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La Maraîchine Normande
12 août 2013

1831 - DÉSARMEMENT AU PAYS DE BEAUPRÉAU ...

1831

NOUVELLES DE LA VENDÉE

Les illégalités et les vexations se renouvellent chaque jour dans ce malheureux pays de Beaupréau qui ne compte bientôt plus un seul habitant dont le domicile n'ait été indignement violé. On prétend que nos plaintes deviennent importunes à l'autorité ; nous sommes vraiment fâchés de venir ainsi mêler quelques instans de déplaisir au charme enivrant du pouvoir et des honneurs, mais il faudrait des considérations autrement puissantes pour étouffer notre voix. Sans doute l'expérience du passé ne nous permet guères d'espérer quelques succès pour l'avenir, mais l'espoir du succès n'est rien au prix des inspirations de la conscience et du sentiment des devoirs. Jamais on ne vit à la presse indépendante plus belle ni plus noble mission que de faire entendre le cri des opprimés, et réclamer pour eux justice et protection ; les ennemis de la Vendée seront lassés de la persécuter avant que nous le soyons de la défendre et de la venger de tant de souffrances et d'outrages.

Il paraît que l'enlèvement de tous les fusils de chasse n'a pas été une prétention particulière à M. le maire de Trémentines, car cette mesure s'étend successivement à l'arrondissement tout entier ! Les 8 et 9 de ce mois (juin 1831), M. le maire de Jallais a fait opérer le désarmement de sa commune. M. le maire n'a pas voulu prendre la peine d'accompagner la force armée et l'assister dans toutes les perquisitions auxquelles elle a procédé, mais pour s'en dispenser il s'est avisé d'un singulier expédient. Nous avons sous les yeux deux réquisitoires signés D.L. de Mailly de Montjean, maire, qui somment, AU NOM DE LA LOI, deux habitans de Jallais de conduire le détachement militaire, et de lui faire visiter toutes les métairies de la partie de la commune qu'il doit tout parcourir dans la journée.

M. le maire de Jallais devrait bien nous dire AU NOM DE QUELLE LOI il transforme ainsi ses administrés en agens de police ! Les deux malheureux Vendéens avaient bien prévu que l'autorité locale n'avait aucun droit pour exiger d'eux un pareil service, et ils voulaient s'y refuser ; mais il leur a été fait de telles menaces que force a bien été de se soumettre. L'un de ces braves gens, le nommé David, est pensionné de l'Etat, et M. le maire a cru voir dans cette qualité un titre de plus pour justifier ses exigences ; il a eu soin de souligner et d'écrire en gros caractères ce mot PENSIONNÉ. M. Mailly se trompe encore ici plus étrangement ; si David est pensionné de l'Etat, c'est le prix de ses services et nullement un lien de dépendance ; il y a même quelque chose de plus révoltant à vouloir allier des idées de basse police à d'honorables souvenirs. Les détails qu'on va lire feront voir d'ailleurs tout ce qu'il y avait de pénible dans une pareille commission.

Le 8 juin, 30 voltigeurs et 28 gendarmes se sont présentés chez Jacques Delaunay, à la métairie du Bois-Bodard ; il était absent, deux jeunes filles seulement étaient à la maison, l'une âgée de 16 et l'autre de 14 ans. Ces deux jeunes filles ont voulu s'opposer à la perquisition annoncée par les soldats, mais sans vouloir même écouter leurs raisons, on s'est mis à l'oeuvre ; tous les meubles ont été fouillés, les lits défaits, rien enfin n'a échappé aux recherches ; un vieux fusil de chasse a été trouvé dans le grenier ; les soldats s'en sont emparés. A cet instant Delaunay revenait à sa demeure ; voyant qu'on lui enlevait son fusil, il dit à l'officier qui commandait le détachement qu'il savait bien que l'ordre n'avait pas été donné d'enlever les fusils de chasse, et qu'il retenait le sien ; aussitôt il l'a fortement saisi, long-temps il a lutté contre les troupes mais accablé, terrassé par les coups de crosse, il a été contraint à laisser, après une longue résistance, une arme qu'il revendiquait comme sa propriété personnelle et dont on venait s'emparer sans formalité, sans prétexte, sans exhiber d'autorisation, enfin sans l'assistance du maire ou d'un membre quelconque de l'autorité municipale ! ...

A la métairie du Houx, chez le nommé Dubillot, la fouille a été faite avec la même rigueur, et il s'est même trouvé qu'après cette visite domiciliaire la bourse d'un jeune homme dans laquelle il y avait 14 fr., avait disparu on ne sait trop comment. Sur la plainte portée au capitaine, il est vrai de dire que cet officier a obligé ses soldats à se cotiser et à payer cette somme de 14 fr.

A la métairie de la Grande-Brosse, chez Michel Chouteau, on a également fait la fouille et emporté un fusil de chasse.

A la métairie de l'Etang, chez le nommé Sourice, toutes les armoires ont été enfoncées sous le prétexte que cet homme avait été dénoncé pour avoir un fusil de chasse. Il a été grièvement maltraité à coups de poings et à coups de crosse de fusil.

A la Blardière, chez Jacques Dublé, cet honnête cultivateur a été menacé d'être conduit en prison et sa femme de recevoir des coups de baïonnettes, faute par eux de rendre un fusil anglais.

Enfin à la métairie de la Casse, le nommé Viau a été contraint par les mêmes menaces de rendre un fusil de chasse, et la femme Viau, âgée de plus de 70 ans, a été menacée par le capitaine lui-même d'être liée, garottée et menée en prison, si elle ne désignait l'endroit où son mari avait caché son fusil !

Toute réflexion deviendrait superflue ; ces tristes et honteux détails parlent assez haut. Mais il faut que nos lecteurs sachent cependant jusqu'à quel point tous les principes de droit, tous les règlemens administratifs, enfin toutes les lois protectrices et fondamentales sont méconnues dans ce malheureux pays, qui semblerait vraiment avoir été abandonné au régime du bon plaisir.
Nous avons à notre disposition deux certificats tout-à-fait curieux de M. le lieutenant Vincent, délivrés pour attester que les deux habitans de Jallais, requis par M. le maire d'accompagner la force armée, avaient rempli leur mission.
Au bas de l'un de ces certificats M. le maire a mis un vu bon pour toucher chez le percepteur la somme de 1 fr 50 c., sauf régularisation avec ce dernier. Le percepteur a refusé, avec raison, de se conformer à ce singulier mandat dont l'illégalité est évidente ; mais ce qui passe toute conception, c'est que M. de Mailly se soit imaginé avoir qualité pour faire une taxe semblable. Certes, il n'avait le droit ni de requérir ses deux administrés, ni de leur attribuer un salaire qui aurait consacré un véritable abus de pouvoir.

Nous avons insisté plus particulièrement sur tout ce qu'ont eu à souffrir les malheureux habitans de Jallais, mais dans toutes les communes voisines nous aurions à citer des faits semblables. Partout des visites domiciliaires sans mandat du juge, sans la présence du ministère public, sans même l'assistance du maire, partout des arrestations illégales, des prétentions impérieuses et bizarres, des violences incroyables, partout enfin la domination exclusive et patente de l'autorité militaire.

Ainsi à la Salle-Aubry, un cultivateur a été amené en prison à Beaupréau pour n'avoir pas voulu remettre un fusil d'honneur ; il a été détenu pendant un jour entier et n'a été mis en liberté qu'après avoir promis de remettre cette arme qui n'est cependant pas de calibre de guerre. Ainsi le jeudi 16 de ce mois, un détachement de voltigeur du 46e en garnison à Beaupréau entra dans son pré non dépouillé de sa récolte et dépendant de la métairie de la Bretesche, commune de la Chapelle-du-Genêt : le fermier Boumard s'étant plaint du dommage, les soldats coururent à lui, mais il fut accablé par le nombre, piqué par quelques baïonnettes et conduit en prison à Beaupréau. Il n'a été mis en liberté que sur les vives réclamations du maire de sa commune.

Nous ne suffirions vraiment pas à relever tout ce qui se passe journellement d'odieux et de vexatoire dans ces campagnes de la Vendée naguère si heureuses ; si paisibles, aujourd'hui tristes et désolées ; eh ! d'ailleurs que de faits nous ignorons ! Combien de personnes souffrent et se taisent ! Combien viennent nous confier leur souffrances en même temps qu'ils se refusent à leur donner de la publicité ! Il est cependant un fait plus indigne, plus oppressif, plus tortionnaire que tout le reste, il importe de le signaler au grand jour, il faut que la France sache enfin jusqu'où va l'audace de ces hommes qui habiles à reculer les limites de l'arbitraire et de la tyrannie profèrent encore sans trop rougir les mots de justice et de liberté !

Le 16 juin, ce même jour où des soldats maltraitaient et emprisonnaient le malheureux cultivateur Boumard, M. de *** se rendait de Montfaucon à la Gaubretière. Arrivé à Torfou, il fut arrêté par un détachement d'environ cent cinquante hommes, tant gendarmes que soldats. On lui demanda son passeport, il en fit sur-le-champ l'exhibition ; son ayant donné à penser qu'il appartenait à cette caste qui semble aujourd'hui dévouée à toutes les malédictions, M. de *** fut fouillé avec la dernière rigueur, ses papiers, ses lettres furent minutieusement examinés ; enfin, tout cela n'ayant rien présenté de suspect, on l'obligea à se dépouiller, et à se dépouiller si complètement que force lui fût de quitter son pantalon et de rester nud pendant que les inquisiteurs-soldats se livraient à ce genre d'exploration inouï jusqu'à ce jour !!

Eh ! à qui s'adresser pour obtenir justice ? A qui se plaindre de tant d'horreurs, de bassesses et d'infamies ? Nous ne savons que répondre à cette question que nous adresse aussi un bon paysan Vendéen, le nommé Morillon, de Montigné, dont nous avons déjà parlé, et qui, traité indignement, roué de coups, assommé sans pitié, nous demande où il pourra trouver une juste réparation. Ce malheureux nous transmet une pièce qui certes n'est pas irréfragable ; c'est un certificat délivré le 6 juin dernier, par M. Houdet, chirurgien et maire de Montfaucon, auquel nous ne saurions déplaire en le citant comme l'un des libéraux les plus prononcés du pays. Eh bien ! M. Houdet lui-même a constaté sur Morillon, une contusion à la partie supérieure de la hanche droite, de la largeur d'un pouce sur la longueur d'un et demi avec oedème des parties environnantes. Que l'on vienne après cela dire à ce pauvre paysan que la révolution de juillet a commencé une ère de gloire et de prospérité, qu'on lui dise qu'elle a été faite pour obtenir le triomphe de l'ordre légal et pour assurer à chaque citoyen la jouissance de tous ses droits !!! Ce serait en vérité joindre l'outrage et la dérision à tous les maux qu'il a déjà soufferts.

Tous nos correspondants s'accordent à nous dire que dans cette cruelle position le courage des Vendéens n'a pas fléchi un instant, ils ont dû céder à la force et à la violence, mais ils ne l'ont fait qu'en protestant contre tout ce qui portait un caractère quelconque d'arbitraire ou d'illégalité. Une si noble conduite, une si admirable patience n'a rien qui nous étonne, cette terre de la Vendée est vraiment la terre natale des plus héroïques vertus et des plus généreux sentimens. Dans tous ses malheurs nous n'avons à lui offrir que de bien stériles consolations, mais nos voeux, nos pensées, nos affections lui sont connus ; en ce moment même nous sommes menacés pour avoir pris trop hautement sa défense, elle ne se méprendra point sur nos paroles, elle sait bien qu'elles partent d'une voix amie. Qu'elle se garde donc de répondre à tant de provocations ; ses ennemis veulent la forcer à la guerre, ils font calcul sur les chances de son désespoir et de son indignation ; qu'elle n'aille pas tomber dans le piège.

La paix ! la paix ! nous ne cesserons de le lui répéter, nous ne cesserons de lui donner ce conseil qui renferme tout son avenir. Les temps de réaction et de violence ne dureront pas toujours, et en se montrant calme, patiente et résignée à traverser des jours passagers d'épreuve et d'adversité, la Vendée n'aura fait qu'ajouter un nouvel éclat à ses vertus, à sa gloire et à son immortelle renommée.

(Extrait de la Gazette de Maine-et-Loire)

La Revue judiciaire
N° 73-74 - Tome III - 1ère année
Lundi et mardi 27 et 28 juin 1831

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Commentaires
T
J'espère que les prétendus royalistes qui ont encore la sottise et l'ignorance de soutenir le parti orléaniste (dont il est inutile de revenir sur des prétentions ridicules) , tout en se prétendant des racines dans l'Ouest, lisent avec attention tous ces articles.
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La Maraîchine Normande
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