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La Maraîchine Normande
12 novembre 2013

CHANZEAUX - PREMIERE COMMUNION DANS UN PRÉ DE LA MÉTAIRIE DE FRUCHAULT

CHANZEAUX - LA PAROISSE VENDÉENNE SOUS LA TERREUR

M. L'ABBÉ SOYER, DEPUIS EVEQUE DE LUCON
PREMIERE COMMUNION DANS UN PRÉ DE LA MÉTAIRIE DE FRUCHAULT

l'abbé Soyer

Tandis que la Vendée, le Maine et la Bretagne retentissaient une troisième fois de cris de guerre, une cérémonie belle comme les agapes des premiers siècles du christianisme, jetait un jour de joie sur ces années de deuil.
Depuis longtemps, M. l'abbé Soyer préparait à leur première communion les enfants de Chanzeaux. Tout l'hiver on l'avait vu parcourir les bois, les genêts, les fermes isolées, et braver toutes les fureurs de la persécution pour l'exercice de son saint ministère. Paraissant partout où il y avait du bien à faire, des larmes à essuyer, il quittait la nuit son secret asile, bénissait les malades au lit de mort, ou, entouré de petits enfants, il faisait entendre la parole de vie sous les ruines demi-couvertes d'une masure incendiée. Là, il enseignait à aimer Dieu, à consoler les mères, à prier pour la France et à pardonner aux meurtriers de leurs familles.
De toutes les communes voisines on accourait à ses pieuses instructions. Souvent à la clairière d'un bois, au bord de la rivière, dans un vallon écarté, il célébrait la messe au milieu de pauvres veuves, de vieillards et d'intrépides jeunes hommes appuyés sur leurs armes. Agenouillés autour de lui, ils priaient avec ferveur, demandant au ciel la résignation, le courage et la force d'étouffer la vengeance dans leurs coeurs.

Un mois s'était écoulé depuis que l'Église avait chanté le glorieux hymne de la résurrection du Fils de Dieu, et parmi ces fidèles laboureurs, il n'en était pas un seul qui n'eût approché de la table sainte, lorsque M. Soyer fixa le jour de la première communion.


Une fraîche prairie de la métairie de Fruchault fut le lieu choisi pour cette fête touchante.

FRUCHAULT CHANZEAUX


Située loin de tout chemin, dans une gorge ignorée, elle descend en serpentant au bord d'un ruisseau qui baigne le pied des hauteurs de Mauvezin. Au nord et au midi, de vastes champs de genêts inclinent vers elle leurs pentes arrondies, et d'épaisses haies d'aubépines et de cerisiers sauvages l'entourent d'un rideau de feuillage et de fleurs. Au milieu croissent deux vieux chênes dont les rameaux périodiquement coupés pétillèrent bien des fois au foyer champêtre. Ce fut sous leur dôme de verdure, à l'ombre des drapeaux blancs consacrés dans une bataille, que s'éleva le modeste autel (1). Une simple planche recouverte d'un tissu de lin fut appuyée entre leurs troncs creusés par l'âge ; les jeunes filles y ajoutèrent des guirlandes de lierre, de roses, des bleuets et un agneau couché sur sa croix, doux symbole tracé avec de la mousse des bois et la fleur de l'églantier.

C'était une de ces belles nuits de printemps, à l'air tiède et embaumé, où la brise chargée de parfums agite à peine les feuilles du saule et se mêle en harmonies célestes aux chants des oiseaux. Les étoiles brillaient d'un ineffable éclat, adouci par de légers nuages qui flottaient au ciel comme des flocons de neige, et la lune glissant au travers des arbres, projetait leurs ombres sur le gazon inondé de ses feux.

Les premières lueurs du jour n'avaient point encore blanchi l'horizon, lorsqu'un sourd murmure, comme un cliquetis d'armes, mêlé à un bruit confus de pas et de voix éloignées, annonça l'approche des fidèles. Une immense multitude couvrait déjà les coteaux voisins. Ses longues files inégales s'allongeaient en suivant les étroits sentiers, disparaissaient dans l'ombre au fond des ravins, descendaient sans ordre les pentes escarpées, puis venaient en silence se confondre dans la prairie. De tous côtés on voyait se détacher sur les genêts dorés les mantes noires des femmes, les blanches robes des jeunes filles et les chapeaux ornés de plumes des soldats vendéens ; et toutes les fois que les rayons de la lune venaient à tomber sur leurs armes polies, il en jaillissait mille gerbes de lumière. Peu à peu la prairie entière fut remplie de femmes et d'enfants ; des détachements armés, une double ligne de sentinelles avancées occupèrent les issues de la vallée et couronnèrent toutes les hauteurs.

Un profond silence succéda bientôt à l'agitation. M. Soyer venait de revêtir les ornements sacerdotaux qu'une pieuse fraude avait dérobés au pillage et à l'incendie de l'église. Les saints mystères allaient commencer. L'approche du jour faisait déjà pâlir les étoiles. Une clarté douteuse et incertaine était apparue au levant ; elle avait insensiblement grandi et montait alors au ciel, qu'elle couvrait des plus riches couleurs. Quatre ou cinq cents enfants parés de leurs habits de fête, formaient deux à deux autour de l'autel une ligne demi-circulaire. L'innocence et la candeur brillaient sur leurs visages. Placées un peu en arrière, leurs mères attachaient sur eux des regards pleins de foi et d'amour. Hélas ! pour un grand nombre c'était la première joie depuis leur veuvage. De l'extrémité de la prairie au sommet des coteaux, les hommes, un genou en terre, tenant d'une main leur fusil, de l'autre leur chapelet (2), contemplaient avec attendrissement cette admirable scène, et des larmes involontaires coulaient sur ces figures basanées endurcies depuis longtemps aux spectacles de la guerre.

M. Soyer descendit enfin les marches de l'autel. Sur ses traits animés d'une expression surnaturelle on lisait les sentiments de son âme. Son émotion était telle qu'il put à peine entonner cette magnifique invocation au Saint-Esprit, que l'Église met dans la bouche de ses enfants aux circonstances solennelles de la vie. Cette sensation passagère disparut devant une exaltation plus grande encore. Les cieux s'étaient ouverts aux paroles du prêtre. A l'instant où la foule inclinée adorait en silence, les premiers rayons du soleil saluaient leur Créateur. De tous ces coeurs d'enfants s'échappaient des prières dignes des anges. Lorsque M. Soyer élevant l'hostie sainte, leur annonça la fin de leur attente, l'accomplissement de leurs espérances et de leurs désirs, lorsque le Dieu de bonté reposa sur leurs lèvres si innocentes et si pures, tous, transportés de bonheur, ressentirent une paix ineffable et des joies inconnues. Leur reconnaissance éclata en sanglots, en soupirs, en angéliques concerts ; et leurs pensées se confondirent en un sentiment unique d'adoration et d'amour.

Les échos de la vallée avaient seuls répété les divins cantiques. La crainte de donner l'éveil aux républicains et d'ensanglanter par un combat cette pieuse cérémonie, avait arrêté les voix des fidèles. Mais en entendant l'hymne que depuis longtemps lui avait appris la victoire, rien ne put contenir l'enthousiasme de la multitude. Les conseils de prudence furent oubliés et plusieurs milliers de Vendéens firent retentirent les collines des louanges du Dieu trois fois saint. Oui, ils avaient raison de suivre l'élan de leur âme ? Le ciel leur eût-il ce jour-là refusé la victoire, ne couvrait-il pas la faiblesse et l'innocence de ses bénédictions ?

Des cris de guerre et de vive le roi ! se mêlèrent aux chants sacrés. Une exaltation inexprimable avait remplacé le recueillement et la prière, et chaque paysan en retournant dans sa cabane se croyait invincible. Aujourd'hui même, malgré plus d'un demi-siècle de distance, le souvenir de cette fête n'est point effacé. Les traces qu'elle avait laissées dans les coeurs étaient trop profondes. Depuis cette époque, mille évènements divers ont rempli l'existence de tous ceux que réunit la prairie de Fruchault ; bien des orages sont passés sur leurs têtes ; la mort a enlevé le plus grand nombre, les plus jeunes sont déjà sur le déclin de l'âge, quelques-uns ont oublié les promesses qu'ils avaient faites à Dieu et à la mémoire de leurs pères ; mais parmi ceux qui vivent encore il n'en est pas un seul qui ne regarde ce jour comme le plus serein, le plus calme et le plus heureux de sa vie.

fruchaux 3
fruchaux 4



JOURNAL DES CURÉS DES VILLES ET VILLAGES
1859

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