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La Maraîchine Normande
15 juillet 2013

CHAVAGNES-EN-PAILLERS (85) ♣ LE GRAND MICHA ET LE CAMP DU CORMIER

LE GRAND MICHA ET LE CAMP DU CORMIER

A l'époque de la Révolution, mon grand-père maternel habitait le village du Cormier, dans la paroisse de Chavagnes-en-Paillers. Il prit part à l'insurrection, se battit bravement, passa la Loire avec la Grande-Armée et ne reparu plus. Ma grand-mère, encore jeune, restait veuve, avec cinq enfants, dont l'aîné était âgé de neuf ans.
Dans la maison contiguë à la sienne, demeuraient trois frères, ses cousins. L'un d'eux joua un rôle fort actif, sinon très important, dans la guerre, et il acquit une certaine influence sur les hommes de son voisinage. Il se nommait Michel Piveteau, mais dans le patois du pays, on l'appelait communément le grand Michâ, et cette dénomination prit tellement faveur qu'elle est passée à sa famille, bien qu'il ne se soit jamais marié.

Capture plein écran 23032013 015049Michel Piveteau n'avait reçu que l'éducation commune aux paysans de la Vendée ; mais il avait naturellement de la noblesse et de l'élévation dans le caractère ; sa conduite était irréprochable, et, s'il mettait son honneur à combattre les Bleus, son plus grand plaisir était de secourir les faibles.
Il était de haute taille, d'une force remarquable et portait toujours de grandes guêtres de cuir qui lui montaient jusqu'aux genoux. Il avait des jambes comme un échassier et courait comme un lièvre ; mais il était moins peureux ; il affectait même une certaine crânerie pleine d'entrain qui s'alliait fort bien avec le ton élevé de sa voix et la tournure de son langage tout à la fois sarcastique et jovial.
Quand il se dressait sur ses hautes jambes, avec sa veste brune, son chapeau à large bord et son fusil sur l'épaule, il n'avait pas précisément la mine d'un soldat, mais sa physionomie franche, ses yeux grand ouverts et son air provocateur lui ôtaient toute ressemblance avec un brigand, sans lui donner l'aspect du premier venu.

Les Bleus l'avaient vu si souvent fuir devant eux ou courir sur leurs talons, qu'ils avaient fini par le reconnaître ; mais comme ils ne voulaient pas se déshonorer en employant le patois de leurs ennemis, au lieu de l'appeler le grand Michâ, comme tout le monde, ils disaient : le grand gueux de Piveteau. Il recevait fort gaiement ce titre de noblesse qu'ils prétendaient lui donner ; cependant, sa reconnaissance n'alla jamais jusqu'à leur épargner un coup de sabre ou un coup de fusil.

Il faisait partie de ces Vendéens qu'on eût pu appeler des guerriers nomades ; ils étaient à la disposition de quiconque avait besoin d'hommes, et, comme on en manquait un peu partout, ils se trouvaient presque toujours sur les chemins ou sur les champs de bataille.

Au moment dont je veux parler, il était à l'armée de Charette, vers la Basse-Vendée. Mais, là comme ailleurs, il ne pouvait être bien longtemps sans revoir sa petite maison. Les armées vendéennes n'eurent jamais rien qui pût ressembler, même de loin, à une intendance organisée. Les soldats étaient obligés de se fournir de vêtements, de linge et fréquemment de vivres. C'est ce qui expliqua l'état précaire et la composition toujours transitoire des armées. Les soldats qui étaient plusieurs semaines absents de leurs domiciles se trouvaient exposés aux plus dures privations.

Donc, le grand Michâ revenait au Cormier.
En traversant la paroisse de Chavagnes, il rencontra ma grand-mère et ses cinq enfants chez un de leurs parents communs.
- Que fais-tu ici, lui dit-il. Tu prends donc bien du plaisir à promener ce petit monde-là ? Tu sais pourtant que les poules ne mènent guère leurs poulets au soleil quand elles voient les pies sur les maisons.
- Tu parles bien à ton aise ! répondit ma grand-mère ; mais si tu étais à ma place, tu ferais comme moi, car les Bleus sont au Cormier.
- Comment ! les Bleus sont au Cormier ! pas possible !
- C'est si bien possible qu'ils y sont campés depuis huit jours, et que leur camp s'étend jusqu'à la Chardière.
- Tu parles sérieusement ?
- Très sérieusement, et si tu ne veux pas me croire, tu peux t'en assurer toi-même ; seulement je t'engage à ne pas voir de trop près, car tu pourrais bien y laisser ta tête.
- Cà, c'est autre chose ! ... Il faudra voir un peu ! ... Heureusement que Charette n'est pas mort, et le grand Michâ non plus !

En disant ces mots, ses yeux étaient fixés sur le tenaillet, garni de larges pains encore tout frais. Il en prit un de la main gauche, en sépara un fort segment avec son sabre, et il s'éloigna, en attaquant son morceau de pain de toute la vigueur de ses dents.

Il s'en retourna vers Charette, auquel il exposa le malheur de son village, et il lui représenta que ce serait une bonne occasion de battre les Bleus une fois de plus. Il s'offrait à servir de guide, et promettait de conduire l'armée de manière à couper du premier coup les républicains en deux.
Mais Charette avait beaucoup à faire, il répondit qu'il ne pouvait entreprendre cette expédition sans déranger tous ses plans et compromettre le succès général de la guerre.

Michel Piveteau avait prévu cette éventualité ; aussi avait-il mis une deuxième corde à son arc. Il se contenta de demander à Charette une douzaine d'hommes à son choix, avec le secours desquels il espérait jouer quelque bon tour aux républicains. Charette les lui accorda de bonne grâce, et, dès qu'il les eut trouvés, il se remit en route avec eux.

Chemin faisant, il exposa son plan et convint avec ses hommes des détails de l'éxécution.

En arrivant dans la paroisse de Chavagnes, ils se séparèrent et se répandirent dans toutes les directions. Ils convoquèrent pour le soir les hommes qu'ils rencontrèrent, valides ou non, et même des femmes et des enfants. Comme il s'agissait d'un intérêt commun et que les Bleus n'étaient guère à craindre la nuit, on ne se fit pas beaucoup prier, et, à l'heure dite, tout le monde se trouva au rendez-vous.

Michel Piveteau partagea cette armée d'un nouveau genre en plusieurs groupes, plaça à la tête de chacun un homme intelligent, assigna les postes et donna des instructions très précises. Pour lui, avec ses douze hommes, il se réserva naturellement le poste d'honneur, qui était aussi celui du péril. A la nuit close, on se mit en marche dans un profond silence, et bientôt chacun fut en place.

Le village du Cormier est situé au sommet d'un coteau abrupt ; au bas, coule un petit ruisseau, près duquel on trouve beaucoup d'arbres et de buissons.

Les républicains, dont rien ne troublait la sérénité, allumaient chaque soir des feux de bivouac en avant des maisons et, de la vallée, on pouvait les apercevoir à la lumière de la flamme.

Michel Piveteau et ses hommes s'avancèrent jusqu'au bord du ruisseau et, se masquant derrière les arbres, ils se mirent à tirer sur les Bleus qu'ils virent à portée de fusil. Ceux-ci se sauvèrent aussitôt vers le village, et les assaillants prêtèrent l'oreille un instant. Ils entendirent des bruits confus et comprirent qu'il se faisait un grand mouvement dans le camp républicain.

- Les enfants, dit le grand Michâ, notre affaire va bien ; prenons courage !
Et, d'une voix à percer la nue, il se met à crier : "Vive le Roi ! Vive le général Charette !"

Ces cris sont répétés près de lui, de différents côtés, et par derrière à une grande distance. Pendant que ses hommes remontent le ruisseau en tirant des coups de fusil sur le village, il simule des mouvements d'extrême avant-garde et donne des ordres de sa voix la plus retentissante. Les autres groupes criaient de leur côté, et tous ces bruits, grossis par les échos de la vallée, firent croire aux Bleus qu'ils allaient avoir sur les bras toute l'armée de Charette.

Le stratagème n'était pas tout à fait impénétrable, et la prudence exigeait qu'on fit au moins une reconnaissance pour juger de l'importance et de la direction de l'attaque. Mais les républicains en Vendée n'eurent jamais tout leur sang-froid. Ils avaient vu si souvent surgir des armées là où ils s'attendaient à ne rencontrer que des buissons, qu'ils craignaient toujours d'être surpris. Aussi les Bleus du Cormier plièrent bagage dès qu'ils se crurent attaqués, et ils se retirèrent dans la direction de Saint-Fulgent et de Chantonnay. Comme on le pense bien, leur retraite ne fut pas inquiétée, et, s'ils y perdirent un peu d'honneur, ils eurent du moins l'avantage de sauver tout le reste.

Je dois dire pourtant, à leur décharge, que j'ignore absolument l'importance de leurs forces. Il est bien possible qu'ils n'eussent pas un campement établi selon les règles de la guerre, mais qu'ils se fussent contentés d'occuper les maisons du Cormier et les autres situées à quelque distance de la grand'route, en y comprenant celles de la Chardière. Dans cette hypothèse, leur situation eût été difficile à défendre, car les divers détachements eussent été coupés sans aucun effort.

Quoi qu'il en soit, le grand Michâ s'aperçut bien vite qu'il avait complètement réussi dans son entreprise. Il suivit les traces des républicains jusqu'à Saint-Fulgent, et, quand il vit que tout avait disparu, il retourna au Cormier, où il rappela les habitants. Ceux-ci eurent la satisfaction de voir que les Bleus avaient dérogé à leurs habitudes et que les maisons n'avaient subi que des dégâts faciles à réparer.

L'abbé L. AUGEREAU
La Vendée Historique
1900

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