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La Maraîchine Normande
21 juillet 2013

ANGERS ♣ LA PLACE FALLOUX ♣ UN BON ET MYSTÉRIEUX PATRIOTE

ANGERS - LA PLACE FALLOUX

Angers 3

Le 16 mars 1715, la maison de ville, sur les nombreuses plaintes qui lui furent adressées relativement à la rue Cordelle, qui, malgré son élargissement et son impasse, n'avait point encore assez de dégagement, résolut, en conseil, d'abattre plusieurs maisons obstruant l'entrée du porche des Cordeliers, et de former là une place, afin de donner un accès facile à la rue Cordelle et à la rue de l'Hôpital.

Cette petite place n'est vraiment qu'un carrefour, un retrait pour les voitures, comme on en voit dans quelques chemins étroits. Mais, à cette époque, on se contentait de cela, si l'on en juge par plusieurs autres.

Péan de la Thuilerie, dans sa description de la ville d'Angers, ne nous donne aucun renseignement sur cette place, qu'il appelle Falou. "En descendant, dit cet auteur, le long de la rue de l'Hôpital, on passe devant la rue Puette, qui est à gauche, et ensuite on rencontre la petite place Falou, qui donne entrée à la rue Cordelle".

Les travaux de la place Falloux ne furent entièrement achevés que sous le mairat de René Robert, seigneur des Marchais, c'est-à-dire en 1716. La maison de ville décida que cette place prendrait le nom de Falloux, en souvenir de l'excellente gestion de Michel Falloux, seigneur du Lys.

A cette époque, il n'était pas dans les habitudes du corps de ville de donner, soit à une place, soit à une rue, le nom du maire, sous l'administration duquel elle avait été faite. Il fallait avant tout que le conseil reconnût que ce maire, par son dévouement, avait bien mérité de la cité. C'était la suprême récompense accordée au premier fonctionnaire de la ville, et, sur tous les jetons frappés à l'expiration du mairat, on retraçait soit par un dessin, soit par une devise, l'évènement principal qui s'était passé sous son administration, et auquel il avait naturellement pris part.

Ainsi le prédécesseur de Michel de Falloux était Jourdan, seigneur de Fleins. Pendant l'affreuse disette de 1709, où le peuple vécut de racines, où on faisait du pain avec l'asphodèle des bois (asphodelus albus. L.), François de Jourdan consacra ses revenus au soulagement des pauvres, fit faire des quêtes dans la ville, et employa les sommes portées au budget pour repas de corps et réjouissances publiques, à l'achat de vêtements destinés aux nombreux indigents qu'on rencontrait chaque jour gisant sur le pavé et mourant de froid. Pour reconnaître cette belle conduite, la ville fit frapper des jetons : sur la face étaient les armes du maire, et, au revers, Jourdan de Fleins, représenté au milieu d'un groupe de pauvres auxquels il distribue des secours ; puis cette devise : dispersit dedit pauperibus.

Michel-René de Falloux, conseiller à l'élection d'Angers, fut élu le premier mai 1711, et continué dans ses fonctions le premier mai 1713.

Michel de Falloux fut un maire entièrement dévoué aux intérêts de la ville ; il consacra tous ses instants à réparer les désastres occasionnés par l'affreuse misère qui avait régné si longtemps. Comme son prédécesseur, il disposa de sommes énormes au soulagement des nécessiteux, fit faire de grands travaux d'assainissement dans les bas quartiers, établit des secours à domicile, et, en un mot, justifia la devise qu'on voit sur ses jetons : non sibi, sed populo.

C'est de lui que date l'abolition du luxe extraordinaire que déployaient, dans les cérémonies publiques, les officiers du corps de ville. Il décida qu'ils n'assisteraient plus désormais aux réunions solennelles qu'en habit noir ; l'habit de couleur fut supprimé.

Le 5 mai 1712, eurent lieu les assises de la province d'Anjou. Michel de Falloux fut convoqué pour y assister et demanda au corps de ville un congé à cet effet. Cette demande fut unanimement repoussée, sur ce motif, que l'absence d'un maire aussi attaché à ses devoirs serait préjudiciable à la cité.

Michel de Falloux, très-libéral en ce qui le concernait, était d'une très-grande parcimonie en ce qui touchait les intérêts de la ville.

Ordre avait été donné par le roi, en 1713, à toutes les villes de France d'avoir des boîtes d'artillerie. Ces boîtes coûtaient très-cher, et la municipalité était dans ce moment fort obérée. Michel de Falloux, pour se conformer aux prescriptions royales, fit enlever les cloches des portes St-Aubin, St-Jacques, St-Nicolas et Toussaint, et les fit convertir en pièces d'artillerie sans bourse délier.

Tous les ans, le jour de la procession du Sacre, la maison de la ville offrait des torches au commandant du château. Ces torches consistaient en flambeaux de cire blanche, donnés à l'évêque. Le prévôt et le lieutenant du prévôt, ainsi que chaque membre du corps de ville, en recevaient une d'une livre et demie ; les huissiers de la maison de ville, MM. du présidial, le greffier, MM. des eaux et forêts, MM. des traites, le premier officier des finances, et MM. du grenier à sel, les syndics des avocats, les juges consuls, les administrateurs de l'hôpital Saint-Jean-L'Evangéliste, les directeurs des pauvres renfermés, le guidon des notaires et tous les guidons des jurés de métiers avaient chacun la leur, aux frais de la maison de la ville. De plus, la municipalité donnait, avant le départ de la procession du tertre Saint-Laurent à l'église cathédrale, un grand repas, auquel prenaient part les magistrats et chefs de corporation que nous venons de citer. Enfin, au retour de la procession, un souper était offert, aux frais de la ville, à l'hôtel municipal.

Michel de Falloux vit là un abus criant et résolut d'y remédier. Il ne put faire supprimer l'impôt des torches ni le repas du tertre Saint-Laurent ; mais l'usage de souper le soir, aux frais de la commune, fut aboli, et l'argent employé à cet agape distribué aux pauvres.

En dépouillant les archives municipales, où nous avons puisé une partie de ces renseignements, nous avons vu que les places des bancs des halles d'Angers furent affermées, le 5 décembre 1713, à un nommé Paviot, pour la somme de 35 livres par an. Quelle différence dans le commerce de cette époque avec celui de nos jours !

Michel de Falloux, lorsqu'il cessa ses fonctions, avait diminué par ses actes de bienfaisance sa fortune de plus de moitié.
Ce que nous venons de dire du mairat de Michel de Falloux est plus que suffisant pour montrer les droits qu'il avait à la reconnaissance de ses concitoyens ; et, en consacrant son nom à une place, la ville rendait un juste hommage à un maire qui, avec les Ayrault, les Cupif, les Grandet, les Jourdan et les Romain, tient un des premiers rangs dans l'histoire de l'édilité angevine.

Pendant l'ère révolutionnaire, dans une modeste et obscure maison de la place Falloux, demeurait un homme dont la vie, sous les apparences de celle d'un farouche patriote, fut une suite d'actes de dévouement.

Cet homme, mort octogénaire, a laissé à sa famille des notes précieuses sur les personnes et les évènements de cette époque. Ces notes qui nous ont été confiées nous serviront plus d'une fois ; nous en userons avec discrétion, et surtout, nous conformant au désir qui nous a été exprimé, nous ne citerons aucun nom.

En 1793, le personnage en question pouvait avoir 25 ans : ses traits accentués lui donnaient une grande ressemblance avec Washington, le fondateur de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique. Il ne sortait qu'armé : un grand sabre lui battait les jambes, il portait la tête haute et semblait défier tous les regards. Assidu aux réunions populaires, surtout au club de la Trinité, on le voyait soutenir les motions les plus exagérées, parlant le chapeau sur la tête. Il ne pouvait souffrir d'opposition, et, du reste, il était rare qu'on prit la parole après lui. Cependant, un jour, il se trouva un orateur assez osé pour lui tenir tête. Pendant que X. répliquait, son contradicteur s'aperçut qu'il n'avait pas de cocarde à son chapeau.
"Citoyen, lui dit-il, au beau milieu de sa discussion, où est ta cocarde ?" Et la foule de rire. A cette interruption, X. sans s'intimider, levant gravement son chapeau, dit à l'assemblée : "Ma cocarde, je l'ai oubliée, elle est à mon bonnet de nuit." Cette saillie, que fit dans une autre circonstance le spirituel chansonnier Desaugiers (1), excita de nouveau l'hilarité, et X. continua sa réplique sans être interrompu.

Si quelqu'un avait écouté avec attention X. chaque fois qu'il parlait dans un club, il eut remarqué que jamais il ne prenait part aux débats qui s'établissaient sur les personnes ni sur les demandes de proscriptions. C'était toujours sur un principe qu'il discutait.

Si le soir, on l'eût suivi dans nos rues tortueuses, on l'eût vu, portant un panier, s'arrêter mystérieusement devant une petite porte, tirer un trousseau de clefs, ouvrir et entrer, puis quelques instants après sortir et faire ce manège pendant toute la nuit dans d'autres maisons. C'était des secours qu'il portait à de malheureux proscrits. Ce philanthrope connaissait toute la ville, était au courant des moindres évènements, et, plus d'une fois, il eut le bonheur de sauver des proscrits.

Habitué du tribunal révolutionnaire, il connaissait les membres qui le composaient, et il lui arriva de faire élargir des accusés sans se compromettre en rien.

Le jour où Madame de Buzelet fut traduite devant la commission militaire, un des membres de ce tribunal, arrivé avant ses collègues, remarqua la main de cette femme. Elle avait les doigts tellement flexibles, que le poids de sa main sur la barre du tribunal les lui faisait contourner en dehors. Après plusieurs questions de la part du chapelier (ce membre exerçait cette profession), X. vit qu'il prenait quelque intérêt à la position de l'accusée ; aussitôt il lui insinue des idées de clémence : Partez, lui dit-il, cachez-vous et qu'on ne vous voie plus.
Madame de Buzelet suivit ce conseil, elle se retira dans une maison de la rue Puette. Les fenêtres de cette maison constamment fermées firent croire qu'elle était inhabitée. X. veillait sur elle, ainsi que sur sa compagne Madame de Chemellier. Il lui fallut la plus grande prudence pour passer les mauvais jours de la Terreur, car cette maison était voisine de celle d'Hudoux.

Tous les jours, X. se rendait sur la place du Ralliement à heure fixe, afin d'assister aux exécutions. Un de ses amis, le seul qui fut son confident et qui connaissait les secrets de sa vie, lui reprochait de venir assidûment se repaître d'un pareil spectacle.

"Je viens en ce lieu, lui répondit-il, en lui serrant fortement la main, pour apprendre à mourir."

(1) Le chansonnier Desaugiers était très-royaliste, et ne se gênait guère dans les plus mauvais temps de la révolution, pour crier contre elle. Un jour qu'il traversait le Palais-Royal, il fut entouré par plusieurs sans-culottes, qui ne lui voyant pas de cocarde à son chapeau, lui en firent d'un ton menaçant le reproche. Citoyen, leur répondit-il, jamais je ne couche sans elle, et je l'ai laissée à mon bonnet de nuit. Ébahis par cette réponse, les sans-culottes le laissèrent continuer son chemin.

Bulletin historique et monumental de l'Anjou
1869

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