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La Maraîchine Normande
10 septembre 2013

LA COMMUNE DE NOIRMOUTIER PENDANT LA RÉVOLUTION - LE DRAME DE LA CLAIRE - 3 AOUT 1794

noirmoutier

LA COMMUNE DE NOIMOUTIER
PENDANT LA RÉVOLUTION

LE DRAME DE LA CLAIRE

(Noirmoutier le 16 thermidor an II)
3 août 1794

Le travail que l'on va lire est, avant tout, une réimpression du savant essai, publié sur le même sujet, il y a près d'un demi-siècle, par le docteur Viaud-Grand-Marais, et qui est depuis longtemps épuisé.
Au cours des dernières années de sa vie, notre oncle nous avait manifesté à plusieurs reprises l'intention, restée irréalisée, de donner une nouvelle édition de son ouvrage. C'est ce projet que nous reprenons aujourd'hui, en ajoutant au contenu de la brochure primitive le fruit de nos recherches personnelles.
Si le Lecteur trouve à cette oeuvre quelque charme et quelque intérêt, qu'il en reporte donc tout le mérite sur celui qui, le premier, a su tirer de l'ombre les émouvantes figures que nous allons à nouveau essayer de faire revivre.
L. TROUSSIER

I

Dans une poignante étude parue sous ce titre : "Noirmoutier le 16 thermidor an II", le docteur Viaud-Grand-Marais, écrivait, en 1881, dans la Revue de Bretagne et de Vendée :
"Le 23 avril dernier, vers 4 heures du soir, l'auteur de ce récit, allant de Noirmoutier à La Claire, suivait le chemin qui sépare la Lande d'Enfer de celles des Roussières.
Il avait plu le matin.
Sur le gramen du chemin se montra bientôt à ses pas une tache de sang, puis deux, puis un grand nombre. D'un rouge vif et plus ou moins arrondies, elles offraient un diamètre d'un ou deux centimètres et se présentaient tantôt isolées, tantôt groupées, comme si un blessé avait laissé sur l'herbe la trace de son passage. Intrigué par leur couleur et leur nombre de plus en plus grand, le promeneur se baissa et, remarquant qu'elles étaient dues à un petit champignon, il en recueillit quelques-unes. Il lui fallut pour cela enlever un peu de terre, car elles y adhéraient plus fortement qu'aux herbes. (Le surlendemain, les taches avaient jauni, bruni, et leurs teintes se confondaient avec celles du chemin. Ce champignon est, d'après le docteur Nylander, le Peziza Trechispora de Berkeley et Broome. Il a dû plus d'une fois donner lieu aux légendes des pluies de sang.)
Des cultivateurs se rapprochèrent alors de lui et, voyant le travail auquel il se livrait, ils lui dirent : "Ces tâches qui vous surprennent n'ont rien d'étonnant après ce qui s'est passé ici pendant la Grande Guerre ... Un jour, vingt-deux personnes, des femmes principalement, parcoururent ce chemin, liées deux à deux et chantant le Magnificat. Les soldat qui les escortaient paraissaient malheureux de leur rôle et les paysans qui les suivaient de loin avaient peine à retenir leurs larmes ... Elles furent conduites jusqu'à deux grandes fosses creusées dans l'endroit où sont ces sapins et y furent fusillées, puis achevées à coups de pelles et de crosses de fusils. Longtemps nos anciens ont cru entendre, la nuit, leurs cris déchirants et ils ne se fussent jamais risqués à franchir cette parée (terme local. Il est employé pour désigner dans les dunes un terrain plus ou moins plat, ou une vallée un peu étendue.) après le coucher du soleil."

Pendant plus de cent mètres, les taches continuèrent à se montrer. D'autres groupes de laboureurs nous racontèrent à leur tour le même fait, avec de légères variantes, mais en s'accordant toujours sur le nombre des victimes et le sexe de la plupart d'entre elles ; puis sur le chant des cantiques et en particulier du Magnificat. Enfin, en ville, plusieurs dames nous dirent également avoir entendu rapporter dans leur jeunesse cette épouvantable histoire comme un des plus effroyables souvenirs de Noirmoutier. Le chiffre de vingt-deux victimes, des femmes surtout, et le chant du Magnificat leur étaient restés dans la mémoire. Une d'elles avait su par une vieille tante les noms des condamnés, parmi lesquels se trouvaient des jeunes filles de 18 à 20 ans ; elle ne se souvenait que du nom de Mme Petiteau.

Quelles étaient donc ces vingt-deux victimes ?

N'était-il pas possible de les retrouver, de savoir la cause de leur condamnation et de contrôler les données de la tradition par des documents officiels ? ..."

Le docteur Viaud-Grand-Marais continuait :

"On doit distinguer trois périodes dans les massacres plus ou moins judiciaires qui eurent lieu à Noirmoutier pendant la Révolution. Nous laissons de côté, bien qu'elles aient apporté, elles aussi, leur contingent dans cette destruction humaine, les exécutions qui furent le fait des Vendéens : massacres des blessés républicains à l'hôpital de Noirmoutier, en octobre 1793, à la suite de la prise de l'île par Charette ; puis, quelques jours après, des cent quatre-vingts volontaires de la Manche et des patriotes noirmoutrins qui furent envoyés à Bouin et fusillés par Pajot, entre autres François-Florent Richer, fils de l'héroïque défenseur du poste de la Bassotière ...

La première période, qui suivit immédiatement la prise de l'île, le 14 nivôse an II (3 janvier 1794), un vendredi, offrit des tueries insensées et souvent sans jugement. Tout ce qui tomba entre les mains des vainqueurs fut massacré : les soldats d'abord, les prêtres, puis une grande partie des femmes et des vieillards auxquels la chasse avait été donnée dans les rochers et dans les bois. Les grandes exécutions, par soixante victimes à la fois, se faisaient à l'extrémité du faubourg de Banzeau, au lieu appelé La Vache. Les cadavres gisant sur une grève boueuse empestaient l'air et des paysans de l'Herbaudière durent être requis pour transporter à La Claire ces corps décomposés. On garde encore, dans le pays, le souvenir de cette horrible corvée.
Le général Aubertin porte le nombre des malheureux ainsi tombés dans les trois ou quatre premiers jours à 1.200 ; l'Administrateur militaire anonyme à 1.500. Ce dernier chiffre est le plus rapproché de la vérité, s'il ne reste même au-dessous. Il ne nous a pas été permis de consulter de liste concernant ces sauvages exécutions et, s'il en existe une, elle ne peut être complète au milieu du désordre de ces premières heures d'occupation. ...

Nous ajouterons qu'Aubertin, comme Piet, mentionne la convocation, dans la matinée du 4 janvier, d'une commission "soi-disant militaire", destinée à présider à cette "boucherie". - "Ce terrible Tribunal, dit-il, était composé d'individus revêtus, à la vérité, de l'uniforme national, mais n'appartenant à aucun des corps de l'armée. Le plus élevé en grade, ou pour mieux dire le président portait l'épaulette de capitaine. On ne savait d'où sortaient ces prétendus juges ; ils avaient été simplement remarqués à la suite du général Dutruy ..." Ils sont demeurés inconnus jusqu'ici. ...

Plus tard, cette première Commission disparue (si tant est qu'elle ait jamais vraiment eu une existence séparée, car bon nombre d'indices permettraient de supposer qu'elle ne faisait qu'un avec le Comité révolutionnaire dont nous allons parler), le Comité Révolutionnaire, laissé par Prieur de la Marne et ses collègues à Noirmoutier, fut transformé en une nouvelle Commission militaire. Cette seconde Commission, qui siégea du 15 floréal an II au 25 prairial de la même année, prononça 20 condamnations à la détention, 25 condamnations à mort et 51 mises en liberté.

"Si, sous son règne, il y eut mort d'hommes, assure encore le docteur Viaud-Grand-Marais, les acquittements furent beaucoup plus nombreux ; et, parmi les juges, il s'en trouva qui ne craignirent pas de se compromettre pour sauver des inculpés. L'un d'eux, cependant, de sanglante mémoire, n'hésita pas à faire exécuter, sans jugement, au Bois de La Chaise, 50 prisonniers venant des Sables et qui, épuisés par la faim et le mal de mer, ne pouvaient se traîner. Il ordonna de les achever sur place, par humanité, puisqu'ils n'avaient été envoyés dans l'île que pour y être fusillés ... Il y a quelques années, la mer, rongeant la côte, au sud du fort Saint-Pierre, a mis au jour des ossements dus sans doute à une exécution. On ne saurait toutefois l'affirmer, car d'autres cadavres, enterrés à cette époque sur divers points de la grève, provenaient d'autres sources et probablement des noyades de Nantes. Nous voyons ainsi, le 13 floréal, la municipalité de l'Ile de la Montagne voter, sur la demande du citoyen préposé à la salubrité publique, une somme de 140 livres pour être distribuée aux journaliers ayant apporté ou transporté dans les sables une quantité considérable de corps, venus avec la mer tout autour de l'île, et qu'il avait fallu enfouir dans des charniers creusés spécialement en maints endroits.

La liste des morts de cette seconde période est en partie connue, et l'on n'y retrouve point vingt-deux personnes sacrifiées le même jour à La Claire.

Au reste, les prévenus, pour la plupart, n'étaient plus des gens arrêtés dans l'île où l'on se dénonçait peu, mais des suspects amenés de divers points du district de Challans, et le plus souvent ramassés par la force armée dans ses courses à travers le pays. Depuis les premiers jours de pluviôse, le château était devenu la prison du district ; il fut bientôt insuffisant et d'autres lieux de détention reçurent alors des prisonniers. Nous mentionnerons la prison civile, ancienne rue de l'Hôpital, puis une maison du XVIe siècle, située au Puits-de-Lorraine, portant encore le nom de maison de Tinguy et où, le 3 floréal, 303 prévenus furent internés. Il va sans dire que, plus d'une fois, des inculpés, envoyés à la Commission pour être jugés, furent massacrés par leur escorte avant de comparaître devant elle, sous prétexte de tentative d'évasion ou de révolte ..."

Le docteur Viaud-Grand-Marais poursuivait :

"La dernière époque commence au mois de prairial an II. La Commission militaire de Noirmoutier, accusée de modérantisme et de défaut de zèle, venait d'être remplacée par une autre Commission, militaire et extraordinaire, dite d'Angers, composée presque exclusivement de juges ayant fait leurs preuves dans cette ville, tant comme membres de la Commission Félix que comme juges recenseurs. Les juges recenseurs, institués dans la capitale de l'Anjou pour débarrasser les prisons de leur trop plein, pour les faire dégorger, comme l'on disait alors, procédaient au recensement des prisonniers et, après un interrogatoire sommaire, marquaient d'un F le nom des malheureux devant être fusillés dans les vingt-quatre heures, et d'un G ceux qu'ils destinaient à la guillotine. Leurs jugements portent à cause de cela dans l'Histoire le nom de jugements par F ; il y en plus de 700 et plus de 60 par G.
Ce sont ces juges recenseurs, c'est cette troisième Commission, créée le 22 prairial (10 juin 1794), par les Représentants du peuple Bourbotte et Bô, et entrée en fonctions le 29, que nous allons voir à l'oeuvre et à qui nous devrons demander compte des victimes de La Claire. Aucun de ses membres n'était originaire de l'île et aucun ne paraît y avoir laissé de famille.

Pour ses débuts, elle se montra d'abord assez douce. Elle commença par examiner les dossiers les moins chargés ; ses séances furent marquées par de nombreux acquittements et des mises en liberté provisoire encore plus nombreuses. Quelques-uns de ses jugements sont cependant déjà ignobles ; tel est celui qui obligeait une malheureuse religieuse à être traînée tous les soirs à la Société Populaire pour y recevoir une éducation patriotique avant qu'il soit statué sur son sort.
Néanmoins, dès le 29 prairial, soit à sa première audience, elle condamnait à mort et faisait fusiller sur la place d'armes Jean Caffin, épicier à Challans, "pour intelligence avec les Brigands, pour leur avoir donné du vin et avoir conversé familièrement avec leurs courriers, et enfin pour avoir alarmé les bons citoyens de Challans en leur faisant lire une lettre annonçant la prise de Nantes par les Brigands."
Puis, le 9 thermidor, elle faisait exécuter au même lieu Thérèse-Marie-Madeleine Baudry, âgée de 26 ans, fille d'un chirurgien des Herbiers, "convaincue d'avoir suivi le scélératissime Charette et Baudry-Puyravaud pendant trois mois et d'avoir été sous la protection spéciale du chef des Brigands."
Et le 11, elle condamnait à la peine capitale Marie Rousteau, de l'Ile Marat (Bouin), âgée de 30 ans, "pour correspondance avec les Brigands et pour avoir assisté à leurs combats, armée d'une broche à rôtir."

Jusqu'ici cependant aucune de ces exécutions nombreuses, de ces fournées qui avaient rendu odieux à Angers le nom de ces juges.

Ils ne condamnent même pas nécessairement à mort les individus les plus compromis ; ainsi, le 8 thermidor, Jacques-Louis-Gabriel Baudry, ex-noble, domicilié à Nieul-le-Dolent, et un autre chef royaliste, Henri-Louis Deshommes, chevalier d'Orchière, sont momentanément épargnés et envoyés à Paris pour y être définitivement jugés. Peut-être Félix et un autre juge appelé Laporte, qui venaient d'être nommés dans la capitale, avaient-ils tenu à les y traîner à leur suite ...

Le typhus, qui sévit au château, se charge d'empêcher l'encombrement, mais il sert d'occasion à la Commission militaire pour montrer de l'humanité. C'est ainsi que, le 3 thermidor, Pierre Mouchard, Marie-Eléonore Robard, la femme Asselin, Catherine Brochet, deux religieuses : Thérèse Dorion, âgée de 46 ans, et Adélaïde Boutiron, âgée de 29 ans, bénédictines du prieuré de Sainte-Croix des Sables, et un certain nombre de prévenus obtiennent un sursis. Ils sont autorisés à rester chez les particuliers où ils se trouvent, mais cela à titre de détention, vu le mauvais état des prisons, et à charge par eux de se présenter tous les jours au Comité de surveillance de la Commune. Le jugement dit toutefois : "Qu'ils ne seront pas relâchés définitivement et qu'ils reparaîtront devant le tribunal, parce qu'ils ont été arrêtés par les autorités de  leur commune et, en outre, parce que, par leur fortune et leurs connaissances morales, ils font partie de cette classe qu'on appelait autrefois Gens comme il faut, qui seuls ont impulsé les individus qui ont fait partie du rassemblement des Brigands de la Vendée."

Quelle pouvait être la cause de cette douceur relative ? Les juges étaient-ils fatigués par leurs condamnations antérieures et devenus plus hommes loin de l'oeil de Carrier ou de Francastel ? Ou plutôt leur hôte, qui les traitait de son mieux pour pouvoir être utile aux prisonniers et aux suspects, avait-il obtenu par son influence une partie de ces acquittements et de ces sursis ? Pourquoi alors ce réveil donnant lieu, le 16 thermidor, sept jours après la chute de Robespierre, au jugement que l'on trouvera plus loin et à la condamnation à mort de vingt-deux personnes à la fois ? ...

Les évènements qui mirent fin à la Terreur commencèrent à Paris le 9 thermidor, mais ne furent véritablement terminés que le 10. Ils ne se répandirent que peu à peu dans les provinces et c'est le 14 seulement que la nouvelle de la mort de Robespierre fut annoncée aux Sociétés Populaires de Nantes. Un matelot, venant de Paimboeuf, l'apporta le lendemain à Noirmoutier. Le général Mucius Scevola Sabatier, rapporte Piet, le fit arrêter et voulut le faire fusiller. Cet homme demanda qu'on attendit l'arrivée des journaux. La nouvelle officielle parvint aux autorités le 15 au soir, ou le 16 au matin.

Est-ce sous l'affollement qu'elle produisit que fut rendu le jugement du 16 thermidor, soit que les juges, se sentant perdus, n'aient pas voulu tomber seuls, soit que craignant de voir la réaction relever la tête, ils aient essayé de la terrifier par un coup d'éclat ? Bien des raisons portent à croire que cette dernière considération ne fut pas étrangère à leur verdict : le nombre des victimes, l'appareil avec lequel elles furent conduites au supplice et le lieu éloigné où elles furent exécutées ..."

Donnons, avant d'aller plus loin, les noms de ces juges.

Ils s'appelaient tout d'abord : Félix et Laporte, président et vice-président de la Commission, Obrunier, Gouppil et Henri Collinet, ce dernier ancien président de la Commission précédente. Hudoux remplissait les fonctions d'accusateur public. Félix et Laporte ne devaient pas tarder à être remplacés mais, en attendant et à peine installée, la Commission mandait aux Représentants Bourbotte et Bô, à la date du 1er messidor :
"Nous vous observons qu'avec tout le républicanisme dont nous sommes animés, il nous sera presque impossible de satisfaire aux termes de votre arrêté : travailler au salut de la République et à celui de l'Ile de la Montagne (Noirmoutier) en particulier. Pour vous mettre à même de juger sainement des obstacles que nous éprouvons dans nos fonctions et notre devoir, nous vous représentons :
1° Qu'il existe, dans les trois maisons d'arrêt de la commune de l'Ile de la Montagne, environ 8 à 900 prisonniers, lesquels ne sont point éloignés d'être pestiférés par le trop grand nombre de détenus qui en corrompent l'air et une maladie contagieuse qui règne dans la commune ;
2° Que la majeure partie de ces détenus sont parents ou amis des habitants de l'île de La Montagne qui, eux-mêmes, ne sont point à la hauteur du véritable républicanisme ;
3° Qu'en jugeant ceux de ces détenus atteints par la loi avec toute l'impartialité dont chaque membre qui compose la Commission militaire est pénétré, il est possible d'effaroucher des hommes qui ne respirent qu'indulgence, même pour les plus coupables, sans croire pour celà qu'ils aient l'intention de nuire au bonheur de la République ;
4° Que tous ces détenus demandent un examen long et scrupuleux, soit pour rendre à la liberté des innocents ou punir les conspirateurs vendéens ; avec d'autant plus de raison qu'on n'a pas pris les mesures pour motiver leur arrestation de quelque manière que ce soit ;
5° Que la paille est extrêmement rare, qu'il est par conséquent impossible de la renouveler autant qu'il le faudrait pour adoucir le sort de chaque détenu jusqu'au jour de son jugement ;
6° Que la presque totalité de ces détenus sont des sans-culottes infortunés qu'on ne sait par quelle fatalité (mais on le saura) ..., quand des riches coupables ont été mis en arrestation prétendue sous la responsabilité de leurs parents et amis, chez lesquels ils jouissent de toutes les aisances de la vie, lorsque les malheureux sont privés de tout en prison, même d'un air salubre ;
7° Qu'il n'existe point de local assez grand pour que le Peuple, pour lequel on juge, puisse être témoin de son bonheur et jouisse de la punition due aux traîtres qui veulent le troubler et l'atténuer ;
8° Que chaque membre de la Commission est logé séparément, éloigné l'un de l'autre, malgré tous leurs efforts pour se réunir dans un même lieu, ce qui présente un très grand inconvénient ;
9° Enfin, qu'il est très difficile à chacun des membres de la Commission, comme à ceux qui leur sont attachés, de se procurer leur subsistance journalière à tel prix que ce soit, vu l'extrême rareté des vivres et l'avidité des riches qui achètent les denrées qui ne font point partie des étapes militaires ;
Nous pensons que, pour obvier aux inconvénients ci-dessus énoncés et nous mettre à portée d'agir avec plus d'activité, il serait prudent et politique, sur tous les rapports, de faire transférer les prisonniers de l'Ile de la Montagne dans une commune assez éloignée pour écarter les  solliciteurs, parents ou amis de ceux pour lesquels la majeure partie des habitants de cette commune annoncent beaucoup d'indulgence ; par ce moyen, le tribunal n'ayant plus à répondre à une foule de personnes importunes qui, par leur présence, apportent nécessairement une lenteur dans les opérations révolutionnaires, soit en punissant les coupables, soit en rendant la liberté à l'innocence opprimée, travaillerait plus facilement et plus heureusement au salut de la République ..."

Ne se peignent-ils point au naturel dans cette longue missive, les membres de la sinistre Commission, animés d'un zèle révolutionnaire ardent, confinant au fanatisme ? S'ils hésitaient, au commencement, c'est tout simplement, croyons-nous, qu'un arrêté du Comité de Salut Public venait d'accorder une amnistie générale aux rebelles de la Vendée et qu'en divers endroits on commençait à mettre en liberté les prisonniers. "Cette nouvelle, écrivaient-ils encore, vivement émus, a produit un tel enthousiasme que tout annonçait l'ouverture des prisons de cette île ..." Mais ils ne tardaient pas à se ressaisir. Au surplus, un avis du Comité de Surveillance révolutionnaire des districts des Sables et de Challans arrivait à point pour les mettre en garde contre tous les solliciteurs n'aspirant qu'à soustraire de grands criminels à un châtiment justement mérité : "Envoyés dans ce district, leur signifiaient les Commissaires Rouvière et Laidet, pour y déjouer les manoeuvres de l'aristocratie, nous sommes obligés de vous faire connaître une tactique qui peut tromper votre religion et soustraire des coupables au glaive vengeur de la loi. Tous les détenus de votre île, tous leurs parents et amis s'agitent en tous sens, soit pour avoir des certificats, soit pour engager des témoins qui déposent en faveur des prisonniers. Ils courent de maison en maison mendier des témoignages, ils s'adressent toujours à des parents, des amis, des voisins et surtout à des modérés qui préfèrent leurs familles et leurs connaissances à la République. Défiez-vous de toutes ces attestations, de tous ces témoins qui ont pour but d'innocenter les détenus. L'expérience prouve qu'avec de pareils moyens on peut sauver de grands coquins, car c'est ainsi que vos prédécesseurs ont été quelquefois trompés, et leur trop d'égard à des attestations aussi suspectes pourrait leur causer bien des regrets. Soyez donc en garde contre tous les solliciteurs et leurs adhérents si vous voulez enfin purger ce pays de la plus infecte aristocratie ..."

Comme ces pressantes recommandations devaient bien répondre à leur pensée intime ! Ce sont elles qu'ils durent avoir sans cesse présentes à l'esprit dans l'exercice de leurs fonctions, elles qui, sans nul doute, avec la lettre de Carnot que l'on verra ci-dessous, les dirigèrent dans leur conduite. Elles contribuèrent vraisemblablement, pour une part, à réveiller chez eux des instincts qui n'étaient que momentanément endormis. Peut-être pourrait-on attribuer aussi, pour une autre part, le réveil de ces instincts aux changements qui intervinrent alors dans la composition de la Commission dont deux membres, et non des moindres, étaient, comme nous l'avons vu, appelés à Paris.

Désorganisée par leur départ, la Commission militaire avait suspendu ses séances le 5 messidor, en informant le Comité de Salut Public qu'elle avait jusque-là "jugé 200 individus, dont un à mort et le surplus mis en liberté". Puis elle était partie pour Nantes, les autres juges, en plein désarroi, parlant de se retirer ; et la Municipalité en avait profité pour procéder à l'évacuation d'une partie des prisonniers. Mais le Représentant Bô n'avait pas tardé à nommer, pour remplacer Félix et Laporte, un marchand du nom de Brutus Thierry et un certain Joulain, manufacturier de la commune d'Angers. La Commission, ainsi complétée, n'avait plus qu'à reprendre le chemin de Noirmoutier où l'attendait l'ordre d'en finir au plus tôt avec les détenus qui s'y trouvaient. Ce que nous savons de son passé et de ses tendances ne nous laisse que peu d'incertitude sur sa façon d'interpréter les instructions que Carnot lui adressait en quelque sorte indirectement en répondant le 5 thermidor, au nom du Comité de Salut Public, aux Représentants du Peuple à Niort :
"Nous vous renvoyons, chers collègues, une lettre d'un membre de la Commission militaire séante à Noirmoutier, par laquelle vous verrez à quel excès de malveillance est porté l'abus d'une proclamation faite par les agents préposés à la surveillance des récoltes. Où donc a-t-on pris que le Gouvernement voulait faire grâce aux auteurs, fauteurs et instigateurs des outrages faits à la souveraineté du peuple dans la Vendée ? Hâtez-vous au contraire, chers collègues, de livrer au glaive vengeur tous les promoteurs et chefs de cette guerre cruelle et que les scélérats qui ont déchiré si longtemps les entrailles de leur patrie reçoivent enfin le prix de leurs forfaits ! Les femmes, les enfants, les vieillards, les individus entraînés par violence ne méritent pas, sans doute, le même sort que les monstres qui ont ourdi la révolte, qui l'ont servie de leur volonté comme de leurs bras, et l'on peut prendre à leur égard des mesures de sûreté moins rigoureuses. Mais ce serait abandonner ce pays aux horreurs d'une guerre nouvelle et la vie des patriotes à la merci des Brigands que d'user envers ceux-ci d'une indulgence absurde et meurtrière. Vous voudrez bien, sans perdre un moment, ordonner que la justice révolutionnaire reprenne son cours et ne pas perdre de vue que nous n'avons qu'un seul but, celui de terminer enfin l'horrible guerre de la Vendée ; objet dont on s'écarte également, soit par une lâche indulgence, soit par des exécutions qui, en frappant sur la faiblesse, ne pourraient que révolter la justice et l'humanité ..."

Le 23 messidor, la Commission reprenait la suite de ses audiences. Elle se choisissait comme président "le républicain Obrumier", comme vice-président Brutus Thierry, et l'accusateur Hudoux rentrait en possession de ses dossiers, laissés sous scellés à son départ, sous la garde de la Municipalité.

Parmi ces dossiers se trouvaient ceux de Deshommes, chevalier d'Orchières et de l'ex-noble Baudry. Ceux-ci, y lisons-nous, étaient prévenus de "s'être mis à la tête d'un attroupement séditieux en la commune du Poirou, pays vendéen, au mois de juin 1791 ; d'avoir voulu passer en Angleterre et se réunir aux conjurés avec le dessein perfide de rentrer sur le sol de la Liberté, le fer et la flamme à la main, pour y égorger ses défenseurs, et ce à l'époque où le tyran Capet fuyait à Varennes ; et enfin de s'être réunis, en 1792, aux Chevaliers du Poignard qui, rangés autour du dernier tyran des Français, voulurent, à la célèbre journée du 10 août, massacrer le peuple et anéantir le plus précieux de ses biens : la Liberté." C'est pourquoi, "considérant que les délits de conspiration dont Baudry et Deshommes étaient accusés et convaincus, appartenaient spécialement au Tribunal de Paris ; que, sous plusieurs rapports, ces accusés étaient des conspirateurs de la première classe et que, traduits au Tribunal Révolutionnaire de Paris, ils pouvaient donner les plus grands éclaircissements sur la célèbre journée du 10 août et le massacre de Nancy", la Commission militaire ordonnait leur transfert dans la capitale.

Mais d'autres dossiers également remplissaient les cartons de l'accusateur. Plusieurs attendaient d'être complétés par les renseignements qui avaient été demandés sur les prévenus qu'ils concernaient. Au nombre de ces dossiers encore incomplets, figuraient ceux des vingt-deux détenus contre lesquels Hudoux devait rédiger, quelques jours après, le réquisitoire suivant, et qui allaient devenir les victimes de La Claire :

"La liberté ou la mort.
RÉPUBLIQUE FRANCAISE UNE ET INDIVISIBLE.

L'accusateur public à la suite de la Commission militaire, extraordinaire et révolutionnaire établie près l'armée de l'Ouest et par les Représentants du Peuple et le Comité du Salut Public de la Convention Nationale à l'Ile de la Montagne ;
Après avoir pris connaissance des interrogatoires, dépositions de témoins et autres pièces et renseignements concernant la procédure de :

Louis Marchais, âgé de 38 ans, de la commune de Saint-Hilaire, meunier ;
Jean Rouleau, âgé de 53 ans, de la commune de Saint-Gervais ;
Jacques Jaunay, âgé de 39 ans, de la commune de Sallertaine, journalier ;
René Gadebure, âgé de 36 ans ;
Charles Burgaud, âgé de 47 ans ;
Marie Abillard, femme Charles Burgaud, âgée de ... (en blanc),
Tous trois de la commune de l'Ile de la Montagne ;
Marie Rorthais, âgée de 26 ans ;
Elisabeth Rorthais, âgée de 19 ans,
Toutes deux ci-devant nobles de la commune de ... (en blanc) ;
Pierre Allais, âgé de 27 ans, laboureur ;
Mathurin Biton, âgé de 45 ans, (mort) ;
Julienne Gervier, âgée de 25 ans ;
Marie-Madeleine Robard, âgée de 21 ans ;
Marie-Eléonore Robard, dite de Beline, âgée de 64 ans, vivant de son revenu ;
Catherine Brochet, âgée de 53 ans ;
Marie Vincendeau, âgée de 38 ans, se disant veuve Gouvard, dit Gogeu ;
Marie-Anne Hardouin, femme Gervier, âgée de 30 ans ;
Rose Gouvard, femme de Mathurin Baudry, âgée de 60 ans, vivant de son bien ;
Toutes neuf de la commune de l'Ile Marat, district de Challans ;
Pierre Rousseau, âgé de 32 ans, de la commune de Saint-Christophe, district de Challans, cordonnier ;
Jeanne Guérineau, veuve Boizard, âgée de 68 ans, de la commune de Challans ;
Marie-Madeleine Abraham, femme de Charles Asselin, chapelier, de la commune de Palluau, âgée de 42 ans ;
Pierre Mouchard, laboureur, de la commune de Clessé, âgé de 50 ans ;
Tous deux du district de Bressuire (sic) ;

Considérant qu'il en résulte que Louis Marchais, Jean Rouleau et Jacques Jaunay, au lieu de se réunir aux bons citoyens qui se sont joints aux armées de la République pour combattre et anéantir les Brigands de la Vendée, ont pris les armes contre la patrie, et que Marchais et Rouleau ont arboré la cocarde blanche, signe de contre-révolution ;
Considérant qu'il résulte des interrogatoires et dépositions que René Gadebure, Charles Burgaud et Marie Abillard, femme de ce dernier, ont pris part aux brigandages des bandits de la Vendée, lors de leur séjour dans la commune de l'Ile de la Montagne, en pillant avec eux les patriotes les plus prononcés de cette île ;
Que Gadebure et Burgaud se sont armés avec les Brigands de la Vendée à l'Ile de la Montagne, et qu'ils ont arboré, en signe de contre-révolution, la cocarde blanche ;
Que Gadebure a eu la perfidie d'aller au devant du bandit Charette, lors de son entrée en l'Ile de la Montagne, et que Burgaud avait eu, de ce chef des Scélérats, un grade qu'il a conservé parmi eux pendant leur séjour à l'Ile de la Montagne ;

Considérant que Marie et Elisabeth Rorthays, ex-nobles, ont constamment suivi les Brigands de la Vendée dans leurs marches contre-révolutionnaires, depuis le commencement de l'insurrection vendéenne jusqu'à la dissolution de leurs rassemblements ; qu'elles ont été arrêtées à l'Ile Marat aussitôt que les armées de la République s'en sont emparés et que, jusqu'alors, elles faisaient partie des Brigands qui avaient envahi l'Ile Marat à main armée et sous la protection desquels elles vivaient ;
Considérant qu'elles sont de la caste qui a fomenté, excité et dirigé la contre-révolution qui a éclaté dans la Vendée et qu'à cette caste, ainsi qu'à celle des prêtres, sont dus tous les maux que le peuple français a soufferts, et principalement le massacre de plus de deux cent mille individus dans la Vendée ;

Considérant qu'il est attesté par trois témoins que Pierre Allais était un instigateur des tentatives contre-révolutionnaires qui ont eu lieu dans la Vendée, qu'il s'est porté à main armée dans les communes de Bourgneuf et Pornic, qu'il y a pillé les patriotes, qu'il vomissait constamment toutes sortes d'injures envers les républicains et qu'il s'est montré furieux envers eux à un tel degré qu'il a exercé toutes espèces de férocités contre les parents des défenseurs de la liberté ;

Considérant que, d'après la déposition de deux témoins, Mathurin Biton s'est armé d'un fusil pour combattre les défenseurs de la patrie et qu'il s'est trouvé avec les Brigands de la Vendée contre les armes de la République aux combats de Legé et de Gervais ;

Considérant que cinq témoins attestent que Julienne Gervier était l'agent de Pajot, chef brigand, qu'elle pillait les patriotes et demandait publiquement l'emprisonnement de leurs femmes ;
Considérant qu'elle a eu la scélératesse, après avoir retiré une fille des prisons, qui était détenue avec les patriotes de Noirmoutier, de dire aux Brigands que le reste des prisonniers était bon à fusiller, et ce à dessein de les faire massacrer ;

Considérant que trois témoins attestent que Marie-Madeleine Robard a poussé son brigandage jusqu'à instiguer les bandits de la Vendée à égorger tous les prisonniers patriotes en leur disant qu'il fallait les tuer tous, qu'elle les voudrait tous foutus ou crevés ;
Considérant qu'elle a eu la scélératesse de témoigner le plaisir qu'elle aurait d'égorger elle-même un bleu ;

Considérant que, d'après la déposition de cinq témoins, Marie-Eléonore Robard, dite de Béline, a instigué les Brigands de la Vendée dans les innombrables crimes dont ils se sont rendus coupables envers le peuple français ;
Considérant qu'elle a eu la perfidie de témoigner une joie parfaite sur les revers qu'éprouvaient les défenseurs de la patrie ;
Considérant qu'elle s'est enorgueilli de ce que Cathelinière, père du chef de brigands de ce nom, sa femme et le nommé Coussay, aussi chef de brigands, logeaient chez elle et qu'elle s'est flattée que c'était à son influence sur l'esprit scélérat de ces bandits que le citoyen Pelletier devait son existence ;

Considérant que, d'après la déposition de deux témoins, Catherine Brochet est une aristocrate fanatique qui a tenu des propos contre-révolutionnaires, et que pour mettre le comble à sa perfidie elle s'est armée d'une fourche pour combattre et assassiner les défenseurs de la liberté ;

Considérant que trois témoins attestent que Marie Vincendeau, femme Gouvard, dit Gogeu, était, ainsi que son mari, préposée par les Brigands à la garde des prisonniers patriotes, qu'elle les a toujours traités durement, qu'elle a excité les bandits qui les tenaient en captivité à les détruire en leur conseillant de les mettre dans des souterrains et de les y égorger ;

Considérant que Marie-Anne Hardouin, femme Gervier, a, d'après l'attestation d'un premier témoin, instigué très méchamment les Brigands de la Vendée dans leurs tentatives contre-révolutionnaires, et que deux autres témoins déposent avoir ouï dire qu'elle avait demandé l'emprisonnement et l'assassinat des patriotes ;

Considérant que quatre témoins attestent que Pierre Rousseau est un des principaux chefs des Comités contre-révolutionnaires des Brigands ;

Considérant que deux témoins déposent que Jeanne Guérineau, veuve Boizard, a été au-devant d'un brigand, ayant un drapeau blanc à la main, et proférant les cris infames de : Vive le Roi ! et ce à Challans ;
Considérant qu'elle a tenu cette conduite le jour même de l'évacuation des autorités constituées de la commune de Challans et que, pendant le séjour des Brigands, elle a pillé les patriotes ;

Considérant que, d'après la déposition de trois témoins, Marie-Madeleine Abraham, femme de Charles Asselin, était l'étapière des Brigands ; qu'elle a pillé et distribué aux Brigands le vin du citoyen Rouillé, maire de Palluau ;
Considérant qu'elle ne distribuait de subsistances qu'aux scélérats qu'elle savait armés contre leur patrie et qu'elle a employé le moyen de famine pour réunir jusqu'aux esprits faibles au parti contre-révolutionnaire auquel elle était dévouée ;
Considérant qu'à son instigation les vieillards, femmes et enfants patriotes ont été privés de la subsistance journalière et qu'elle accaparait les objets de première nécessité pour maintenir les Brigands dans un état d'abondance aveugle ;

Considérant que Pierre Mouchard a été membre d'un comité contre-révolutionnaire établi par les Brigands de la Vendée en la commune de Clessé ;
Considérant que, de son aveu, il a exercé cette infame fonction pendant l'espace de deux mois, qu'il a correspondu avec les chefs des Brigands, établis en comité contre-révolutionnaire dit Conseil supérieur, à qu'il a fait donner, écrit et signé des injonctions aux habitants de sa commune pour les contraindre à monter la garde pour les Brigands, à peine d'amende ;

Considérant que, dans les pièces de son procès, il se trouve deux de ces injonctions faites aux nommés Bardonnière et Rudebault ; que celle adressée à Bardonnière est au nom du commandant en chef des Brigands, datée du règne d'un prétendu Louis XVII, signée et écrite à l'entier de la main dudit Marchand ;

Considérant que Pierre Mouchard était le secrétaire de la municipalité de sa commune ;

Considérant que deux témoins attestent que Marie Dubois, veuve Petiteau, a eu des intelligences avec Savin, Mercier et l'ex-prieur de Soullans, tous trois instigateurs et chefs des Brigands ;
Qu'elle affectait de donner à boire et à manger à l'ex-prieur de Soullans à chaque fois qu'en présence des Brigands il venait à Soullans y contre-révolutionner avec ses messes et autres actes de fanatisme ;
Considérant qu'elle allait journellement et librement à Palluau, se concerter avec Savin et Mercier, chefs des Brigands, lorsque ces scélérats emprisonnaient, chargeaient de fers et massacraient les patriotes ;

Considérant, enfin, que les faits imputés et attestés par des pièces probantes et dépositions de témoins contre chacun des individus dénommés au présent acte démontrent qu'ils ont, individuellement ou collectivement, protégé de tous leurs moyens fisiques (sic), moraux et pécuniaires, les tentatives contre-révolutionnaires qui ont éclaté dans la Vendée, et que ces individus sont devenus les fauteurs et complices des auteurs de toutes les provocations au rétablissement de la royauté, à la destruction de la République française, ainsi que des conspirations contre la sûreté, la liberté et la souveraineté du peuple, seul souverain, comme aussi des assassinats, vols et pillages commis envers les personnes et propriétés des patriotes, dans les départements de la Vendée et circonvoisins ;

En conséquence, l'accusateur public accuse, par le présent acte, les vingt-deux individus qui y sont dénommés du crime de conspiration qu'il vient d'énoncer, et ce devant la Commission révolutionnaire et extraordinaire séante à l'Ile de la Montagne ;

L'accusateur public conclut, pour la vengeance nationale, que les accusés, déclarés convaincus du crime de conspiration envers le peuple français, énoncé au présent par la Commission extraordinaire et révolutionnaire, soient condamnés à la peine de mort ; qu'ils subissent cette peine sur le territoire de l'Ile de la Montagne dans les vingt-quatre heures qui suivront leur condamnation ; que leurs biens soient déclarés acquis et confisqués au profit de la République française, conformément aux lois des 5 avril, 19 mars, et 5 juillet et ... (en blanc), dont l'application est requise ;

A l'Ile de la Montagne, le ... (en blanc) thermidor de l'an second de la République française, une et démocratique.
Signé : HUDOUX."

Ce long et implacable réquisitoire, comme on s'en apercevra facilement dans la seconde partie de ce travail, n'est qu'une simple répétition des dénonciations portées, sous différentes formes, contre les détenus. Il les accepte sans discussion ni réserves, ne fait aucune place aux pièces ou aux témoignages qui auraient pu être produits en faveur des inculpés. Il appelle certains commentaires que nous demanderons une fois de plus, au risque de nous exposer à quelques redites, au docteur Viaud-Grand-Marais :
"Les accusés, note ce dernier, provenaient d'origines diverses. Gadebure et Burgaud, échappés aux premiers massacres, avaient été arrêté dans l'île ; Louis Marchais, Mme Petiteau, la femme Asselin et autres, envoyés de Challans ; Allais, les Gervier, les Gouvard, les dames de Rorthays et Robard venaient d'une rafle faite dans l'île de Bouin par Jordy. Les femmes, au nombre de treize, formaient plus de la moitié des prévenus ; l'une d'elles n'avait que 19 ans, une autre 21 à peine. La tradition est d'accord avec les pièces officielles.
Sauf quelques-uns, qualifiés de vivant de leur revenu, ces prisonniers étaient des gens du peuple, ainsi que cela se voit dans la plupart des listes de proscription de cette époque.
Les demoiselles de Rorthays sont désignées sous le titre d'ex-nobles. Une famille de ce nom, d'ancienne extraction, couvrait alors de ses rameaux le Bas-Poitou ; beaucoup de ses membres périrent par le fait de la tourmente révolutionnaire, entre autres plusieurs jeunes filles. Marie et Elizabeth sont dites de Saint-Georges, district des Sables. Elles paraissent être filles de Messire Louis René-Charles de Rorthays, seigneur de la Hauture ou des Hauteurs, et de Marie Ferré. Les registres de baptême de Saint-Georges-de-Pointindoux offrent malheureusement des lacunes. Nous croyons toutefois reconnaître une des victimes dans Marie de Rorthays, signant ces registres, le 6 août 1778, comme marraine d'une de ses soeurs.
Les demoiselles Robard appartenaient à une honorable famille de Bouin dont plusieurs membres avaient été anoblis par les fonctions qu'ils avaient remplies. Marie-Eléonore dite Mademoiselle de Bellines, descendait de Jean Robard de ou des Bellines, sénéchal de Bouin en 1693, et Marie-Magdeleine était fille de Jacques Robard, sieur de la Briaudière. La Briaudière est située dans l'île de Bouin entre la ville et le petit port des Brochets ; et lors de la création de l'hôpital de Bouin, le 31 juillet 1735, on voit figurer parmi ses principaux bienfaiteurs Joseph Robard, sieur des Bellines, probablement père ou mère de Marie-Eléonore.
Quant à Mme Petiteau, elle signait du Bois, en deux mots, et était fille de François du Bois, sieur du Grand-Marais et de Marie-Angélique Jolly. La maison de sa famille, située sur la rive du marais de Soullans, était indiquée dans les actes comme maison noble. Dans un salon d'honneur étaient gravés deux écussons. Sur celui de droite se voyaient trois épées, la pointe en bas et surmontées de trois étoiles ou molettes ; sur celui de gauche, trois glands au-dessus d'un lion grimpant.
Marie-Renée du Bois, âgée de 36 ans et quelques mois, était veuve de François-René-Nicolas Petiteau, mort en 1788 victime de sa charité. M. Petiteau ayant voulu prendre un pain pour faire l'aumône à un pauvre et le râtelier qui les contenait étaient tombés sur lui et l'avaient étouffé. Nicolas Petiteau, notaire et procureur à Challans, patron de la Chapellenie des Bonnins, comme héritier sans doute de cette généreuse famille, avait donné ce bénéfice à l'abbé Guillon qui le possédait encore en 1790, après avoir renoncé à la cure de Soullans en faveur de son vicaire, l'abbé Noeau.
Mme Petiteau, restée avec trois enfants dont l'aîné n'avait que dix ans en 1794 et dont le dernier était né à l'époque de la mort de son père, vivait fort retirée à Soullans, partageant son temps entre leur éducation et ses oeuvres de bienfaisance. Et cependant, le 3 germinal an II (23 mars 1794), nous la trouvons détenue dans la maison d'arrêt de Challans et désignée pour faire partie d'un convoi de quinze prisonniers destinés à être conduits à l'Ile de la Montagne, au plus tôt et sous bonne escorte, afin d'y être jugés conformément à la loi. Aucun autre prévenu envoyé à Noirmoutier le même jour, ne fut condamné à mort par la Commission militaire.

Par ailleurs, les causes qui amenaient devant le Tribunal révolutionnaire les vingt-deux malheureux dont nous nous occupons variaient beaucoup.

Les hommes, pour la plupart, ont été arrêtés avec des cocardes blanches, ce qui suffisait déjà pour les faire condamner. Plusieurs sont en outre convaincus d'avoir pris part à des combats contre les armées de la République.
Ainsi Pierre Allaire ou Alais, laboureur, âgé de 27 ans, a été vu en armes dans les communes de Bourgneuf et de Pornic. Cet Alais n'était autre que Pierre Alais, fils aîné de Pierre Alais de la Gautière, et un des chefs des insurgés de Bouin. Il est qualifié "d'instigateur furieux, vomissant mille injures contre les patriotes". Il a été à plusieurs combats, a pillé, s'est livré à d'autres violences.
René Gadebure, de l'Epine (Ile de la Montagne), était allé au-devant de Charette à son arrivée dans l'île. Il est dénoncé comme ayant fait des réquisitions de matelas et autres objets de literie. Il avait monté la garde pour les Brigands et pillé le citoyen Palvadeau.
Charles Burgaud, aussi de l'Epine, où il exerçait le métier de tisserand, avait un grade dans l'armée vendéenne pendant son séjour à Noirmoutier. Il est le seul à avoir été accompagné au supplice par sa femme, Marie Abillard.
Pierre Rousseau, cordonnier à Saint-Christophe-du-Ligneron, se trouve signalé comme un des principaux chefs du Comité contre-révolutionnaire de sa commune. Les témoins qui déposent contre lui sont "bons patriotes". N'est-ce pas suffisant ?
Le dossier de Louis Marchais est bref. Il porte qu'il a 38 ans, qu'il est meunier à Hilaire, district de Challans, et qu'il a monté la garde, armé d'un fusil, avec la cocarde blanche. Ces griefs semblent insuffisants pour expliquer la présence de ce nom en tête de la sanglante liste. Mais un de nos amis, qui est aussi l'un des hommes à connaître le mieux l'histoire du marais septentrional de la Vendée, a bien voulu compléter nos renseignements à son sujet.
Louis Marché, vulgo Marchais, né à Saint-Hilaire-de-Riez, était d'une nature robuste et ardente. Il fut un des premiers paysans qui, groupés autour du perruquier Gaston, de Challans, arrachèrent, après la défaite de celui-ci, le chevalier Charette à sa retraite de Fonteclose et le forcèrent, par leurs menaces, à se mettre à leur tête. Il se faisait remarquer par son exaltation antirépublicaine et, avant son départ de sa paroisse natale, s'était montré l'adversaire implacable du curé constitutionnel. Après avoir guerroyé pendant quelques mois, il tomba entre les mains des Bleus qui le conduisirent à Challans. De là il fut dirigé, le 9 ventôse an II, avec un convoi de vingt-deux autres prisonniers, sur Noirmoutier où nous le retrouvons.
Pierre Mouchard, laboureur, domicilié à Clessé (Deux-Sèvres), était accusé d'avoir fait partie d'un comité royaliste et avait signé des injonctions aux habitants de sa commune pour les contraindre à monter la garde parmi les Brigands. Sous peine d'amende, avait-il écrit ; sous peine de mort ! eussent décrété Pajot et les chefs républicains. Quoi qu'il en soit, deux de ces injonctions sont jointes au dossier du prévenu. Voici la teneur de l'une d'elles :
"Par ordre du commandant en chef, N.... fournira demain un homme pour aller à Armaillon relever ceux qui y sont, sous peine de 30 livres d'amende au Comité de Clessé.
Le 20 juin 1793, l'an Ier du règne de Louis XVII.
MOUCHARD, commissaire."

Ses compatriotes firent des efforts désespérés pour le sauver et leurs certificats auraient dû lui valoir au moins le bénéfice des circonstances atténuantes. Mouchard, disent ces certificats, est un brave et honnête homme, mais facile à gagner à cause de son peu d'éducation. Telle est la seule raison qui lui a fait accepter un poste dangereux, sans en comprendre les conséquences, et parce qu'il pensait y être utile à ses concitoyens. A la déroute de Châtillon, le 5 juillet, il protégea dix cavaliers patriotes qui faisaient partie de cette retraite et s'étaient égarés ; ils les conduisit, la nuit, sur le chemin de Parthenay. Il fit également tout son possible pour délivrer quatre volontaires que les Brigands avaient pris à Fénéry et menaient à Clessé ; ayant pu y parvenir, il leur donna à boire et à manger. Il a aussi sauvé des mains des Brigands les papiers de la municipalité et de la Fabrique et mis en sûreté les vases de l'église. Il a monté la garde pour la République à Chiché et à Bressuire, obéissant sans difficulté à toute réquisition de ce genre et, un jour que deux citoyens de la paroisse de Beugnon, dont l'un s'appelle Aiguillon, amenaient deux cochons qu'ils venaient d'acheter, les rebelles voulant emmener ces hommes de force, il parvint à les faire évader. Il n'a, en tout cas, rien fait de plus que les membres du Comité de Fontenay-le-Peuple qui, eux, devaient savoir ce qu'ils faisaient, et contre lesquels la loi n'a rien prononcé."

Ces pièces sont signées d'un grand nombre de citoyens et de citoyennes de Clessé et en particulier de Paynot, maire ; Marc Brouillard, officier municipal ; François Launay, officier municipal et Louis Niort, notable. Elles sont accompagnées d'une attestation du maire et des officiers municipaux, résidant provisoirement à Civray. Le maire y affirme que le sieur Mouchard n'a fait partie du Comité royaliste que contraint, forcé, les Brigands menaçant de lui couper le cou. Il ajoute que cet homme a usé en toutes circonstances, de son ascendant sur eux pour rendre des services de toute espèce à ses concitoyens ...

Pour ce qui est de Mathurin Biton, son cas est plus singulier.

Lorsqu'on relit le jugement du 16 thermidor, une chose frappe tout d'abord au milieu des négligences de sa rédaction. Il y a vingt-et-un accusés, parfaitement désignés par leurs noms, prénoms, âges et communes, et même par un numéro d'ordre, entre autre Mathurin Biton qui ne se trouve pas mentionné dans le préambule de l'acte. Puis, après avoir bien et dûment prononcé contre lui, comme contre les autres, la peine capitale et la confiscation des biens, les juges, en terminant, ne parlent plus, à nouveau, que de vingt-et-un condamnés ! Le procès-verbal d'exécution, de son côté, ne contient pas davantage le nom de Biton ; mais, à cela rien d'étonnant, la liste des suppliciés n'étant qu'une copie de celle qui figure en tête du jugement.

Aux Archives de la Loire-Inférieure, sur un dossier se rapportant à l'exécution du 16 thermidor, se lisent ces mots : Mathurin Biton, mort en prison, et vingt-et-un individus condamnés à mort, exécutés le même jour, et deux mis en liberté provisoire. Le mot mort, sans commentaire, est inscrit en outre sur le réquisitoire de l'accusateur public, près du nom de cet homme, et l'on retrouve ailleurs encore la même indication.

Mathurin Biton a-t-il bien succombé en prison ? Pourquoi l'a-t-on alors condamné à mort ? Les registres de l'Etat-Civil de l'Ile de la Montagne semblaient devoir éclairer ce mystère, puisqu'ils contiennent les noms d'un grand nombre de prévenus décédés à cette époque dans les diverses maisons d'arrêt. Si donc Biton y avait péri, il devait y être inscrit. Or, voici ce qu'ils disent :
"Le 16 thermidor, aucun décès ! - Le 15, deux, ceux de François Hardouin et d'Abraham Wattier ; - Le 17, un seul, celui de la femme Migné. - Aux jours précédents, comme à ceux qui suivent, de Mathurin Biton, pas de traces ! C'est au moins bizarre, même en tenant compte du désordre qui régnait partout. Quant à la tradition, elle est formelle sur le nombre de vingt-deux victimes. Le corps de Biton, mort peu avant le jugement, aurait-il été conduit à La Claire en charrette, à la suite des condamnés ? La chose est possible, mais il reste là un point obscur.

Au reste, Mathurin Biton avait contre lui des charges graves. Il avait été pris à Bouin et était caporal parmi les Brigands. Agé de 45 ans, il avait combattu à Legé contre les troupes de Beysser, et à Saint Gervais, sous les ordres de Charette, contre les soldats de Boulard. Un témoin affirme qu'il possédait un mauvais fusil."

Nous observons en outre qu'il avait comparu, le 29 messidor, en compagnie de Pierre Alais et de plusieurs autres détenus, devant la Commission militaire qui avait sursis, une première fois, à leur jugement : "Il n'était pas suffisamment prouvé qu'ils fussent coupables des délits à eux imputés et il importait de saisir de nouveaux renseignements." La pièce dénonciatrice contre lui est annotée, elle aussi, de ce seul mot : mort, sans date, et il en est de même d'une autre pièce où on lit simplement : "Mathurin Biton, 45 ans. - Interrogé le 29 messidor". Puis, en marge : "Mort". A noter également que, dans un Etat des individus condamnés à mort par la Commission militaire à l'Ile de la Montagne, pour cause de troubles qui ont existés (sic) dans les départements de l'Ouest, la liste des victimes de La Claire ne compte que vingt-et-un noms, celui de Biton étant toujours absent, et nous retrouverons ce même chiffre de vingt-et-un noms en d'autres documents officiels que nous aurons l'occasion de citer.

Pour les femmes, - c'est toujours le docteur Viaud-Grand-Marais qui continue, - elles sont désignées par les épithètes d'instigatrices, d'aristocrates enragées, de femmes dangereuses.
L'une d'elles, Catherine Brochet, ancienne domestique du citoyen La Chaume, a été vue armée d'une fourche et se battant comme un homme. Deux témoins affirment qu'elle est une aristocrate fanatique et très méchante, tenant des propos contre-révolutionnaires.
Marie Vincendeau, veuve de Toussaint Gouvard, dit Gogeu, était, avec son mari, préposée à Bouin à la garde des prisonniers de Noirmoutier qui furent fusillés par Pajot. Elle est accusée de les avoir traités durement. Elle parlait volontiers de les mettre à mort ou dans des souterrains.
Julienne Gervier et Marie-Anne Hardouin, femme Jean Gervier, avaient à leur charge des menaces de mort contre les patriotes. La première était intendante de Pajot et il est dit qu'elle partageait son exaltation.
Rose Gouvard, femme Baudry, âgée de 60 ans et vivant de son bien, était la femme de Mathurin Baudry, membre du Comité royaliste de Bouin et l'un des principaux instigateurs de la contre-révolution dans cette commune. Elle avait suivi Pajot dans sa fuite et quatre témoins l'accusaient, en outre, d'avoir recélé les effets pillés chez les patriotes.
La veuve Boizard, de Challans, était allée au-devant de Charette avec un drapeau blanc et au cri de : Vive le Roi ! - Marie Magdeleine Abraham, épouse de Charles Asselin, chapelier à Palluau, avait, aidée de son mari, distribué à boire et à manger aux Brigands, dont elle était l'étapière, tandis qu'elle n'offrait rien aux républicains. Elle aurait reçu chez elle Savin, chef des Brigands, et fréquenté la maison du curé insermenté.
Marie-Eléonore Robard de Bellines avait recueilli chez elle le nommé Coussay, dit l'Américain et Cathelinière, père d'un chef des Brigands. Quel était ce Coussay, désigné ailleurs, lui aussi, sous le nom de chef de Brigands ? Le curé de Bouin portait ce nom mais, n'ayant pas prêté serment, il s'était rendu au département pour obéir à la loi et avait été déporté. - Marie-Eléonore s'était, de plus, réjouie publiquement des revers des républicains. Un témoin la dit très aristocrate, amie des prêtres et joyeuse d'enterrer les patriotes, mais il ajoute qu'elle désapprouvait le pillage et les excès des chefs de son parti.
Marie-Magdeleine Robard de la Briaudière avait prononcé des paroles imprudentes, affirmant qu'elle tuerait bien elle-même un Bleu, qu'il fallait tous les tuer. Elle avait aussi manifesté hautement qu'elle abhorrait les institutions régissant alors la France et les hommes qui les défendaient.
- A Marie Abillard, femme Burgaud, on reprochait d'avoir pillé un patriote de l'Ile Marat, en la présence des Brigands dont son mari était le chef.
Marie et Elisabeth de Rorthays étaient accusées, - ce sont les termes mêmes du réquisitoire de l'accusateur public, - 1° d'avoir suivi l'armée des Brigands jusqu'à sa dissolution ; - 2° d'avoir fui devant les armées de la Nation ; - 3° enfin, d'être de cette caste qui avait fomenté, excité, dirigé la contre-révolution ayant éclaté dans la Vendée, caste qui, avec celle des prêtres, était cause de tous les maux dont le peuple souffrait, et principalement du massacre de plus de deux cent mille individus. - Elles répondaient qu'elles avaient suivi leur père et, qu'après sa mort, elles avaient fui l'un et l'autre parti.
Marie-Renée du Bois, veuve Petiteau, n'avait contre elle à son dossier que la dénonciation d'une fillette de douze ans, Marie Savarieau, appuyée, il est vrai, par une autre dénonciation de même nature faite par la mère de l'enfant.

"Aux fêtes de Pâques 1793, affirmaient ces dénonciations, l'ex-prieur de Soullans, le sieur Noeau, étant venu faire les offices dans l'église de Soullans, cette citoyenne se trouvait sous le ballet pour l'inviter à sa sortie à se rendre chez elle prendre ses repas. On dit même qu'il y a couché. La veuve Guignardière et la veuve de la Touche le recevaient aussi, mais quand on avait à parler affaire audit Noeau, c'était toujours chez la veuve Petiteau qu'il fallait aller le trouver." La petite fille ajoutait, qu'étant prisonnière des Brigands, elle avait ouï dire que la veuve Petiteau était allée à Palluau pour leur parler ; qu'elle l'avait vue avec Savin et Mercier, et qu'elle venait à midi pour ne s'en retourner que le lendemain soir."

"Ce Mercier, dont il vient d'être question était, sans nul doute, Mercier-Dupin qui fut, pendant quelque temps, commandant de Barbâtre. Quand à l'abbé Noeau ou Néau, il avait été, de 1789 à 1793, prieur de Soullans où, préalablement, il avait exercé, pendant cinq ans, les fonctions de vicaire. La tourmente révolutionnaire avait éclaté quelques mois seulement après sa prise de possession et il avait refusé de la manière la plus formelle le serment constitutionnel. A la suite de quoi, le 18 mai 1792, Guesneau, maire de Soullans, les officiers municipaux et les notables de cette paroisse avaient fait près du district une démarche pour le garder, se rendant garants de sa tranquillité, de son esprit conciliant et de son obéissance aux lois. Mais ils n'avaient pu obtenir satisfaction et ils étaient alors revenus, le 12 octobre, en déclarant, dans l'intention de le sauver, que le prieur avait disparu sans donner signe de résidence, ce qui les portait à croire qu'il avait probablement émigré. En conséquence, ses meubles, déposés chez la dame de la Touche, Jacques Poitevin et Jean Pitaud, avaient été confisqués au profit de la Nation.
M. Noeau, en réalité, n'avait nullement émigré. Il était resté dans le pays, célébrant la messe dans les granges pendant la nuit, bénissant les unions, baptisant les nouveau-nés, administrant les mourants et prêchant à tous le courage et la résignation chrétienne. Un jour, il devait être surpris par les Bleus au moment où il venait d'achever une cérémonie religieuse et, n'ayant eu qu'à peine le temps de recommander son âme à Dieu, impitoyablement massacré avec un compagnon fidèle près de la ferme des Clouzils.

Ce serait à l'occasion d'une de ses courses à travers le marais, qu'au témoignage d'un vieux domestique de Mme Petiteau, resté ensuite pendant de longues années au service de la famille Merland, des Sables, l'abbé Noeau, mourant de faim et poursuivi, serait venu se réfugier chez la pauvre dame. Elle lui aurait donné à manger et à boire, mais l'aurait supplié de fuir sa maison, qui ne pouvait lui offrir un abri sûr, lui demandant de ne pas compromettre ainsi inutilement la mère de trois orphelins. Le proscrit avait cherché un autre asile, mais il avait été vu traversant la cour du Grand-Marais, et cela avait suffi pour l'on s'assurât de la malheureuse veuve.
Arrêtée dans son salon du Grand-Marais, Mme Petiteau avait été conduite tout d'abord de Soullans au Perrier. En chemin elle avait reçu, d'après le récit de la Savarieau, les injures de deux hommes qui se trouvaient à l'extrémité de la chaussée ; le premier lui reprochant d'avoir rappelé l'ex-prieur et criant de la fouiller, ce qui fut fait ; le second vomissant contre elle mille invectives et disant aux gens de l'escorte de s'éloigner afin qu'il put la tuer avec le fusil dont il était armé. Chose curieuse, ces deux hommes ne paraissent pas avoir été appelés à déposer devant le Tribunal, quoique leurs noms aient été donnés par les dénonciatrices, et celles-ci restent les seuls témoins à charge dans cette triste affaire.
Puis, de la geôle du Perrier, Mme Petiteau n'avait pas tardé à être traînée à Challans. Là, au moins, elle allait trouver un ami dévoué dans la personne de son compatriote Charles-Marc-René Merland, membre de l'administration du district. Merland ne devait rien négliger pour la sauver et il y eût probablement réussi si elle se fut laissé conduire.
Il lui avait d'abord conseillé de se faire oublier dans la maison d'arrêt de Challans. La Terreur lui paraissait toucher à sa fin et les modérés, arrivés au pouvoir, proclameraient une amnistie dont elle profiterait. Mais, aveuglée par l'amour maternel, la pauvre femme avait demandé à grands cris d'être envoyée à Noirmoutier pour y être jugée au plus tôr. Il lui était impossible, disait-elle, de laisser indéfiniment ses enfants à l'abandon, au milieu des horreurs de la guerre civile. Ce qu'elle avait fait, d'ailleurs, ne pouvait lui être imputé comme un crime puisqu'elle n'avait pas caché chez elle le prêtre qu'on avait vu traverser la cour de sa maison. Elle ajoutait qu'une grande partie de la population de Soullans viendrait témoigner en sa faveur.
Les supplications de Merland n'avaient pu la convaincre ; il avait fallu l'inscrire dans un convoi de prévenus dirigés sur l'île, où elle avait donné l'ordre d'expédier ses meubles à fin d'avoir ses enfants près d'elle pendant la durée de son procès. Peut-être espérait-elle obtenir l'autorisation d'habiter avec eux.
Merland l'avait vu partir avec chagrin et avait cherché dès lors à apitoyer les membres du Tribunal à son égard. Ses démarches pouvaient le compromettre et le rendre suspect ; il ne s'était pas laissé arrêté par cette considération. Il avait parlé aux juges du bien que faisait autour d'elle Mme Petiteau et de ses enfants en bas âge, montré la faiblesse de l'accusation, fait remarquer le peu de valeur des témoins et les simples on-dit sur lesquels s'appuyaient les charges relevées contre la malheureuse mère. Il avait eu un moment d'espoir ; on ne demandait à sa protégée que de nier les faits dont elle était accusée, en particulier qu'elle eût reçu chez elle un prêtre insermenté et lui eût donné à manger : "Je ne saurais sauver ma vie par un mensonge, répondit-elle. Si c'est un crime d'avoir donné à manger à un malheureux, traqué et mourant de faim, je l'ai fait, ne croyant remplir qu'un devoir d'humanité ..."

II

Voici, semble-t-il, comment procédait d'habitude la sinistre Commission :

Le détenu, tiré de la geôle où il était incarcéré, comparaissait devant le tribunal qui, après avoir pris connaissance de son dossier, l'interrogeait. Ce dossier, en outre des dénonciations portées contre le prévenu, comprenait souvent des interrogatoires déjà subis par lui, soit devant le Comité révolutionnaire du lieu où il avait été arrêté, soir devant le Comité révolutionnaire de Noirmoutier. L'accusé répondait et, quand il le pouvait, produisait des certificats ou des témoignages. C'était là une sorte d'instruction de l'affaire. Puis, lorsque la cause était jugée en état, l'accusateur prenait ses réquisitions et renvoyait l'intéressé devant ses juges. A cette nouvelle audience, on donnait lecture au malheureux de ou des interrogatoires auxquels il avait précédemment répondu et on lui demandait simplement s'il persistait dans ses réponses. En suite de quoi, si le Tribunal s'estimait suffisamment éclairé, il prononçait immédiatement ; dans le cas contraire, il remettait le procès.

Ceci résulte de l'examen même des dossiers qu'il est facile de consulter aux Archives de la Loire-Inférieure. Prenons par exemple celui du 13 thermidor. Une pièce y est divisée en plusieurs colonnes ; la troisième contient les "Noms des individus jugés le 13 thermidor, à qui on a donné lecture de l'interrogatoire qu'ils avaient subi antérieurement, avec leurs déclarations s'ils persistent dans leurs premières réponses, s'ils ont ajouté ou diminué quelque chose." Le dossier du 15 renferme une pièce identique et il en est de même de celui du 16, où la formule, qui ne varie guère, est rigoureusement semblable à celle du 13 : "La 3e colonne désigne les noms des individus jugés à qui on a donné lecture, etc ..."
Donc, avant de comparaître, dans la matinée du 16 thermidor, devant la Commission militaire, les victimes de La Claire avaient dû répondre à des dates diverses, à des interrogatoires préalables. Ces interrogatoires, parfois très courts, que l'inculpé signe, d'ordinaire, avec le Président et le greffier de la Commission, nous les avons retrouvés aux Archives de Nantes. Nous allons les parcourir rapidement, sans craindre, une fois de plus, de nous exposer à un certain nombre de redites, car nous y relèverons des traits que nous n'avons notés jusqu'ici ni dans le réquisitoire de l'accusateur, ni dans les analyses pourtant très fouillées du docteur Viaud-Grand-Marais. Ils nous permettront tout à la fois de compléter la physionomie des débats et de préciser de façon plus nette la figure des accusés, ainsi que celles de leurs juges et de leurs dénonciateurs.

Arrêtons-nous d'abord à l'interrogatoire de Pierre Allaire ou Alais, de l'Ile Marat, laboureur. On lui demande, à la date du 29 messidor, s'il sait "par quels ordres il est détenu ?" Il répond qu'il n'en sait rien, et à cette autre question : Combien il a monté de gardes pour les Brigands ? Il fait cette simple réponse : "Qu'il l'a montée plusieurs fois, mais qu'il y était forcé : que les Brigands l'emprisonnèrent pour avoir refusé de faire ce service, mais qu'il aime bien la république."
A Marie Abillard, femme Burgaud, on fait, le 25 messidor, cette unique demande : "Combien elle a eu d'enfants ? - Elle en a eu cinq, répond-elle, dont le plus grand a quinze ans."
Jean Rouleau, interrogé le même jour, dit qu'il a un fils aux frontières. Il peut, déclare-t-il sans réticence, avoir "monté cinq gardes pour les Brigands, ayant une cocarde blanche à son chapeau et étant armé d'un bâton."
Jacques Jaunet avoue également qu'il a monté, pourvu d'un bâton, quatre fois la garde pour le compte des Brigands. Les a-t-il servis de bonne volonté ? ... Réponse : "Que non, et qu'étant en prison à Challans, il pouvait se joindre à leur rassemblement, ce qu'il n'a pas voulu faire."
Toujours le même jour, il est demandé à René Gadebure s'il est marié, s'il a des enfants, et depuis quand il est détenu. Puis : "s'il connaît les motifs de son arrestation ? - Réponse : Que non." Rien de plus !
Catherine Brochet, le 3 thermidor, répond à cette seule interrogation : "L'époque de son arrestation ? - Depuis cinq mois, et qu'elle ignore pourquoi, étant bonne républicaine et aimant la liberté."
A la même date, Marie-Eléonore Robard, proteste quand on lui demande "si elle n'est pas de la caste ci-devant noble, ou si elle n'est pas ex-religieuse ?" Quant à la conduite qu'elle a tenue pendant le séjour des Vendéens à l'Ile Marat, elle affirme "qu'elle logeait, par ordre de Pajot, chef des Brigands, 279 soldats et 90 chevaux ; que, lorsqu'elle se plaignait, elle était menacée par eux de la prison, mais qu'au contraire elle a logé avec beaucoup de plaisir les républicains et qu'elle a secouru de tous ses moyens les patriotes tombés au pouvoir des Brigands."
Pierre Rousseau nie, le 1er thermidor, avoir occupé un grade dans l'armée des rebelles ou dans leurs Comités. Lecture est donnée de la déposition faite contre lui par le citoyen Aubron : il la déclare fausse, ainsi que celle du citoyen Macé, curé constitutionnel de Saint-Christophe, qu'il considère cependant comme un bon citoyen. A la question : De quelle couleur était la cocarde qu'il portait avec les Brigands ? il fait cette invraisemblable réponse : "Que quand il en a porté, elle était tricolore" ! ...
Le 4 thermidor, on veut savoir de Rose Gouvard, femme Mathurin Baudry, de l'Ile Marat, depuis quand elle est séparée de son mari. - Elle ne l'a pas vu, assure-t-elle, depuis la prise de l'Ile Marat, et, quant à sa conduite pendant l'insurrection, elle en ignore le genre, ne se mêlant jamais de ses affaires. De plus, sur la déclaration des griefs qui ont pu occasionner sa détention, elle dit que ces griefs sont faux." Demande - Si elle n'a pas suivi Pajot, chef des Brigands ?
Réponse. - Que non, mais qu'elle a été absente de l'Ile pendant un certain temps."
Le 25 messidor, interrogatoire de Charles Burgaud, qui déclare ne pas savoir pourquoi il a été emprisonné. Sa femme, prétend-il, a remis au patriotes les effets qu'il avait pris chez eux. Il reconnaît sans difficulté qu'il est resté dans l'Ile pendant le séjour des Brigands, qu'il a monté la garde pour eux autant de fois qu'ils le lui ont commandé et qu'il portait alors une cocarde blanche.
Julienne Gervier, fille de confiance chez le citoyen Tinguy, comparaît le 30 messidor. On lui demande si elle est bonne patriote : "Elle est, répond-elle, comme les autres ayant resté parmi les Brigands.
- Qui peut lui avoir conseillé de dire qu'il fallait emprisonner toutes les femmes patriotes et qu'elles seraient bien là ?
- Elle n'a pas tenu ce propos.
Si elle n'a pas demeuré chez Pajot, chef des Brigands ?
- Elle n'y a pas demeuré, mais elle y allait souvent."
Le même jour, Marie-Magdeleine Robard, interrogée, témoigne qu'elle a été arrêtée dans sa maison par les volontaires sans savoir pourquoi. On lui objecte qu'elle est dénoncée comme ayant dit "qu'il fallait tuer tous les patriotes, attendu qu'ils n'étaient bons à rien." Elle nie et demande à être confrontée avec sa dénonciatrice.
- Est-elle allée voir les prisonniers patriotes de l'Ile Marat ?
- Non. Elle était patriote, mais trop éloignée pour les aller voir.
- Si elle était patriote, elle eut été réclamée par sa municipalité.
- Il était impossible à sa municipalité de la réclamer parce que la majeure partie était incarcérée."
Louis Marchais, que l'on interroge le 25 messidor, était détenu depuis cinq mois sans savoir pour quels motifs. Il n'a jamais fourni de farine aux Brigands, il n'a jamais crié : Vive le Roy ! Il a monté la garde une fois, armé d'un fusil et portant au chapeau une cocarde blanche en papier.
Le 3 thermidor, Pierre Mouchard, déclare "qu'il est un très bon patriote et le sera toujours." Il a été par force pendant deux mois, membre du Comité des Brigands à Clessé, mais ne se rappelle pas avoir signé aucun bon ou mandat. Malheureusement pour lui, comme nous l'avons dit, deux de ces bons sont à son dossier.
- Qui lui a délivré le certificat (de civisme) qu'il vient d'exhiber ?
- Sa municipalité.
- La preuve que ce certificat est véritable ?
- Il ne peut en donner d'autre que les signatures."
Le 1er thermidor, Jeanne Guérineau, veuve Boizard, est appelée à répondre à plusieurs dénonciations. Elle n'a pas pillé, non, elle a emporté chez elle certaines choses, pour les soustraire au pillage précisément. Pour ce qui est d'avoir arboré, le drapeau blanc : "Sa commune étant pleine de Brigands, elle coupa un morceau de sa chemise qu'elle mit au bout d'un bâton (!) ; son fils, qui sert la République, était parti le matin même avec les patriotes et elle craignait pour lui." Si elle a crié : Vive le Roy ! elle ne s'en souvient pas.
Madeleine Abraham, femme Asselin a, à son dossier, un long interrogatoire subi par elle devant le district de Challans, au moment de son arrestation en nivôse an II. On lui reproche d'avoir quitté Palluau à l'époque de son occupation par l'armée de Boulard et l'on veut apprendre d'elle où se trouve son mari. Elle déclare qu'elle l'ignore, ne l'ayant pas vu depuis le mois de décembre précédent.
- N'est-il pas toujours allé à l'armée des Brigands depuis le commencement des troubles ?
- Il est toujours resté chez lui. Il se cachait quand l'armée des rebelles allait au combat et s'est caché de même quand l'armée de la République est allée à Palluau.
- N'était-elle point de celles qui avaient soin des prisonniers de Palluau ?
- Oui. Elle leur a envoyé du linge pour changer et l'a fait humainement.
- N'avait-elle point des correspondances avec Savin et Jolly et n'était-elle point leur confidente ?
- Elle n'a point eu de correspondance avec les chefs, mais Savin, maire de Saint-Etienne, a mis plusieurs fois son cheval dans son écurie, et Sapin, de Beaufou, a couché chez elle plusieurs nuits.
- N'avait-elle point quelques rebelles dans sa maison lorsque l'armée de Mayence est entrée à Palluau et n'y ont-ils pas laissé leurs armes ?
- Sapin y était alors, mais n'y laissa point ses armes.
- N'a-t-elle pas eu des fréquentations avec les prêtres réfractaires habitant Palluau ?
- Elle n'a connu que l'ex-curé du Luc à la messe duquel elle est allée quelquefois.
- Connaît-elle ceux qui ont commis des meurtres, au mois de mars, à Palluau ?
- Non. Elle s'en était allée pour se soustraire aux Brigands et ne rentra que le lendemain."
Le 3 thermidor, elle est interrogée de nouveau à l'Ile de la Montagne. On lui demande encore où est son mari. Elle répond qu'elle a entendu dire qu'il avait été tué avec sa fille. Enfin, lui répète-t-on, il est hors de doute qu'elle distribuait du vin aux Brigands ; combien en avaient-ils par jour ? Elle n'en sait rien, elle ne leur en a jamais distribué ...
Asselin, qu'on nous permette cette parenthèse, le mari dont Marie-Madeleine partageait toutes les idées, était l'auteur du billet suivant que possède aujourd'hui le fonds Dugast-Matifeux : il suffit à nous renseigner sur la façon de penser des deux époux :
12 mars 1793.
"Il est enjoint au sieur Tallonneau, de faire battre la cloche et de rassembler tout le plus de monde qu'il pourra. Tout est prêt, il n'y a plus à différer. Nous avons eu cette nuit d'excellentes nouvelles. Dieu favorise nos armes en ce moment. Ne manquons donc pas de courage pour le soutien de notre Sainte Religion.
ASSELIN, commandant de Palluau."
Le 4 thermidor, comparaît à son tour devant la Commission militaire Marie-Anne Hardouin, femme Jean Gervier. Une seule chose à retenir dans cet interrogatoire : Marie-Anne, ignorant ce qu'est devenu son mari, dont elle est séparée depuis huit mois, ne sait pourquoi elle est détenue, étant patriote, aimant bien la République et pas les prêtres ...
La note change avec Marie et Elisabeth de Rorthays, interrogées le 25 messidor.
Marie, âgée de 26 ans, a été arrêtée à Bouin, ainsi que sa soeur.
- N'est-elle point de la caste des ci-devant nobles ?
- Oui.
- Où était-elle quand les Brigands envahirent ce pays ?
- Elle se sauvait de commune en commune, évitant les deux armées.
- Aime-t-elle la République ?
- Oui ; si elle a fui les troupes, la terreur seule l'y a déterminée. Elle était en sûreté parmi les Brigands.
- A-t-elle regretté la perte de Capet et des prêtres ?
- Avec peine (sic), étant très attachée à son roi et à sa religion."
Elisabeth, qui n'a que 19 ans, n'est pas moins nette dans ses réponses :
- Pourquoi, au lieu de se retirer à Bouin, ne se réfugia-t-elle point à Nantes ?
- Parce qu'elle suivait son père pour subvenir à ses besoins.
- Pourquoi, à son âge, a-t-elle suivi l'armée des Brigands ?
- Parce qu'ils soutenaient la bonne cause !"
Le 4 thermidor, Marie Vincendeau, veuve Gouvard, reconnaît que son mari a été fusillé par les patriotes à l'Ile Marat. Probablement dans le but de montrer à ses juges qu'elle ne partageait pas les idées de celui-ci, elle n'hésite pas à dire qu'elle était très malheureuse avec lui et qu'elle ne lui a jamais porté la soupe quand il montait la garde pour le compte des Brigands. Le tribunal lui ayant fait connaître "par la voix de son accusateur public le genre des dénonciations portées contre elle," elle soutient que ces dénonciations sont fausses.
Marie-Renée Du Bois, veuve Petiteau, est interrogée une première fois, le 2 floréal an II, par le Comité Révolutionnaire de l'Ile de la Montagne. Elle n'a quitté sa commune, déclare-t-elle, qu'au moment où les troupes républicaines, s'étant fait jour dans le pays, lui donnèrent la facilité de se réfugier à Saint-Gilles ; mais elle n'a suivi les rebelles dans aucune de leurs expéditions.
- Mais, pendant le séjour des rebelles dans sa commune, ne les a-t-elle pas aidés de tous ses moyens ? N'a-t-elle pas encouragé leur parti et, depuis, n'a-t-elle pas eu avec eux des intelligences secrètes ?
- Non. Ils occupèrent sa maison malgré elle ; mais ils la croyaient si peu disposée à leur rendre service et à leur donner des secours, et elle l'était si peu en effet, que quelques-uns d'entre eux l'avertirent de ne point sortir, parce qu'elle était dénoncée à leur Comité du Perrier et il pourrait en résulter pour elle des suites fâcheuses.
- Cependant, lorsque le prieur de Soullans venait dire la messe dans cette commune, ne se tenait-elle pas assez ordinairement à la porte de l'église pour l'attendre à sa sortie et l'emmener prendre ses repas chez elle ? Ne couchait-il pas dans sa maison ?
- Il est absolument faux qu'elle soit jamais allée à la porte de l'église attendre le prieur de Soullans. Effectivement, il a pris quelquefois ses repas chez elle et y a couché quelques nuits, parce que sa maison, située près des marais, pouvait plus facilement lui permettre de fuir s'il en était besoin. Mais ce qui prouve bien qu'elle était partisan ni de son système, ni de son parti, c'est qu'il était toujours environné (sic), et que l'on faisait souvent des visites chez elle pour s'informer si elle ne recevait pas en même temps des citoyens. Au reste, si le citoyen Nauleau, fermier du Closy, existe encore, elle pourra se procurer une justification encore plus convaincante. Un panier d'hosties que l'on avait apporté dans sa maison pour le prieur de Soullans, qui devait s'en servir pour dire la messe, fut un jour saisi par elle. Elle le porta chez le citoyen Nauleau et le brûla en présence de sa femme (Il ne s'agit que de pains d'autel non consacrés, cela va sans dire.)
- Enfin, quelle a été et quelle est encore son opinion sur les motifs qui ont déterminé la guerre de Vendée ?
- Elle a toujours été l'amie de la paix et s'est soumise aux lois républicaines parce qu'elle les a crues dans tous les temps dictées par la sagesse et la raison."
Le 11 thermidor, Mme Petiteau est soumise, par la Commission militaire cette fois, à un nouvel interrogatoire :
- Elle est suspectée d'avoir attendu à la porte de l'église de sa commune, dans le mois de mars 1793, époque à laquelle le pays était insurgé, le sieur Noeau, ex-prieur de Soullans, et de l'avoir invité à manger sa soupe, ce qu'elle prétend être absolument faux. Combien de fois s'est-elle trouvée à manger avec ce même prieur dans différentes maisons ?
- Trois ou quatre fois.
- Combien de fois a-t-il couché chez elle ?
- Sa maison lui avait paru propre à faciliter sa fuite, le cas échéant ; c'est pour cette raison qu'il l'avait mise en réquisition.
- Ce prêtre était-il jeune et l'aimait-elle ?
- Il avait environ 30 ans et elle n'aimait pas ce scélérat.
- Elle en impose au Tribunal quand elle dit qu'elle n'aimait pas ce prêtre, tant il est vrai qu'elle allait manger avec lui dans différentes maisons.
- Quand elle y est allée, elle ignorait qu'il y fut ; il y en eut bien d'autres qui s'y trouvèrent.
- Les noms des personnes chez lesquelles le prieur allait manger avec elle ?
- La veuve Latouche, Pineau-Linardière et autres.
- N'était-ce pas dans sa maison que ledit prieur avait établi son bureau ?
- Effectivement il recevait chez elle plusieurs individus, mais contre son gré. Mais le pays étant à cette époque au pouvoir des Brigands, les habitants patriotes se gardaient bien de leur faire mauvaise mine.
- Combien de fois a-t-elle assisté à la messe contre-révolutionnaire du prieur de Soullans ?
- Elle ne se le rappelle pas, elle y allait comme bien d'autres.
- Qu'allait-elle faire à Palluau lorsque les Brigands y étaient ?
- Elle n'y est allée qu'une fois, mandée par les chefs pour faire la distraction des effects appartenant à sa belle-soeur, et elle en est revenue le même jour.
- N'est-ce pas à Savin qu'elle s'adressa ? Combien de temps resta-t-elle avec lui ? Ne lui donna-t-il pas un passeport pour s'en retourner ?
- C'est Savin qui l'avait mandée. Elle resta avec lui une heure environ et revint sans passeport. Elle ne se rappelle pas avoir parlé à d'autres chefs des Brigands, si ce n'est peut-être à une nommé Laroche, ex-noble et commandante dans l'armée des insurgés.
- Combien de fois le prieur de Soullans a-t-il dit la messe dans sa maison ?
- Jamais : il la disait ordinairement à l'église."
Lecture est alors donnée à Mme Petiteau des dénonciations des deux Savarieau. Mme Petiteau répond que ces dénonciations respirent la fausseté, qu'elle pourra le prouver, et elle signe, quoi qu'on en ait dit, cet interrogatoire, avec Brutus Thierry, vice-président de la Commission militaire, et Ruffey, secrétaire. (La pièce contient l'interrogatoire de 13 personnes et toutes ont signé en bloc à la fin du document).

Ces différents inculpés, à la suite des interrogatoires que nous venons de rapporter, "considérant qu'il n'était pas suffisamment prouvé - c'est la formule habituelle, - qu'ils fussent coupables des délits à eux imputés, et qu'il importait de prendre sur leur conduite de nouveaux renseignements qui seront demandés au plus tôt," avaient bénéficié d'un sursis. Le typhus faisait alors de terribles ravages parmi les prisonniers du château. Tous ceux de ces malheureux qui pouvaient trouver un répondant en ville obtenaient assez facilement d'être consignés en arrestation chez l'habitant, sous la responsabilité propre des gens qui voulaient bien se charger d'eux et, en plus, de la municipalité. Ils devaient toutefois "se présenter tous les jours au Comité de surveillance établi dans cette commune, à qui il sera adressé copie du présent jugement, avec injonction d'en faire l'appel nominal d'après la liste qui y sera jointe et d'en envoyer le rapport par écrit tous les jours à la Commission."

Mme Petiteau avait été recueillie chez Louis-André Viaud. Or, à cette séance du 11 thermidor, où elle comparaît pour la première fois devant la Commission militaire, tandis que les autres prévenus à l'égard desquels aucune décision définitive n'avait été prise étaient maintenus par jugement en arrestations dans les maisons où ils se trouvaient. Mme Petiteau seule, par le même arrêt, était réintégrée au château : "En ce qui concerne Marie Dubois, veuve Petiteau, dit le considérant qui la vise spécialement, et Marguerite Bâtard, veuve Blanconnier, accusées de conspiration contre la République française : la Commission révolutionnaire sursoit également à leur jugement et ordonne que les pièces relatives aux délits dont elles sont accusées seront remises de suite à l'accusateur militaire qui devra rédiger sans délai l'acte d'accusation et le mettre sous les yeux du Tribunal ; ordonne en outre que la femme Petiteau sera à l'instant réintégrée dans les maisons d'arrêt de cette commune par mesure de sûreté ..." Le reçu suivant montre que l'arrêt rendu fut effectivement exécuté :
"Reçu du citoyen Lambourg, brigadier des dragons, Marie Dubois, femme Peutitot (sic). - A l'Ile de la Montagne, ce onze Thermidor, l'an deuxième de la République française.
LANGARD, concierge."

Pourquoi cette rigueur spéciale du Tribunal à l'égard de l'infortunée protégée de Merland ? La malheureuse femme le devait-elle à ses réponses qui avaient irrité les membres de la Commission, ou ceux-ci ne voulaient-ils voir en elle que la parente du chef royaliste du Bois de la Guignardière, de Soullans, qui au moment de la prise de l'Ile par Turreau et Haxo, s'était défendu avec courage et fut dans la suite massacré par les Bleus ? Il est difficile de le savoir.
Une note du 7 thermidor la qualifie "d'aristocrate prononcée et dangereuse," - "Grande amie des prêtres réfractaires dont elle a adopté et propagé les principes anticiviques", ajoute, à la date du 23 pluviôse, le Comité de Surveillance des Sables ... Serait-ce pour essayer d'effacer la mauvaise impression que ne pouvait manquer de laisser dans l'esprit de ses juges ces renseignements défavorables que Mme Petiteau s'est défendue devant eux d'une façon parfois un peu étrange et qui ne peut que nous surprendre ?
Un mot surtout détonne dans cette défense : c'est celui de Scélérat, appliqué à l'ex-prieur de Soullans par la malheureuse femme quand on lui soutient qu'elle aimait ce prêtre, que sans cela ils n'eussent pas été mangé ensemble dans diverses circonstances. Mais, ce mot, l'a-t-elle bien prononcé ? Quand on parcourt les interrogatoires des autres inculpés comparaissant en même temps qu'elle et quand on voit la facilité et la fréquence avec laquelle ce mot de Scélérat revient dans leurs dépositions, il est impossible de ne pas se demander si cette expression ne fleurissait pas spontanément sous la plume du greffier de la Commission bien plutôt que sur les lèvres des accusés ; si particulièrement, dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas ce scribe qui devrait en être rendu responsable au lieu de Mme Petiteau, dans la bouche de qui elle paraît, à tous points de vue, bien étonnante.
Quoi qu'il en soit, et quelle que puisse être sur ce point notre façon de penser, il est de tradition dans la famille Merland que les démarches de l'administrateur du district en faveur de sa protégée allaient être très probablement couronnées de succès lorsqu'elle fit à ses juges la réponse que nous avons rapportée et qui ne figure pas aux interrogatoires : "Je ne saurais sauver ma vie par un mensonge. Si c'est un crime d'avoir donné à manger à un malheureux, traqué et mourant de faim, je l'ai fait, ne croyant remplir qu'un devoir d'humanité."

"Tous ces détails, écrit l'excellent docteur que nous continuons à suivre pas à pas, tous ces détails nous ont été donnés par une vénérable dame, morte presque centenaire en 1863, Mme Geneviève Musset, veuve de M. Clément Palvadeau, fils de l'honnête citoyen chez lequel logeaient le président et une partie des membres de la Commission. D'après une autre version, recueillie par nous, il y a bien des années, les paroles de Mme Petiteau à ses amis, l'engageant à sauver sa vie en niant le fait principal qui lui était imputé, auraient été : "Jamais je ne tenterai de sauver ma vie par un mensonge. J'ai secouru un prêtre proscrit parce qu'il était malheureux et ministre de mon Dieu. Si c'est une faute, je suis coupable." Le sens est le même mais encore plus net, et si c'est en ces derniers termes que la courageuse femme s'est exprimée, elle a prononcé elle-même son arrêt de mort, puisque les lois de l'époque étaient formelles."

Il ajoute : "Néanmoins, le jour du jugement un dernier effort devait être tenté. Mais une tempête retarda de deux heures, au passage de Fromentine, les témoins à décharge qu'on attendait. Le Tribunal, averti de ce cas de force majeure, ne voulut pas surseoir au prononcé de son arrêt et quand les témoins arrivèrent à Noirmoutier, le triste convoi se dirigeait vers La Claire ..."
Étrange aussi, parfois, remarquerons-nous, la défense de bon nombre des autres accusés, cherchant avant tout à sauver leur existence menacée, et ne se rendant pas compte, dans leur émoi, de la puérilité ou de l'extravagance de certaines de leurs réponses. Témoin ce malheureux qui, ayant monté la garde pour le compte des Vendéens et sachant parfaitement que le seul port de la cocarde blanche suffit à le faire condamner, soutient imperturbablement que la cocarde qu'il portait était tricolore ! ... Témoin encore ces femmes qui, malgré leurs antécédents, protestent qu'elles "aiment beaucoup la République." ... Et pas les prêtres, précise l'une d'entre elles. Ceci, c'est le reniement de Saint Pierre lui-même, le "Je ne connais pas cet homme" qui fut pardonné au grand Apôtre dans un regard qui a traversé les siècles ... Comment pourrions-nous à notre tour nous montrer moins indulgents ? Voyons-les tels qu'ils étaient, ces pauvres gens ; ne cherchons pas en eux les proportions surhumaines des héros et des martyrs. Si tous n'eurent pas en face de la mort le tranquille courage de ces jeunes filles de 26 et de 19 ans qui témoignèrent fièrement de leur attachement à leur roi et à leur religion, les demoiselles de Rorthays, dont la plus jeune osa dire à ses juges que "les Vendéens soutenaient la bonne cause," réservons-leur cependant dans toute notre intelligence pitié ; ne condamnons pas trop sévèrement certaines de leurs douloureuses défaillances ...

La Commission militaire tenait généralement deux audiences par jour, une le matin et une le soir. Ce fut à la séance du matin que furent jugées les victimes du 16 thermidor. On se borna vraisemblablement, suivant la procédure que nous avons indiquée plus haut, à leur donner lecture des charges relevées contre elles, puis des interrogatoires qu'elles avaient subis, en leur demandant quels changements elles avaient à y apporter, et, après quelques mots de l'accusateur public, le Tribunal rendit sa sentence. Voici, empruntée toujours au docteur Viaud-Grand-Marais, la teneur du jugement avec une partie de ses incorrections. On trouvera en notes les variantes présentés par le texte imprimé, tel qu'il sortit des presses de Mellinet-Malassis, Nantes, place du Pilory, 3, et fut affiché dans différentes communes, en particulier dans celle de Soullans (Vendée) :

Séance publique tenue à l'Ile de la Montagne, le 16 thermidor, l'an deux de la République française, démocratique et impérissable (1).

"Sur les questions de savoir si Louis Marchais, âgé de 28 ans, de Saint-Hilaire, district de Challans ; Jean Rouleau, âgé de 52 ans, de Saint-Gervais, même district ; Jacques Jaunet, âgé de 39 ans, de Salerten (1), même district ; René Gadebure, âgé de 36 ans, de l'Isle de la Montagne, même district ; Charles Burgau, âgé de 47 ans, dudit lieu ; Marie Abillard, femme Burgau, de Beauvoir, même district (2) ; Marie Rortais, âgée de 26 ans, de Saint-Georges, district des Sables ; Elisabeth Rortais, âgée de 19 ans, soeur de la précédente (3) ; Pierre Allaire, âgé de 27 ans, de l'Isle Marat (4) ; Julienne Gervier, âgée de 25 ans, dudit lieu ; Marie-Magdeleine Robart, âgée de 21 ans, dudit lieu ; Catherine Brochete, âgée de 53 ans (5), dudit lieu ; Marie Vinsendeau, veuve Vouvard (6), âgée de 38 ans, dudit lieu ; Marie-Anne Ardouin, femme Jean Gervier, âgée de 38 ans, dudit lieu ; Rose Gouvard, femme Baudry, âgée de 60 ans, dudit lieu ; Pierre Rousseau, âgé de 38 ans, de Saint-Cristophe (sic), district de Challans ; Marie-Eléonore Robart, de 64 ans, de l'Isle Marat ; Pierre Mouchart, âgé de 50 ans, de Clessé, district de Bressuire ; Marie Dubois, veuve Petiteau, âgée de 35 ans, de Soullans, district de Challans ; Marie Abraham, femme Asselin, âgée de 42 ans, de Palluau, district de Chalans, sont coupables (7) ;

1° D'avoir eu des intelligences avec les Brigands de la Vendée.
2° D'avoir (Louis Marchais, Jean Roulleau, Jacques Jaunet, René Gadebure, Charles Burgaud, Pierre Allaire, Mathurin Biton et Catherine Brochet), suivi ces mêmes Brigands aux divers combats qu'ils ont eu avec les armées de la République, étant tous armés de fourche ou de fusil, avec lesquelles armes ils ont fait couler le sang des défenseurs de la patrie (Le nom de Mathurin Biton, 22e accusé, apparaît ici pour la première fois)
3° D'avoir (Marie Abillard, femme Burgaud, Julienne Gervier, Marie-Magdeleine Robart, Marie-Eléonore Robart, Marie Vinsendeau, femme Gouvard, Marie-Anne Ardouin, femme Gervier, Rose Gouvard, femme Baudry, Jeanne Guérineau, veuve Boizard, Marie-Magdeleine Abraham, femme Asselin et Marie Dubois, veuve Petiteau), par leurs conseils perfides provoqué l'emprisonnement et le massacre des patriotes.
4° D'avoir (Marie et Elisabeth Rortais), en leur qualité de ci-devant nobles, maintenu par leur présence les rassemblements de cette horde scélérate et les avoir suivi dans leur marche contre-révolutionnaire.
5° D'avoir (Pierre Rousseau et Pierre Mouchart) fait partie des Comités vendéens en qualité de membres de ces administrations.
6° Enfin d'avoir tous, par leur conduite ou conseils, provoqué au rétablissement de la Royauté et à la destruction de la Liberté, de l'Egalité, à l'anéantissement de la République française.

L'accusateur militaire entendu et fesant droit à ses conclusions :

Considérant qu'il est évidemment prouvé que les vingt-et-un dénommés dans les questions (Ils sont en réalité vingt-deux ! Et le nom de Mathurin Biton se retrouve de nouveau quelques lignes plus loin), ont eu des correspondances et des intelligences avec les Brigands de la Vendée.
Considérant qu'il est prouvé que Marchais, Gadebure, Burgaud, Allaire, Biton et Catherine Brochet ont fait partie des rassemblements des Brigands de la Vendée, en les suivant armés de fusils et de fourches aux différents combats que les armées de la République leur livrèrent dans ces cantons.
Considérant qu'il est également prouvé que Marie Abillard, Julienne Gervier, Marie-Magdeleine Robard, Marie-Eléonore Robard, Marie Vinsendeau, Marie-Anne Ardouin, Rose Gouvard, Jeanne Guérineau, Marie Dubois, veuve Petiteau et Magdeleine Abraham ont par leurs conseils perfides encouragé les Brigands à se battre contre leur Patrie, en les félicitant de leurs prétendues victoires, après lesquelles elles leur conseillaient d'égorger les prisonniers patriotes et les forçaient de mettre leurs propriétés au pillage.
Considérant que Marie Rortais et Elisabeth Rortais, sa soeur, ont en leur qualité de cy-devant nobles et par leur présence maintenu les rassemblements de ces monstres.
Considérant qu'elles ont suivi les Brigands dans leur marche contre-révolutionnaire jusqu'à l'Ile Marat où elles furent arrêtées, et qu'elles ont toujours fui à l'approche des armées de la République.
Considérant qu'il est prouvé que Pierre Rousseau et Pierre Mouchard ont tous deux été membres de Comités contre-révolutionnaires établis par les Royalistes et qu'ils en ont rempli les fonctions en signant des bons et divers ordres au nom d'un prétendu Louis XVII.
Considérant enfin que par l'ensemble de tous ces faits les vingt-et-un dénommés ci-dessus (ils sont toujours 22 !) ont provoqué au rétablissement de la Royauté et à la destruction de la Liberté et de l'Egalité, et à l'anéantissement de la Souveraineté du Peuple français.

La Commission militaire, extraordinaire et révolutionnaire les déclare tous atteints et convaincus de conspiration envers la République.
Et en exécution de la loy du 9 avril 1793, article Ier, portant : La Convention nationale met au nombre des tentatives contre-révolutionnaires la provocation au rétablissement de la Royauté.
Et aussi en exécution de la loy du 19 mars 1793, articles Ier et 6, portant :
Article Ier - Ceux qui sont ou seront prévenus d'avoir pris part aux révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires qui ont éclaté ou qui éclateraient à l'époque du recrutement dans les différents départements de la République et ceux qui auraient pris ou prendraient la cocarde blanche ou tout autre signe de rébellion sont mis hors la loy ; en conséquence ils ne peuvent profiter des dispositions des lois concernant la procédure criminelle et l'institution des jurés.
Article 6 - Les prêtres, les cy-devant nobles, les cy-devant seigneurs, les émigrés, les agents et domestiques, les étrangers, ceux qui ont eu des emplois ou des fonctions publiques dans l'ancien gouvernement ou depuis la Révolution, ceux qui auront provoqué ou maintenu quelques-uns des révoltés, les chefs, les instigateurs, ceux qui auront des grades dans ces attroupements et ceux qui seraient convaincus de meurtre, d'incendie ou de pillage, subiront la peine de mort.

La Commission extraordinaire et révolutionnaire, condamne les vingt-et-un dénommés dans les questions (toujours 21 ! Et ils sont 22 ...) à la peine de mort.

Et enfin en exécution de la même loy du 19 mars 1793, article 7, portant : la peine de mort prononcée dans les cas déterminés par la présente loy importera la confiscation des biens, et il sera pourvu sur les biens confisqués à la subsistance des pères, mères, femmes et enfants qui n'auraient pas d'ailleurs de biens suffisants pour leur nourriture et entretien, et il sera en outre prélevé sur le produit desdits biens le montant des indemnités dues à ceux qui auront souffert de l'effet des révoltés.

La Commission extraordinaire et révolutionnaire déclare les biens des vingt-et-un cy-contre dénommés acquis et confisqués au profit de la République.
Ainsi et sera le présent jugement imprimé et affiché.
Ainsi prononcé d'après les opinions par (suivent les noms), tous membres de la Commission militaire, extraordinaire et révolutionnaire établie près de l'armée de l'ouest par les Représentants du peuple et le Comité du Salut public de la Convention nationale.
L'Isle de la Montagne, le 16 thermidore an deux de la République française démocratique et impérissable.
OBRUMIER, président - BRUTUS THIERRY - GOUPPIL - H. COLLINET - JOULLAIN
RUFFEY, secrétaire-greffier."

Suit immédiatement le procès-verbal de l'exécution :
"Et ledit jour, 16 thermidore, l'an deux de la République française, nous présidant composant (sic) la Commission militaire, extraordinaire et révolutionnaire, établie près de l'armée de l'Ouest par les Représentants du Peuple et le Comité de Salut public de la Convention nationale, nous sommes transportés au lieu indiqué par le Comité de Surveillance de cette commune à un quart de lieue sur le bord de la mer pour être présens à l'exécution du jugement à mort rendu contre Louis Marchais, Jean Rouleau, Jacques Jaunet, René Gadebure, Charles Burgau, Marie Abillard, femme Burgau, Marie Rortais, Elisabeth Rortais, Pierre Allair, Julienne Gervier, Marie-Magdeleine Robart, Catherine Brochète, Marie Vinsendeau, veuve Vouvard, Marie-Anne Ardouin, femme Jean Cervier, Rose Gouvard, femme Baudry, Pierre Rousseau, Jeanne Guérineau, veuve Boizard, Marie-Eléonore Robart, Pierre Mouchart, Marie Dubois, veuve Petiteau, et Marie Abraham, femme Asselin, laquelle exécution a eu lieu sur les 4 heures de l'après-midi.
L'isle de la Montagne, les dits jour et mois ci-dessus".
(Suivent les signatures du Président et des membres de la Commission.)

Quoique près d'un siècle nous sépare à l'heure actuelle (1881) de ce drame sanglant, reprend le savant docteur, il n'est que trop facile de le faire reparaître sous les yeux.

"Au milieu de la Grande Place ou Place d'Armes, qui s'étend entre le château et le port et qui portait alors le nom de Place de la Liberté, le général Sabatier avait fait élever par corvée, avec des terres prises au Bois-de-la-Chaise, une sorte de tertre gazonné, disposé en colimaçon, et dresser un autel sur le sommet de cette montagne symbolique. Il s'était établi avec son état-major dans une maison formant le côté ouest de la place, maison construite et meublée par un homme de goût, et alors la plus belle de la ville (l'hôtel Jacobsen). Dans un salon siégeait la Commission militaire.
Les exécutions isolées se faisaient au poteau le long du jardin de la maison située en face ; ainsi les prisonniers renfermés dans le château pouvaient entendre les cris et les coups de feu, et se préparer au sort dont ils étaient menacés.

En cas de fournées comme celle du 3 août, voilà, d'après Godard-Faultrier, comment procédait à Angers la Commission que nous voyons à l'oeuvre à Noirmoutier. Les tambours et la musique ouvraient la marche, venaient ensuite les juges, puis, entre deux files de soldats, les condamnés attachés à une longue corde, les malades entassés dans des charrettes, et enfin un peloton de troupes. Arrivés au lieu de l'exécution, les malheureux étaient fusillés devant de grandes fosses destinées à les recevoir. Les sabres, les crosses de fusil et les baïonnettes achevaient ceux que les balles n'avaient pas suffisamment atteints, et les cris des victimes s'entendaient au loin ..." C'est ainsi que devait se terminer le lugubre drame que nous nous efforçons de scruter dans tous ses détails.

Son jugement du 16 à peine rendu, la Commission en informait la Municipalité à qui incombait le soin de désigner le lieu de l'exécution, de faire procéder à l'inhumation des cadavres, etc. ; la Municipalité écrivait aussitôt au commandant de la place Potier, qui s'empressait de faire exécuter la réquisition : "Nous te prévenons que vingt-et-un coupables viennent d'être condamnés à mort et que l'endroit que nous avons choisi est auprès du Moulin de la Lande, à la Claire. C'est pour cela que nous te requérons de faire commander dix pionniers pour faire une fosse de dix pieds de profondeur sur douze de longueur et huit de largeur, et cela sur le champ. Le citoyen Aubert, commissaire dans cette partie, est prévenu pour indiquer ce lieu. - Salut".

Pendant ce temps, le tambour retentissait à travers la ville. Les officiers municipaux qui siégeaient en permanence, étaient encore requis par Hudoux d'avoir à fournir les liens qui devaient entraver les condamnés :

"La Liberté ou la mort.
Accusateur public près la Commission
militaire, extraordinaire, révolutionnaire.
RÉPUBLIQUE FRANCAISE UNE ET INDIVISIBLE.
L'accusateur public à la suite de la Commission militaire, extraordinaire et révolutionnaire établie près l'armée de l'Ouest par les Représentants du Peuple et le Comité de Salut public de la Convention nationale à l'île de la Montagne, requiert la Municipalité de cette Commune de fournir sur le champ la corde pour attacher les vingt-et-un individus condamnés à mort par leur jugement de ce jour. - A l'île de la Montagne, le 16 thermidor, l'an second de la République une et impérissable.
OBRUMIER fils, président." (cette pièce est bien signé du Président et non de l'accusateur).

Et ce n'est pas sans une profonde émotion que l'on peut lire encore aujourd'hui au registre des Comptes de la Commune cette mention tragique : "22 thermidor. - Payé au citoyen Michaud pour vingt-et-une brasses de cordes fournies, le 16 courant, pour lier vingt-et-un individus fusillés à la Claire, à 2 sols 6 deniers la brasse : cinquante-deux sols six deniers" ... Puis, à celui de ses Délibérations : "La Générale. - Destruction de vingt-et-un prisonniers. - La générale ayant battu, l'assemblée générale, l'agent et conseil général réunis et en écharpe, ceux faits pour la porter s'étant trouvés à leur poste, le général et le Commandant de la place ont invité la municipalité à fournir quatre de ses membres pour accompagner la troupe qui devait escorter vingt-et-un prisonniers qui devaient être fusiliés (sic) au lieu nommé la Claire. Sur quoi, l'assemblée a nommé les citoyens Viaud, agent-national, Viaud-la-Rivière, J.-L. Pineau et Gautier qui s'y sont rendus ..."

Les juges, appuyés sur Mucius-Scevola-Sabatier-Libre avaient parlé, il n'y avait qu'à s'incliner ... Et pourtant, depuis six jours sans qu'on le sût, il est vrai, à Noirmoutier, la Terreur était finie ! ... La Commission, réclamée avec instance par le représentant Bô qui, à deux reprises, et le 3 thermidor en particulier, lui avait demandé par lettres si ces opérations n'étaient pas bientôt terminées et l'avait invitée à les clore, se préparait à quitter l'île pour se transporter dans la cité nantaise ... Si bien que, le 14, l'agent national près le Conseil de la Commune requérait "attendu les services qu'a rendus la Commission militaire, révolutionnaire et extraordinaire à la chose publique, et notamment dans cette île, que sans tirer à conséquence (?) il lui soit permis d'emporter avec eux (sic) la quantité de cinq à six boisseaux de farine." - Ce qui avait été accordé ...

Le 14 thermidor ! Et le 16, à la nouvelle de la mort de Robespierre, c'est l'hécatombe, la seule exécution en masse dont cette troisième Commission révolutionnaire ait à répondre ! ... N'est-ce pas bien singulier ? Quel sentiment faisait agir dans la circonstance le redoutable Tribunal ? Etait-ce la liquidation de ses travaux imposée par Bô qu'il prétendait opérer de cette cruelle façon ? Ou bien, se voyant menacé, ainsi que le supposait le docteur Viaud-Grand-Marais, voulut-il, dans un accès de panique, prévenir par un énergique coup d'arrêt toute tentative de réaction thermidorienne susceptible de l'emporter ? Qui nous le dira jamais ? ...

"Les condamnés, c'est toujours le docteur qui parle, furent liés deux à deux dans la cour du Château. Les femmes firent-elles partie de la chaîne, comme le soutient un vieillard de 85 ans, le père M...., gendre d'un des hommes qui eurent la douleur de faire partie du piquet d'exécution ? Furent-elles au contraire conduites en charrette, vu la longueur du chemin ? Il reste là un point obscur. Un autre vieillard, mort en 1860, disait avec émotion avoir été forcé de mener à la Claire, dans sa charrette, des femmes qui chantèrent des cantiques jusque sur le bord de leur fosse. Mais peut-être le fait raconté par ce second vieillard se rapporte-t-il à une exécution différente ? (Nous ne voyons pas laquelle, à moins qu'il ne s'agisse des massacres du début, et encore ...) Cet homme indiquait comme lieu de la fusillade non pas la Grande-Parée, mais une plus petite, semée aussi de pins et située à droite du chemin, en allant à la mer.

En face de l'église, d'après le père M...., l'une des jeunes filles, Elisabeth de Rorthays, la plus jeune du convoi, se mit à éclater en sanglots. Sa soeur l'embrassa et lui dit : "Ne pleure pas, petite, ce soir nous coucherons chez le Bon-Dieu". Mues par une pieuse pensée et pour se donner du courage, les femmes commencèrent alors à chanter des cantiques auxquels succéda bientôt le Magnificat. Les paysans assurent que plusieurs d'entre elles étaient vêtues de blanc, ce qui n'a rien d'invraisemblable au mois d'août et de la part de personnes de qualité. Ils ont conservé une sorte de complainte composée à l'occasion d'une quinzaine de jeunes prisonnières sacrifiées à la fois à la Claire et qui ne peuvent être que celles dont nous nous occupons en ce moment. Peut-être n'est-elle qu'un écho de leurs chants de mort ; en voici le refrain, tel qu'il nous a été communiqué par un ami (M. l'abbé Pontdevie) :
"Commission militaire
Qui nous avez jugées,
Craignez le Dieu sévère
Qui saura nous venger.
Ah ! mais oui-da.
Peut-on trouver du mal à cela ?"

Le convoi passa devant le Prieuré, puis suivit la rue du Grand-Four et la route du Bois-de-la-Chaise jusqu'au carrefour de la Croix de Saint-André. Là, il pourrait y avoir du doute sur la direction prise par la colonne, plusieurs routins se détachant à gauche à diverses hauteurs pour rejoindre la voie charretière qui sépare les Roussières de la Lande d'Enfer. Le vieillard nous servira de guide, son beau-père lui ayant souvent indiqué le véritable chemin suivi par les condamnés. Ce chemin, qui était alors le plus court pour rejoindre ce point de la côte a en partie disparu. Il abandonnait la route du Bois à cent cinquante pas du carrefour, longeait à gauche la Chapelle Saint-André, sur la façade de laquelle étaient appuyés deux gros blocs de quartz, puis se dirigeait vers la ferme de la Bosse, ou de la Petite-Lande, située à droite. Il coupait alors la lande en diagonale pour déboucher à l'extrémité du Chemin-Neuf et atteignait par lui le chemin aux taches de sang, puis les dunes de la Claire (C'est là le chemin appelé depuis Chemin du "Magnificat". - La Chapelle Saint-André est devenue la partie moyenne de la ferme du même nom ; La Bosse s'appelle maintenant La Petite-Lande ou Lande des Anglais et le Chemin-Neuf, Le Chemin des Sorbets à la Touche.) Il ne conserve aujourd'hui sa largeur primitive de trois mètres que jusqu'à la ferme de Saint-André. L'aire à battre l'a dévié à droite et il n'est plus représenté jusqu'à la Petite-Lande que par un simple sentier ; plus loin, il est complètement effacé.

La garennerie(La Garennerie)

"Une fois dans les dunes, les condamnés obliquèrent à gauche pour gagner la Grande-Parée qui fait face à la propriété de la Garennerie et longe la mer pendant environ 200 mètres. Ils poussèrent au-delà de l'ancien corps-de-garde, dont les débris subsistent encore en face de la Garennerie, et s'arrêtent, toujours d'après le père M...., à l'extrémité nord-ouest de cette parée, appelée aussi par les paysans le Champ-des-Morts, les restes des victimes de Banzeau y ayant été transportés. Une nièce de Reine Québaud, dont nous reparlerons plus loin, nous a conduit nous-même exactement au même endroit, en nous disant que sa tante, l'y menait souvent prier. Un mur de maçonnerie, de l'autre côté du chemin, sert de point de repère.

Là se voit, du côté de la mer, un talus de sable où croissent des immortelles. Entre ce talus et la route parallèle à la côte, poussent actuellement, et comme à regret, quelques sapins et des peupliers basse-tige. C'est au pied de ce talus que furent conduites les victimes. Deux fosses les y attendaient ; il était quatre heures du soir (une seule fosse d'après l'ordre émanant de la municipalité)."

L'exécution fut atroce, les malheureux achevés dans des conditions effroyables. Burgaud, fusillé deux fois, dit-on, vivait encore et s'écriait ! "Quel mal ! Quel mal !" lorsqu'un des exécuteurs termina son martyre en le frappant à coups de pelle sur le cou ...

Les corps furent jetés les uns sur les autres et recouverts d'une légère couche de sable.

Plaque Noirmoutier


Une femme dont le nom doit rester vénéré apparaît alors, Mademoiselle Suzanne Pontié, morte à 83 ans après avoir rempli à Noirmoutier, pendant de longues années, la charge de Mère des Pauvres. Elle était jeune à cette époque et se montrait la providence des proscrits. Lors de la reprise de l'île, elle avait caché chez elle deux ou trois prêtres insermentés et, pour les sauver plus sûrement, avait eu l'audacieuse inspiration d'offrir sa maison à Turreau et à son état-major.

La nuit du 16 au 17 thermidor et celles qui suivirent, elle alla, accompagnée d'une domestique dévouée, enlever les corps des malheureuses femmes tombées à la Claire, afin de les soustraire aux outrages et de les transporter en lieu bénit. Rien ne l'arrêta, ni la longueur du chemin (plus de deux kilomètres) ni le péril auquel elle s'exposait. Nul alors n'était à l'abri de la terrible Commission et, parmi les personnes qui devaient comparaître devant elle le 17 thermidor, se trouvaient la veuve de François Richer, veuve Tarvouillet. Elles furent acquittées à cause de leur nom."

Nous avions cru un moment que la vieille croyance Noirmoutrine aux Vertes-Velles, traînant, la nuit, un cadavre sur une claie et annonçant ainsi à qui les aperçoit une mort prochaine, ne remontait qu'à la Révolution et à Mlle Pontié ; c'était l'avis de plus d'un folkloriste, mais cette croyance est plus ancienne. Peut-être Mlle Pontié et sa servante en profitèrent-elles cependant dans leur pieux dessein et évitèrent-elles de la sorte d'être traduites devant un Tribunal peu porté à pardonner et qui n'eut pas hésité sans doute à les inculper, quitte à les traîner après lui à Nantes ... D'ailleurs elles n'étaient pas seules à jouer leur vie, dans cette période troublée de notre histoire, pour cacher des proscrits ou porter des secours et des consolations aux prisonniers de l'un et l'autre parti. Parmi les femmes du peuple, le docteur Viaud-Grand-Marais, cite seulement Jeanne Baudry, domestique de Mme Lefebvre-Viaud et Reine Québaud. Celle-ci comparut plusieurs fois devant la Commission et ne dut son salut qu'à sa profession de sage-femme qui lui avait fait des amies parmi les femmes des officiers républicains comme parmi celles des officiers royalistes.

"Merland n'ayant pu, malgré tous ses efforts, sauver Mme Petiteau, il lui restait, dit encore le bon docteur, un dernier devoir à remplir ; il n'y faillit point. Il prit chez lui les enfants de la morte, se fit nommer leur tuteur, réclama le 11 vendémiaire an III, devant le district, les biens leur appartenant et vint lui-même, le 17, à Noirmoutier, recueillir leur part dans le mobilier laissé dans l'île par leur mère.

Quand à la Commission, le soir de l'exécution de la Claire, elle tint une seconde séance et jugea deux femmes, Modeste Bourreau, de Gandillon, près Palluau, et Catherine Gautier, veuve Léotay, de la Franchère, district de Machecoul. Elles furent mises en liberté provisoire et renvoyées chez elles.

Le lendemain, dix-huit prévenus comparaissaient encore devant le farouche Tribunal. Dix-sept furent acquittés : seul, Pierre-Antoine Danicourt, de Charenton, âgé de 19 ans, volontaire au 3e bataillon de Paris, fut fusillé sur la place d'armes pour avoir déserté devant l'ennemi au combat de Vihiers. Cela porte à vingt-cinq ou vingt-six le nombre des condamnations à mort prononcées à Noirmoutier par cette Commission.

Quelques jours après, elle quittait l'île, n'emportant aucun regret, et au grand soulagement de tous. "Les prisons se rouvrirent et, écrit Piet, les coeurs et les esprits comprimés par la terreur purent enfin s'épanouir." Elle alla instrumenter à Nantes où nous la retrouvons au Bouffay. Elle fut une des dernières Commissions révolutionnaires à y fonctionner et avait amené après elle une partie de ses prisonniers."

L'arrêté du Représentant Bô qui avait prescrit définitivement son transfert était du 19 thermidor ; sa première séance au Bouffay est du 27. A l'Ile de la Montagne, outre les condamnations capitales que nous avons relevées, elle avait prononcé dix-huit condamnations à la déportation, concernant surtout les religieuses, et renvoyé dans leurs foyers environ six-cents personnes, les unes en les acquittant, les autres, plus nombreuses, par un verdict de mise en liberté provisoire ; les individus mis en liberté provisoire ne pouvaient s'éloigner de leur commune et, considérés comme suspects, restaient sous la surveillance des autorités.

Dans la grande cité des bords de Loire, ses membres ne tardaient pas à se plaindre d'être "en but à la plus noire et à la plus atroce calomnie ... Le plus grand discrédit était jeté sur les établissements semblables à celui du Tribunal ... Il était instant de mettre la vérité au plus grand jour pour empêcher que l'opinion publique qu'on cherchait à égarer ne soit surprise ..." En conséquence, Hudoux le premier, puis Obrumier et Gouppil, et enfin Collinet et Joullain sollicitaient leur remplacement : Thierry avait été momentanément appelé à Paris.
C'était la fin. Le 4 frimaire an III, après d'ultimes avatars, la dernière des Commissions militaires de Noirmoutier terminait peu glorieusement son existence. En quittant l'île, quelques mois plus tôt, elle avait perdu une partie de ses papiers.
Nous ne savons ce que devinrent, dès lors, la plupart des juges. Collinet, seul jusqu'ici à notre connaissance, a pu être suivi par M. l'abbé Mulot, jusqu'au terme de sa carrière :
"Henri Collinet, sieur de la Charrault, écrit ce dernier auteur dans le travail que nous avons déjà cité, était négociant à Croix-de-Vie. Révolutionnaire ardent, tout à tour président, accusateur et juge aux Commissions militaires de Noirmoutier et de Nantes, il mourut au Retail, de Soullans, le 8 novembre 1820, plein de repentance. "Je prie Dieu, dit-il dans son testament, d'étendre sa miséricorde sur moi, mourant dans la foi catholique, apostolique et romaine en laquelle je suis né." Ses dernières années furent hantées de remords : "Tu n'as pas le poids que j'ai là dans le coeur," répliquait-il à un pauvre journalier qui enviait son sort de riche, et, dans la maladie qui l'emporta, tout le monde l'entendait crier : "Que sera-t-il de moi, malheureux, qui ai fait périr tant d'innocents à Noirmoutier !" Sa tombe est au cimetière de Soullans ..."

"Un des derniers dossiers dont se soit servi la sinistre Commission a pour chemise un papier épais sur lequel sont imprimées diverses litanies. Il porte le numéro 375 et la souscription : 3 Ventôse, Ile de la Montagne, ci-devant Noirmoutier. - 14 personnes dont sont déposés les interrogatoires. - Au Bouffay.
Au moment où nous allions le fermer, nos yeux ont rencontré sur la dernière page ces mots : Litanioe pro fidelibus defunctis, puis ce texte des Macchabées : "Santa et salutaris est cogitatio pro defunctis exorare ut a peccatis suis solvantur ..." C'est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés."

Ces lignes, par lesquelles le docteur Viaud-Grand-Marais terminait son émouvante étude, étaient écrites, nous le répétons, en 1881. Nous y ajouterons simplement pour notre part : "Beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam ..." - Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! Le royaume des cieux leur appartient ..."

pj 1

pj 2

L. TROUSSIER
Société d'émulation de la Vendée
1929-1930

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Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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