LES DISSIDENTS AU DÉSERT VERS 1834
Feu mon vénérable confrère, M. le docteur Pierre-Théophile Proust, médecin à Champdeniers (décédé le 21 décembre 1873 à l'âge de 75 ans), racontait qu'ayant un jour à parler à un fermier de la Gâtine, on lui apprit, non sans hésitation, qu'il pourrait le voir à l'assemblée de la Tardivière, commune de Verruyes. L'éminent praticien crut à quelque assemblée baladoire et poussa son cheval du côté de ce village, éloigné des grands chemins. Aux environs, il remarqua un concours insolite de gens de tout âge et de tout sexe qui semblaient l'observer avec défiance quoiqu'il fût bien connu ; mais personne ne disant mot, il passa outre.
Et ce ne fut pas sans étonnement qu'il tomba sur une grande réunion en plein air où s'était rendue toute la population de la Petite Église de la contrée. Le docteur réclama longtemps son homme ; on lui amena enfin le vieux fermier revêtu d'un surplis, un livre à la main. Tout s'expliqua, c'était lui qui exhortait l'assistance. (Je n'ai rien voulu changer au récit du vieux docteur. Un dissident converti, auquel j'en ai fait part, croit que l'assemblé devait être présidée par un prêtre qui se dissimula.) Ne vous semble-t-il pas assister à une ancienne assemblée au désert des protestants proscrits ?
Aujourd'hui, il n'y a plus d'assemblées de dissidents, vu leur petit nombre, mais les précautions prises contre les intrus, en raison d'une dénonciation jugée à tort possible, se retrouvent encore aux enterrements. Nul, s'il n'est anticoncordataire, quelque rapprochée que puisse être sa parenté avec le décédé, n'est autorisé à assister aux dernières prières dans la chambre mortuaire. Ces prières dites, l'ensevelissement se fait au cimetière de la commune, sans prêtres ni symboles, comme s'il s'agissait d'un enterrement purement civil. Mon père se plaignait un jour de n'avoir pas été invité à conduire à sa dernière demeure un fermier pour lequel il éprouvait une grande sympathie. "Que voulez-vous, notre maître, lui dit-on, c'est trop triste de nous voir enrocher aujourd'hui tout comme de pauvres bêtes."
Longtemps après le Concordat, il y eut, au sud de l'arrondissement de Parthenay, des prêtres dissidents ; dans ma jeunesse, on montrait encore, dans plusieurs maisons (notamment à Soutiers), les chambres où ils disaient la messe et administraient les sacrements (Le préfet Dupin, dans son rapport au ministre de la justice du 6 mars 1811, parle d'une douzaine de souterrains où se réfugiaient les prêtres ; il est à croire qu'il y en eut un plus grand nombre. Lors de la chouannerie de 1832, le capitaine Robert avait aussi pratiqué une cache sous sa maison à St-Pardoux). Les enfants apprenaient tant mal que bien à domicile le catéchisme "de La Rochelle".Comme chez les protestants, chaque dissident avait sa bible. Ce n'était pas, il est vrai, la version d'Osterwald. Le remplacement du prêtre par un simple laïque, notamment à l'occasion des enterrements, offre une autre similitude.
Le dernier ecclésiastique mort, pères et mères envoyèrent assez volontiers leurs enfants au catéchisme paroissial. Beaucoup de jeunes gens se convertirent parce qu'ils trouvaient difficilement à se marier. J'en ai aussi entendu se plaindre, non sans raison, d'être obligés de faire maigre pendant tout le carême, pratique très pénible pour les travailleurs. Les vieillards presque seuls, s'obstinant à rester plus catholiques que le pape, persistent encore usque in extremis.
Pour ce qui est des fêtes non concordataires, elles étaient célébrées dans la Gâtine, il n'y a pas soixante ans, par les catholiques aussi bien que par les dissidents. Les catholiques les appelaient demi-fêtes ou fêtes jusqu'à midi, parce qu'on s'habillait le matin pour aller à la messe et qu'on travaillait le soir.
LÉO DESAIVRE
Mémoires - Société historique et scientifique des Deux-Sèvres.
1906