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La Maraîchine Normande
15 juin 2013

ENLEVEMENT DE MONSEIGNEUR DE PANCEMONT, EVEQUE DE VANNES, RACONTÉ PAR LUI-MEME, 23 AOUT 1806

attaque de diligence - Turpin

ENLEVEMENT DE MONSEIGNEUR DE PANCEMONT, EVEQUE DE VANNES
RACONTE PAR LUI-MEME (Ach. de l'Evêché)

A Son Exc. le Ministre des Cultes. - 27 août 1806.

Je dois à votre bienveillance constante pour ma personne le compte officiel d'un évènement dont je pensai être la victime, samedi dernier, 23 de ce mois. Depuis quatre années de paix et de tranquillité, il surprendra beaucoup sans doute Votre Excellence, qui y prendra un vif intérêt ; mais il lui fera admirer aussi la Providence qui veille toujours sur ceux qui mettent leur confiance dans sa protection toute puissante.

Le samedi, 23 août 1806, je partis de chez moi en voiture, accompagné de M. Allain, un de mes vicaires généraux, de mon secrétaire (M. l'abbé Jarry), et de mon domestique (qui devint plus tard M. l'abbé Thétiot, chanoine de la Cathédrale de Vannes), pour aller donner la confirmation aux fidèles de Monterblanc, éloigné de Vannes d'environ quatre lieues. J'arrivais à trois-quarts de lieue à peu près de cette destination, vers neuf heures du matin, quand tout-à-coup ma voiture est arrêtée, sur la lande nue et découverte, et cernée par cinq individus armés de fusils simples, fusils à deux coups, une espingole, pistolets d'arçon et poignards sous la chemise. Leur chef se présente à la portière et me remet un billet non signé, portant en substance que, si les deux individus arrêtés dernièrement en Sulniac ne sont pas rendus sous huit heures au village de l'Ange en Saint-Jean, on fusillera les personnes arrêtées, et qu'elles subiront le même sort si la gendarmerie se présente pour marcher à leur défense. J'avais à peine lu ce laconique billet que, s'adressant à moi : Vous avez lu, Monsieur, me dit le chef, et bien, descendez. Je voulus en vain parler au milieu des jurements et des blasphèmes ; je fus tiré violemment de ma voiture, et, le pistolet sur la poitrine, on me dépouilla de mon chapeau, de ma soutane : ils sont remplacés par des vêtements de paysan, la capote de mon cocher, le gilet et le chapeau du maire de Monterblanc, venu pour m'indiquer la route à travers la lande. Mon secrétaire reçoit aussi l'ordre de quitter sa soutane et de se revêtir de l'habit de mon domestique. A peine ce travestissement est-il terminé, mon grand-vicaire est remis en voiture, et on lui dit : Si vous aimez votre évêque, allez trouver M. le préfet avec le billet que vous avez, crevez, s'il le faut, ces deux rosses, et souvenez-vous que sous huit heures ceux-ci perdront la vie. J'étais alors avec mon secrétaire, puis on me place avec rudesse sur le cheval de mon domestique, et on nous pourchasse rapidement à travers la lande jusqu'à une demi-lieue environ du lieu de mon arrestation ; là, mes ravisseurs conçurent quelque inquiétude à la vue de mes bas violets ; ils en firent prendre et payer une paire de coton assez malpropre dans une maison voisine, et se mirent en devoir de me les passer aux jambes ; mais on renonça à cette précaution, mon soulier devenant trop étroit, et on continua la marche jusqu'à un chemin creux et couvert, où on nous fit faire une halte pour nous offrir quelque nourriture ; nous étions à jeun l'un et l'autre. Comme on vit que nous n'étions pas habitués à l'eau-de-vie, le chef expédia un des siens pour chercher du vin dans quelque maison voisine ; comme il ne revenait pas de suite, un autre fut envoyé qui ne revint pas de suite non plus. Alors le chef, impatient de ces délais et jaloux de mettre sa proie en sûreté, donne l'ordre de repartir. On me fit faire divers circuits dans une vaste lande, et lorsque je fus arrivé à une portée de fusil d'un bois, on me sépara de mon secrétaire, et bientôt nous fûmes réunis à l'aide du sifflet. On me fit de suite un siège composé de branches d'arbre et couvert de genêt et de fougère, et on me recommanda de parler très bas ... Dans cette situation, on ne pensa plus qu'à se féliciter du succès de ce coup de main et à se livrer à la joie. On essuie les armes, on se sèche au soleil de la pluie de la nuit précédente, et on s'occupe du dîner ; du beurre, des oeufs durs, de l'eau-de-vie en faisaient tous frais. J'avais à peine commencé ce repas que tout-à-coup des cris, des coups de fusil se font entendre et redoublent à mesure qu'on approche. A l'instant, ces ravisseurs sont répandus aux diverses extrémités du taillis et reviennent en disant : Ce sont les bleus. Tous sautent sur leurs armes qu'ils amorcent, bien résolus d'en faire usage s'ils sont atteints. Pendant ce préparatif extrêmement court, je leur adresse les paroles les plus douces, et je leur offre de les couvrir de ma personne, je ne suis pas entendu ; on me saisit avec violence pour me mettre sur mon cheval, et, à pas précipités, je suis emporté à travers les branches, les ronces et les épines ; on me fait franchir un large fossé, et, sans égard à l'accablement où cette alerte m'avait jeté, on continue de pousser mon cheval au grand trot jusqu'au champ planté de genêts fort élevés, où j'arrivai au bout de trois-quarts d'heure environ, épuisé de fatigue. J'y restai jusque vers cinq heures du soir, attendant ou l'arrivée des deux prisonniers réclamés ou la mort ... Ils arrivèrent enfin, et, après un conseil secret tenu à peu de distance de moi, on m'annonce que je vais partir pour Vannes. Je le crus, et déjà nous nous en félicitons, moi et mon secrétaire, qui s'attendait à être du retour. Mais quel fut mon étonnement, quand j'appris que tout n'était pas fini et que j'allais être renvoyé seul. "Vous allez être reconduit, Monsieur, jusqu'à la grande route, me dit le chef, par un des miens que je vais désigner ; mais, avant de partir, vous allez me donner votre parole qu'étant rendu à Vannes, vous me ferez tenir sûrement, demain avant l'heure de midi, à tel lieu qu'il vous plaira de désigner ; 1° le billet remis ce matin à votre grand-vicaire ; 2° votre anneau jaune servant à vos fonctions épiscopales ; 3° votre croix de la Légion-d'honneur ; 4° la somme de 24,000 livres en or, bien comptés. Quel est le lieu, quel est celui de vos prêtres que vous choisissez pour votre dépositaire." Après quelques moments de réflexion, je lui indiquai M. le desservant de Saint-Avé. "Cela suffit, reprit ce chef audacieux ; prenez ce petit morceau de bois ; j'en garde un semblable par-devers moi. Votre commissionnaire à Saint-Avé remettra celui que je vous présente à M. le desservant, en même temps que les objets que j'exige, et celui que je garde lui sera remis aussi par celui que j'enverrai. Il lui servira de quittance et de décharge à votre égard, gardez-vous de le perdre. Je retiens votre secrétaire pour otage, et souvenez-vous bien que si, demain à midi, ma demande n'est pas remplie, il sera fusillé."

Il fallut bien consentir à ces dures conditions. Mon secrétaire les accepta avec transport, me voyant hors de danger, m'embrassa dans le plus délicieux sentiment, puisqu'il faisait son devoir, et nous nous séparâmes. Je fus alors livré entre les mains d'un de ceux remis le matin en liberté. Il me reconduisit jusqu'à la grande route. Je lui parlai pendant trois-quarts d'heure en évêque et en père, il m'écouta avec un respectueux silence ; il me soutint tout ce temps sur mon cheval avec une extrême complaisance et voulut m'embrasser en me quittant, ainsi que je l'avais fait envers ses autres compagnons. Je ne fus au plus que dix minutes seul sur la grande route. La Providence m'offrit un des ecclésiastiques de Grand-Champ, M. Kbarh, qui m'accompagna chez M. le desservant de Meucon. Je m'y reposai un instant le corps et l'esprit, et tous deux voulurent me suivre jusqu'à Vannes.

A peine avais-je fait sur la route une centaine de pas que je trouvai à ma rencontre hommes, femmes, enfants de tout âge, de toute condition, de tout sexe. Les cris de joie, les transports d'allégresse, des larmes d'attendrissement sur toutes les figures ; enfin, tout ce que l'âme sensible de Votre Excellence sentira beaucoup mieux que je ne puis l'exprimer, tel fut le spectacle que j'eus sous les yeux pendant une grande lieue de chemin. Ceux que les infirmités et l'âge empêchèrent de venir à ma rencontre étaient prosternés aux pieds des autels dans toutes les églises qui n'avaient point été abandonnées depuis la nouvelle de mon enlèvement.

J'arrivai enfin à Vannes au milieu de cette foule immense ; mais l'émotion que me causa cet accueil fut si violente, et elle succédait si rapidement aux maux que je venais d'éprouver, que je ne pus la soutenir ; je tombai évanoui à la barrière. Cette faiblesse dura trois-quarts d'heure, au bout desquels je vis que j'avais été accueilli par M. Keyser, respectable bourgeois de cette ville. Mon intention était d'aller droit à la cathédrale pour remercier Dieu, et de là M. le Préfet, qui venait de me rendre et la liberté et la vie. Cette faiblesse y mit obstacle ; je fus cependant chez M. le Préfet, où je fus à peine entré que j'en éprouvai une seconde pendant laquelle les docteurs me firent transporter chez moi, au milieu des flambeaux multipliés placés sur toutes les fenêtres spontanément. Les eaux employées pour me rendre la connaissance, et surtout le vinaigre qu'on me mit dans les yeux, m'ont laissé sur cette partie un brouillard tel que jusqu'à ce jour on a été obligé de me conduire la main pour donner ma signature.

Votre Excellence croira sans peine qu'après une satisfaction si vivement marquée à mon retour, toutes les bourses me furent ouvertes. En effet, en moins d'une heure, le supérieur de mon séminaire, que j'avais chargé de la réception de ces fonds, se trouva avoir 12,000 liv. de plus qu'il ne fallait. Je fis de suite mes billets à chacun en particulier, et je me hâtai de l'envoyer au lieu convenu et à l'heure prescrite ; elle ne tarda pas à être remise aux mains de mes ravisseurs qui, après l'avoir bien comptée, délivrèrent mon secrétaire, qui rentra à Vannes vers huit heures du soir, le dimanche.

La joie que me causa celle de la ville de Vannes, le triomphe de ma rentrée dans ses murs est trop gravé dans mon coeur pour s'en effacer jamais. Faudra-t-il que la punition des coupables vienne l'empoisonner. Ah ! Excellence, un évêque est un père ; il est toujours à sa place quand il demande grâce ; aidez-moi donc à l'obtenir de Sa Majesté, et mon bonheur sera complet.

J'ai l'honneur, etc.

Signé : ANT.-XAV., év. de Vannes

Bulletin de la Société polymathique du Morbihan
1866

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