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La Maraîchine Normande
22 octobre 2013

LE GÉNÉRAL MONTHOLON ET LA CONSPIRATION DE LA RUE DES PROUVAIRES

LE GÉNÉRAL DE MONTHOLON
ET LA CONSPIRATION
DE LA RUE DES PROUVAIRES

Plusieurs faits de notre histoire contemporaine demeurent encore enveloppés de brouillard ; parmi ceux-ci l'on peut citer l'échauffourée connue sous le nom de conspiration de la rue des Prouvaires, et dont le dénouement tragi-comique eut lieu dans la nuit du 1er au 2 février 1832. Châteaubriand, que sa grandeur ... et ses coquetteries avec tous les partis attachaient au rivage, en parle sur un ton badin et méprisant ; il n'a pas assez de sacarsmes pour les bonnes têtes monarchiques, jeunes et folles sous leurs cheveux blancs, qui imaginèrent d'enrôler pour un coup de main. Nous allons examiner si, parmi ces gens à béquilles prétendant étayer les monarchies croulantes, il n'y avait pas tout au moins quelques hommes capables de marcher d'un pas moins chancelant.

Après les glorieuses, les légitimistes s'étaient séparés en deux camps : les uns tenaient toujours pour le vieux roi, malgré son abdication ; les autres, scandalisés par la désinvolture avec laquelle Charles X et le duc d'Angoulême, apeurés, avaient jeté leur couronne à l'émeute, se ralliaient autour de la duchesse de Berry qui ne paraissait pas disposée à laisser prescrire les droits de son fils ni à imiter la résignation moutonnière du reste de la famille royale.

Les partisans du roi déchu obéissaient au duc de Blacas, homme impopulaire s'il en fût, et auquel on reprochait justement d'avoir conduit la monarchie à sa ruine en 1815. Le favori de Charles X jouait, à la petite cour de Holyrood, le rôle de maire du palais. Dégoûtée de la veulerie ambiante, ne comptant plus que sur elle-même, la duchesse de Berry s'embarqua pour l'Italie le 17 juin 1831, accompagnée du comte de Mesnard et le duc de Blacas, et munie du titre de régente de France que le roi lui avait donné à contre-coeur, en ayant soin d'ailleurs de prendre secrètement ses mesures pour le rendre absolument illusoire. L'astucieux courtisan devait officiellement servir de chaperon à la jeune veuve, mais il avait pour mission réelle de surveiller tous les actes de celle-ci et d'en rendre compte à son maître. Il était muni d'instructions secrètes par lesquelles lui, Blacas, devenait le véritable régent du royaume une fois entré en France, tandis que Marie-Caroline, complètement annihilée, ne pouvait disposer ni des places, ni des grades, ni des honneurs ; c'est-à-dire ne pouvait même pas récompenser les services rendus. Aussi le maréchal de Bourmont, avant d'accepter le commandement en chef des royalistes, avait-il exigé l'engagement d'honneur que ces pouvoirs monstrueux ne seraient jamais exhibés sans son consentement.

L'on sait que François IV, duc de Modène, avait offert à la duchesse de Berry une généreuse hospitalité dans ses petits états, malgré les remontrances de l'Autriche. Plusieurs personnages importants rejoignirent bientôt Madame en Italie, entre autres le duc des Cars, le vicomte de Saint-Priest, Charles de Bourmont, le comte de Kergorlay, le duc de Brissac, etc ... Le maréchal, ayant dépisté la police de Louis-Philippe, était arrivé à Nice dans les premiers jours de juillet 1831. De là, il correspondait avec la princesse, et, de concert avec elle, il préparait toutes choses pour une troisième restauration. Une constitution conçue dans l'esprit le plus large et le plus libéral devait être donnée à la France, et nous avons sous les yeux les preuves les plus irréfutables - scripta manent - que d'illustres républicains ne dédaignaient pas d'accepter, voire même de solliciter des emplois dans le futur gouvernement, sans parler d'un certain nombre d'officiers et de fonctionnaires de Louis-Philippe. C'est ainsi que nous voyons sur le tableau des titulaires des grands commandements militaires sous lesquels les départements étaient groupés par provinces : le général Lamarque, gouverneur du Béarn ; maréchal Clausel, du Dauphiné ; Molitor, de Flandre ; Moncey, de Franche-Comté, etc ...

Mais pendant qu'on préparait à Massa le retour de son petit-fils, le roi déchu ne négligeait rien pour créer des obstacles à l'entreprise. Semblable à ces enfants qui crient lorsqu'un autre ramasse le jouet qu'ils ont jeté dans un caprice, Charles X, vieil et incorrigible enfant gâté, regrettait sa couronne maintenant qu'il n'avait plus peur, et cherchait des arguments à la normande pour revenir sur sa double abdication. Il envoyait des agents diplomatiques auprès des cours étrangères pour les prier de ne point favoriser les projets de sa belle-fille. Blacas était le pilote chargé de maintenir loin du port la barque rivale d'Henri V. Très contrarié que la régente eut appelé près d'elle, comme conseillers, le comte de Kergorlay, le duc d'Escars, le vicomte de Saint-Priest, le dit Blacas témoignait ouvertement sa mauvaise humeur en se montrant de parti-pris opposé à tout ce que décidait le conseil. Cette attitude devenait inquiétante : des indiscrétions graves se commettaient, on en avait la preuve : des pièces très compromettantes avaient disparu du cabinet de Madame, un soir qu'elle dînait en ville. M. de Montbel, de Vienne, le roi de Sardaigne, par ses agents, avertissaient le maréchal que Metternich, le grand ami de Blacas, n'ignorait rien de ce qui se passait au conseil de Marie-Caroline. De toutes parts arrivaient de semblables avis. Finalement le duc fut mis en demeure d'exhiber ses fameux pouvoirs, et se vit obligé de quitté Massa. Mais il partit le coeur ulcéré, en emportant un secret qu'on eût bien voulu lui cacher, et qu'il avait découvert malgré toutes les précautions prises : celui des négociations engagées entre Madame et le général de Montholon. Néanmoins les amis de la princesse se réjouirent fort d'être débarrassés du tout puissant favori de Charles X.

"Dans une longue conversation, écrit à ce sujet Bourmont à la duchesse de Berry (9 novembre 1831), Eugène (roi de Sardaigne) (Charles-Albert) a parlé à plusieurs reprises du chagrin qu'il avait de voir Basso (Blacas) a côté de M. Charles (Madame). Il le croyait, disait-il, capable de tout brouiller et de tout faire manquer. Il avait, lui, Eugène, acquis la certitude que le banquier chargé ici par Basso de recevoir ses lettres, ne les lui faisait passer qu'après les avoir ouvertes et communiquées au consul de France (M. Decazes) qui en envoyait des extraits à M. de Barante, à Turin et à Paris. Eugène a répété deux fois qu'il était enchanté que Casi... (Blacas) fut allé rejoindre sa famille, et que Marie (Madame) fît ses affaires sans sa participation ...
Eugène (le maréchal) a parlé ensuite des propositions qui avaient été faites à Lintz (Paris) et de Suisse ; de la difficulté que pourrait faire naître la demande d'un oiseau. Cela ne devrait pas arrêter, a dit Eugène, si cela n'entraîne pas de changement dans les couleurs ni dans les armoiries, et Marie pourra donner l'oiseau comme d'elle-même, sans aucun inconvénient. Les offres sont si importantes, leur acceptation peut procurer de si grands avantages que Marie ne devrait pas perdre un moment pour leur donner la suite qu'elles comportent ..."

La fin de cette lettre est sans doute incompréhensible pour le lecteur ; celles que nous publierons plus loin lui apprendront quel était l'oiseau mystérieux auquel il est fait allusion.

CARICATURE LOUIS PHILIPPELes débuts de la monarchie de juillet avaient été mouvementés et signalés par les abus de pouvoir des nouveaux fonctionnaires, les tracasseries odieuses de la police, les visites domiciliaires et les excès de toutes sortes de la gendarmerie et de la troupe, la servilité de la magistrature, les conspirations se tramant, les émeutes éclatant sur tous les points de la France. Louis-Philippe et ses ministres très révolutionnaires avaient contemplé d'un oeil bénévole le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois et le pillage de l'archevêché ; mais quand le peuple, prenant au sérieux la souveraineté qui lui était promise par la nouvelle charte, voulut parler en maître, le gouvernement fit tirer sur les ouvriers et jeter en prison les personnalités gênantes. Dupés par le roi-citoyen, les républicains lui vouèrent une haine mortelle. L'arrivée au ministère de Casimir Périer, autoritaire jusqu'au despotisme, les poursuites exercées contre la Société des Amis du Peuple et celle des Journalistes Républicains, enfin les affaires sanglantes de Lyon et de Grenoble achevèrent d'envenimer les rancunes. D'autre part, les bonapartistes, fondant peu d'espérances sur le duc de Reichstadt (pauvre enfant physiquement et moralement débile dont un poète à la mode a voulu faire un Aiglon), avaient accueilli sans hostilité Louis-Philippe, mais le type par trop bourgeois du nouveau souverain ne répondait guère à leur idéal, et, lorsqu'à son tour leur Association nationale de Metz fut frappée par les foudres gouvernementales, ils proférèrent eux aussi le delenda est Carthago contre la monarchie de juillet.

Vers la fin de l'année 1831, républicains, bonapartistes et légitimistes semblaient disposés à s'unir pour écraser l'ennemi commun, quitte à s'entre-égorger après la victoire, selon Châteaubriand.

"Le découragement et le mécontentement règnent dans tous les partis, écrit un agent légitimiste de Paris ; c'est ce que je suis à même de voir mieux que personne. Les chefs du parti républicain sont venus me trouver ; ils sont résolus à renverser le chef du gouvernement actuel, et décidés à se rallier à nous sur les engagements que je prendrai avec eux. Ils se contentent de ma parole d'honneur ; ils jurent de saisir l'occasion de se défaire de Louis-Philippe et de ses principaux agents. Voici le plan : le moment venu où M..., (Madame) entrera en France, le Midi et l'Ouest s'insurgeront. Une émeute aura lieu ; ils crieront à la trahison et renverseront le gouvernement. Ils veulent même se défaire de quelques hommes à qui ils ne pardonnent pas. Ce mouvement opéré seconderait puissamment les opérations de l'Ouest et du Midi, et ces messieurs, après avoir satisfait leur vengeance, crieraient qu'il vaut mieux se soumettre à Henri V. Soit ce plan soit un autre, ils sont disposés à agir pour nous, mais j'aurai à promettre quelques emplois, et il faut de l'argent pour faire agir les masses. Sous ce rapport, je vous ai déjà parlé des dispositions de Vidocq. Répondez-moi par la voie la plus prompte. Adressez votre réponse à notre intermédiaire ordinaire. Il faut que l'on puisse mettre chez J...e (Jange) 500 ducats (500.000 francs) au moins."

480px-Pingret_-_Le_général_comte_CLa plus intéressante de ces négociations était celle qui se traitait entre la duchesse de Berry et un homme dont le nom était vénéré dans le parti bonapartiste. Le général de Montholon, le fidèle compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène, jugeant sans doute que tout était fini pour la dynastie napoléonnienne, et persuadé que la monarchie légitime pouvait seule sauver la France de l'anarchie, offrait à Madame ses services et ceux de plusieurs de ses amis politiques. Mais la question du drapeau soulevait des difficultés : les bonapartistes demandaient qu'Henri V revînt avec le drapeau tricolore, si souvent arrosé du sang des ennemis de la France ; les royalistes n'en voulaient point, disant qu'il s'était baigné plus souvent encore dans le sang des innocentes victimes des Robespierre et des Carrier. Montholon proposait un compromis : on garderait le drapeau blanc, mais surmonté d'un aigle, juste concession accordée aux braves soldats qui, tout en se ralliant à la monarchie légitime, voulaient conserver un souvenir de leur glorieux passé. C'est de cet oiseau qu'il est question dans la lettre relative au roi de Sardaigne citée plus haut. Ce dernier, on le voit, ne jugeait nullement inacceptable la transaction de Montholon ; Bourmont et la plupart des conseillers de Madame pensaient de même. Par contre, la princesse ne voulait pas entendre parler de l'oiseau, et Bourmont avait dû lui écrire à ce sujet quelques lettres un peu sévères :

"Vous savez, mon cher maréchal, lui répond Marie-Caroline, le 12 novembre 1831, que selon mon idée d'accueillir toutes les offres faites par des Français qui manifestent l'intention de servir la cause de la légitimité, j'ai écouté des propositions de la part du général M... Elles étaient d'abord de nature à ne pouvoir être admises, mais le général et ceux qu'il représente s'étant déjà rendus aux objections qui lui ont été présentées de ma part, j'ai lieu d'espérer qu'ils renonceront également aux deux seules choses dont il est question : le titre d'Empereur et l'Aigle, titre qui semblerait demandé par la nation (qui sans doute n'y tient pas du tout), et donnerait au retour du souverain légitime une apparence d'élection ; de plus il est mieux sans doute d'être le plus ancien roi que le plus nouvel empereur. Quant à l'aigle sur le haut du drapeau blanc fleurdelisé qui lui semble une légère concession, j'y verrais bien peu d'avantage dans une armée dont une si petite partie a servi sous ce signe, qui offenserait, vous le savez, un beaucoup plus grand nombre de Français tout dévoués à la légitimité, ce qui nuirait à une union sans laquelle rien de bien et de solide ne peut être fait. Il ne pourra être question d'admettre ces deux propositions. Espérant qu'on y renoncera, je vous charge de faire toutes conventions et arrangements nécessaires à l'exécution. Vous savez que mon éloignement pour les concessions dans les choses ne s'étend pas aux personnes. Vous savez aussi combien je suis disposée à reconnaître les services rendus à la légitimité ; agissez donc en conséquence à l'égard de ceux que vous recommande le général, pensant bien lui qu'il ne vous en proposera pas que vous ne puissiez admettre.
Croyez à toute mon amitié.
MARIE-CAROLINE."

Finalement l'accord fut conclu entre la princesse et Montholon qui signa cette déclaration dont nous avons la minute entre les mains :
"Je jure sur l'honneur de servir sa Majesté Henri V et sa cause sainte avec une fidélité égale à celle qui a lié mon sort à Napoléon, si madame la duchesse de Berry daigne placer en moi sa confiance, étant intimement convaincu qu'en consacrant ma vie à Henri V, je la consacre au prince que la Providence a destiné à faire le bonheur de mon pays.
Berne, le 17 novembre 1831."

En retour de quoi le général reçut la note suivante :
"Par estime pour les sentiments que vous avez exprimés, nous vous acceptons et vous donnons entière liberté d'agir avec les vôtres pour le but convenu et expliqué dans la note du 19 novembre par laquelle, en disant que nous ne pouvions transiger sur la couleur du drapeau, nous avions promis et promettons d'accueillir tous ceux qui, dans l'intérêt de la France, combattraient pour replacer Henri V sur le trône, et reconnaître leurs services."

Reproduisons maintenant une lettre qui fait entrer en scène un personnage inattendu :

"L'entrevue qu'a eue le général avec le jeune Bonaparte, lisons-nous dans cette lettre signée Parmeré, a complètement confirmé les rapports faits au général sur le développement des forces bonapartistes dans l'est et le nord de la France. Vingt-trois régiments d'infanterie et treize de cavalerie, avec une nombreuse artillerie et les écoles de Metz sont prêts à marcher sur Paris sous les ordres du maréchal Clauzel et du général Lamarque. L'intention du jeune Buo... était d'effectuer pour le 1er janvier ce mouvement. Le général l'a déterminé à suspendre, afin de ne rien compromettre, aussi longtemps que les chambres seraient assemblées. La session finira aussitôt le vote du budget.
Le général a réussi à persuader au jeune Buo... l'intérêt qu'il y avait à combiner les mouvements des deux drapeaux, et il a acquis la certitude de la bonne fin de ses amis de Paris, car ils avaient agi dans le même sens et transmis à tous les chefs l'ordre de ne point se lever contre le drapeau blanc. Le jeune B. a fait passer à Paris un million ; il attend des remises considérables d'Amérique. Son dévouement à la cause de son cousin n'est pas sa pensée dominante ; il n'a pas été très difficile au général de porter les idées du jeune Buo... vers l'intérêt national, et aussi l'intérêt personnel d'un résultat brillant de fortune, quel que fut le souverain élu par la France.
Le général a expédié, d'accord avec le jeune B., des ordres conformes au but qu'il se proposait en se rendant à l'entrevue, et il a reçu des lettres qui prescrivent de ne rien faire que par son impulsion.
Dans cette position, il renouvelle l'opinion qu'il faut s'entendre sans perdre de temps et que le succès est assuré ..."

duchesse-de-berry-par-LefevreLoin de s'entendre pourtant, les légitimistes étaient de plus en plus divisés. La famille royale n'aimait pas la duchesse de Berry et ne désirait pas le succès de son entreprise. Les comités de Paris, composés en majorité d'hommes choisis par Blacas, recevaient des ordres contradictoires de Holzrood et de Massa. Metternich était au courant de tous les préparatifs de Marie-Caroline ; il en informait le ministère français. La malheureuse princesse évoluait dans les filets de la police de Louis-Philippe, comme un poisson dans une nasse dont les mailles vont sans cesse en se rétrécissant. La trahison suivait ses pas. Les beaux messieurs des comités, personnages considérables par leur fortune ou par leur situation sociale, écoutaient d'une oreille les instructions de Charles X, et de l'autre celles venant d'Italie, mais demeuraient toujours attentifs à ne pas se trop aventurer en dehors de leur fastueuse quiétude. A Paris, les amis de la duchesse de Berry s'agitaient, s'exaltaient et complotaient contre l'usurpateur avec les républicains, les bonapartistes ... et les agents provocateurs de la préfecture de police. Félix, un des principaux émissaires de Bourmont, avait de fréquentes entrevues avec des personnages influents du parti républicain.

"... Clauzel me reçoit ce soir, à dix heures, écrit-il au maréchal, le 13 décembre 1831 ; il avait du monde ce matin, je n'ai pu le voir seul. Ce n'est donc que demain que je pourrai vous donner du positif. J'ai aussi vu Bastien ; il y aura du retard, l'affaire de Lyon n'ayant pas réussi selon les voeux des bonapartistes, le colonel Duchamp qui était dans le secret les ayant trahis ; ils n'en travaillent pas moins avec ardeur ..."
Le même Félix raconte que Vidocq est venu lui offrir de le débarrasser de Philippe et de Casimir, moyennant la somme d'un million ! Il ajoute de se méfier de ce policier qui remplit vraisemblablement le rôle d'agent provocateur. "J'ai fait venir ce matin, continue-t-il, un de mes anciens employés qui m'a fait sur cet homme un singulier rapport pour des offres qu'il a faites au gouvernement."
Nouvelle lettre du même, le lendemain :
"J'ai vu hier soir Clausel qui est dans les meilleures dispositions, mais il pense que le pays n'a pas encore assez souffert pour que notre opération soit bonne. Aucun principe n'est admis par les masses qui ne voudraient que des pillages. Il est persuadé que le ministère ne pourra pas tenir. Il prétend que le parti de Napoléon n'est pas aussi puissant qu'on le dit et que l'armée n'est à personne : elle flotte en attendant que le pays soit lui-même assuré. Il regarde la continuation des ... (troubles ?) de province comme indispensable ; il croit que le plus sûr est de laisser le pouvoir se tuer lui-même, ce qui ne peut tarder. Il n'acceptera de lui aucun commandement. Il m'a dit que si on vous avait fait des offres, elles avaient été suggérées par la police, du fait des insensés qui croyaient encore avoir sur l'armée un pouvoir qu'ils n'ont plus. Il vous engage à vous tenir le plus près et le plus secrètement possible pour être en mesure de profiter d'une bonne occasion. Si elle se présentait, il ferait en sorte de se mettre à la tête des masses sur lesquelles il pourrait avoir de l'influence ; mais il vous prie de garder en grâce cela pour vous seul, car il lui est survenu des propos désagréables tenus chez Madame et même chez e h v y q s t r w, d'après ce qu'elle aurait marqué, et que si elle ne rompt pas en apparence avec sa famille, qu'elle ne pense pas à revenir où on ne voudrait pas d'elle. Le gouvernement sans force, il sera facile à renverser. Si tout ce qui possède ne se réunissait pas à lui aussitôt qu'on fera un effort contre lui, les gens qui ne sont que spectateurs deviendraient ennemis, par la peur qu'ils ont. De plus il est donc d'avis de laisser commencer les autres et de nous tenir en mesure de profiter. Il vous engage aussi à tâcher de garder Mathurin (la duchesse) le plus près possible ; que ses courses et son éloignement lui font bien du tort dans l'opinion des gens sensés. Je ne vous parle pas d'Arnold (Le duc des Cars) que j'ai vu hier soir ; il doit vous écrire lui-même, et pense comme Clausel que Bastien avait été ébloui par de belles promesses, mais qui ne pouvaient se réaliser au moment où cela aurait été utile ; il est en quelque façon forcé de l'avouer, car il dit à présent qu'il faut attendre. Je dois vois demain Marrast qui peut le plus sur les républicains ..."

Mais voici que la date fixée pour le mouvement approche, Bourmont envoie aux officiers généraux l'ordre de rejoindre les postes qui leur sont assignés : "Le Mis d'Hautpoul refuse à ce qu'on m'a écrit, lisons-nous dans une lettre adressée à Noël (31 janvier 1832). Voyez alors à en trouver un autre de la même arme. Dites de ma part à la Hilte que je le prie de me croire, et d'aller tout de suite à Rennes ou à Toulouse. Dites-en autant de ma part au général Talon et au marquis Oudinot. Ils doivent bien voir que tout est au moment de crouler, et Talon m'a paru être de bonne volonté il y a déjà neuf mois. On m'a écrit que Donnadieu a offert ses services, qu'il avait refusé le serment, qu'il était prêt à se rendre où on voudrait. Dites-moi ce que vous en pensez.
Voyez Félix et soyez averti, afin de partir à temps pour être exact au rendez-vous que nous nous sommes donné, et si vous connaissez quelques bons jeunes gens capables, dirigez-les sur ce point. Dites au marquis Oudinot qu'il est temps de se dégager, et que Madame espère qu'il ne refusera pas de se rendre en Anjou où elle ira le retrouver. Après avoir appris de Félix le fond des choses, vous pourrez parler avec plus d'assurance, et vous ne douterez pas plus que moi que le moment est venu ... Si vous attendez le mois de mars ou d'avril, de grands malheurs menaceraient notre pays, et nous n'aurions peut-être plus la possibilité de l'en préserver. Nous nous y prendrions trop tard."

Malheureusement les royalistes de Paris avaient agi en tout avec une légèreté insensée ; ces conspirateurs "de crème fouettée" allaient donner la mesure de leurs capacités. Dans la soirée du 1er février, les principaux chefs du complot se réunissent dans un restaurant de la rue des Prouvaires pour y souper. "L'hôte du logis qui ne l'avait préparé qu'avec l'autorisation de la police, lisons-nous dans les mémoires d'Outre-Tombe, savait à quoi s'en tenir. Les mouchards, à table, trinquaient le plus haut à la santé de Henri V ; les sergents de ville arrivèrent, empoignèrent les convives et renversèrent encore une fois la coupe de la monarchie légitime. Le Renaud des aventuriers royalistes était un savetier de la rue de Seine, décoré de juillet, qui s'était battu vaillamment dans les trois journées et qui blessa grièvement, pour Henri V, un agent de la police de Louis-Philippe, comme il avait tué des soldats de la garde, pour chasser le même Henri V et les vieux rois." M. de Châteaubriand ayant d'ailleurs pris soin de nous avertir qu'il s'était mis au lit lorsqu'on était venu l'inviter à prendre place au banquet des conjurés, nous pensons compléter avantageusement son récit en donnant in-extenso le rapport adressé par Montholon au maréchal de Bourmont.

"Le soulèvement que l'on espérait opérer à Paris n'a été qu'une échauffourée, et les assurances des chefs d'escouades du parti royal que fanfaronnades ridicules. Des 60.000 hommes qu'ils prétendaient avoir à leurs ordres, à peine quelques centaines se sont rendus aux divers rendez-vous de combat. Quelques centaines de fusils, la plupart hors de service, quelques milliers de cartouches, au lieu de vingt à vingt-cinq mille fusils et de munitions suffisantes. Démence enfin de compter sur d'aussi misérables moyens d'attaque et de renversement d'un gouvernement qui s'appuie sur une garde nationale nombreuse et 61.000 hommes.
Le 1er février, à midi, les chefs d'escouades ont renouvelé l'assurance la plus positive qu'ils avaient réuni 60.000 hommes armés ; ils ont refusé d'attendre quelques jours le concours des forces bonapartistes, républicaines et bras-nus de Paris, prétendant compter dans leurs rangs les meilleurs soldats, des républicains, le 16e de ligne, la garde municipale et les carabiniers. Leur ardeur était telle que M. Lupi (Montholon), renonçant à leur faire attendre de nouveaux renforts, et aussi comprenant tout l'avantage qu'il y avait pour la cause à ce que la victoire ne fut qu'aux royalistes, leur dit : "Eh bien, vous le voulez ? Combattons cette nuit. Je réclame l'honneur d'être au milieu du feu, et si seulement 1.200 braves me suivent, Henri V règnera en France avant trois jours."

Les dispositions pour l'attaque furent faites immédiatement, et le mot d'ordre donné.
"A 10 heures du soir, nouvelles assurances de forces réunies, d'armes et de munitions. Les régiments dont la coopération était garantie à M. Lupi par les chefs royalistes reçurent les derniers ordres de mouvement.
A 1 heure du matin commencèrent les hésitations et les aveux qu'il n'y avait pas d'armes, mais toujours protestations d'ardeur. M. Lupi comptait sur des défections ; le cinquième des forces promises lui paraissait suffisant ; il ne perdit donc aucun espoir.
A 2 heures, heure fixée pour l'attaque, il se rendit au rendez-vous avec M. Clément qui lui servait d'aide de camp. De 60.000 hommes, à peine 1.000 hommes tinrent parole. Quelques luttes inégales et insensées s'engagèrent. Nulle part 300 hommes réunis à la tête desquels il fut possible de conquérir la victoire et d'attendre les nôtres qui, au jour, devaient se réunir : il avait été impossible de les décider à se mettre en scène avant qu'elles n'eussent la preuve que le drapeau blanc ne serait pas déployé.
A 3 heures, tout était fini, et de nombreux chefs d'escouades, cernés dans les cafés, étaient conduits à la préfecture de police. M. Lupi n'a pu réussir à joindre, dans la journée du 2, aucun des chefs avec lesquels il avait été en rapport, et craint que M. Clément ne soit au nombre des prisonniers ; son zèle est digne des plus grands éloges. Des renseignements à peu près certains lui donnent lieu de croire que Félix est parti le 2 pour Massa avec le colonel Charbonnier. Ces messieurs ont fait la preuve d'un dévouement sans bornes et d'un talent remarquable, et, en toute occasion, M. Lupi tiendra à honneur de combattre avec eux. Quant à lui, il n'a quitté Paris qu'après avoir fait renouveler aux chefs bonapartistes et républicains le serment de tenir l'engagement qu'ils avaient contracté vis-à-vis de lui de concourir de tous leurs moyens à relever en faveur d'Henri V le trône impérial de France.
Loin d'avoir perdu l'espoir, M. Lupi est plus convaincu que jamais que la victoire couronnera la cause sacrée d'Henri V, si Madame, renonçant aux folles et fanfaronnes protestations de la canaille parisienne, donne son approbation au plan que M. Lupi aura, si elle le lui ordonne, l'honneur de soumettre à son approbation.
Berne, ce 6 février 1832."

MONTHOLON33Telle fut l'issue piteuse de la conspiration de la rue des Prouvaires. De nombreuses arrestations furent opérées, mais le général de Montholon réussit à regagner la Suisse, où il reçut la note suivante :
"Les derniers évènements de Paris ont prouvé à Madame combien sa confiance en M. de Montholon était justifiée par la conduite qu'il a tenue en cette occasion. Madame sait en même temps combien sa coopération et celle de ses amis, en détruisant toutes les divisions de partis, peut contribuer à réunir tous les Français dans un même sentiment d'amour et de fidélité au roi légitime et à Henri V un règle glorieux et paisible. En conséquence, Madame acceptera avec plaisir les services de ceux dont il représente les intérêts et les opinions, mais de même qu'elle est convaincue de la sincérité et de la loyauté de celui qui se dévoua si noblement à accompagner Napoléon dans l'exil, de même elle désire lui exposer avec toute franchise le plan de conduite qu'elle s'est tracé et dont elle ne pourrait se départir, afin de ne laisser aucun doute sur ses intentions.
Madame a résolu de porter remède à cette situation désastreuse ; elle est déterminée à se rendre très prochainement dans le Midi.
Elle a la certitude que la Vendée répondra à son appel, et compte sur sa présence pour échauffer le zèle et imprimer une nouvelle énergie à tous ses partisans à Paris et dans le reste du royaume. Madame veut prévenir l'anarchie qui nous menace ; elle veut replacer sur leurs antiques bases ces sages libertés que nous avions héritées de nos pères. Elle veut réformer les abus de la centralisation, constituer les communes ; établir, avec les modifications nécessaires, des assemblées provinciales plus aptes à juger des besoins des localités ; diminuer ou supprimer les impôts les plus vexatoires ; protéger dans la religion catholique la religion de l'Etat ; sans cesse faire respecter la liberté de conscience ; accorder à l'enseignement toute la liberté compatible avec l'ordre et les bonnes moeurs ; consacrer de nouveau les bases fondamentales de notre ancien droit publique, le libre vote de l'impôt et le concours de la nation aux actes législatifs, et reconstruire ainsi notre ordre social tant de fois ébranlé. Tel est le but que se propose Madame pour le gouvernement de notre jeune roi. Elle a la ferme confiance que, dictées par l'intérêt général de la France, ces libertés et ces garanties si sages doivent satisfaire à tous les voeux des hommes éclairés."

A l'échauffourée de Paris succéda bientôt celle de Marseille, où, après mille fanfaronnades, tout le monde disparut au moment de se montrer. Puis Madame partit pour la Vendée : beaucoup de chefs, après lui avoir fait de mauvais vers et des protestations enthousiastes de dévouement, lors de son voyage dans l'Ouest en 1828, démissionnèrent la veille du soulèvement ; mais du moins, quelques fidèles ne voulurent point abandonner une femme qui s'était fiée à leur honneur, et combattirent sans espoir, contre toutes les forces de Louis-Philippe, à Toucheneau et à Chanay, au Chêne et à la Caraterie, à la Pénissière, à Riaillé, à la Gâchetière, éclairant ainsi d'une dernière lueur d'héroïsme la fin de la Vendée militaire.

Vicomte AURÉLIEN DE COURSON
La Vendée Historique
1906

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