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La Maraîchine Normande
27 décembre 2013

ALEXANDRE NOURRY-GRAMMONT, FILS DE JEAN-BAPTISTE, ACTEUR ET CHEF D'ETAT-MAJOR

ALEXANDRE NOURRY-GRAMMONT

Le personnage dont nous esquissons la courte vie appartient à Limoges par sa naissance. Il n'a rien de commun avec les enfants illustres de cette ville.
Mort sur l'échafaud en 1794, à l'âge de dix-neuf ans, il n'a marqué sa trace que par la violence de son caractère, la méchanceté de ses actions, le rôle odieux qu'il joua pendant les sombres jours de la Terreur. Son existence s'écoula loin de nous, dans un milieu propice au développement de ses tristes facultés, à Paris, dans l'état-major de Ronsin, parmi les plus ardents amis de la guillotine. Son nom n'a laissé, dans sa ville natale, aucun souvenir ; l'histoire de la Révolution ne l'a enregistré que comme celui d'un comparse, perdu dans la troupe des sanguinaires.
Sa jeunesse ne lui permit pas de prendre place au premier rang ; il marcha derrière son père, fut son lieutenant et put se réclamer de son exemple. Les écrivains locaux ne se sont jamais occupés de lui, et nous ne connaissions à son sujet qu'une petite notice du Dictionnaire biographique manuscrit de L.-Th. Juge, lorsqu'une importante étude de M. V. Fournel, publiée dans la Revue des Questions historiques, est venue nous donner sur son compte de plus amples renseignements que quelques documents nouveaux nous permettent de compléter.

"Le premier mil sept cent soixante quinze a été baptisé dans cette église par moi vicaire soussigné Jean-Joseph-Alexandre né ce matin rue des Combes, fils légitime du sieur Jean-Baptiste-Jacques Nourry Granmon, ancien officier des fermes royalles unies de France, originaire de la ville de La Rochelle, et de demoiselle Judith-Elizabeth Carcy son épouse. Le pareil a été sieur Jean-Joseph-Alexandre Ganny marchand de cette ville et mareine dame Simonne Carcy femme Chavy qui ont signé avec nous de ce requis.
THOUVENET, vicaire, NOURRY GRANMON, CHAVY, GANNY."

Le parrain était un négociant de Limoges, limousin d'origine et de naissance. Le père, la mère et la marraine étaient des étrangers. Nous savons par l'acte de naissance que le père était né à La Rochelle et avait eu un emploi assez mal défini dans les finances royales. Il avait résigné ses fonctions. Comment avait-il été attiré à Limoges ? Qu'y faisait-il au moment de la naissance de son fils ? Il serait impossible de répondre à ces questions si nous n'avions que les seuls documents conservés dans les archives limousines. Son nom, en effet, ne se rencontre que sur l'acte de baptême qu'on vient de lire, et sa profession d'alors n'y est pas indiquée. Mais Grammont n'est pas un inconnu. Obscur en 1775, il n'allait pas tarder à conquérir de la notoriété, à devenir, sur les théâtres de la capitale, le favori du peuple, et plus tard, dans un autre rôle le favori de la populace. Son histoire a été écrite (Les Comédiens dans les armées). Nous allons la résumer à grands traits. Il n'est pas possible de parler du fils sans rappeler ce qu'a été le père.

Après avoir rempli, pendant un temps probablement très court, un office subalterne dans les recettes des fermes, Jean-Baptiste-Jacques Nourry, embrassa la carrière dramatique. Nous ne savons pas sur quelle scène eurent lieu ses débuts. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il était à Limoges en 1774, et la tradition nous apprend qu'il appartenait à la troupe qui y donnait alors des représentations. Les affiches des spectacles de cette époque n'ont pas été conservées. La Feuille hebdomadaire de Limoges n'allait commencer sa publication qu'en 1775. Les renseignements font défaut pour la période antérieure. En 1775, la troupe théâtrale était dirigée par un nommé Laurent. Elle jouait des comédies, des comédies lyriques, des opéras et des opéras-bouffons ; elle comprenait aussi dans ses programmes, mais plus rarement, des tragédies, des comédies italiennes et des pastorales en vers. Les directeurs, comme les troupes, se renouvelaient souvent. Les acteurs engagés pour la saison de 1775 étaient-ils les mêmes que ceux qui avaient tenu la scène en 1774 ? Cela n'est pas prouvé. D'ailleurs la Feuille hebdomadaire ne publie pas le tableau de la troupe ; elle ne donne que le titre des pièces et les noms des principales actrices, de celles que l'on appelle aujourd'hui les Etoiles, de Mlle Loiseau, qui fait admirer dans l'opéra et la comédie "un jeu fin et naturel, la voix la plus flexible et la plus douce", de Mme Richard, tragédienne et comédienne appréciée du public, des deux filles du directeur dont l'une, âgée de sept ans, a autant de succès par sa gentillesse que par son précoce talent. Les noms des hommes ne sont pas mentionnés ; dans les annonces des spectacles, comme dans les comptes rendus très succincts des représentations, on chercherait en vain celui de Nourry ou Nourry-Grammont ainsi qu'il s'appelait alors.

Il n'est pas impossible qu'il ait quitté Limoges peu de temps après la naissance de son fils Alexandre. Le théâtre de cette ville ne suffisait pas à son activité et à ses besoins ; les pièces que l'on y jouait le plus souvent ne convenaient pas à son talent. Grammont était un tragédien ; et le directeur Laurent ne donnait qu'une ou deux tragédies par mois. Ses charges étaient assez lourdes ; il avait avec lui sa femme et sa belle-soeur. Il alla chercher fortune ailleurs.

Son existence de 1775 à 1779 est fort obscure. Mayeur de Saint-Paul (dans Le Chroniqueur désoeuvré) place dans cette période ses débuts à Paris, chez Nicolet. Toujours est-il qu'il débuta, le 5 février 1779, à la Comédie française, dans Tancrède, et remporta, s'il faut en croire la Correspondance de Grimm, un brillant succès. Il avait abandonné, dès cette époque, son nom de Nourry pour prendre celui de Roselly de Grammont. Il était jeune, avait de la tenue, une voix sonore, un geste expressif. Il entrait sur la scène du faubourg Saint-Germain peu de temps après la mort de Lekain. Du premier jour il s'entendit comparer à ce grand acteur. Les mauvaises langues ajoutaient qu'il pouvait bien lui ressembler physiquement puisqu'il était son fils.
Sur l'affiche de la Comédie française, Adélaïde Duguesclin succéda à Tancrède ; Roselly de Grammont y joua le rôle de Vendôme. Le public lui fit une ovation enthousiaste, le rappela, l'obligea à se montrer plusieurs fois sur la scène. Il tint successivement les grands rôles des tragédies de Racine, de Dubelloy et de Voltaire, aux applaudissements de la salle. Ses preuves étaient faites ; la Comédie le reçut sociétaire le 1er août 1781. Ce fut le plus beau moment de sa carrière théâtrale.
Grisé par des succès trop faciles, Grammont cessa de travailler, se montra présomptueux, froissa les susceptibilités ou le bon goût des spectateurs. L'opinion se retourna brusquement. En janvier 1782, il subit une véritable avanie dans Zaïre ; il fut obligé de quitter la salle ; on parla même de son renvoi de la Comédie française. Le second Lekain ne fut plus bientôt qu'une caricature de Lekain. Il fallut, dit-on, l'influente intervention de la reine pour qu'il pût reparaître sur la scène.

Il n'y reste pas longtemps. Dans le courant de l'année 1782, il va courir la province, sans congé, espérant sans doute trouver un public plus favorable qu'à Paris. On le raye du tableau de la troupe. On l'emprisonne à la Force. Il trouve le moyen d'en sortir, reprend ses pérégrinations artistiques, et, alors que le bruit qu'avait soulevé son escapade commençait à se calmer, il reparaît le 30 août 1786 sur le théâtre de la Comédie française. Quelle influence a pu lui en rouvrir les portes ? On dit encore que la reine, qui l'avait protégé à ses débuts, lui donna cette nouvelle marque d'intérêt. Sa rentrée dans Mahomet fut bien accueillie. Il avait fait des progrès. Nous lisons dans le Mercure, qu'il reparut "avec éclat". En 1787 il était réinscrit sur la liste des sociétaires.

Son tempérament fougueux, sa nature indisciplinée, son goût des aventures en firent un prosélyte des idées nouvelles. Il fut bientôt un des héros du théâtre révolutionnaire. Le peuple l'acclama dans Charles IX de Marie-Joseph Chénier. La troupe de la Comédie française s'étant divisée en deux camps, il se mit du côté des exaltés et fut le plus violent de tous. Lorsque, en 1791, la plupart des acteurs quittèrent la salle du faubourg Saint-Germain pour aller rue de Richelieu, il se sépara de ses camarades et entra au théâtre des Beaujolais. C'est là qu'il jouait les rôles de tyrans "les jambes nues, raconte-t-on, comme un véritable sans-culotte".
Il n'était pas seulement un sans-culotte sur la scène ; dans les réunions publiques il affichait ouvertement ses idées révolutionnaires. Aussi, lors de l'organisation des gardes nationales, les électeurs de son district en firent un officier. Cette nomination lui attira quelques railleries. "Messieurs, dit un plaisant, je suis très fier d'avoir pour commandant Orosmane ou Tancrède ; mais, pour l'honneur du district, je fais la motion qu'il soit défendu aux cinquante-neuf autres de siffler notre capitaine." Il prit tout de suite au sérieux ses nouvelles fonctions et y déploya une activité et un zèle à la hauteur des circonstances, traînant son sabre dans les rues à la tête de bruyantes patrouilles, fréquentant en uniforme les coulisses et les foyers des théâtres, essayant même, dit-on, trois jours après la prise de la Bastille, de la reprendre de nouveau avec un détachement de gardes nationaux. Ses services ne tardèrent pas à être récompensés par les galons de lieutenant-colonel. Grammont habitué à tenir les premiers rôles, ne devait pas s'arrêter en si bonne voie.

Pendant qu'il passait ainsi sa vie en parades variées, ses deux fils suivaient quelques cours rudimentaires dans une pension du faubourg Saint-Antoine. Le plus jeune semblait avoir hérité des qualités artistiques de son père ; mais il était d'un naturel timide et se distinguait par son esprit réfléchi, sa réserve et sa docilité. Il devait être un bon élève ; il était certainement un bon camarade. Son frère aîné, Alexandre, que les hasards de la vie nomade de ses parents avait fait naître à Limoges, était l'indiscipline et la méchanceté en personne. Le colonel sans-culotte pouvait reconnaître en lui son portrait vivant, mais un portrait enlaidi où il ne restait aucune trace de la noblesse et du grand air de l'acteur tragique.
Dans cette maison du faubourg Saint-Antoine, les frères Grammont avaient pour condisciple un jeune enfant qui devait être un jour le plus populaire et le plus illustre de nos chansonniers. Fils d'un petit teneur de livres, presque sans famille à Paris, Béranger avait été mis là en pension à l'âge de neuf ans. Alexandre Grammont, plus vieux que lui de cinq ans, aurait dû être son protecteur ; il fut sa bête noire et son épouvantail. Ce temps d'internat resta profondément gravé dans l'esprit du poète. Un demi-siècle plus tard, lorsqu'il écrivit l'histoire de sa vie, il se rappelait encore que, du haut des toits de la pension, il avait vu prendre la Bastille. "C'est à peu près le seul enseignement que j'y reçus, dit-il, car je ne me rappelle pas qu'on m'y ait donné aucune leçon de lecture et d'écriture." Il se souvenait aussi des deux frères Grammont, et les anecdotes qu'il conte à leur sujet ont ici leur place.
"Au nombre des pensionnaires se trouvaient plusieurs enfants de Grammont, acteur tragique du Théâtre-Français. Je vois encore le plus jeune, vêtu d'une houppelande rouge, défroque héroïque de son père. Combien j'étais ravi quand il nous répétait le rôle de Joas, que déjà on lui faisait jouer. Je m'étais lié avec cet élève, parce qu'il était doux et tranquille, ce qui convenait à ma rêveuse nonchalance. Il n'en était pas ainsi de Grammont l'aîné, âgé d'au moins quinze ans ; celui-ci m'inspirait une terreur extrême, par les mauvais traitements qu'il me faisait subir. Heureusement nos rencontres étaient rares : il appartenait à la catégorie des grands ; j'étais avec les petits. J'ai soupçonné plus tard la cause de son aversion pour moi.
J'avais là, pour protectrice, une parente de mon grand-père qui connaissait depuis longtemps l'abbé ***, maître de la pension. Pour complaire à ma cousine, les subordonnés me dorlotaient ; et, grâce à mes fréquentes migraines, j'étais souvent exempté d'aller en classe. De pareilles faveurs me rendaient un objet d'envie. Un jour solennel fit éclater la haine de Grammont. A la distribution des prix, auxquels je n'avais aucune prétention, et que sans regret je voyais donner à mes camarades plus jeunes que moi, n'eus-je pas le malheur insigne d'être gratifié de la croix de sagesse, cet éternel partage des ânes de collège ? J'y avais bien quelque droit, puisqu'il faut parler net, car je n'étais ni joueur, ni bruyant, ni indocile. Mais les élèves ne manquèrent pas de crier haro sur le baudet. Ce qui n'empêcha pas de me décorer de la maudite croix. Si j'en conçus de l'orgueil, cet orgueil fut de courte durée. Ce jour-là même, dans la cour de récréation, où étaient réunis les pensionnaires de tout âge, que les parents n'avaient pas encore emmenés en vacances, j'étais à la grille de la rue et lorgnais les marchands de gâteaux et de fruits qui venaient tenter la maigre bourse des écoliers. Les petites sommes que les parents font distribuer à leurs enfants sous le nom de semaine s'échangeaient rapidement contre de si douces friandises. Hélas ! j'étais condamné au seul plaisir de les passer en revue, car moi, je n'avais pas de semaine. Une pomme énorme, d'un vermillon appétissant, excitait surtout ma convoitise. Je la dévorais de mes yeux d'enfant, quand une rude voix vint me crier à l'oreille : "Prends la pomme ! prends ! ou je te donne une belle volée." Ce n'était pas le serpent tentateur, c'était le terrible Grammont. Son poignet de fer me pressait contre la grille. Que se passa-t-il dans mon âme candide ? Je n'osais ; mais la frayeur, venant en aide à la gourmandise, triompha si bien, que, cédant aux injonctions de mon ennemi, et sans respect de ma décoration nouvelle, j'étends la main en tremblant, et saisis furtivement la pomme fatale. Le crime est à peine consommé que Grammont m'appréhende au collet, crie au voleur, et fait voir le corps du délit à toute la pension rassemblée. Quel scandale ! le modèle de la sagesse tombé dans une pareille faute ! On me conduisit devant les professeurs ; mais mon trouble était si grand, que je ne pus entendre quel arrêt fut porté. Sans doute la mauvaise réputation de l'accusateur, détesté des élèves et des maîtres, et quelques témoignages bienveillants éclairèrent la conscience des juges.
Toujours est-il certain qu'on me fit rendre la croix que d'abord Grammont m'avait arrachée. Je ne sais si c'est à cette scène, qui me coûta bien des larmes, que depuis j'ai dû mon aversion pour les pommes et mon peu de goût pour les croix.
Combien j'ai ri de fois en me rappelant cette aventure d'enfance ! Quant à Grammont, heureux s'il s'en fut tenu à de semblables espiègleries !
Quatre ans plus tard, j'apprenais que, devenu, avec son père, un des chefs de l'armée révolutionnaire qui couvrit de sang et de ruines les départements de l'Ouest, le père et le fils avaient commis tant d'atrocités, que pour faire un exemple le Comité de salut public les livrait à la guillotine, qu'ils traînaient dans le bagage de leur armée."

Tandis qu'Alexandre Grammont s'évertuait à molester son jeune condisciple dans la pension du faubourg Saint-Antoine, son père poursuivait, par les moyens qui lui avaient si bien réussi, sa carrière militaire. Il avait définitivement quitté le théâtre. S'il y reparaîssait quelques fois, c'était pour se montrer à ses anciens camarades dans son brillant uniforme. Il avait vu le feu à la journée du 10 août ; il prit part en septembre, au massacre des prisonniers d'Orléans et put se vanter plus tard d'avoir bu dans le crâne d'une des victimes. Ces hauts faits étaient de nature à le signaler au ministre Pache qui l'attaché, en janvier 1793, aux bureaux de la guerre. Il appela aussitôt son fils auprès de lui en qualité de secrétaire. Dès ce moment Alexandre Grammont se trouva associé à la fortune de son père ; il allait le suivre jusque sur l'échafaud.

Leur séjour au ministère fut de courte durée. Ils furent balayés avec Pache. Beurnonville les chassa de ses bureaux. Mais Beurnonville ne fit que passer. Son successeur Bouchotte n'avait pas les mêmes scrupules ; l'ancien comédien Grammont n'était pas fait pour déplaire ; le nouveau ministre lui confia une mission à l'armée de la Moselle.

RONSIN GENERALSon jour de gloire était venu. Ronsin, le dramaturge, l'ancien camarade de Grammont, ne commandait-il pas une armée ? Grammont va rejoindre Ronsin à Nantes, en mai 1793, et devient son lieutenant. Il amène avec lui son fils, en costume d'officier de cavalerie, et deux acolytes, plus ou moins galonnés, qui avaient été comme lui acteurs sur le théâtre de Nantes. L'arrivé de cet état-major de comédiens produisit le plus mauvais effet. Lorsqu'ils caracolaient sur les places ou se promenaient dans une voiture empanachée comme eux, ils étaient poursuivis par les quolibets de la foule. Cet accueil ne convenant pas à Grammont, il demanda bien vite à changer d'air. Son ami Ronsin, alors tout puissant, le fit nommer, en juin, lieutenant général à l'armée des côtes de La Rochelle. Il s'y montra plus soucieux de suivre les clubs et de se pavaner dans les rues que d'organiser l'armée. On ne chômait pas cependant autour de lui ; ses officiers étaient fort occupés à réquisitionner le champagne ; son quartier général était en fête perpétuelle. Deux mois plus tard, Ronsin prenait le commandement de l'armée révolutionnaire de Paris et confiait à Grammont les fonctions de chef d'état-major. Celui-ci s'attacha son fils aîné en qualité d'aide de camp.

Le père et le fils avaient enfin trouvé des fonctions qui convenaient merveilleusement à leurs aptitudes. Avec Ronsin ils pouvaient en prendre à leur aise et laisser libre cours à leurs fantaisies. Le théâtre des Beaujolais n'eut pas de spectateur plus assidu que Grammont père. S'il ne jouait plus sur la scène  les rôles de tyran, il se faisait voir et admirer dans son nouveau rôle de général patriote. Son fils était plus rude que lui. Il fréquentait les théâtres pour y faire la police. A la salle Montansier (Palais-Royal), pendant une représentation, il souffleta une femme qui avait oublié sa cocarde.

MARIE ANTOINETTE


Ce n'était là qu'un jeu pour charmer leurs loisirs, un divertissement innocent après une journée bien remplie. Car chaque jour avait sa tâche. Une des principales attributions de Grammont consistait à assurer l'escorte qui accompagnait à l'échafaud la charrette des condamnés à mort. Il se réservait le commandement de l'escorte lorsque les condamnés en valaient la peine ; pour les gens du communs, il passait la main à son fils. Ils conduisirent, tous les deux, Marie-Antoinette au supplice. On sait l'attitude odieuse du père en cette circonstance. Monté sur un cheval noir, à la tête de ses troupes, il chantait la carmagnole et excitait la foule contre la reine, oubliant qu'il avait été son protégé. Quand le cortège arriva devant les Jacobins, la reine aperçut sur la porte cette inscription : "Atelier d'armes républicaines pour foudroyer les tyrans" ; elle se pencha alors vers l'abbé Girard comme pour l'interroger. Le prêtre, pour toute réponse, lui présenta le crucifix. Grammont, qui avait vu le mouvement, se dressant sur ses étriers, cria au peuple, en lui montrant la reine : "La voilà, l'infâme Antoinette ! ... elle est f..., mes amis ! Alexandre Grammont rivalisait d'outrages et de grossièretés avec son père. On dit même qu'il menaça la reine du poing et que, lorsque la tête de celle-ci fut tombée, il s'élança vers l'échafaud pour tremper son mouchoir dans le sang.

Cinq mois et demi après l'exécution de la reine, les deux Grammont furent arrêtés sous l'inculpation d'avoir pris part à la conspiration de Hébert, Ronsin et Cloots contre la liberté et la sûreté du peuple français. Leur procès fut vite instruit. Un seul acte du dossier concerne Alexandre Grammont ; c'est un interrogatoire sommaire :
"Cejourd'huy douze germinal de l'an II de la République française, une et indivisible, Nous Claude Emmanuel Dobsen, président du Tribunal Révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au Tribunal de cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au Tribunal par la loi du 5 avril de la même année, assisté de Anne Ducray, commis du greffier du Tribunal, en l'une des salles de l'auditoire au Palais, et en présence d'Antoine Quentin Fouquier, accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie le nommé Grammont fils auquel avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure ; a répondu se nommer Grammont (Alexandre Nourry) fils, âgé de dix-neuf ans, natif de Limoges (Haute-Vienne), officier dans la cavalerie révolutionnaire et avant employé au bureau de la guerre, demeurant à Paris, passage des Petits Pères, n° 3, section de Guillaume Tell.
D - S'il n'a jamais conspiré contre la République.
R - Non.
D - S'il a un deffenseur.
R - Non.
Pourquoi lui avons nommé le citoyen La Fleutrie pour conseil.
Lecture du présent interrogatoire faite, a persisté et a signé avec nous et notre commis greffier.
A. GRAMMONT fils, DOBSEN, A.Q. FOUQUIER, DUCRAY."

L'interrogatoire de Grammont père est conçu dans les mêmes termes. Il est à la date du 20 germinal.
Fouquier-Tinville les traita comme de vulgaires subalternes, ne se donna même pas la peine de préciser contre eux un seul grief.

Ils furent condamnés à mort le 24 germinal an II et exécutés le même jour.

Le peuple les reconnut dans la charrette qui les menait à l'échafaud, et les hua. Les femmes les montrèrent du doigt à leurs enfants. Il paraît que Grammont père avait perdu son arrogance et sa fierté ; comme il baissait la tête, son fils le traita de misérable. Lucille Desmoulins, qui était de la même fournée, voulut le rappeler à la pudeur. Il l'insulta. Son père, avant de gravir les marches de l'échafaud, se retourna vers lui pour l'embrasser. Il le repoussa. Mourut-il avec courage ? Le cynisme n'est pas une preuve de sang-froid.

Ainsi finit, à dix-neuf ans, en scélérat consommé, cet indigne enfant de Limoges, Alexandre Nourry-Grammont.

RENÉ FAGE
Bulletin de la Société Archéologique
et Historique du Limousin
Tome XLIII
Tome XXI de la deuxième série
1895

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