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La Maraîchine Normande
30 août 2013

LES MILLE ET UNE NUITS VENDÉENNES - LA LÉGENDE DE SAINT-JUIRE-CHAMPGILLON (85)

LES MILLE ET UNE NUITS VENDÉENNES

LA LÉGENDE DE SAINT-JUIRE-CHAMPGILLON

Saint-Juire ?? ... - Y aurait-il donc réellement un Saint de ce nom-là ? ...

Les Bollandistes n'en soufflant mot, il ne pourrait être question tout au plus que d'un Saint de contrebande.

Ce ne serait pas même cela si l'on s'en rapporte aux documents officiels du Moyen-Âge, lesquels nous apprennent que Saint-Juire-Champgillon s'appelait autrefois Saint-Georges-de-la-Plaine (Sanctus Georgius de Plana)

Que de Saint-Georges on ait fait par corruption Saint-Juire, la métamorphose peut paraître bizarre et l'étymologie inexplicable au premier abord ; mais les tours de passe-passe de ce genre ne sont point rares dans les annales de la linguistique et cela prouve - une fois de plus - qu'il faut savoir à l'occasion donner sa langue au chat et s'incliner en toute modestie sans trop chercher à comprendre, plutôt que de s'exposer à perdre son latin - et à dire des bêtises - en voulant expliquer à tout prix l'inexplicable.

Donc Saint-Juire vient de Saint-Georges : si étrange que cela puisse paraître, le fait n'en est pas moins certain.
Mais pourquoi Saint-Georges ? pourquoi, à l'origine, ce patronage plutôt qu'un autre ?
Sur ce point la réponse nous est donnée - claire et précise - par la tradition locale, laquelle confirme du même coup l'authenticité d'une racine étymologique si peu en harmonie avec son produit.

Il n'est pas un ancien de Saint-Juire, en effet, qui ne puisse vous raconter l'histoire que voici :

Le modeste bourg qui, après s'être appelé Saint-Georges, porte aujourd'hui le nom bizarre et si peu orthodoxe de Saint-Juire, était autrefois, paraît-il, une localité beaucoup plus importante, ayant de nombreux habitants et renommée au loin pour ses jolies filles ...

Jolies ... mais coquettes ... et bavardes, encore plus peut-être qu'elles n'étaient coquettes et jolies ...

Qui dit bavardes dit médisantes : c'est forcé !

Or - chacun sait ça - les filles médisantes, pour le moins autant que les filles jolies et coquettes, sont une proie offerte à l'éternel ennemi du genre humain, au Malin acharné tout spécialement à la poursuite du beau sexe et rôdant de préférence autour des "jeunesses" ... quoerens quam devoret ...

P1210722

De course en course, de royaume en royaume, Satan était arrivé un jour dans la contrée, et il lui avait suffi d'un simple coup d'oeil pour juger des jolis coups de filets qui l'attendaient là.
- Ou je me suis bien trompé, se dit-il en frottant l'une contre l'autre ses vilaines mains crochues, ou la chasse va être bonne. Faisons donc halte dans ces parages : bien adroits seront les bons anges de ces jolies filles, s'ils m'empêchent de mettre le grappin dessus ! ...
En conséquence, et après s'être prudemment entouré d'un nuage qui le dérobait à tous les regards, Satan alla se mettre au guet, en face du lavoir où les filles du pays avaient coutume de venir chaque jour passer leur linge à l'eau.


A peine le Maudit était-il installé que la joyeuse troupe féminine arriva, et les langues se mirent aussitôt à marcher - plus vite encore que les battoirs ...
Satan ne savait trop à laquelle de ces jolies médisantes donner le prix, tellement elles y allaient toutes de bon coeur.
Il finit cependant par jeter son dévolu sur une grande brune, qui ne tarissait pas sur le compte de ses voisines dont l'une avait fait ci ... l'autre ça ... et cette autre encore ça et ça ...
Au moment où la grande brune terminait sa dernière histoire, elle se sentit tout à coup saisir à la gorge et eut à peine le temps de faire entendre un cri déchirant ... C'était Satan qui l'avait serrée entre ses griffes et bel et bien étranglée du premier coup. En un clin d'oeil, la grande brune fut enlevée comme une plume et disparut au milieu d'un nuage, aux yeux des autres laveuses terrifiées.


Satan, que sa première chasse avait mis en appétit, se trouvait le lendemain à son poste bien avant l'arrivée des jeunes laveuses.
Celles-ci, bien qu'elles ne se doutassent point que le Malin fût si près et qu'il dût y avoir une réédition du drame de la veille, n'en gardèrent pas moins tout d'abord un silence presque complet, tellement elles étaient encore sous l'impression de la mystérieuse disparition de leur compagne.
Au bout d'un instant les langues finirent cependant par se délier, et les médisances reprirent leur train comme d'habitude.
Satan n'attendait que ce moment pour choisir une seconde victime.
Cette fois, ce fut le tour d'une toute petite blonde qui, arrêtée soudain au beau milieu de son babillage, n'eut même pas le temps de dire ouf ! et disparut dans les mêmes conditions que la grande brune emportée la veille.

Vous croyez peut-être que cela servit de leçon aux autres ? ...
Hélas ! détrompez-vous ! ...
Après avoir retenu leurs langues pendant un ou deux jours, les jolies laveuses recommencèrent à jaser et à médire de plus belle ...
Satan recommença de son côté, et les victimes vinrent s'ajouter aux victimes.
Tant et si bien qu'un beau matin, de toutes ces jolies filles naguère si nombreuses, il ne s'en trouva plus que trois autour du lavoir.
Il y a cent à parier contre un qu'à moins d'une intervention divine les trois survivantes étaient destinées à partager le triste sort de leurs compagnes.
Heureusement que cette intervention eut lieu : le Bon Dieu trouvait sans doute l'exemple suffisant, et il résolut de mettre un terme aux horribles prouesses du Maudit.
C'est ici que saint Georges entre en scène, toujours d'après la tradition pieusement transmise de génération en génération et conservée par les anciens de Saint-Juire.

Un jour donc que les jeunes laveuses, désormais réduites au nombre de trois, arrivaient au lavoir avec leurs battoirs, elles entendirent une voix mystérieuse qui leur dit :
"Faites le signe de la croix en promettant de ne plus vous livrer à la médisance, et vous et celles qui viendront après vous ne serez plus jamais exposées aux embûches de Satan."

Bien que bavardes et médisantes comme leurs compagnes, nos trois jeunesses étaient au fond bonne chrétiennes : impressionnées et soudain repentantes, elles s'empressèrent d'obéir à la voix mystérieuse, firent pieusement le signe de la croix et jurèrent de ne plus médire.

Aussitôt elles entendirent un cri de guerre suivi d'un horrible rugissement et virent apparaître un jeune et beau chevalier qui, l'épée à la main, s'élançait sur un énorme dragon dont les naseaux jetaient des flammes.

En moins de temps que je n'en mets à raconter la scène, le dragon, transpercé et foulé aux pieds par le chevalier, s'engloutit dans la terre entr'ouverte. Quant au vainqueur, après s'être élancé sur un coursier tout harnaché et avoir souri aux trois laveuses, il disparut au galop.

Dans le dragon ainsi transpercé tout le monde aura facilement reconnu Satan. Le jeune et beau chevalier n'était autre que saint Georges, envoyé par le Bon Dieu pour sauver les dernières filles du pays.

C'est en souvenir de ce miracle que la paroisse de Saint-Juire avait tout d'abord reçu et porta longtemps le nom de Saint-Georges. Ce nom a d'ailleurs été scrupuleusement conservé au lavoir lui-même, où, depuis lors, jamais fille n'a commis la plus petite médisance, - du moins à ce qu'on dit !

H.B.
La Vendée Historique
1903

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