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La Maraîchine Normande
4 juillet 2013

UNE VICTIME DE LA TERREUR - MARIE LANGLOIS

UNE VICTIME DE LA TERREUR - MARIE LANGLOIS

MARIE LANGLOIS
DE LÉVI-SAINT-NOM (Canton de Chevreuse)

9 mai 1793 - 1er juin 1794

Le nom de Marie Langlois a été mis en pleine lumière, par M. Wallon dans son histoire du tribunal révolutionnaire ; l'éloquent écrivain a placé sur le front de cette modeste domestique, l'auréole du martyre et retracé toutes les phases de son procès ; dans notre travail tout en faisant de larges emprunts à M. Wallon, nous publierons intégralement le procès, sans en omettre aucun détail, Marie Langlois, appartenant à l'arrondissement de Rambouillet.

C'est le 9 mai 1793 que Marie, native de Faverolles, domestique chez Larondeau, fermier à Lévy-Saint-Nom fut dénoncée par le curé de Lévi, comme contre-révolutionnaire.
Ce même jour, le conseil municipal se réunissait et demandait la comparution immédiate devant lui de Mlle Langlois :

Aujourd'hui, 9 mai 1793, l'assemblée ayant été convoquée à l'effet de nommer des commissaires pour les impositions de cette commune, le citoyen Touchet, curé de Lévi, a dénoncé comme contre-révolutionnaire Marie Langlois, pour les propos que la nommée Marie Langlois, domestique chez le citoyen Larondeau, fermier du domaine, a tenus et tient tous les jours dans cette commune.

La demoiselle Marie a été sur-le-champ citée de paraître par devant les membres composant le conseil général de cette commune, à l'effet de s'expliquer sur la dénonciation portant que le jour de la Pentecôte, il y auroit de grands évènements et qu'elle s'en réjouirait. Sur l'interpellation qui lui a été faite, elle a répondu qu'elle étoit aristocrate et que les curés nommés par le peuple n'étaient pas légitimes et que les anciens rentreraient dans leurs postes ledit jour de la Pentecôte ; que ceux qui sont nommés par le peuple n'avoient aucun pouvoir pour diriger les âmes ; et que le moment était arrivé de la persécution ; qu'elle en était bien aise parce qu'elle mourroit martyre plutôt que de renoncer ; que ce que faisoit la Convention nationale n'étoit qu'un amusement, et qu'elle ne connaissoit pas la loi des hommes.

Et son maître, le citoyen Larondeau, nous a déclaré que si elle lui appartenait, il lui couperoit la tête pour ses propos.

Le conseil général a décidé qu'elle serait mise sur-le-champ en état d'arrestation et conduite au Comité de sûreté générale à Versailles, pour y être interrogée plus amplement, ce qui pourroit servir à la découverte de quelque complot.

Le conseil autorise Quétin fils à conduire Marie Langlois devant le comité de surveillance et de sûreté générale.

Le 21 mai, elle est interrogée à Versailles par Melon Saurat, membre du Directoire du département de Seine-et-Oise qui lui demande :

D. - Quels sont vos noms, surnoms, âge, profession, demeure ?
R. - Marie Langlois, âgée de vingt-deux ans, demeurant à la municipalité de Lévy. J'étois domestique à Lévy depuis la Saint-Jean et suis native de Faverolle, paroisse de Lignerolle, en Normandie, proche Dreux.
D. - Chez qui demeuriez-vous à Lévy ?
R. - Chez M. Rondeau, fermier ; j'y étois domestique.
D. - Votre maître vous a-t-il donné des sujets de mécontentement ?
R. - Non.
D. - Vous parloit-il d'affaires publiques ?
R. - Non, jamais ; d'ailleurs il n'y connoissoit rien.
D. - Vous y connoissez-vous ?
R. - Non, je ne m'y connois pas. Je ne m'y connois que pour la religion.
D. - Votre maître vous parloit-il souvent de religion ?
R. - Non.
R. - Connoissez-vous le curé de Lévy ?
R. - Je le connois comme on peut connoître un prêtre quand on demeure dans la paroisse ; je n'ai jamais eu affaire à lui.
D. - Savez-vous s'il a prêté les serments prescrits par la loi ?
R. - Oui il les a prêtés.
D. - L'approuvez-vous de les avoir prêtés ?
R. - Non.
D. - Pourquoi le désapprouvez-vous ?
R. - Parce que celui qui a des pouvoirs pour le temporel n'en a pas pour le spirituel.
D. - Expliquez-vous ?
R. - J'explique que l'homme qui a le droit de faire des lois pour le temporel n'en a pas pour le spirituel.
D. - Vous improuvez donc la loi qui a prescrit le serment aux prêtres ?
R. - Oui.
D. - Qu'est-ce qui vous a si mal instruite ?
R. - C'est le Seigneur qui m'en a instruite ; je n'ai besoin de personne pour m'en instruire.
D. - Y a-t-il longtemps que le curé de Lévy est curé de la paroisse ?
R. - Je n'en sais rien ; je n'étais pas dans l'endroit. Avant de demeurer à Lévy elle a été à Montfort l'Amaury. On  lui demande si le prêtre était insermenté. Elle n'y a connu personne.
D. - Avez-vous confiance dans le curé de Lévy ?
R. - Non.
D. - Pourquoi ?
R. - Parce qu'il a prêté un serment.
D. - Qu'est-ce qui vous a dit qu'il ne falloit pas avoir confiance dans les prêtres assermentés ?
R. - Personne ; ça m'est venu de la part de Dieu.
D. - Est-ce que vous croyez en Dieu ?
R. - Oui, j'y crois. Est-ce que nous ne sommes pas ses enfants ? Si vous n'y croyez pas, en qui croyez-vous donc ? Je crois aussi en la Vierge et en tous les saints du paradis.
D. - Avez-vous eu quelque querelle avec le curé de Lévy ?
R. - Non.
D. - Vous croyez donc que les prêtres ont mal fait d'obéir à la loi en prêtant leur serment ?
R. - S'ils ont mal fait c'est de la part de Dieu. Il faut que tout s'accomplisse sur la terre.
D. - Est-ce que vous n'êtes pas bonne citoyenne ?
R. - Non, Monsieur. Je le suis pour la religion et pour rendre service à tout le monde.
D. - Une bonne citoyenne obéit à la loi et approuve ceux qui y obéissent.
R. - Je fais de même, excepté en ce qui concerne la religion.
D. - N'avez-vous pas tenu des propos concernant la religion et les prêtres ?
R. - Oui.
D. - N'avez-vous pas été citée à paroître à cette occasion au conseil de la Commune de Lévy ?
R. - Oui.
D. - Pourquoi avez-vous annoncé de grands évènements pour le jour de la Pentecôte ?
R. - Vous le voyez devant vos yeux, car il y a certainement une rude guerre.
D. - Aviez-vous connaissance que cette rude guerre devait avoir lieu ?
R. - Elle aura lieu et elle finira bientôt.
D. - Qu'est-ce qui vous en a instruite ?
R. - C'est de la part de Dieu.
D. - Dieu vous a-t-il parlé ?
R. - Il est maître de cela. Mon âme est faite à son image et à sa ressemblance. Il est maître de mon âme et de mon corps.
D. - Dieu s'est-il servi des créatures humaines pour faire connaître sa volonté ?
R. - Oui.
D. - De qui s'est-il servi ?
R. - Il se sert de ceux qui cherchent à connaître sa volonté.
D. - Comment nommez-vous ceux dont Dieu se sert pour vous faire connaître sa volonté ?
R. - Ils s'appellent Marie-Jeanne Langlois, qui est moi-même.
D. - Vous croyez donc avoir de saintes aspirations ?
R. - Oui.
D. - Avez-vous demeuré dans quelque couvent ?
R. - Non, j'ai toujours été en service dans les fermes.
D. - Avez-vous servi des moines et des prêtres ?
R. - Non.
D. - Qu'est-ce qui vous a donc instruite en matière de religion ?
R. - Je n'ai jamais eu d'autres maîtres que ceux qui faisaient les petites écoles jusqu'à l'âge de treize ans que je suis partie pour aller en service, et je n'ai pas eu d'autre instruction en matière de religion que celles qui me sont venues de la part de Dieu.
D. - Pourquoi avez-vous dit devant la municipalité de Lévy que vous étiez aristocrate ?
R. - J'ai dit que j'étais aristocrate pour la religion.
D. - Qu'entendez-vous par aristocrate ?
R. - J'entends par aristocrate ce qui charge la conscience.
D. - Pourquoi avez-vous dit que les curés nommés par le peuple n'étoient pas légitimes ?
R. - Parce que je pense que les prêtres qui ne sont pas nommés par l'évêque légitime n'ont aucun pouvoir sur les hommes.
D. - Vous n'avez donc pas confiance dans les évêques nommés par le peuple ?
R. - Non.
D. - Vous ne croyez donc pas que le peuple ait le droit de faire les lois ?
R. - Celui qui n'a pas le pouvoir, il n'a pas le droit ; il a le droit de se faire des lois pour le temporel.
D. - Obéirez-vous aux lois ?
R. - Tant qu'elles ne toucheront ni à la conscience ni à la religion.
D. - Approuvez-vous la loi rendue par le peuple contre le ci-devant roi ?
R. - Je ne connais rien à cela, je ne m'y entends pas.
D. - Vous croyez donc vous connaître en matière de religion ?
R. - Oui.
D. - Pourquoi avez-vous dit devant la municipalité de Lévy que les anciens curés rentreroient dans leurs cures le jour de la Pentecôte ?
R. - Je n'ai pas dit qu'ils y rentreroient le jour de la Pentecôte. J'ai seulement dit qu'ils y rentreroient quand la guerre seroit finie.
D. - Comment avez-vous pu savoir cela ?
R. - Je le sais de la part de Dieu.
D. - Pourquoi avez-vous dit que le moment de la persécution était arrivé ?
R. - Vous le voyez bien, parce que, n'ayant jamais fait de mal à personne et voulant soutenir ma foi et ma religion, on me persécute en m'amenant ici.
D. - Pourquoi avez-vous dit que vous en étiez bien aise ?
R. - Parce qu'il faut que le chrétien souffre pour être heureux.
D. - Pourquoi avez-vous dit que ce que faisait la Convention nationale n'était qu'un amusement ?
R. - Parce que tout ce qui se fait ici-bas, hors le salut, n'est qu'un amusement et des jeux d'enfants.
D. - Savez-vous ce que fait la Convention ?
R. - Non, je n'en sais rien ; je ne lis pas les lois ni les journaux, parce que je n'en vois pas.
D. - Si vous ne lisez pas les lois, pourquoi dites-vous que ce que fait la Convention n'est que jeu d'enfants ?
R. - C'est de la part de Dieu.
D. - Quelles sont vos sociétés ordinaires ?
R. - Je n'en ai point.
D. - Savez-vous lire et écrire ?
R. - Je sais lire et je [ne] sais guère écrire.
D. - Quels livres lisez-vous ordinairement ?
R. - C'est une Pensée chrétienne, un cantique que j'ai sur moi et mon chapelet ; je n'en ai pas d'autres.
D. - Adressez-vous des lettres et en recevez-vous ?
R. - Non.
D. - Personne ne vous a écrit sur les affaires publiques ?
R. - Non, personne.
D. - Quelque prêtre vous a-t-il fait espérer que vous obtiendriez la couronne du martyre ?
R. - Non.
D. - Croyez-vous que ceux qui obéissent à la loi de leur pays sont ennemis de Dieu ?
R. - Tout ce qui ne charge pas la conscience et ne regarde pas le spirituel, il n'y a pas de mal.
D. - Connoissez-vous quelques domestiques de prêtres, religieux ou religieuses, qui vous aient donné les principes dans lesquels vous paroissez être.
R. - Personne du tout, personne.
D. - Avez-vous des fonds en argent ou en assignats pour vous donner des secours ?
R. - Je n'ai en tout que 40 francs que mon maître me doit.
D. - Etes-vous dans l'intention de vous adresser à lui pour vous faire payer ?
R. - Oui.
D. - N'avez-vous pas des parents à qui vous voudriez vous adresser ?
R. - Non, car ils sont à treize lieues d'ici.
D. - Vous n'êtes donc pas dans l'intention de leur demander des secours ?
R. - Non, on me donne ici de quoi me substanter.
D. - Êtes-vous seule dans la chambre où vous êtes ?
R. - Non, nous sommes six femmes.
D. - Leur parlez-vous de religion ?
R. - Je ne leur ai rien dit. Que voulez-vous que je leur dise ? Chacun y est pour soi.
D. - Pourquoi ne leur en parlez-vous pas ?
R. - Je leur dis seulement qu'il faut croire en Dieu. Que voulez-vous que je leur dise ?
D. - Que vous répondent-elles ?
R. - Je ne suis pas pour juger les autres. Je n'y ai point fait attention.
D. - Croyez-vous qu'elles pensent comme vous en matière de religion ?
R. - Je ne connois pas leur coeur. Je ne suis pas leur juge.
D. - Pourquoi avez-vous tenu des propos en public en faveur des prêtres réfractaires ?
R. - Oui, j'en ai tenu publiquement. C'est de la part de Dieu. Il faut que tout s'annonce.
D. - Ne l'avez-vous pas fait dans l'intention d'exciter des troubles ?
R. - Non.
D. - Avez-vous entendu si on vous approuvait ou non ?
R. - Je n'en ai pas vu qui m'approuvoient ; il y en avoit qui rioient et qui se moquoient de moi.
D. - Vos réponses contiennent-elles vérité ?
R. - Oui.
D. - Voulez-vous y changer, augmenter ou diminuer quelque chose ?
R. - Non.
Signé : Marie Langlois, SAUVAT (admin.), JENLAIRE (greffier).

Marie Langlois resta de longs mois en prison à Versailles ; le 26 germinal an II (15 avril 1794) l'administration du département prend un arrêté basé sur l'article 6, section 2 de la loi du 14 frimaire et envoie le dossier au district de Dourdan.

tribunal révolutionnaire

Le district de Dourdan, dans une séance de la fin d'avril décide que toutes les pièces qui lui ont été expédiées par le département seront adressées au tribunal révolutionnaire.
Le 17 floréal (6 mai), les administrateurs du district font passer les pièces à Paris.
Le 1er prairial (20 mai), Marie Langlois qui a quitté la prison de Versailles pour la Conciergerie est interrogée par un juge du tribunal révolutionnaire.
D. - N'avez-vous pas tenu des propos inciviques ? lui dit ce magistrat.
R. - Que non.
D. - Vous êtes cependant prévenue de vous être flattée d'être une aristocrate.
R. - Qu'elle étoit aristocrate pour suivre la religion ; qu'elle prétendait que les prêtres nommés par le peuple n'étaient pas légitimement nommés et qu'elle ne reconnaissoit pour de bons et véritables prêtres que ceux qui étaient avant la Révolution.
D. - Si elle a dit que ce que faisoit la Convention nationale n'était qu'un amusement et qu'elle ne connaissoit pas la loi des hommes ?
R. - Qu'elle l'a dit.
D. - Si elle a fait choix d'un défenseur ?
R. - Que non.
Le juge lui désigne comme défenseur Chauveau.
Marie Langlois comparut au tribunal le 21 prairial (1er juin) avec Chabault de Rambouillet.

Fouquier-Tinville résuma ainsi le rôle joué par la domestique de Lévy-Saint-Nom :
Marie-Jeanne Langlois, fille, domestique à Saint-Nom de Lévy, est une de ces femmes que l'erreur du fanatisme a portée à débiter dans plusieurs circonstances les maximes de la contre-révolution. Cette fille ayant été arrêtée pour avoir annoncé hautement que le jour de la Pentecôte il y aurait de grands évènements et qu'elle s'en réjouirait ; lors de l'interrogatoire qu'on lui fit subir dans la commune de Lévy, au lieu de reconnoître son erreur par ses différentes  réponses aux interrogatoires qui lui furent faits, elle manifesta les sentiments les plus contre-révolutionnaires, notamment en disant qu'elle étoit aristocrate, que les curés nommés par le peuple n'étoient point légitimes, que les anciens rentreraient dans leurs postes ledit jour de la Pentecôte, que ceux qui étaient nommés de par le peuple n'avoient aucun pouvoir pour diriger les âmes. Elle a encore été jusqu'à dire que ce que faisait la Convention nationale n'était qu'un amusement et qu'elle ne connoissoit pas la loi des hommes.

Le 16 prairial, Thierry, huissier à Rambouillet, avait cité comme témoins Larondeau et Louis Touchet, ex-curé de Lévy qui, a son tour était détenu à la prison des Récollets à Versailles.

Marie Langlois fut condamnée à mort.

Extrait
Six victimes de la Terreur
Lorin - 1896

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