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La Maraîchine Normande
14 août 2013

NANTES - PORNIC (44) - UN JEUNE CHEF ROYALISTE ♣ JOSEPH-MARIE DE FLAMENG DIT FLAMING (1771 - 1793)

UN JEUNE CHEF ROYALISTE

JOSEPH-MARIE DE FLAMENG

Parmi les officiers de l'armée royaliste qui, sous les ordres du marquis de la Roche-Saint-André, attaqua Pornic le 23 mars 1793 et en fut maîtresse pendant quelques heures, se distingua par sa bravoure un jeune homme de la paroisse de Saint-Philbert-de-Grandlieu, nommé Joseph-Marie de Flameng.

Sa mort tragique a donné lieu à des interventions romanesque et à de vives polémiques. Ayant pu me procurer des documents inédits qui éclairent sa personnalité et les circonstances dans lesquelles il succomba, j'ai écrit la petite notice qu'on va lire.

Il était né à Nantes, le 17 mars 1771 ; j'ai trouvé son acte de baptême sur les registres de la paroisse de Saint-Denis de cette ville, conservés aux archives communales. En voici la copie :

Acte naissance Joseph-Marie DE FLAMENG

"Le dix-septième jour de mars mil sept cent soixante et onze a été par nous prêtre, docteur en théologie, recteur de cette paroisse, baptisé Joseph-Marie né de ce jour, fils de messire Pierre-Joseph-François de Flameng, seigneur du Port-Bossinot et de Viegue, et dame Scolastique-Louise Bellabre du Tellement, son épouse. Ont été parrain messire René-Marie de Chardonnay, chevalier, seigneur de la Marne, son oncle maternel par alliance, de la paroisse de Saint-Laurent de cette ville, et marraine dame Anne de Huqueville de Guyton, ayeule de l'enfant au paternel, épouse actuellement de messire Armand-Mathieu de Guyton, conseiller du roy et correcteur honoraire de la Chambre des Comptes de cette province et cy-devant épouse de messire Joseph-Antoine de Flameng de la paroisse de Saint-Philbert de Grandlieu, qui ont signé avec le père présent et autre.
Signé : A. de Hucqueville de Guyton ; Geffrard du Tellement ; Bonnetier de Chardonnay ; Victoire Bellabre ; Bellabre de Chardonnay ; Henriette Bellabre ; de Chardonnay de la Marne ; Bellabre ; Burot de Carcouët ; de Flameng, sgr du Port-Bossinot ; Petit des Rochettes, recteur de Saint-Denis."

Les père et mère de Joseph-Marie de Flameng s'étaient mariés à cette même paroisse le 22 mai 1770 et il était leur premier enfant.

Lors de la grande insurrection de mars 1793, il prit les armes contre la République en même temps que le chevalier de Couëtus, son compatriote et parent.

Le 12 mars il était un des principaux lieutenants de Danguy, seigneur de Vue, lorsqu'à la tête des insurgés du Pays-de-Retz, ce vieillard, qui ne marchait que par contrainte, essaya vainement de s'emparer de Paimboeuf.

Flameng usa de toute son énergie pour empêcher les bandes royalistes de se disperser après cet échec sanglant. On en a la preuve dans la lettre suivante qu'il écrivit à Charette le 21 mars et dont la bibliothèque publique de Nantes possède l'autographe. (Collection Dugast-Matifeux).

"A Monsieur, Monsieur Charette commandant à Machecoul.

Chère Commandant,
La lettre cy-jointe vous fera voir combien est intéressant de déterminer sur l'expédition de Chauvé et d'Arton ; il est impossible de dégarnir Bourneuf, aussi je tâche de retenir tout le monde, mais ils veulent s'en aller absolument.
Par le même couriers donné moi avis que vous allez rassembler cinq ou six cent homme et me dire le jours ou vous les enverrez dans les endroits, car décidément tant qu'à aller il faut les mettre hors d'état d'insulte et cela ne peut estre que par la prise de St Père en Rays ; je me réunirai à Chauvé avec quatre cent hommes et je crois que nous nous trouverons alors en état de faire quelque chose. Vous n'avez pas idée du peu d'ordre qui règne ici ; il n'y a ni comité, ni couriers marqué et tout le monde loge chez l'habitant, ce que je n'approuve point, car au premier coup d'appel il leur serait impossible de se réunire.
Marquez-moi sur le chant votre décision, je ne ferez rien pour Chauvé avant votre ordre.
Bourneuf le 21 mars 1793, l'an dernier de la tyrannie.
Signé : FLAMENG."

Sur la page suivante sont écrits ces mots :
"Ont aurait grand besoin de votre présence.
Signé : THOMAS."

la Roche-Saint-AndréDeux jours après avoir écrit cette lettre, le 23 mars, Flameng se joignit au marquis de la Roche-Saint-André qui avait rassemblé quatre mille hommes pour se rendre maître de Pornic, dont le port pouvait être très utile à l'insurrection.

On sait qu'aussitôt la prise de cette petite ville, les paysans royalistes encore incapables de discipline se livrèrent au pillage, massacrèrent dans leurs maisons sept vieillards et un idiot et "se gorgèrent de vin et d'eau-de-vie."

Soixante-douze Pornicais intrépides, revenant du bourg des Moutiers-en-Retz où ils étaient allés le matin chercher un convoi de froment, les surprirent à l'entrée de la nuit et les mirent en complète déroute, après en avoir tué un grand nombre.

Flameng avait essayé en vain de les ramener au combat. Il avait couru vers le monticule du Calvaire qui domine la ville prendre le drapeau blanc que les soldats y avaient planté ; et, l'agitant dans les ténèbres, il s'efforçait d'en faire un point de ralliement. Mais tout fut inutile ; les paysans affolés fuyaient comme un troupeau de moutons. Le jeune chef désespéré se trouva isolé au milieu des républicains. A la faveur de la nuit il gagna une maison de la Grande-Rue habitée par un boulanger nommé Hymène et le pria de lui donner asile, en lui offrant cent louis qu'il avait dans sa ceinture. Le boulanger prit l'or ; mais le lendemain matin, cet homme, à qui tout sentiment de générosité était étranger, le dénonça au commandant républicain Coueffé. Flameng fut bientôt saisi et mis à mort.

Alphonse de Beauchamp dans son Histoire de la Guerre de la Vendée (tome 1, page 104) se fit l'écho d'un bruit romanesque au sujet de cette mort. "Les royalistes restés prisonniers, dit-il, furent massacrés avec des raffinements de cruauté qui révoltent. On enterra tout vif, jusqu'au cou, le jeune Flamingue, et on le lapida ensuite ; on promit la vie à douze autres prisonniers, s'ils creusaient une fosse assez profonde pour recevoir tous les morts, et à peine l'eurent-ils creusée, qu'on les fusilla sur les cadavres de leurs compagnons d'armes."

Ces détails dramatiques furent répétés par le vicomte Walsh. (Lettres Vendéennes, tome 2, page 253), ce qui motiva une protestation des Pornicais en 1828.

M. F.-J. Carou, dans son Histoire de Pornic a réfuté victorieusement ce récit de la mort de Flameng. Il rapporte ainsi les faits (page 167) : 
"Sur l'ordre du commandant (Coueffé) une forte escorte va chercher Flaming et l'amène sur la place du Marchix, où s'était déjà formé un assez grand rassemblement qu'y avait attiré le bruit rapidement répandu de la capture d'un chef vendéen. "Quel est ton nom ?" lui demanda M. Coueffé, suivant le langage égalitaire de l'époque.
- "Flaming" répond le jeune homme. Ce court interrogatoire terminé, M. Coueffé tira de sa ceinture un pistolet, et il l'arma.
M. Flaming, qui ne comprit que trop son intention, lui dit : "Mais on ne tue pas un homme sans l'entendre".
- "Tiens, voila ta sentence", lui répondit M. Coueffé, et il lui brûla la cervelle."

M. Carou s'était appuyé sur des témoignages oraux très sérieux pour raconter en ces termes la mort du jeune royaliste. Aujourd'hui, je puis affirmer qu'il était dans le vrai, à l'aide d'une pièce authentique qui m'a été communiquée par M. Emilien Porcher, juge de paix à Saint-Philbert-de-Grandlieu. C'est un acte de notoriété dressé le 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), sur la demande de la mère de Flameng.

En voici le texte :

"Ce jourd'hui 30 vendémiaire an 7 de la République française une et indivisible,
Devant moy Jean Papin, juge de paix du canton de Saint-Philbert-de-Grandlieu ayant avec nous Jean Baptiste Goujon greffier,
Sont volontairement comparus les citoyens Izidor Ange Randoux Boistaillis, notaire public du département de la Loire Inférieure, et Jean Sorin cultivateur, demeurant séparément au bourg et commune de Saint-Lumine de Coutais, âgé le premier de 44 ans et le dernier de 41 ans, lesquels ont dit se présenter sur le réquisitoire de la citoyenne Scolastique Belabre cy devant épouse de Pierre Flamaing demeurant en la commune de Nantes, à l'effait de constater le décès de Joseph Marie Flamaing, fils aîné de leur mariage. Et d'après le serment desdits comparants pris, ayant chacun séparément la main droite levée, ont juré et affirmé se présenter pour déposer la vérité et rien que la vérité, ont dit n'être parents, alliés, serviteurs, créanciers ni débiteurs des parties pour et contre lesquels ils vont faire leur déclaration : En conséquence déposent qu'ayant été emmené sçavoir ledit Randoux par les insurgés rebels de la Vendée le 17 mars 1793 an premier de la République à l'ataque qui eu lieu ledit jour par les rebels à Pornic, (c'est le 23 mars qu'eut lieu cette attaque), lui déposant s'étant sauvé et réfugié chez le citoyen Boisselier alors juge de paix dudit canton de Pornic, le citoyen Coëffé habitant dudit lieu de Pornic et étant alors comendant ou officier de la garde nationale dudit lieu, s'étant transporté chez ledit Boisselier et à nous

officier blancparlant et nous demandant si nous connaissions Joseph Marie Flamaing qu'on venait de prendre caché sous un lit chez un boulanger dudit lieu de Pornic, et qu'on venait d'amener sur la place de l'arbre où était planté l'arbre de l'égalité, nous lui répondîmes que c'était un bougre de cy-devant ; alors nous nous rendîmes audit lieu de la place de l'égalité où moy déposant y reconnut très bien Joseph Marie Flamaing du Port-Bossinot, commune de Saint-Philbert-de-Grandlieu ; et que le citoyen Couëffé ayant un pistolet à la main lui en porta un coup à la distance de cinq pas qu'il tira dans la poitrine, auquel coup Flamaing tomba mort.
Jean Sorin déclare aussy avoir connaissance qu'ayant aussy été entresné audit combat de Pornic par les Rebels le jour que dessus, il vit le corps de Joseph-Marie Flamaing, qu'il reconnut, porter avec les autres morts dans un grand trou que l'on avait fait sur la grève pour les enterrer. Tels sont leurs déclarations, de laquelle lecture leur faite, ont dit y persister et ont déclaré ne vouloir ni augmenter ni diminuer, au contraire persister et ont signé.
Dont et du tout quoy nous juge de paix susdit et soussigné avons rapporté le présent acte de notoriété pour valoir et servir ce que de raison.
Fait et arrêté en ma demeure en la commune de Saint-Lumine-de-Coutais les jour et an que devant.
(Signé) Randoux Boistaillis - J. Sorin - Goujon greffier et Papin juge de Paix.
Enregistré à Saint-Philbert le 9 brumaire an VII de la République française. Reçu un franc. (Signé) Blanchard."

On voit que le récit des témoins Randoux-Boistaillis et Sorin concorde avec celui de M. Carou sur les points principaux. L'enterrement du jeune Flameng "tout vif" est donc une fable.

Quant au massacre de douze prisonniers royalistes qui auraient creusé la fosse de leurs compagnons d'armes, il est difficile de savoir la vérité. Deux cent seize insurgés, dit M. Carou, avaient été tués pendant le combat. Une vingtaine d'autres réfugiés dans les maisons furent ensuite massacrés par un matelot féroce, Olivier Renaud, raconte le même historien. Il est certain aussi qu'au moment où furent enterrés les cadavres sur la plage de la Sablière, il y eut une fusillade.

Le 22 novembre 1896, une personne d'une rare intelligence et d'une véracité absolue, Mlle Marie Daviaud, de Pornic, m'écrivait que sa grand'mère, femme des plus respectables, que j'ai connue, lui avait souvent répété qu'à l'âge de quinze ans, le lendemain de la déroute des Vendéens, elle était allée à la recherche de son père sur la côte de Sainte-Marie. Comme elle revenait à Pornic, arrivée sur la colline faisant face aux vieux château "au-dessus de l'anse de la Sablière, elle voit un grand nombre d'hommes et on lui crie : "Citoyenne n'avance pas !" Et il lui fallut attendre qu'on fusillât les prisonniers ... Aussi, me racontait-elle encore, quand les Vendéens reprirent Pornic, sa mère entendait Charette, qui parcourait les rues sur son cheval blanc ; crier : pas de pillage ! ... Mettez le feu partout."

Ce témoignage a pour moi grande valeur, mais il n'en résulte pas qu'on fusilla alors des prisonniers royalistes qui avaient creusé la fosse de leurs compagnons.

Quoi qu'il en soit, le meurtre de Joseph-Marie de Flameng, jeune homme de vingt-deux ans, prisonnier de guerre, froidement assassiné par le commandant Coueffé, fut un acte assez odieux pour que les passions de parti n'aient pas besoin d'y ajouter de plus noires couleurs.

JOSEPH ROUSSE
Revue de Bretagne et de Vendée et d'Anjou
Juillet 1899

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