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La Maraîchine Normande
25 décembre 2013

LA RÉVOLTE DES CENT-JOURS EN LOIRE-INFÉRIEURE

LA RÉVOLTE DES CENT-JOURS
EN LOIRE-INFÉRIEURE

La convulsion vendéenne des Cent-Jours toucha surtout les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, mais elle affecta aussi, dans une certaine mesure, les départements voisins comme le Morbihan et la Loire-Inférieure. S'il n'y eut pas dans ceux-ci de batailles capitales, comme Saint-Pierre-des-Echaubrognes, Saint-Gilles, Aizenay, Rocheservière, Thouars ; si l'on n'y rencontre pas de grands chefs comme Sapinaud, Suzannet, Aug. de La Rochejaquelein, les faits qui se déroulèrent en Loire-Inférieure et sur les bordures du Morbihan méritent cependant de figurer dans l'histoire de cette lutte de l'Ouest contre l'Empire agonisant.

A la nouvelle que le vol de l'aigle échappé s'est abattu sur Paris, des bandes se lèvent et se soudent. Du seul fait du retour de l'Empereur, la colère s'est emparé de certaines âmes mal domptées. Elle s'accroîtra encore par suite des conditions nouvelles où évolue le Gouvernement impérial rétabli. L'atmosphère est changée, plus lourde, moins transparente. Napoléon, revenu aigri de l'Ile d'Elbe, tient à prouver son extraction révolutionnaire.

Les nobles, parce que nobles, deviennent suspects globalement. Ils se voient astreints à une humiliante déclaration de résidence. Entre le Bonaparte de l'an VIII, qui leur rendit leur Patrie, et le Napoléon de 1815, tracassier, menaçant, ils sentent des différences énormes. Ils s'agitent.

loire-inférieure



Des chefs s'évadent de la paix où ils étaient maintenus depuis près de quinze ans. C'est Pacory, né aux alentours de Châteaubriant, mais qui opère jusque sur les bords plats de la Basse-Loire. Le sous-préfet de Savenay apeuré expédie un courrier à Nantes ; il crie : Au secours ! Pacory arrête le courrier ; et le sous-préfet crie de plus belle. - C'est, du côté d'Ancenis, Robert, dit le Marquis de Carabas. Il se saisit du tambour de la mairie de Saint-Florent, désarme le garde-champêtre et agglutine une bande. C'est, du côté de Châteaubriant, Terrien, dit Coeur-de-Lion, et La Rochequairie.

Des chefs plus marquants tentent  d'assembler ces bandes par divisions. La division de Loire-Inférieure fait partie de l'Armée royale d'entre Loire et Vilaine, aux ordres du chevalier d'Andigné. M. de Coislin la commande. Autour de lui, MM. de Courson, de Chevigné, du Bouay de Couesbouc ... Plusieurs ont conquis des grades, reçu des blessures, moissonné des lauriers au service de l'infâme Bonaparte : tels Richard de la Boullière, qui combattit en Espagne, en Allemagne ; René Sochas, embarqué, en 1809, sur le corsaire Le Loup Garou, de Nantes, fait prisonnier en 1810, revenu des prisons anglaises, en 1814. Armée hétéroclite, composée de chouans, de Condéens, d'anciens impérialistes.

Les arrondissements de Nantes et d'Ancenis s'ébranlent les premiers. Aux Sorinières, aux portes du chef-lieu, rive gauche de la loire, le 15 mai, vingt-cinq gendarmes fuient devant quatre-vingts paysans mal armés. Le 20, non loin d'Ancenis, à Pannecé, heurt de quatre-vingts gendarmes et dragons contre deux cents villageois. Déroute des gendarmes et des dragons.

Cette victoire électrise les populations rendues nerveuses. Roussineau, à Carquefou, Charette, à Couffé, enrôlent à la sortie des messes. Les vignerons des bords de la Sèvre se concentrent sur Maisdon. Nantes semble un îlot au sein d'une mer en fureur, comme au temps de 1793. De tous côtés, elle ne voit que des vagues déferlantes. Elle n'est nullement rassurée, car ses magasins bourrés de munitions et laissés sans défense sont une terrible cause d'attraction.

L'unique garnison, un bataillon du 63e d'infanterie, vient de s'éloigner. Toutes les troupes ont été comme aspirées par les frontières béantes où va s'engouffrer le torrent des Alliés. La Bretagne et la Vendée, malgré les supplications des autorités et les avertissements des généraux Cafarelli, à Rennes, Bigarré dans le Morbihan, Travot en Vendée, Charpentier à Nantes, sont vides de troupes. Delaborde est mis à la tête des 12e, 13e et 22e divisions militaires, divisions fantômes.

Quand parvient à l'Empereur la nouvelle du soulèvement, il tourne sa pensée vers l'Occident. Il est trop tard : où quelques régiments auraient suffi, quelques jours auparavant, maintenant il faut un corps d'armée. Sur ces entrefaites, Delaborde tombe malade ; un soldat éprouvé le remplace, Lamarque.

Déjà l'insurrection bat son plein. Le plus gros rassemblement se fait à Campbon, à treize kilomètres de Savenay. Cinq cents personnes ont obéi à l'appel du marquis de Coislin. Ce qu'un spectateur y vit ne ressemblait guère à une armée : "des gentilshommes en habit de chasse promenaient leurs chevaux sur la route ; les paysans assis sur l'herbe fourbissaient leurs fusils. On eût dit les pourparlers d'une battue" (Relation d'un officier de l'Armée royale). Des luttes corps à corps avec des parieurs s'engageaient. Des lazzis, des encouragements, des rires se croisaient dans l'air tiède d'une belle journée de printemps.

Le lendemain, changement à vue : sur ce rassemblement que ne galvanisent point les grandes colères de 1793, l'armée bonapartiste - des douaniers, des gendarmes, un détachement de ligne, des gardes nationaux, - sortie de Savenay, fond avec furie. M. de Queilhac qui commande le groupe royaliste demande à parlementer. Le commandant s'avance à sa rencontre. Ils se serrent la main.

A ce moment, un coup de feu part on ne sait d'où. Les bonapartistes cernent la place et font feu. Les paysans ripostent ; mais une dizaine des leurs étant tués, ils se débandent. Quelle n'est pas leur surprise d'apercevoir, en regardant derrière eux, les soldats fuir aussi, pris de panique. Déroute des deux côtés.

Louis Sol de GrisollesLes paysans se reforment dans les bois, au château de Queilhac, enclos par des douves profondes. Le 25 mai, la troupe revient à la charge. Les insurgés, bien abrités, tirent à coups sûrs. Ce ne sont plus les gars insouciants de la veille : les taureaux ont été piqués : ils sont devenus furieux. Les soldats reculent. Ils vont semer la terreur dans Savenay.

Le sous-préfet déménage ses bureaux. Qu'il se rassure : l'orage se détourne. L'armée chouanne remonte vers le Morbihan, afin de prendre contact avec celle de Sol de Grisolles, ayant comme lieutenants Joseph et Louis de Cadoudal, frères de Georges. Sol et Coislin se partagent un stock important d'armes anglaises débarqué à l'embouchure de la Vilaine, puis fixent rendez-vous à de nouvelles levées sous les murs de Redon.

Le 4 juin, attaque de la ville. Les deux cents défenseurs s'enferment dans l'hôtel de ville, barricadent la tour crénelée de l'église, opposent une résistance acharnée. Des chefs royalistes tombent. Les hommes reculent. Première défaite.

Les deux armées royalistes reviennent à la mer, attirées par la flotte anglaise. Le général Rousseau, sorti de Vannes, tombe à l'improviste sur elles mais ne peut empêcher le débarquement des armes. Puis chacun s'en va de son côté, Coislin vers la Loire-Inférieure. Sol vers la côte.

général BigarréQuelques jours plus tard, le général Bigarré, à la tête des garnisons de Rennes, de Pontivy et de ce qu'il a pu réunir de fédérés, en tout 3.000 hommes, rejoint l'armée royale, également forte de 3.000 hommes, à Auray. Bataille qui prendra dans la légende bretonne des proportions épiques. Dernière grande rencontre des chouans et des bleus en cette région. Les séminaristes du collège de Sainte-Anne tiraillent parmi les paysans. Les bleus avancent sans s'occuper des vides causés dans leurs rangs. Les blancs reculent, battent en retraite sur Auray. Au pont du Loch, M. de Francheville, avec deux cent cinquante hommes résolus, retarde l'avance ennemie. Les impérialistes tournent la ville et rentrent sur un autre point. Des troupes parties de Vannes arrivent, aggravant l'échec royaliste.

Echec lourd : le recrutement est tari et les Impérialistes restent maître de la côte. Des chefs sont tombés : MM. de Guerry, de Pioger, de Langle, du Couëdic ; ... d'autres sont immobilisés par leurs blessures.

Coislin n'est pas plus heureux. Menacé par les troupes de Nantes et de Savenay, il se jette, le 7 juillet, sur Guérande, que protègent ses murailles médiévales. Par delà les plaines nues où dorment les marais salants, la garnison - soldats, garde-côtes, douaniers, - de loin l'aperçoit. Les portes massives sont renforcées par des tas de fumier.

Coislin, que vient de rejoindre Terrien Coeur de Lion, commande à douze cents hommes. Il assaille la porte Saint-Michel, entrée principale. Une grêle de moëllons, arrachés des murailles et lancés par les machicoulis, tombent sur eux. Il faut chercher un point plus abordable. Par le large boulevard circulaire, les royalistes atteignent le faubourg Bizienne. Mêmes difficultés. Ils reviennent à la porte Saint-Michel. Nouvel insuccès.

A ce moment, le bruit se répand que cinq cents hommes de la jeune garde accourent de Nantes. Coislin se hâte de partir. Son armée s'effrite.

En Vendée, le jour, 20 juin, où Bigarré écrasait les Bretons à Auray, Travot broyait une première armée vendéenne, à Rocheservière ; Delaage culbutait la seconde, à Thouars. - 20 juin, date inexorable pour la cause royaliste dans l'Ouest.

Deux jours auparavant, 18 juin, l'Empire recevait à Waterloo le coup fatal. Son triomphe en Vendée et en Bretagne fut stérile. Au point de vue documentaire, pourtant, ce triomphe garde sa valeur ; il montre avec quelle facilité des troupes réduites vinrent à bout de l'insurrection. Celle-ci manquait de souffle, d'enthousiasme. Le 16 mai, Chelou maire de Châteaubriant, tente de sonner le tocsin ; les habitants s'y opposent. Les gens des villages voisins guident les colonnes impériales. Beaucoup d'exemples du même genre pourraient être cités.

Paysans tièdes. Clergé favorable aux Bourbons, mais hostile à la violence. Parfois même des prêtres s'opposent au départ de leurs paroissiens pour les bandes armées. Cela mérite au curé de Drefféac la colère des habitants de Campbon. Les grands vicaires Garnier et Frasne flétrissent "les agitateurs qui travaillent l'esprit public".

Il est des exemples contraires : celui du fameux curé de Maumusson, l'abbé Souffrant, qui lit une soi-disant proclamation de la duchesse d'Angoulême. Le curé de Belligné fait la même lecture ; son vicaire proteste et sort de l'église ; un grand nombre de paroissiens l'imitent. A Rezé, le curé Bascher, frère du chef vendéen de ce nom, excite à la révolte.

Exceptions. Le clergé garde l'expectative : les églises sont ouvertes, le culte est libre. Cette guerre sans ailes est la preuve que quelque chose, malgré tout, est changé dans les âmes ; de part et d'autre, le sentiment en est très net. Entre les belligérants les haines ont cessé ; on se bat, mais on s'estime. L'humanité de Travot, de Lamarque, de Bigarré et de tous les généraux, en Vendée comme en Bretagne, contraste avec la manière de ceux qui, en conquérants, vingt-deux ans auparavant, foulèrent le sol de la petite patrie.

Guerre sans raison ; le paysan en a conscience. Son patriotisme s'est éveillé aux fanfares de triomphe de l'Empire. Ses chefs militaires eux-mêmes, les nobles, n'ont plus la même ardeur.

L'Angleterre, puissamment intéressée, en même temps que les autres nations coalisées contre l'Empire, à produire une diversion dans l'Ouest, à aspirer un corps d'armée qui manquera sur les champs de bataille de Belgique, a seule aidé, durant les Cent-Jours, les insurgés de tout son pouvoir. Elle a fourni en abondance or, armes, munitions. Le Breton, le Vendéen ne connaissent les autres peuples que par les secours qu'ils en ont reçus. Ils vont les connaître autrement ; déjà les Alliés, les corps d'occupation prussiens approchent. L'Ouest va les voir de près. Leur dur contact dessillera les yeux, illuminera les consciences encore à demi-obscurcies. Demain la modification des âmes sera complète.

Mélanges bretons et celtiques
offert à M. J. Loth, membre de l'Institut,
professeur du Collège de France.
1927

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