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La Maraîchine Normande
27 septembre 2013

LE BRIGANDAGE DANS LA SARTHE - LES FRERES ALLETON

LA POLICE GÉNÉRALE DANS LA SARTHE

LE BRIGANDAGE

Plusieurs années de guerre civile avaient meurtri moins profondément la Sarthe qu'on n'eût pu le craindre. Après la retraite et l'écrasement vendéenne, elle avait connu la chouannerie et ses innombrables coups de main, mais non les colonnes infernales, l'incendie et les massacres. Sa population semblait même augmenter. Mais il restait, aux débuts du Consulat, deux plaies profondes à guérir : misère et brigandage. Si le mauvais  état des routes gênait le transport des récoltes, la crise économique frappait surtout les citadins. Faute d'acheteurs à l'étranger, le commerce de l'étamine et des bougies tombe en pleine décadence. De même, celui de la graine de trèfle, dont les principaux débouchés se trouvaient jadis en Angleterre et en Hollande.

Non moins grave est la crise morale. Le respect de la vie humaine et du bien d'autrui n'avait pu que s'affaiblir, au cours de cette longue période de troubles où le conflit des opinions servait à excuser bien des excès, parfois même à couvrir les vengeances et les vols. L'habitude aidant, les pilleurs de diligence ne distingueront pas toujours l'argent du Trésor et celui des voyageurs. Aussi, les attaques contre les biens et les personnes étaient-elles depuis longtemps chose courante, de même que l'attaque des voitures publiques. Situation partagée, du reste, par les autres départements de l'Ouest, si bien que l'on vit la diligence de Nantes à Angers arrêtée non pas une fois mais cinq, le 30 novembre 1799, en l'espace de dix lieues.

La pacification, loin d'atténuer le désordre, le fit plutôt grandir. Aux déserteurs et repris de justice, que rien n'engageait à désarmer, se joignirent d'anciens chouans sans travail ni foyer, ayant perdu la possibilité, le désir même d'une existence régulière. Il serait, d'ailleurs, injuste de confondre entièrement brigandage et chouannerie. Les chefs et nombre de leurs soldats réprouvaient les excès de ceux que l'on continuait par habitude à nommer chouans. C'est ainsi que Potiron, en juin 1800, arrêtera un brigand à Saint-Jean-de-la-Motte, et qu'un autre chouan fera deux prisonniers non loin de Ligron. En décembre, non plus un chouan isolé mais tous ceux de Mézières-sous-Lavardin participent à une battue près du bourg. Mais, en dépit de ces louables exemples, on ne pouvait demander aux partisans de Bourmont de faire la police pour le compte de Bonaparte. Cette tâche incombait à la gendarmerie. Tâche écrasante, car il aurait fallu être partout à la fois, sur la route et dans les maisons, pour saisir les branle-loquet et pilleurs de diligences.

La nuit tombe ; vite, dans la ferme isolée, on se claquemure soigneusement. Et voici que trois ou quatre hommes au visage barbouillé de suie frappent à une porte, ordinairement sans réponse. Qu'ils s'annoncent pour gendarmes, gardes nationaux, chouans ou miséreux, suivant les opinions supposées de l'hôte, on ne leur ouvrira pas toujours, mais ce n'est qu'un jeu pour eux de percer un mur en colombage ou le chaume du toit, et bien souvent ils commencent par là. Couché en joue, surpris parfois dans son sommeil, l'habitant n'ose résister. Les envahisseurs se montrent, heureusement, peu sanguinaires. Leurs victimes sont rouées de coups si elles hésitent à révéler leurs caches, mais très rarement "chauffées". Les cris se perdent dans la campagne où les voisins, s'il y en a, ne tiennent guère à montrer leur bravoure. Aussi, les branle-loquet négligent-ils parfois de se dissimuler, tels cinq brigands, dont LA GIROFLÉE, qui, ne trouvant pas assez d'argent chez la citoyenne Margault près de Chemiré-le-Gaudin, le 25 mai 1800, la conduisent chez des voisins pour emprunter sa rançon. Bien entendu, les victimes n'ont pas été choisies au hasard. Les femmes seules et les paysans aisés en forment le plus grand nombre, avec les acquéreurs de biens nationaux, gibier de choix.

Toutes les parties de la Sarthe ne souffraient pas également de ces actes de brigandages, particulièrement nombreux dans l'arrondissement de Mamers. Pendant le second semestre de 1800, on les relèves à Mézières-sous-Ballon, Gréez-sur-Roc, Théligny, Courcival, Saint-Ulphace, Saint-Aignan (où une femme meurt de ses blessures), Aulaines, la Chapelle-Saint-Rémy, Ségrie et Saint-Léonard-des-Bois. En 1801 : Ancinnes, Melleray, Courcival, Saint-Léonard-des-Bois, Saint-Jean-des-Echelles (chez le percepteur), Saint-Denis-de-Coudrais, Marolles-les-Braults, Vouvray-sur-Huisne, Saint-Léonard-des-Bois encore, Moncé-en-Saosnois, Boëssé-le-Sec et le Luart. L'arrondissement du Mans, moins atteint, donne lieu à ne liste plus courte : pour la seconde moitié de 1800, Crissé (à trois reprises), Saint-Rémy-de-Sillé, Vallon (dont le maire, épouvanté, veut résigner ses fonctions), Saint-Mars-la-Brière et Montfort ; pendant le premier trimestre en 1801, Neuvillalais et Spay. Dans l'arrondissement de La Flèche, d'octobre 1800 à mai 1801 : Savigné-sous-le-Lude, Maigné et Fontenay.
Plus heureux que ses collègues, le sous-préfet de Saint-Calais ne devra noter qu'un attentat en décembre 1800 (Montaillé) et deux en 1801 (Jupilles et Mayer). Parmi les victimes figure le percepteur de Jupilles, dont la femme est grièvement blessée.
En dépit de cette tranquillité relative, l'arrondissement recèle une redoutable bande forte de trente-quatre hommes, disséminés à Berfay, Rahay et Valennes. Ayant pris la région de Vendôme pour théâtre de leurs exploits, ils tiennent sans doute à passer inaperçus dans leur résidence, mais n'en seront pas moins capturés au début de 1801.

Mulsanne

La plupart de ces méfaits ont pour auteurs de petits groupes de trois ou quatre hommes - déserteurs, repris de justice, anciens chouans, voire simple cultivateurs - difficile à saisir et parfois à soupçonner. Mais il existe également quelques bandes plus nombreuses. Une des plus importantes s'abrite au moulin de Montineau (commune de Mulsanne) et a pour chef une femme, MARIE PÉROU, qui recrute des complices, à commencer par son mari, indique les coups à faire et ne dédaigne pas, quelquefois, de s'y associer, déguisée en homme. Autour de Spay, sévit MICHEL GAZON dit TAPE A MORT, qui s'en prend surtout aux acquéreurs de biens nationaux et tente de recruter des hommes sous couleur de chouannerie. PAPILLON et MESTAYER, ex-chouans, brigandent du côté de Vallon, imités par DOUCET, vers Saint-Jean-des-Échelles. Mais garder l'anonymat est chose difficile, et la célébrité leur coûtera cher.

Le pillage des diligences, plus en faveur que jamais, forme une autre spécialité. Si l'attaque de la voiture du Mans à Paris, le 10 mars, est imputable à la bande PÉROU, les autres attentats semblent bien ne pas être ordinairement l'oeuvre de simples branle-loquet. L'affaire comporte, du reste, plus d'audace que de risques. Elle tient, aussi, de plus près à la chouannerie. Après l'enlèvement du sénateur Clément de Ris (23 septembre 1800), on trouvera sur un émigré rentré une liste de méfaits sur laquelle figure cet enlèvement et l'attaque d'une diligence près de la Ferté-Bernard. Document à vrai dire suspect, comme tout ce qui touche à l'affaire Clément de Ris.

Le 20 mai 1800, cinq hommes arrêtent à Céton (Orne), entre la Ferté-Bernard et Nogent-le-Rotrou, la voiture de Nantes à Paris, et déclarent noblement n'en vouloir qu'aux fonds - inexistants - de la République. Le lendemain, c'est au Vivier, près de Guécelard, que pareille mésaventure échoit au courrier de la même ligne, mais le conducteur y perd soixante francs. La première de ces agressions ne restera pas longtemps impunie : deux de ses auteurs, ANDRÉ NORMAND dit CHASSE-PATAUX et DENIS BOULAY dit BRISE-FERS, sont pris le mois suivant et condamnés à mort le 2 août. Cette dernière date est doublement heureuse pour les défenseurs de l'ordre, car trois brigades de gendarmerie cernent à Teloché la bande de MERSANNE dit DARDEVILLE, qui se préparait à piller 25.000 livres dans la diligence d'Angers au Mans. DARDEVILLE est tué et ses hommes capturés. Exemples qui n'empêchent pas la voiture du Mans à Paris d'être encore arrêtée, le 12 septembre, près d'Avezé. Les deux gendarmes d'escorte se défendent, puis, à court de munitions, s'éloignent, laissant l'ennemi s'emparer de 7027 francs.

Teloché

Auvray demande alors du renfort. Le général en chef Tilly ne peut lui en accorder et l'engage, le 26 novembre, à faire organiser des patrouilles par les municipalités, qui seront rendues responsables des vols commis sur leur territoire. Remède inefficace et malaisément applicable. Aussi, la série des attentats se continue-t-elle. Le 26 décembre, la voiture publique de Laval au Mans sera dévalisée près de Saint-Denis-d'Orques, et celle du Mans à Paris évitera de peu le même sort le 15 mai suivant, à une demi-lieue de Nogent-le-Rotrou, car les gendarmes ont pu la dégager à temps. Une autre tentative, adroitement éventée, échouera le 23 septembre près de Connerré. Il semble que les bandes, qui n'agissent qu'à bon escient, soient fort au courant du contenu des diligences, grâce à quelques complicités dans le personnel des Messageries. A partir de janvier 1801, tout envoi de fonds se fait sous escorte. Utile précaution dont bénéficient les voitures sauvées en mai et septembre suivants.

La force publique est débordée. Les colonnes mobiles, comme on l'a vu plus haut, ne comptent guère, et la gendarmerie ne peut suffire à tant de besognes. La chance aidant, quelques coups de filet réussissent, surtout contre les pilleurs de diligences, tels CHASSE-PATAUX, BRISE-FERS et DARDEVILLE. Les branle-loquet échappent plus facilement aux recherches. On arrête, cependant, une partie des bandes de Marolles-les-Brault et de Ségrie. Sont également pris L'AMITIÉ et COURTILLÉ. Le Conseil de guerre de la 22e division militaire clôt la plupart de ces prises par des condamnations à mort.

Cette ardeur répressive se montre plus inégale dans la justice civile, comme en témoigne l'affaire MAUBOUSSIN. Cet ancien chouan, coupable de récents méfaits à Bousse et à Verron, avait été arrêté à Saint-Germain-du-Val dans la nuit du 1er novembre 1800, en compagnie de deux de ses hommes. Tous trois sont relâchés par le citoyen Abot, directeur du jury d'accusation de La Flèche, mais n'en semblent pas moins de bonne prise au général Delarue, qui les fait réincarcérer et conduire au Mans en janvier 1801. L'indignation d'Abot se traduit aussitôt par un mandat d'amener à l'adresse de Delarue, et deux mandats d'arrêt contre le lieutenant de gendarmerie à La Flèche, Pilleraut, et son maréchal des logis. Et les deux gendarmes de se réfugier bien vite au Mans pour éviter la prison. Un arrêté consulaire du 27 janvier vint annuler les mandats et Abot, sous bonne garde, partit s'expliquer à Paris devant le Tribunal de Cassation. Mais pendant plus d'une semaine, l'incident avait réjoui les esprits mal pensants et donné le champ libre aux malfaiteurs fléchois.

Par contre, le Tribunal criminel sévit durement et prononcera, d'août à décembre 1800, six condamnations à mort. Sa rigueur tend même parfois à l'excès : huit ans de réclusion pour le vol d'un paquet de filasse par une servante ; quatorze années de fers à un coupable de 17 ans qui voulut dérober des chevaux la nuit ; un arrêt de mort contre une femme recéleuse des objets soustraits par son mari.

Peut-être ces exemples, dans leur extrême sévérité, concourent-ils au rétablissement de l'ordre, qui marque des progrès très nets en 1801. Tout d'abord, les Consuls décident de renforcer la gendarmerie de dix brigades. Les arrestations continuent et se multiplient : leur nombre atteindra 47, du 12 au 31 mars, RUINE-NATION et L'AMI DU ROI ne désoleront plus le Saosnois autour de Marolles. De même TAPE-A-MORT et sa bande, auprès de Spay. Si quatre brigands enlèvent en plein jour, le 19 janvier, un habitant de Saint-Denis-d'Orques pour le mettre à rançon, ils seront dès le lendemain pris ou tués. En ce qui touche la répression du brigandage, le Tribunal criminel sera dessaisi, à partir du 3 mai 1801, par le Tribunal spécial, car les Consuls ont voulu confier à une juridiction exceptionnelle une tâche qui dans beaucoup de départements - la Sarthe n'était manifestement pas du nombre - ne s'accomplissait qu'avec mollesse. Tâche lourde : plus de soixante prisonniers s'entassaient dans les prisons du Mans, et leur liste ne faisait que s'allonger. Le nouveau tribunal montra tout de suite une grande activité. Dans la seule année 1801, quinze accusés furent condamnés à mort et dix-neuf autres à plus de vingt ans de fers. La peine capitale frappait même le vol de nuit avec effraction, et quiconque bénéficiait de l'indulgence des juges ne se trouvait pas forcément quitte avec la police. C'est ainsi qu'Auvray enverra au dépôt colonial de Nantes les frères DAVENEAU après leur acquittement.

Bonnétable

Les bandes sont maintenant décimées, à commencer par celle du moulin de Montineau. Il en existe encore, cependant, du côté de Bonnétable, et un habitant de Chevillé sera chauffé dans la nuit du 25 au 26 janvier 1802, mais il s'agit là d'un fait exceptionnel. Aussi, apprendra-t-on avec scepticisme les agressions dont prétendent avoir souffert le percepteur de Préval, le 13 novembre 1801, et son collègue de Beillé, le 15 janvier 1802. Par contre, les pilleurs de diligence ne désarment point, malgré l'arrestation d'un des leurs, CHARLES DE COURGAINS, qui pratiquait le même métier dans l'Orne deux ans plus tôt. Le 25 janvier 1802 au soir, sept brigands attaquent la malle de Nantes à Paris au moment de son passage aux Raineries, entre Arnage et Le Mans, alors que toute escorte faisait défaut. La même voiture est encore arrêtée dans la nuit du 9 au 10 mai, à la Haye, près de Villaines-la-Gosnais. Après une fusillade sans résultat, les gendarmes doivent se replier sur Sceaux, en attendant une revanche qui ne tardera pas. La bande est cernée, le 26 juin, dans un cabaret de Nogent-le-Bernard que tient un de ses membres, la maison prise d'assaut et deux brigands tués. Une perquisition y fera découvrir des uniformes de gendarmes. Après cet heureux coup de main, les voitures publiques circuleront librement dans la Sarthe - tout au moins pendant quelques années -, on signale de Paris qu'une de leurs bande se cache au Mans et serait connue de l'abbé Duperrier-Dumourier, dont aucune révélation n'est à espérer. Auvray se hâta de faire fouiller la maison désignée et toutes celles du voisinage par des policiers ingénieusement travestis en ramoneurs, et l'on ne découvrit personne. Le prétendu repaire des voleurs de grand chemin abritait sans plus l'Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.

Le retour à l'ordre marque donc des progrès sensibles, mais tous les moyens de répression n'y pourront suffire, si la crise économique continue à grandir. A la ville comme à la campagne sévit le chômage, et le blé reste cher. Dans les manufactures, la fabrication de l'étamine se meurt. Seules, verreries et entreprises métallurgiques montrent un peu d'activité. Quant à la toile de Fresnay, la rupture avec l'Angleterre (22 mai 1803) lui portera un nouveau coup. Aussi, mendiants et vagabonds se multiplient-ils, sans que les établissements hospitaliers, faute de ressources, sans que les établissements hospitaliers, faute de ressources, puissent les accueillir. "Mendicité effrayante", note Auvray en avril 1802. Des vagabonds errent par bandes : 1200 à Bonnétable, 1500 à Mamers. Autour de Saint Calais, on en voit jusqu'à deux cents à la fois devant une porte. Cette mendicité n'est pas exempte de menaces et d'excès. Elle a aussi pour conséquence quelques attaques contre les passants et surtout un maraudage continuel dans les bois nationaux et les propriétés privées qui bordent les villes. La reprise des travaux agricoles pendant la moisson, suivie d'une récolte passable (sauf pour le blé noir), atténueront la crise, mais pour bien peu de temps. Il faut sévir, et les tribunaux correctionnels ne s'y montrent pas toujours disposés. "Il est difficile - écrit Auvray en octobre - de peindre la situation de l'autorité judiciaire". On voit des propriétaires condamnés pour avoir expulsé sans ménagements des maraudeurs. Plus soucieux de prévenir que de punir, Auvray suggère l'établissement de maisons de travail, mais il lui faut, en attendant, recourir aux mesures de répression. Des détachements d'infanterie viennent, çà et là, renforcer les brigades. Par mesure administrative, les vagabonds les plus dangereux - vingt sept dans le dernier trimestre de 1802 - sont envoyés au dépôt colonial de Nantes. Ainsi la situation s'améliorera lentement.

Plus calme est l'année 1803. Sans doute, survient-il de temps à autre un attentat isolé, que le Tribunal spécial continue à punir impitoyablement. Quelques chouans attardés, BRISE-BLEU, VALENCIENNES et ROCHAMBEAU, essaient pendant la nuit de Noël de rançonner plusieurs acquéreurs de biens nationaux à Beaumont-sur-Sarthe. D'autres, auprès de Précigné, se prétendent "soldats du Roi", blessent un homme d'un coup de sabre et tentent d'emmener ses filles en otages. Ces exemples isolés ne sont pas suivis et la sécurité renaît dans les campagnes. Mais à présent, un nouveau péril surgit. Aux branle-loquet succèdent les insoumis et les déserteurs.

Dès l'origine, le recrutement n'avait jamais été populaire dans la Sarthe, et l'on sait quelles forces la chouannerie naissante tira de cette répulsion. Bonaparte n'oublia pas de l'affaiblir en dispensant du service une partie des réquisitionnaires et conscrits de l'Ouest, mais il n'entendait pas instituer un privilège permanent. Aucune exception ne fut donc prévue lors de la levée des classes IX et X en 1802, XI et XII en 1803, retour au droit commun qui n'alla pas sans difficultés. Le 15 décembre 1803, plusieurs recrues de Bousse, Malicorne, Mézeray et Tassé se rassemblent, s'efforçant d'entraîner leurs camarades de Noyen et Vallon. Des fusils sont pris à Tassé, Noyen et Avoise et la troupe, grossie de quelques éléments étrangers, compte une cinquantaine d'hommes. Les insoumis se disent royalistes ; ils prétendent même agir à l'instigation de TRANQUILLE, qui bientôt doit prendre leur commandement. La répression ne tarde pas : en hâte, Auvray expédie vers Noyen les soldats disponibles, pendant que des renforts d'infanterie et de cavalerie partent de Nogent-le-Rotrou. Vite lassés d'une résistance inégale, trois chefs, DOLBEAU, COSNIER et GUÉHÉRY, se rendirent au sous-préfet de La Flèche, une partie de leurs compagnons fut arrêtée et l'on sut que TRANQUILLE n'entrait pour rien dans l'affaire. Auvray eût souhaité une amnistie pour les trois prisonniers volontaires, ainsi que pour leur camarade BRIFFAULT, non moins compromis, mais ils comparurent devant le Tribunal spécial. Ce dernier montra une indulgence inaccoutumée : DOLBEAU et COSNIER en furent quittes pour deux mois de prison, GUÉHÉRY et BRIFFAULT pour le double. Moins heureux, leur compagnon PIERRE BATTAULT se vit traduire pour embauchage devant le Conseil de guerre et y trouva la mort.

Chantenay

D'autres avaient pu échapper aux poursuites, notamment les frères MARIN et PIERRE ALLETON au passé particulièrement trouble. Déserteurs recrutés de force - prétendaient-ils - par les chouans, ils s'étaient rendus en 1795, mais divers méfaits les signalaient depuis deux ans aux recherches de la police. Celle-ci fut remise sur leur piste par une dénonciation du maire de Saint-Ouen en Champagne, Jarry, peu fier de posséder pareils administrés. Le 27 décembre, à quatre heures du matin, des gendarmes en civil vinrent cerner la maison désignée. Pendant qu'ils réclament l'ouverture de la porte, un coup de feu tiré du grenier abat le gendarme Desgranges. Quelques heures après, les gardes nationales des communes se trouvaient sur le terrain, prêtes à donner l'assaut. Mais on s'aperçut trop tard que les deux frères, à la faveur du premier désarroi, étaient partis depuis longtemps en sautant du toit par derrière.

Dès lors, l'inquiétude grandit, et l'on voit errer de toutes parts des inconnus portant quelquefois la cocarde blanche ou des turbans de mamelucks - réminiscence imprévue de la campagne d'Egypte. - Ils paraissent le 5 janvier à Brains ; le 10 à Amné, pour détrousser un acquéreur de biens nationaux ; le 21 près de Saint-Jean-des-Bois. On les sent rôder autour de Saint-Ouen, Chantenay, Tassé, Tassillé et Saint-Christophe. Divisée le jour et se regroupant la nuit, la bande compterait une douzaine d'hommes, sans parler des espions à sa solde. Le bruit court qu'il existe plusieurs caches, dont une près de Chantenay, et que MARIN ALLETON circule déguisé en femme. Jarry, dûment menacé, n'ose plus franchir sa porte. "Les brigands attentent à ma vie, écrit-il le 26 janvier à Auvray, et ont juré qu'ils auraient ma tête. Je ne peux sortir de ma maison sans être en danger de perdre la vie."

Les autorités s'agitent. Auvray, qui voyage peu, se rend en personne à Saint-Christophe et à Saint-Ouen. Le sous-préfet de La Flèche embauche un espion. Plusieurs brigades - une soixantaine de gendarmes - occupent Asnières, Chantenay, Précigné, Avoise et des bourgades voisines. De Paris enfin, le Grand Juge Régnier, qui dirige tant bien que mal la police depuis la demi-disgrâce de Fouché, recommande au Préfet d'utiliser les colonnes mobiles, ignorant qu'elles n'existent plus depuis trois mois. Conseil et mesures également vains, car les bandits donnent une nouvelle preuve d'activité vers le 25 février, en prenant des fusils à Fay, Chaufour et Saint-Georges-du-Bois. La vie errante finit cependant par leur peser. Aussi MARIN ALLETON, tenté de se rendre, s'adresse-t-il à son ennemi le maire de Saint-Ouen, lequel, déconcerté s'empresse de demander conseil à "ses illustres chefs". Ajournée, la négociation avorte, et les méfaits recommencent, sans qu'on puisse avec certitude les attribuer tous à la même bande ; le 29 mars, une tentative d'effraction chez un acquéreur de biens nationaux, près de Chantenay ; un vol à Rouez le 8 avril ; un autre à Tennie le 11. Mais ce sont bien les ALLETON qui osent se montrer à Saint-Ouen dans la soirée du 5 mai, mangent, s'enivrent puis dorment paisiblement pendant deux heures sur le perron. Le maire Jarry était alors absent. "On peut croire, écrit-il à Auvray le 7 mai, que ces malheureux cherchent leur fin. Si j'eusse aussi bien été à Saint-Ouen comme j'étais au Mans, ils n'existeraient plus". Et il demande de l'opium pour capturer sans trop de risques ses ennemis. Encore faudrait-il les joindre.

Un mois s'est écoulé sans résultat quand, dans la nuit du 11 au 12 juin, les ALLETON eux-mêmes se présentent chez le maire pour offrir leur reddition. Cette fois encore, la tentative échoue, on ne sait trop pourquoi. Désespérant d'obtenir leur grâce, les "monstres errants" n'ont plus rien à ménager. Ils iront, le 24 juin, assassiner la femme Salmon à Saint-Georges-du-Bois, sans doute pour assouvir une vengeance. Ils n'en restent pas moins insaisissables. La gendarmerie est "exténuée de fatigue", les habitants "terrorifiés" et Auvray sans espoir, au moment où le hasard intervient en sa faveur. Le 20 juillet, en cheminant de Vallon à Chantenay, le maréchal des logis Girard et le gendarme Lesourd essuient, près de Châtain, deux salves de coups de fusils. Girard tombe, grièvement blessé. Lesourd, atteint en six endroits - et bien suspect d'exagération - se retire en combattant, abat un des agresseurs et court donner l'alarme. On retrouva sur la route le cadavre d'un homme roux en qui tous reconnurent MARIN ALLETON. Une de ses poches renfermait un chapelet, d'où Auvray conclut ingénieusement que la Petite Eglise se trouvait mêlée à l'affaire.

Restait à prendre PIERRE ALLETON et ses complices. Le 10 septembre, les brigades de Sillé-le-Guillaume, Domfront, Coulans, Brûlon, la Bazoge, la Suze, Vallon, Chantenay, Auvers-le-Hamon et Précigné battirent la campagne, de concert avec la gendarmerie mayennaise, sans le plus mince résultat. Auvray n'en protestera pas moins, quand il sera question de supprimer cinq brigades provisoires, et priera sèchement le capitaine de gendarmerie de ne pas oublier que le préfet dirige seul les opérations de police. Mais il changera de méthode pour atteindre le reste des brigands, qui désarment de ci de là des habitants de Montreuil et de Mareil-en-Champagne, au grand effroi de Jarry. On va ressusciter le vieux système des contre-chouans, que le gendarme Malines, homme de confiance, se charge de recruter autour de Loué. Pendant ce temps, Jarry fera jaser la veuve ALLETON, qu'il héberge, et Auvray recueillera les renseignements de ses informateurs particuliers. Sans retard, l'adroit Malines découvre six déserteurs qu'il met en campagne, mais ceux-ci, prenant leur rôle trop à coeur, se mettent à brigander pour leur propre compte. Le bruit court aussitôt que vingt ou trente brigands tiennent le pays entre Epineu et Neuvillette, et Auvray songe à faire arrêter ses propres agents. Ils se justifieront, heureusement, en capturant deux personnages assez louches, mais ne montrent aucune hâte à rencontrer le redoutable ALLETON. De son côté, Jarry se fait indiquer plusieurs caches par la veuve de son ennemi, et écrit d'une plume tremblante : "Ma mairie me ruine et me fait courir tous les risques". Divers renseignements permettent de découvrir une dizaine de complices, réels ou présumés. Auvray voit, d'autre part, se confirmer certains soupçons en apprenant les progrès de la Petite Eglise à l'ouest du Mans. Trois ou quatre prêtres dissidents, dont GRANGEARD, circuleraient entre Epineu et Joué. Un espion mis sur la piste des "bonnes gens qui ne vont pas à la messe" en découvre à Flacé, Pruillé-le-Chétif, Souligné-sous-Vallon, Etival et Allonnes. Les ALLETON paraissent bien être du nombre.

En dépit de tant d'efforts, les plans du stratège Auvray n'aboutissent jamais, tôt éventés. Malines est mal vu de ses chefs, et l'on voudrait bien, à Paris, récupérer les six déserteurs. C'est alors que l'évènement imprévu surgit pour la seconde fois. Le 30 octobre à l'aube, huit gendarmes fouillaient la ferme Crié à la Varenne (Chantenay), quand, à travers les rideaux d'un lit, un coup de feu éclata. La riposte immédiate tua l'invisible bandit, qui n'était autre que PIERRE ALLETON.

Ainsi prenait fin une longue et pénible poursuite. Auvray respira et Malines put désarmer son "régiment" de déserteurs, sauf un destiné à surveiller GRANGEARD. Mais le trop indépendant gendarme - qui avait obtenu d'Auvray pleins de pouvoirs dans cette dernière entreprise - ne recueillit pas par son zèle l'estime de ses camarades ni la bienveillance de ses supérieurs. Par contre, les habitants de Loué virent en lui leur soutien et le Juge de Paix protesta contre son retour à la brigade de Chantenay. Quant à Jarry, dont la fortune et la santé avaient également souffert, à l'en croire, pour le bien de l'Etat, les compensations pécuniaires qu'il réclamait semblent s'être fait beaucoup attendre.

Malgré le triomphe de la force publique, il n'en restait pas moins établi qu'une bande peu nombreuse disposant de complicités pouvait tenir impunément la campagne pendant plusieurs mois, comme jadis. ...

H. DE BERRANGER
Revue historique et archéologique du Maine
1934

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Commentaires
Z
Excellente documentation bravo
Répondre
La Maraîchine Normande
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