Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
7 décembre 2013

MAI 1795 - RAPPORT SUR L'ÉTAT POLITIQUE ET LA SITUATION ACTUELLE DE LA VENDÉE PAR A.F. MOMORO

AFM MOMORORAPPORT SUR L'ÉTAT POLITIQUE
ET LA SITUATION ACTUELLE DE LA VENDÉE
FAIT AU CONSEIL EXECUTIF
PAR A.F. MOMORO, Administrateur et membre du Directoire du Département de Paris, commissaire national envoyé en mai 1795, par le conseil exécutif dans les Départements de l'Ouest en proie à la fureur des rebelles.

Paris, le 22ème jour du premier mois de la Seconde année de la République,

Depuis près de trois ans la guerre de la rebellion étendoit sourdement ses profondes racines dans le Département de la Vendée, et le Conseil exécutif instruit à cette époque des mouvements des rebelles, on les méprisoit, on les cachoit à la nation ; peut-être même les favorisoit-il ?


Dans plusieurs endroits de ces contrées malheureuses, les signes de la rebellion se manifestoient ; et les administrations de Départements, Districts et communes ne prenoient aucunes mesures rigoureuses, pour réprimer ces premiers mouvements, sans doute ils les favorisoient aussi.


Des prêtres scélérats abusent de la crédulité des habitans du pays, parviennent à les soulever au nom de la religion, contre l'autorité nationale mais ces prêtres, l'horreur de l'humanité se tenoient cachés derrière le rideau, ainsi que les ci-devants, qui, des quatre coins de la France accoururent en ce pays ; ils attendoient l'instant favorable pour paroître, et pour se mettre à la tête des paysans soulevés.


Dans ces entrefaites, un certain Stofflet, garde chasse d'un Maulévrier émigré, s'étoit formé un parti considérable, à la tête duquel il s'étoit mis, et faisoit des incursions dans le pays, en pillant les propriétés, et forçant les habitans à marcher avec lui, pour soutenir, disait-il, leurs droits, leurs bons prêtres, et venger la religion outragée.


Pour opposer une force importante à ces brigands, qui se répandoient de tous côtés, les Départements avoisinants de Mayne et Loire, des Deux Sèvres, &c. envoyèrent des gardes nationaux pour les repousser, plusieurs petits combats se sont engagés, et les succès obtenus dans ces commencements paroissoient annoncer la destruction prochaine de cette horde naissante de brigands, ils étoient sans armes ; les gardes-chasses seuls avoient des fusils, et les autres n'étoient armés que de bâtons, au bout desquels ils attachoient un morceau de fer ; ou ils étoient armés de faulx, de fourches, et autres ustencilles de ce genre à cette époque, la moindre force agissante qu'on eût envoyée contre eux, les eût détruits entièrement, ils n'étoient point nombreux, mais bientôt leur nombre s'accrut des brigands de la France qui y furent envoyés par les nobles et les prêtres, par les contre-révolutionnaires, et la cour elle-même.


Bientôt on voit accourir de toutes parts des ci-devants, gardes aux barrières, des commis aux aides sans places, des déserteurs et des étrangers sans ressource, des prisonniers faits aux autrichiens et aux quels la nation avoit accordé des secours honnêtes. Cette horde s'accrut encore de mauvais sujets, de moines, de prêtres, de ci-devants, enfin de tous les amis des émigrés de Coblence et des muscadins qui vouloient rétablir la Royauté.


Alors tous ces mauvais sujets achevèrent de soulever les habitans de la Vendée et se répandirent ensuite, comme un torrent débordé, dans le département de Maine et Loire et celui des Deux Sèvres.


Jusques-là les nobles et les prêtres n'avoient osé se déclarer les chefs de la rebellion, et se mettre à la tête des rebelles. D'abord les habitants des campagnes ne s'étoient soulevés que pour venger la religion outragée dans la personne de leurs bons prêtres ; il ne falloit pas leur parler de l'ancien régime ni de la noblesse ni de la féodalité ; ils se trouvoient trop heureux d'être débarrassés et des corvées et des redevances, et de mille droits honteux auxquels ils avoient été assujettis ; aussi ces scélérats de nobles qui fomentoient la rebellion sentoient bien que si on leur eût parlé de faire revivre ces anciens abus, en demendant le rétablissement de la noblesse, ils n'auroient pu en venir à leurs fins, et que les paysans éclairés sur leurs vrais intérêts appercevant le bout de l'oreille, auroient bientôt tourné leurs armes contre eux.


Mais que firent ces nobles ? Ils eurent la politique de s'oublier entièrement de changer de costume, de prendre celui de ces paysans, de vivre avec eux, de manger le même pain, de coucher comme eux dans les bois et de défendre comme eux la religion, d'assister régulièrement aux messes, de porter des chapelets, des reliquaires, de faire tous les jours deux fois la prière, et de communier et de se confesser souvent ; c'est par une conduite aussi hypocrite que ces nobles parvinrent à gagner la confiance de ces paysans, qui trompés disoient : mais ils veulent être nos égaux, ils partagent nos peines, et notre amour pour la religion.


Les mouvements rebellionnaires se menagoient suivant les circonstances, et on tachoit de profiter adroitement de toutes celles qui pouvoient, avec quelqu'apparence de vraisemblance, les justifier ; par ce moyen on parvint encore à mettre beaucoup plus de monde dans son parti : bientôt les fermiers et les administrations perfides se rangèrent du côté des brigands, bientôt des comités particuliers leur furent substitués, et bientôt ces brigands parvinrent à se créer une administration liberticide.


Les administrations de district, de Département gardoient sur tous ces mouvements un silence coupable ; on ne leur opposoient que des moyens impuissants, le conseil exécutif ne prenoit aucune mesure sérieuse et laissoit ignorer à la nation qu'une guerre civile se fomentait à l'Ouest de la France.


Cependant comme la horde des brigands prenoit tous les jours une nouvelle consistance, que les deniers de la nation étoient volés par eux dans les caisses de district, que les impôts ne se percevoient plus, et que les départements voisins étoient menacés de pareils mouvemens rebellionnaires, il a bien fallu en instruire l'assemblée nationale ; c'est alors que le conseil exécutif sortant de sa léthargie, songea à prendre des mesures sérieuses.


Berruyer fut envoyé au commencement de 1793 dans la Vendée, on lui donna le commandement d'environ trois mille hommes, formés de divers bataillons de ces Départements aux quels on joignit la 35ème Division de gendarmerie nationale, qu'on fit partir de Paris au mois de mars, à cette époque les brigands s'étoient réuni à Chemillé, St Pierre de Chemillé et Chollet ; ils avoient quelques pièces de canon enlevées dans des châteaux.


Berruyer ne tarda pas d'aller chercher l'ennemi dans ses repaires ; il attaqua Chemillé avec la gendarmerie nationale et emporta cette place ; mais négligeant de poursuivre l'ennemi, les brigands eurent le tems de se rallier plus loin, et firent leur retraite dans les bois, la gendarmerie vouloit poursuivre ses conquêtes. Berruyer s'y opposoit, alors les brigands étoient commandés par Stofflet.


Bientôt Berruyer fut rappellé de la vendée et Lygonier luy succéda. Celui-ci avoit un de ses parents parmi les brigands, et il ne fit rien pour les battre ; il est accusé d'avoir trahi la République, soit par lâcheté, soit par sa perfidie.


Un autre individu nommé Quetineau fut également accusé par les habitants du pays d'avoir livré Thouars aux ennemis, et d'avoir été la cause du massacre des marseillais ; cet homme a cherché à se justifier, il est actuellement détenu dans les prisons de Paris et sollicite son jugement ; s'il a trahi, que sa tête tombe.


Le département de l'Hérault appelle le premier l'attention de la république sur la rebellion de la Vendée ; il donne cinq mille hommes pour combattre ces brigands, et les riches furent mis à contribution pour les frais de cette levée. Bientôt Paris imitant le dévouement du département de l'Hérault, fit sortir de son sein de nombreux bataillon pour exterminer les brigands de la Vendée ; d'autres départements suivirent l'exemple de celui de l'Hérault.


C'est à cette époque que le tableau de la Vendée devint plus intéressant, et que les grands mouvements opérés depuis ont pris un caractère de nature à fixer de la manière la plus sérieuse l'attention de la convention nationale et de la République entière.


C'est à cette époque singulièrement que le nombre des ennemis s'est accru de beaucoup de mauvais citoyens, désertés même de nos bataillons.


La destruction totale des brigands paroissoit être l'ouvrage de deux ou trois mois au plus. Les bataillons des différents départements se rendoient déjà dans la Vendée, les côtes de la mer, par où les brigands pouvoient recevoir des secours des anglois, furent bientôt gardées par nos troupes, et une armée occupa les Sables d'Olonne, une autre division gardoit Luçon et les passages qui pouvoient conduire sur les côtes ; une autre division fut placée du côté de Fontenay le Peuple.


Avec ces différentes colonnes, on pouvoit garder les côtes de la mer, et empêcher toute communication de la part des étrangers avec les brigands ; c'étoit la conduite qu'il importoit de tenir à l'époque des mois d'avril, mai, &c.


Il falloit aussi garder les passages de la Loire, pour empêcher que l'ennemi ne pénétrât dans l'intérieur ; alors de nouvelles divisions furent placées du côté de Saumur, Doué, le Puit-Notre-Dame, Montreuil, Thouars, le Pont de Cé, Saint Georges et le long du Layon.


Nantes menacé par les brigands devoit également être gardé, une armée dite des côtes de Brest, protégeoit cette ville, Ancenis et les rives de la Loire.


Telles étoient les dispositions que les généraux avoient cru devoir prendre pour cerner les brigands, garant (garantissant ?) les côtes de la mer et l'intérieur, en défendant le passage de la Loire ; ces dispositions pouvoient être excellentes pour le résultat qu'on devoit en attendre ; mais il falloit en même tems attaquer l'ennemi ; et il n'y avoit pas assez de forces pour le faire avec avantage, et sans compromettre le salut de la république ; c'est ce qu'on laissoit ignorer au conseil exécutif, à la convention nationale ainsi que le véritable nombre des ennemis, soit qu'on ne le connût pas, soit qu'on n'eût pas pris toutes les mesures nécessaires pour s'en assurer.


Des députés de la convention nationale avoient été envoyés dans la Vendée pour accélérer la destruction des brigands.


Quelques commissaires nationaux avoient également été envoyés par le conseil exécutif pour tout observer et rendre compte, mais ceux-ci ne  pouvoient que deviner les opérations, n'étant appellés à aucuns des conseils tenus par les représentans du peuple et les généraux.


Les brigands voyant arriver de toutes parts de nombreux bataillons pour les combattre, se formèrent alors en armée, sous le nom d'armée Angevine et Poitevine ; puis quelque tems après prirent le nom d'Armée très chrétienne, alors les nobles qui jusque-là s'étoient tenus derrière la toile, se mirent en avant et prirent le commandement de l'armée. Les Lescure, les la Roche jaquelin, les Laugrenière, les Beauchamp, se partagèrent le commandement avec Stofflet, ils se firent chacun une armée dont le noyau étoit composé de déserteurs, de moines, de prêtres, de nobles et le reste d'habitans du pays, appellés au son du tocsin par chaque commune sous la conduite d'un chef, lorsqu'il y avoit une expédition à faire.


Des comités provisoires furent établis à cet effet dans les différentes paroisses et des bureaux de correspondances créés pour concerter toutes leurs opérations et rendre compte des nôtres au moyen des espions qui se répandoient dans nos camps et dans nos bataillons.


Alors les brigands se fortifioient dans Mortagne, Chollet et Châtillon dont ils avoient chassés tous les patriotes ; ils établissoient à Mortagne un moulin à poudre qui leur en produit journellement quatre vingt livres, très chargées de souffre. La consistance que cette armée acquéroit tous les jours, fit enfin prendre le parti de l'attaquer sur tous les points.


Les brigands furent battus et mis dans la déroute la plus complette aux environs du 15 mai à Fontenai-le-Peuple, département de la Vendée, on leur prit dans cette action presque toute leur artillerie et notamment leur fameuse pièce appellée Marie-Jeanne. Si on les eût poursuivi sans relâche, à cette époque, c'en étoit fait de la Vendée ; la rebellion étoit éteinte et la guerre finie, mais les brigands ne se voyant point poursuivis se rallièrent encore une fois dans les bois, et se reportèrent en grande partie sur le département de Maine et Loire.


A la fin de mai, les brigands se reportèrent sur Fontenai dont ils s'emparèrent par la faute de la gendarmerie à cheval qui n'avait point voulu charger l'ennemi comme elle le devoit.


Le Ministre de la guerre avoit envoyé son adjoint, le citoyen Roufin, pour parcourir tout le pays de la Vendée, et y prendre des renseignements positifs sur la position de l'ennemi, sur la situation du pays, et sur les moyens de le purger de tous les brigands qui l'infectoient ; cette course patriotique se faisoit avec succès ; Ronsin revenant de sa mission s'arrêta à Saumur pour communiquer aux représentant du peuple ses observations, et le plan qu'il avoit fait tracer de la situation de la Vendée et de la position des ennemis.


Biron commandant alors en chef l'armée des côtes de la Rochelle étoit attendu depuis quelques jours à Saumur, pour y concerter au plan de campagne, afin d'attaquer en masse les ennemis. Il y arriva dans les premiers jours de juin ce plan fut arrêté avec les généraux en présence des représentans du peuple et son exécution devoit être très prochaine. Biron retourna à Niort quelques jours après.


Mais bientôt l'ennemi instruit qu'on alloit l'attaquer de toutes parts cherche lui-même à nous attaquer du côté de Saumur le cinq juin, il se présente aux verchers, et après plusieurs heures de combat, il s'empare de ce poste.


Leygonier qui commandoit la division étoit à Doué dans la plus grande insouciance et sans instruire les représentants du peuple que ses avant-postes étoient attaqués et repoussés, et sans envoyer les secours nécessaires et à tems pour les soutenir.


L'ennemi enhardi par ce premier succès, se porta plus avant, et vint attaquer l'armée à Doué, d'où il le repoussa le 7 juin sur Saumur, où il s'avance jusque une lieue de distance et d'où il fut repoussé des hauteurs de Bournan. L'insouciance de Leygonier était la même, mais l'indignation du soldat augmentoit en voyant ce général ne prendre aucun parti vigoureux pour repousser l'ennemi.


La déroute la plus complette s'étoit mise dans l'armée et les représentans du peuple ainsi que le général Menou firent tous les efforts possibles pour rallier l'armée sur les hauteurs de Bournan, ce qu'on parvint enfin à faire.


Les représentans du peuple, témoins de la conduite de Leygonier, le destituèrent le 7 juin et confièrent le commandement de l'armée le 8 à Menou.


Ce nouveau succès avoit encore accru l'audace de l'ennemi, il résolut de se porter sur saumur, et il attaqua et prit cette ville le 9.


Dans ces entrefaites l'armée de Touars avoit reçu ordre de se porter promptement sur Saumur, elle se mit en marche, mais elle ne put passer Montreuil, ou l'armée ennemie composée de près de quarante mille hommes l'attaqua la nuit du 8 au 9 juin à onze heures et demie du soir avec l'acharnement le plus vif.


Cette armée de Thouars, composée d'environ cinq mille hommes, étoit commandée par Salomon ; elle se battit en héros, et tua près de quinze cents brigands ; mais ne pouvant résister au nombre, elle fut forcée de se reployer sur Thouars, d'où elle se rendit à Niort par Parthenay.


Cette jonction n'ayant pu s'opérer avec l'armée de Saumur, cette ville étoit devenu plus difficile à défendre, on n'avoit encore rien fait pour la mettre à l'abri de l'invasion de l'ennemi.


Des redoutes placées sur le grand chemin ne pouvoient la garantir de cette invasion, enfin Saumur fut attaquée avec chaleur, le combat fut sanglant, les bataillons de la formation d'Orléans s'y distinguèrent ainsi que la 36ème division de gendarmerie ; les nouveaux bataillons de Paris firent tous leurs efforts pour soutenir le choc de l'ennemi.


Saumur devenue en la puissance de l'ennemi, les troupes se reployèrent, partie sur Tours, partie sur Angers et partie sur Niort.


L'ennemi se porta de suite sur Angers au nombre de quatre à cinq mille hommes seulement ; et le général Barbansau (?) qui y étoit avec quatre mille hommes, se retira de cette ville, sans vouloir attaquer l'ennemi.
On croyoit alors que la horde des brigands se porteroit sur Tours ; on la craignoit ; mais l'armée très chrétienne n'osa point sortir de ses genêts et de ses bois, c'est alors que la réflexion que cette conduite présente naturellement devoit engager les généraux à rallier promptement l'armée et à harceler l'ennemi partout où il se trouveroit.


Biron fut instruit de la prise de Saumur le sur-lendemain, il ne prit aucune mesure pour remettre entre les mains de la République cette ville importante à conserver à cause du passage de la Loire ; il prit seulement des mesures pour assurer Niort, où il y avoit alors environ dix sept mille hommes de troupes.


Pendant ce tems-là, l'armée des Sables ne remportoit que des victoires : trois fois elle battit l'ennemi, et l'empêcha de tenter le passage des côtes.


Saumur fut quelque tems après évacué par l'ennemi, les troupes de la république vinrent s'y établir, on auroit pu quelques jours avant cette évacuation saisir dans cette ville tous les chefs des brigands qui se voyoient abandonnés par l'armée qui s'étoit retirée dans ses foyers.


Bientôt de nouveaux bataillons arrivèrent à Saumur, on les fit camper sur les hauteurs de Bournan ; ils étoient sous le commandement du général Santerre.


Biron vient à Saumur, un nouveau plan de campagne est concerté, et les bataillons doivent attaquer Brissac, Vihiers, Coron, Chollet et Mortagne.


Biron fait mettre l'armée en marche et au lieu d'attaquer directement à partir du point de saumur, il la fait passer par Angers, pour revenir sur Brissac et attaquer Vihiers : c'était les 15-16-17 juillet que cette opération se fit ; les deux premiers jours l'armée remporta des succès, et le troisième elle fut mise en déroute à Vihiers ; la Barolière commandait d'une part, Menou de l'autre, on s'est plaint que les généraux n'ont pas fait pour battre l'ennemi ce qu'ils auroient pu et dû faire.


Pendant ce tems-là l'armée de Niort restoit dans l'inaction.


La commission centrale des représentans du peuple étoit à Angers, elle fut bientôt instruite de la déroute de l'armée et elle se porta de suite à Tours.


Les ennemis n'avoient point poursuivi nos colonnes, ils étoient au contraire rentrés dans Coron, Chollet et Mortagne.


Par cette déroute, Saumur se trouvoit encore une fois livrée à l'ennemi qui pensoit s'en emparer très aisément, puisqu'il n'y avoit plus aucune force et que les habitans du pays même avoient quitté leurs foyers.
Dans cette circonstance, résolus de défendre le passage de la Loire, par tous les moyens qui pouroient être en notre pouvoir, nous quittâmes Angers, pour nous rendre à Saumur avec le général Ronsin, en chemin, on nous disoit que l'ennemi étoit dans Saumur, ce qui nous fit prendre des précautions de prudence pour nous en assurer : nous y arrivâmes le lendemain : l'ennemi n'y étoit point, mais la ville étoit abandonnée, il n'y restoit aucune autorité constituée, aucun représentant, aucun commissaire, aucune force enfin, qu'un seul bataillon placé dans le château, et qui manquoit encore de vivres et de munitions de guerre pour s'y défendre.


Rossignol fait général de brigade, et revenant de Paris, y arriva le même jour, nous nous concertâmes avec le maire qui étoit seul resté pour mettre Saumur à l'abri de l'invasion de l'ennemi. Bientôt cette ville, par nos soins, fut approvisionnée en munitions de bouche et de guerre ; on y fit venir des troupes ; bientôt la confiance renaissante les habitans rentrèrent dans leurs foyers ; de nouvelles redoutes furent construites à la hâte, les ponts furent coupés et des mines établies de toutes parts ramenèrent une confiance parfaite et mirent Saumur à l'abri de l'attaque de l'ennemi.


Pendant ce tems-là l'armée se réorganisoit ; la conduite de Biron s'éclairoit, de nouveaux généraux étoient désignés pour remplacer les généraux traîtres ou suspects ; et on n'attendoit plus que l'instant d'une réorganisation parfaite et l'arrivée de l'armée de Mayence pour attaquer l'ennemi.


Rossignol remplaça Biron, ce ne fut fait qu'avec les plus vives instances que les patriotes parvinrent à lui faire accepter ce poste prilleux ; il s'y refusoit constemment.


A cette époque de nouveaux préparatifs se faisoient pour attaquer l'ennemi ; de nouveaux secours arrivoient de Paris, en artillerie, en munitions et en armes.


Rossignol alloit visiter les différentes division de l'armée pour déterminer en suite le plan d'attaque général.
Alors l'intrigue s'agitant, et les amis des nobles et des Biron étonnés de voir un sans-culotte à la tête de l'armée des côtes de la Rochelle, firent tous leurs efforts pour lui enlever la confiance du soldat et la perdre dans l'opinion publique ; à ses détracteurs se joignirent deux représentans du peuple Goupilleau de Fontenai, et Bourdon de l'Oise, qui le suspendirent arbitrairement de ses fonctions, à Chantonay, et lui enjoignirent de se retirer à vingt lieux de l'armée, mais bientôt la convention nationale instruite de la vérité des faits par l'organe même du représentant du peuple Bourbotte qui en avoit été témoin, renvoya rossignol à ses fonctions.


L'armée de Mayence arrivoit en poste à Saumur ; un décret l'avoit réunie à l'armée des côtes de la Rochelle, sous le commandement du général de cette armée.


Le Représentant du peuple Phélipeaux étoit venu précédemment de Nantes pour solliciter un secours de plusieurs mille hommes, pour augmenter les forces destinées à la défense de Nantes, on ne pouvoit lui accorder ce secours attendu que les forces de Saumur étoient trop peu nombreuses et que les préparatifs se faisoient pour une attaque générale qui mettroit Nantes à l'abri de toute insulte de la part de l'ennemi, les représentans du peuple qui étoient à Saumur firent valoir ces observations de manière à persuader tout autre que le citoyen Phélipeaux qui, n'ayant pu obtenir ce qu'il demandoit, se transporta sur le champ à Paris, pour solliciter du comité de salut public ce secours. Il paroît qu'il a présenté sa demande au comité, de manière à lui persuader que le salut de la République et l'extinction des brigands de la Vendée dépendroient absolument des mesures que l'on prendroit pour mettre Nantes à l'abri de toute invasion.


En conséquence le comité de salut public réunit l'armée de Mayence à celle des côtes de Brest sous le commandement de Canclaux, général en chef.


Cette nouvelle disposition contrariant singulièrement les mesures projettées pour attaquer l'ennemi en masse à Mortagne, par Saumur, les représentans du peuple près l'armée des côtes de la Rochelle et les généraux surpris de ce qu'on enlevoit par ce moyen l'armée de Mayence à celle des côtes de la Rochelle, résolurent de dépêcher un courrier extraordinaire au comité de salut public pour lui faire des observations essentielles à ce sujet, le général Joli fut chargé de cette mission.


Pendant ce tems, l'armée de Mayence restoit à Saumur et attendoit qu'on la conduisît à l'ennemi qu'elle brûloit d'attaquer. Son départ même fut retardé de quelques heures, pour attendre le résultat des observations présentées au comité de salut public. Le général Joli ne mit point de célérité dans sa mission, il resta deux jours de plus et rapporta des ordres confirmatifs des premiers ; l'armée de Mayence partit donc de Saumur pour se rendre à Nantes.


Dans ces entrefaites un conseil général de guerre se tint et étoit composé de neuf généraux et de onze représentans.


De grands débats eurent lieu dans ce conseil et les avis furent partagés par moitié plus une voix.


Les onze représentans à l'exception d'un seul qui ne voulut point voter, et de deux autres qui votèrent pour l'on marchât sur Mortagne par Saumur, délibérèrent (?) dans ce conseil de guerre, quoiqu'un décret positif défendît à tout représentant de s'immiscer dans les opérations militaires et ils l'emportèrent sur l'avis des généraux, n'en étant éloigné que de quinze lieux et de ce côté seul Mortagne étant attaquable ; en conséquence il fut arrêté qu'on attaqueroit Mortagne par Nantes, que les différentes divisions de l'armée partiroient chacune à des époques déterminées, pour se rendre à tel jour, également déterminé, sur Mortagne, il fut convenu que ce plan seroit littéralement exécuté.


Une copie de ce plan fut remise à chaque général divisionnaire. Rossignol en envoya une copie au comité de salut public avec ses observations.


Bientôt de toutes parts les préparatifs se font pour marcher sur l'ennemi, aux termes des articles du conseil de guerre. Les colonnes commencent à s'ébranler, l'armée de Mayence réunie à celle des côtes de Brest, part de Nantes, marche sur Clisson, Montaigu et ne rencontre que de légers obstacles qu'elle a bientôt dissipés ; elle prend en chemin plusieurs pièces de canon, délivre des prisonniers, et marche précédée de la victoire sur Mortagne.


Le général Canclaux commandant cette armée, écrivoit à Rossignol pour lui demander où étoit l'ennemi. Rossignol répondoit qu'effraié par l'armée de Mayence, il s'étoit jetté en masse sur lui, en effet les brigands fuyoient devant cette armée composée de vingt sept mille hommes environ.


Dans ces entrefaites le général Tuncq qui s'étoit trop imprudemment avancé dans le pays ennemi, du côté de Chatonnay, en laissant sa gauche et sa droite à découvert éprouva un échec considérable, qui ne dérangea cependant pas le plan de campagne, qui devoit être exécuté ainsi qu'il avoit été arrêté.


Le général Chalbos seulement avoit plus de précautions à prendre pour suivre la marche qui lui étoit indiquée par ce plan. Le général Canclaux en étoit instruit.


Un contingent considérable s'étoit réuni à nos bataillons de Saumur, de Doué, de Thouars, d'Angers, de Fontenai-le-Peuple, de Niort, de Parthenay ; près de trois cents mille homme, appellés par le tocsin, formoient ce contingent armé, partie de fusils et partie de piques, de faulx, de fourches, et d'autres ustenciles de ce genre, tout nous promettoit une victoire certaine, et la défaite absolue des brigands ; il suffisoit de vouloir les vaincre ; et ils étoient vaincus.


Nos bataillons renforcés de ces contingens se mettent en marche et battent l'ennemi les deux premiers jours partout où ils le trouvent. La division de Thouars lui prend des canons et brûle plusieurs villages ; celle d'Angers, partie du Pont de Cé, bat également l'ennemi ; celle de Fontenai s'avançoit sans rencontrer d'obstacles sur la Chataigneraie, lorsque tout-à-coup Chalbos, sur une lettre mal-entendue, arrête la marche de sa colonne malgré les instances des représentans du peuple, et envoie au général Rossignol un courrier, pour lui faire part de l'incertitude dans laquelle cette lettre l'avoit jetté. Rossignol, étonné, indigné, renvoie sur le champ un courrier au général Chalbos, pour lui ordonner d'aller en avant, en lui témoignant toute sa surprise de la conduite contraire qu'il avoit tenue, lors-que deux lettres précédentes et celle-là même lui enjoignoient expressement d'exécuter le plan et de marcher.


Nos colonnes jusque-là victorieuse sur les rives de la Loire, éprouvèrent alors quelques échecs.


La colonne de Doué, commandée en chef par le général Santerre, après avoir brûlé près de quinze lieues de pays, s'étoit avancé sur Coron ; où elle avoit pénétrée, et d'où elle avoit chassé l'ennemi ; mais bientôt cette colonne fut obligée de retourner sur ses pas, et de laisser quelques pièces de canon dans des chemins étroits d'où on ne put les retirer. Le contingent attaché à cette armée n'avoit point suivi les bataillons à Coron ; ce que l'ennemi appercevant, fit volte-face et revint attaquer nos soldats dans cet endroit, dont il se rendit maître. La déroute se mit alors dans les bataillons et les contingents prirent la fuite au premier coup de canon tirés sur eux ; quelques braves gens seulement restèrent et se réunirent aux bataillons, qui vinrent aussitôt occuper les hauteurs de Vihiers, où ils se rallièrent, d'après les invitations des généraux et des représentans du peuple qui depuis trois jours suivoient les opérations de cette armée, la retraite alors se fit avec quelqu'ordre sur Doué où d'autres bataillons s'étoient mis sous les armes pour arrêter les fuyards, afin de ne pas jetter l'allarme dans Saumur, ce qui nous auroit absolument perdus.


La colonne de Thouars, qui se trouva sur la gauche de Doué, commandée par le général Rey, battit l'ennemi et n'éprouva aucun échec. Elle s'étendit au contraire sur Montreuil et le Puit Notre Dame, pour renforcer celle de Doué, et couvrir par ce moyen Saumur et le passage de la Loire.


La colonne d'Angers, commandée par le général Duhoux, n'étoit pas aussi heureuse ; après deux jours de succès tant à Saint-Lambert, qu'à Chemillé, elle se trouva presque totalement anéantie, battue par l'ennemi ; tous ses équipages, toute son artillerie prise ; deux cents hommes seulement s'étoient soustraits à la fureur des brigands et avoient repassé le Pont de Cé, qui fut aussitôt coupé pour que l'ennemi n'y pût aborder ; effectivement les brigands qui avoient voulu poursuivre les débris de la colonne, furent obligés de s'arrêter aux buttes d'érigné puisque là prises et reprises tour-à-tour, ces revers inattendus et l'inaction dans la quelle la colonne de Chalbos étoit restée, empêchèrent la jonction avec l'armée des côtes de Brest.
Le général Rossignol instruisit aussitôt de ces revers le général Canclaux.


L'armée des Sables en éprouvoit aussi, Mickousky avoit été battu par l'ennemi.


Beisser commandant une division de l'armée des côtes de Brest, venoit d'essuyer également un échec et l'avant-garde elle-même de l'armée de Mayence avoit été obligée d'abandonner son artillerie, et de se reployer sur le corps de l'armée, pour s'être avancé trop imprudemment et avec trop de sécurité dans des chemins coupés, dans des bois et des ravins.


Dans l'une et l'autre armée par une fatalité inconcevable, on venoit d'éprouver des échecs, et cependant l'ennemi ne gagnoit aucun terrein.


C'est alors que l'on sentit combien avoient raison les généraux qui vouloient qu'on attaquât en masse Mortagne par Saumur, c'est alors que les représentans du peuple près l'armée de Mayence écrivirent à Rossignol qu'ils mettoient en lui tout leur espoir, nos colonnes à l'exception de celle de Duhoux seulement pouvoient remarcher sur l'ennemi, et réparer promptement les échecs qu'on venoit d'éprouver ; mais il falloit de l'accord dans les opérations.


L'armée de Brest étoit retournée à Nantes pour se reformer promptement ; c'est ce qu'on apprit quelques jours après ; car on ne recevoit d'elle aucune nouvelle. Deux courriers envoyés à Canclaux par Rossignol ne revenoient point, on étoit dans l'inquiétude, on répandoit cependant le bruit de la prise de Mortagne par l'armée de Mayence et aucune nouvelle officielle ne venoit confirmer ou démentir ce bruit.


Au milieu de cette perplexité, de cette sollicitude, il falloit prendre un parti et ne pas laisser jouir trop long-tems l'ennemi du fruit de sa victoire, l'armée s'ennuyoit de rester dans l'inaction, et malgré les dégoûts et les calomnies perfides dirigées contre Rossignol par des représentans eux-mêmes, ce général souffroit du silence que Canclaux gardoit, et de l'inaction de nos colonnes.


Un nouveau conseil de guerre fut provoqué à Saumur, les généraux y furent appellés et il eut lieu le deux octobre. Il y fut décidé que toutes les colonnes de l'armée se rendroient le sept à Bressuire, afin de former une masse et d'opérer s'il étoit possible, une jonction avec l'armée de Mayence qui n'étoit qu'à trois lieues de Mortagne.


Dans ces entrefaites, Canclaux écrivit à Rossignol en date du premier octobre, que l'armée étoit partie de Nantes pour n'y revenir qu'après avoir remporté une victoire complette, qu'elle étoit dans de très bonnes dispositions, qu'il avoit pris des postes avantageux, qu'il établissoit son quartier général à Montaigu, et qu'il alloit marcher sur l'ennemi.


Le marché que le nouveau conseil de guerre venoit d'arrêter pouvoit s'accorder avec les opérations de l'armée de Mayence, et Canclaux en fut sur le champ instruit par un courrier, alors les colonnes étoient en marche pour se rendre à Bressuire.


Saumur étoit en outre gardée par une garnison suffisante, des redoutes environnoient cette ville, des mines disposées de toutes parts la rendoient inabordable à l'ennemi. Le château bien approvisionné en munitions de guerre et de bouche, en bonne artillerie, en troupes, pouvoit encore empêcher l'ennemi de se présenter.
Doué étoit également dans un état de défense suffisant pour arrêter quelque tems l'ennemi.
Le Pont de Cé étant coupé, et défendu par plusieurs pièces de canon, opposoit une digue assés redoutable aux brigands.


D'un autre côté, l'armée de Mayence venoit de balayer la route de Nantes.


L'armée de Fontenai en marchant sur Bressuire avec précaution, pouvoit chasser l'ennemi en avant.


L'armée des Sables restant à son poste, pouvoit empêcher l'ennemi d'aborder auprès des côtes de la mer.


La garnison et les habitans de l'isle de Noirmoutier venoient de donner la chasse à quatre mille brigands qui avoient osé se présenter.


Dans cet état de choses, la situation de la Vendée n'étoit pas aussi désespérante qu'on le publioit, l'armée de Mayence dans l'instant même, réunie à celle de Brest, obtenoit de nouveaux succès, elle mettoit en déroute les brigands, auxquels elle avoit pris deux pièces de canon, deux caissons, tué six cents hommes et fait beaucoup de prisonniers, les colonnes de Saumur et de la Chataigneraie obtenoient de leur côté les mêmes succès.


Néanmoins on ne peut se dissimuler que cette guerre est de nature à fixer de la manière la plus sérieuse l'attention de la République ; cette guerre ne ressemble en rien à celle que nous font les puissances coalisées.


C'est contre des françois égarés par le fanatisme que nous avons à combattre.


C'est contre des françois séduits par les nobles qui veulent rétablir la royauté et leurs privilèges, que nous avons à combattre.


C'est contre une population entière que nous avons à combattre.


Nos ennemis sont nombreux, la population des pays occupés par eux monte à peu-près (en hommes) quatre vingt mille individus.


Nous devons aussi compter parmi nos ennemis les femmes de ces mêmes hommes, et qui servent d'espions à leurs armées.


Nous avons près de quatre vingt lieues à garder pour circonscrire dans les limites qu'ils ne puissent passer, tous ces brigands.


Notre force n'est pas suffisante pour être en même tems agissante, et dans une ligne de circonvallation, notre armée monte à cinquante mille hommes à peu près.


Celle des ennemis s'est renforcée de tous nos déserteurs, d'une partie des cuirassiers et de la légion germanique, de plusieurs hussards et dragons, d'un grand nombre enfin de mauvais sujets qui se sont glissés dans nos bataillons pour les désorganiser. C'est presque là l'élite de leurs troupes, joint à tous les commis de barrières, déserteurs autrichiens, prussiens, émigrés et autres étrangers qui se sont jettés dans la Vendée.


Le courage de l'ennemi s'est encore accru par les combats, ces paysans, qui d'abord prirent nos canons avec des bâtons, se sont enhardis aux batailles, les différents succès qu'ils ont eus ont augmenté leur audace.


Ceux qui ont moins de courage naturel, ont celui du fanatisme et du désespoir plus terrible encore.


Nous ne pouvons d'après cela nous dissimuler que notre ennemi est plus nombreux et plus dangereux que nous le croyions d'abord.


Nous ne l'avons bien connu que depuis que l'armée de Mayence est venue dans la Vendée.


C'est alors que nous avons vu à peu-près au juste que les brigands avoient trois armées composées chacune d'environ trente mille hommes.


Ces armées ont chacune un noyau de cinq à six mille hommes qui sont étrangers au pays, et continuellement en activité, auquel noyau se réunissent au premier coup de tocsin les paysans par chaque commune, sous la conduite d'un chef.


Chacune de ses armées est commandée par un général en chef choisi par le conseil supérieur des ennemis.
Beauchamps en commande une qui a continuellement inquiétée les rives de la Loire, depuis Thouars, Montreuil, le Puit Notre Dame, Saumur, Doué, Brissac, jusqu'au Pont de Cé.


Lescure en commande une seconde qui s'est toujours portée du côté des Sables, de Parthenay, Niort, Fontenay-le-Peuple, Chantonnay, Luçon, &c.


Charette en commande une troisième qui n'a cessé de se porter du côté de Nantes, et des rives de la Loire, du côté de Saint Georges et Ancenis.


La Roche jacquelin, jeune homme de 20 ans est le généralissime de ces armées : c'est l'homme le plus audacieux qu'il y ait parmy les brigands.


Ils ont en outre dans cette armée des officiers généraux tels qu'un Laugrenière, un Pyron et autres scélérats de cette trempe.


Un nommé Maignan (*) de la légion germanique, un scélérat connu, commande leur cavalerie.


Leur artillerie généralement est mal servie ; ils n'ont point de bons canonniers ; et c'est une justice à rendre aux nôtres qu'ils aiment mieux se faire tuer sur leurs pièces, que de se rendre prisonniers, ou se faire fusiller par les brigands que de servir leurs pièces, lorsque le sort les fait prisonniers.


Les ennemis se servent d'une poudre qu'ils ont fabriquée à Mortagne et qui est très chargée de parties sulphureuses.


Ils ont beaucoup d'artillerie à présent, le nombre peut en monter à cent vingt pièces environ ; mais ils ne peuvent en faire usage de toutes ; car le terrein n'est pas meilleur pour eux que pour nos troupes, aussi ont-ils soin de ne marcher qu'avec peu de pièces ; ils en traînent ordinairement avec eux, deux, quatre et au plus huit.


Nous pourions en faire de même la bayonnette et l'arme blanche valent mieux dans d'aussi mauvais chemins que l'artillerie la mieux servie, parce que ces brigands ont la tactique adroite de ne rester jamais en masse, et de s'éparpiller de droite et de gauche pour cerner nos colonnes, c'est ce qu'ils appellent s'égayer.


On peut donc considérer comme ennemie toute la population du pays, y compris les femmes qui leur servent d'espions et de soldats au besoin, même de canonniers ; car on en a tué plusieurs soit dans les rangs, soit aux pièces, dont on a reconnu ensuite le sexe déguisé.


On avoit jusqu'ici attaqué l'ennemi sur différents points séparément, il étoit peut-être bien difficile de faire autrement avec si peu de monde, et surtout lorsqu'il falloit en outre garder toutes les rives de la Loire et les côtes de la mer, ce qui forma une étendue d'environ 80 lieues de pays, cependant ces attaques partielles nous étoient très nuisibles, et c'est par elles qu'on est parvenu à armer nos ennemis et à grossir leurs bandes de nos déserteurs.


Il auroit fallu une force environnante capable d'empêcher l'ennemi de pénétrer dans l'intérieur et de gagner les côtes de la mer ; et une force agissante pour l'attaquer dans ses repaires et le poursuivre partout ; c'est encore ce qu'on ne pouvoit faire avec aussi peu de forces, surtout après avoir laissé ignorer à la nation les progrès sourds que l'ennemi avoit faits depuis plusieurs années.


Les armées ennemies ne sont pas organisées comme les nôtres, et composées de bataillons ou de régiments ; elles sont formées par commune ; elles ne reçoivent aucune solde, à l'exception de la nourriture lorsqu'elles sont en campagne.


Les seuls brigands qui soient soldés sont ceux qui forment le noyau de l'armée ; ce noyau est composé de compagnies françaises, de compagnies allemandes et de cavalerie.


Les brigands ont la politique de bien traiter leurs soldats dits de ligne, qu'ils nous font prisonniers, afin de les engager à se ranger de leur parti ; ils les renvoient très facilement lorsqu'ils ne veulent pas rester avec eux.
Ils maltraitent au contraire nos volontaires ; ils en font fusiller plusieurs par semaines et notamment les jours de bonne fête.


Ils les nourrissent mal, et les tiennent à Châtillon, Chollet et Mortagne, sous la garde des habitans du pays, et quelquefois des femmes seulement où des vieillards.


Les prêtres continuent de dominer tous ces paysans et Monseigneur l'évêque d'Agra leur donne de tems en tems sa très sainte bénédiction paternelle.


Tous les brigands portent sur eux un chapelet, un reliquaire ou un petit coeur de drap rouge où blanc.


Ils ne manquent pas de réciter soir et matin leur prière. Aussitôt qu'ils ont remporté une victoire, leurs prêtres les font agenouiller pour en remercier le dieu des armées.


Avant que les combats ne s'engagent, les absolutions inondent l'armée très chrétienne.


En ce moment les ennemis ont levés quelques compagnies des hussards portant le même uniforme que ceux de la république, à l'exception d'une petite croix blanche cousur sur le côté gauche de leur habit, et d'un chapelet qu'ils ont au col.


De loin, on ne peut appercevoir ces marques, et quelquefois ils sont confondus avec nos hussards.


L'uniforme des brigands est une veste de toile rayée, avec un collet vert et un pantalon de toile rayée, les paysans ne portent point cette uniforme.


Les chefs portent sous leur chapeau rond un mouchoir blanc autour de leur tête ; ils ont des espèces d'habits de chasseurs ; les subalternes portent, autour de leur tête des mouchoirs de couleur.


L'ennemi a pillé de tous côtés une quantité considérable de grains et de fourages, dont il a fait des magasins pour passer l'hiver.

OBSERVATIONS
sur l'esprit public du pays et des départements avoisinans.

Partout le peuple est le même, c'est-à-dire qu'il aime la révolution et veut la liberté.
Partout les Riches, les égoïstes, les fermiers et les marchands sont les mêmes, c'est-à-dire qu'ils profitent de la misère commune pour s'enrichir et faire pâtir le peuple.
Partout les prêtres et les ci-devant hommes de barreau sont les mêmes, c'est-à-dire qu'ils regrettent l'ancien régime et les abus d'où dépendoit leur existence.
Partout aussi le peuple sans-culotte se défie de tous ces gens-là et pour peu qu'il soit appuyé par des patriotes prononcés, il sçait les mettre à la raison.
Dans le département des Deux Sèvres, à Niort, longtems l'esprit public a été perverti par les muscadins, et ceux dont je viens de parler ; on a cherché à fédéraliser ce département, deux députés fédéraliseurs envoyés de Bordeaux y ont été bien accueillis ; mais nous avons déjoué leur infâme projet.
On dit aujourd'huy l'esprit public meilleur dans ces département.
Celui d'Indre et Loire a été bon, il est devenu moins bon, et c'est l'ouvrage des égoïstes, des Royalistes, et des fédéraliseurs.
Celui du Maine et Loire est de même, c'est l'ouvrage des prêtres principalement, car il y en a beaucoup, même dans les administrations, où l'on ne devroit en tolérer aucun, au moins par politique.
Il en est à peu-près de même des autres départements ; néanmoins la liberté triomphera.
De nouveaux bataillons de réquisition s'organisent pour la Vendée, ce qui va augmenter nos forces, déjà plusieurs sont formés et réunis à l'armée.
Tel est l'apperçu de la situation de la Vendée d'après les observations que j'ai pu recueillir pendant cinq mois de mission dans ce pays. Je crois ces observations conformes à celles faites par ceux qui n'ont pas voulu déguiser la vérité, j'ai cherché à la connoître, si j'ai commis quelques erreurs, elles seront faciles à redresser.

MOMORO
Administrateur du Département de Paris
et Commissaire national.

SIGNATURE MOMORO



(*) Il avoit été emprisonné à Paris pour fabrication de faux assignats.

Archives militaires de la guerre de Vendée conservées au Service historique de la Défense (Vincennes)

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité