS DE SARE

Où courez-vous ainsi, pauvres brebis affolées ? Nous allons en Espagne, ayant à peine la vie sauve. Seigneur, que nos fautes tombent dans l'oubli, afin que nous ne périssions pas tous de faim, au milieu de ces montagnes.
La femme cherche en tremblant son mari ; le mari réclame de tous les côtés sa femme. Ma mère, qu'êtes-vous devenue ? où est mon père ? C'est le cri déchirant des pauvres enfants.
A peine arrivés à Etchelar (Espagne), oh ! quel est notre sort ! Chacun eût voulu disparaître sous terre. Nul n'a un toit, ni où se retirer ; autant nous sommes encore vivants, autant nous sommes de victimes.
Le noir Castillan, ne nous a point en pitié, c'est le bout du fusil qu'il présente à la poitrine de l'homme français. Seul, le basque nous offre de la nourriture : "Seigneur, récompensez-le du bien qu'il nous fait".
O Martin Duronea, toi cause de notre malheur, tu as dévoré la chair vivante de nos poitrines. Approche, regarde notre agonie, afin que le Seigneur te pénètre d'un trait de lumière !
Seigneur, roi des Cieux, pardon ! pardonnez-nous ! et comme à nous-mêmes, pardonnez à tous ! vous avez pardonné à vos ennemis, nous voulons de même pardonner aux nôtres.
Mais, ramenez-nous à notre église ; que tous nous revoyions notre Sare ; que nous revoyions les uns leurs frères et leurs soeurs, les autres leurs parents, tous, nos maisons.
Si ce miracle ne doit pas nous être accordé, nous vous supplions, fortifiez nos coeurs pour qu'ils se soumettent à votre sainte volonté et qu'ils soient fidèles à vos commandements."

Tels étaient les hommes que l'arrêté de Pinet et de Cavaignac traitaient "d'infâmes, de scélérats, de monstres, indignes d'être français". Leurs sentiments chrétiens qui étaient ceux de tous les Basques expliquent la cruelle hostilité des révolutionnaires ; ils expliquent aussi les chants satiriques de nos confesseurs de la foi contre les rares prêtres assermentés et les sans-culottes du pays. S'il est vrai de dire que les bons pasteurs font et gardent les bons peuples, il est vrais aussi de dire que les bons fidèles gardent les pasteurs. C'est ce qu'on a vu pendant la Révolution. Puisse cette solidarité réciproque toujours exister dans notre cher pays basque !

Notes

(1) Arch. de la mairie de St-Jean-de-Luz. - Dans les mêmes archives, on trouve un arrêté des représ. du peuple, daté du quartier général de St-Jean-de-Luz à Belchanea, le 15 prairial, an III, 3 juin 1795.
"Vu la délibération prise le 4 frimaire, an II, par la municipalité et le conseil général de la commune de St-Jean-de-Luz réunis aux membres du comité de surveillance et des commissaires de la société populaire.
-Considérant que dans cette réunion illégale et monstrueuse, les délibérants ont pris un considérant calomnieux, ont provoqué l'internat des habitants de la commune de Sare, composée d'environ 3.000 hab. de déposer les vieillards, les infirmes des deux sexes et les enfants dans des maisons mobilières, de laisser leurs terres incultes et autres mesures abominables qui furent adoptées par un arrêté du 13 ventôse suivant.
Considérant encore que quelques uns des délibérants se firent nommer commissaires pour l'exécution des dites mesures et condoururent aux vexations et aux pillages qui ont consommé la ruine de Sare, Itsassou, Ascain, Espelette, Ainhoa et Souraide. ...
Considérant que la plupart des délibérants sont les auteurs d'une autre délibération du 24 pluviôse contenant une taxe révolutionnaire illégale en elle-même, d'ailleurs si fort au-dessus des facultés des citoyens qu'elle atteignait, et assise sur des bases si notoirement fausse que les représentants du peuple crurent qu'il était de toute impossibilité de le mettre en recouvrement ... (Nous nous abstenons de donner les autres considérants où sont énumérés les exploits révolutionnaires des dits délibérants : c'est un curieux réquisitoire).
Les représentants du peuple français près l'armée des Pyrénées occidentales arrêtent : "Alexis Pagès, ex-maire de St-Jean-de-Luz, etc., etc., sont provisoirement suspendus de toutes fonctions publiques, ils seront mis en état d'arrestation, les scellés apposés en leur présence sur leurs papiers et ils seront ensuite conduits à la citadelle de Bayonne, chargent le général de brigade, chef de l'état-major de l'armée, de l'exécution du présent arrêté et de faire pour y parvenir toutes les réquisitions nécessaires. Au quartier général de St-Jean-de-Luz, le 15 prairial, an III (4 juin 1795).
Signé : Chaudron-Rousseau.
Pour copie conforme, le général de brigade, chef de l'Etat-major général, signé : Dessein."

(2) La compagnie d'Itsassou était commandée par un enfant du lieu, le cap. Ithurralde (Putchueneko-Semea) un ex-étudiant en théologie. Ithurralde avait obtenu de tenir garnison à Itsassou, mais ses soldats travaillés par les agents royalistes, qui leur firent accroire que la république tombait et que sous peu de jours, ils rentreraient exempts de l'obligation de servir, désertèrent presque tous en une nuit. Pinet manda aussitôt Ithurralde à Bayonne. Celui-ci réfléchit ; il y avait de quoi. Mais prenant sa résolution, il se présenta avec audace devant le cruel représentant, parut plus furieux que lui et domina l'instinct de ce tigre. Pinet l'invita à dîner, c'est-à-dire à une orgie. Ithurralde aurait préféré l'ordre de partir. Il dut s'exécuter. Pinet en le congédiant l'autorisa à séjourner en ville, mais Ithurralde gagna la campagne avant le jour. A la prise de Berdaritz, 24 de ces déserteurs furent "coupés" ; 19 cherchèrent à s'ouvrir le chemin à la bayonnette, un seul périt. Les cinq autres avaient perdu courage, déposé les armes et demandé la vie à genoux. Ils furent fusillés. Ces détails que nous devons à M. le capitaine Duvoisin, il les tenait d'Ithurralde lui-même. (Reg. 6. 167, note 2).

(3) Les Espagnols pénétrèrent à plusieurs reprises et notamment en 1693 dans le territoire de Sare. Ses habitants firent des prodiges de valeur pour les repousser. Louis XIV voulut récompenser leur patriotisme. Il accorda un marché par quinzaine avec une foire annuelle et des armoiries en reconnaissance du courage et de la loyauté des habitants. (Sarari balhorearen eta leyaltasunaren saria emana Luis XIV, 1693. Récompense du courage et de la fidélité, donnée à Sare par Louis XIV, 1693).

(4) Ceci est une allusion aux dissidences d'opinions et aux rivalités qui éclatèrent entre Dithurbide, maire de Sare, et le notaire Daguerressar, de Mouguerre, qui firent partie du comité chargé d'administrer le pays, depuis l'abolition de l'ancienne forme de gouvernement jusqu'à l'établissement du directoire du district d'Ustaritz. La Révolution marchant avec ses excès, Dithurbide et Daguerressar suivirent des voies opposées. Ce dernier devenu puissant aux jours de la Terreur ne manqua pas l'occasion de frapper son adversaire et en même temps les habitants de Sare, déjà mal notés par leur oppositon au curé Duronea, frère du révolutionnaire.

(5) Les habitants de Sare eurent encore à souffrir de la part de Antoine Noël, officier de santé, originaire de Lourdes. On l'appelait Garatcheteguy, du nom de sa maison. Tué en 1813 sur le pont d'Olha de St-Pée, par des soldats anglais, son corps y resta quelques jours sans être inhumé.

(6) C'était la maison Soubelette, aujourd'hui Zigarroa, près de l'église. Les anciens du pays racontent encore comment un révolutionnaire à jambe de bois jetait et mélangeait avec sa jambe de bois la soupe et les aliments envoyés par quelques âmes charitables dans une cuve commune, en répétant : "Liberté, égalité, fraternité."

(7) Leurs escortes étaient commandées par des hommes qui mêlaient la lubricité à l'inhumanité. - Une troupe de ces malheureux fut jetée dans l'église d'Urt. On leur fit enlever les morceaux de pain qu'ils s'étaient procurés en chemin (Reg. Duvoisin N. 6, p. 173, note).

(8) Dans les archives du Grand Séminaire d'Aire, on a trouvé, nous a-t-on assuré, un imprimé donnant la liste de répartition des reclus. Nous regrettons de n'avoir pu nous la procurer.

(9) L'abbé Légé. Dioc. d'Aire et de Dax, t. II, p. 107. - Une pétition de Sare en comptait 600 appartenant à cette commune. Une autre pétition nous apprend que Monduteguy ayant trouvé, parmi les quelques misérables laissés à Sare, un jeune garçon pour garder des vaches qu'il avait choisies pour lui-même, lui accorda la liberté de sa mère enfermée pour lors dans l'église.

(10) Sur 162 basques internés d'Ascain, il y avait un enfant de sept mois, et un vieillard de 88 ans. Doyarçabal, interné de Sare, avait le même âge.

(11) Voici quelques extraits des arrêtés du directoire du district d'Ustaritz, 4 germinal an II. Les biens des internés seront séquestrés et vendus. Les individus qui seront enlevés de leurs foyers doivent éprouver les effets de la séquestration sur les biens meubles et immeubles. Des commissaires seront établis à l'évacuation des communes d'Ascain, etc.
14 germinal : Le directoire a arrêté et arrête 1° que les municipalités sont autorisées à établir, pour le séquestre des objets sur lesquels ledit séquestre doit être établi, les coassociés des individus mis en réclusion ; 2° que les parents, amis, domestiques ou agents de ceux au préjudice desquels le séquestre doit être apposé ne pourront pas être chargés de cette mission ; 3° que les séquestres nommés ou à nommer ne seront pas choisis, dans la classe des citoyens plus que sexagénaires et ayant cinq enfants ni dans celle des fonctionnaires publics.
Floréal : Vu le certificat délivré par la municipalité d'Ondres en date du 1er floréal justifiant la dépense de 12 jours fournie aux femmes basquaises que l'on a fait interner et reclure en ladite commune, s'élève à la somme de 396 l., vu l'arrêté des représentants du peuple, il sera payé cette somme au citoyen Lesca, off. municipal de lad. commune.
Prairial : Les biens des internés seront donnés à titre de colons partiaires, aux patriotes qui sont restés et aux patriotes de Biriatou, Hendaye, Urrugne et Subernoa.
22 prairial : La dépense des 106 basques détenus dans la commune d'Ondres depuis 21 pluvial au 15 prairial s'élève à 700 l. à raison de 28 l. par jour.
28 prairial : La liste de 33 basques désignés pour servir Gorostarsou de St-Vincent de Tyrosse. Ces basques devaient aider ledit G. dans la fourniture de bois et charbon qu'il s'était chargé de livrer à la république.
6 messidor : Liste des 162 basques internés d'Ascain. Le moins âgé a 7 ans, le plus âgé 88 ans. Les biens des détenus ne seront pas affermés, mais cultivés au profit de la nourriture des reclus.
6 thermidor : Dque Sorhainde, ex-prêtre de Cambo, demeurant à Pau, s'est déprêtrisé et il sera mis en liberté. Jean Doyarçabal de Sare soumis à l'internat demande grâce.
17 fructidor : Domingo Dartaguiette de Mendionde interné avec sa famille, à Capbrutus (Capbreton), demande à en sortir d'après la loi du 21 messidor qui met en liberté les cultivateurs. Les basques de Souraide et d'Ainhoa seront internés à St-Pandelon, St-Etienne d'Orthe, Mont-de-Marsan. En vendémiaire, arrêté pour réintégrer les internés dans leurs foyers. (Arch. dép.)

(12) Ce long mémoire, dont nous avons reproduit les principaux passages dans ce travail, décrit les services et la conduite de Sare, soit dans la guerre de 1793, soit dans les guerres antérieures, redresse les griefs reprochés à ses habitants, dépeint les illégalités, les atrocités de l'internat, nomme les auteurs de tous leurs maux. etc.

(13) Il y en eut qui, avant de se décider à quitter le pays, se cachèrent un moment dans la grotte de cette commune. On ne peut nommer la grotte de Sare, sans citer deux traits de dévouement, l'un de J.V. Teillary, curé, et l'autre de M. Dornaletche, officier de santé de Sare. - C'était quelque temps avant la Révolution ; le curé Teillary fut appelé nuitamment par deux inconnus dans cette grotte auprès d'un mourant. Le digne pasteur, après quelques moments d'hésitation naturelle, se rappelle son devoir. "Prenez tout ce qu'il faut pour un mourant" lui répètent les deux étrangers. Après mille fatigues, on arrive ... on pénètre dans le ténébreux réduit. Le prêtre n'était pas encore près du patient qu'une voix sortie d'un des recoins de la grotte lui dit : Rends grâce à celui que tu portes en toi ! Enfin il est aux pieds d'un homme, qui se meurt. Il le confesse, le réconcilie avec son Dieu, qu'il lui donne en viatique. Jamais le zélé et discret curé ne voulut dire le nom de celui qui revenu à Dieu dut sans doute quitter la bande de voleurs dont il faisait partie. - Une autre nuit, après la Révolution, M. Dornaletche, fut aussi appellé par deux inconnus pour donner des soins à une jeune personne de distinction, naguère venue de l'autre côté des Pyrénées dans cette même retraite mystérieuse pour sauver - autant que possible - son honneur et celui de sa famille. Le médecin Dornaletche était connu pour sa discrétion autant que pour son habileté dans son art. Il part et, à travers les horreurs d'une nuit ténébreuse et orageuse, il arrive ... remplit sa tâche ... et toute sa vie, il garda ce secret.
Qu'on nous permette encore sur cette même grotte un souvenir dans un autre ordre d'idées. La Société d'exploration des grottes, visitant, en 1873, les grottes de l'arrondissement de Bayonnes, découvrit dans la grande caverne de Sare quelques débris d'animaux ayant, à des époques reculés, habité cette caverne ; de plus, elle signala l'existence, aux alentours de la grotte principale, d'un grand nombre d'abris qui avaient dû servir à l'habitation de l'homme. Nous ignorons si des recherches ultérieures ont eu lieu. Faites sur une grande échelle, elles ajouteraient à l'histoire de l'industrie humaine préhistorique dans nos régions, une page intéressante et digne de fixer l'attention du monde savant. Il est incontestable que les populations, qui ont poussé leur émigration jusque dans nos contrées, ont été arrêtées par la barrière des Pyrénées et ont dû borner là leur incursion et se fixer sur les versants septentrionaux de la grande chaîne.

PAU - IMPRIMERIE VIGNANCOUR - S. DUFAU, Imprimeur
1894

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Commentaires
S
Pour retrouver ce livre et consulter les chants anti-révolutionnaires à la fin de l'ouvrage : http://meta.gipuzkoakultura.net/handle/10690/1349?mode=full&volume=005
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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