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La Maraîchine Normande
2 juin 2013

DYNASTIE SACERDOTALE DANS LA PAROISSE DE LA VERRIE ♣ LE CURÉ RETAILLEAU ET SON NEVEU RENÉ

LES REGISTRES PAROISSIAUX ET LES CURÉS DU BOCAGE AVANT LA RÉVOLUTION

DYNASTIE SACERDOTALE DANS LA PAROISSE DE LA VERRIE

LA VERRIE


LE CURÉ JACQUES RETAILLEAU ET SON NEVEU RENÉ

Avec leurs beaux feuillets paraphés et leurs sèches formules imprimées à l'avance, nos modernes registres des actes de l'état-civil sont peut-être plus réguliers que ceux d'autrefois : ils sont à coup sûr moins personnels, partant moins intéressants, et je doute fort qu'ils offrent jamais, aux générations à venir des chercheurs et des érudits, la mine inépuisable de renseignements divers et de faits curieux que nous trouvons aujourd'hui dans les vieux registres paroissiaux d'avant la Révolution.

Comme elles sentent bon, ces vieilles feuilles de sacristie, qui ont conservé comme une légère odeur de cierge et un vague parfum d'encens ! Les braves curés d'alors les remplissaient un peu au petit bonheur, j'en conviens, et il n'est pas toujours facile d'arriver à déchiffrer leurs grimoires, mais comme ces grimoires sont instructifs, - disons le mot : comme ils sont suggestifs pour qui a la patience de les dépouiller minutieusement !

On y trouve un peu de tout - et même autre chose ! - dans ces registres poudreux et vénérables. Non seulement ils nous permettent de reconstituer la généalogie des anciennes familles du pays, aussi sûrement - et beaucoup plus clairement - que les actes baroques et pas toujours très compréhensibles des légistes, mais ils sont remplis d'une foule de détails des plus curieux sur les usages, les moeurs, le langage et les superstitions de l'époque à laquelle ils ont été rédigés. Ce sont aussi, en quelque sorte, de véritables autobiographies, et rien n'est plus facile que de reconstituer la physionomie de ces rédacteurs parfois vraiment originaux, toujours sincères, qui semblent n'avoir voulu laisser passer aucune occasion d'affirmer leur personnalité, et cela avec une naïveté, une bonhomie dont la franchise ferait rendre les armes à l'esprit fort le plus prévenu.

C'est ainsi que j'ai pu arriver, en feuilletant les registres paroissiaux de la Verrie des XVIIe et XVIIIe siècles, à dégager la personnalité d'un bon curé de ce temps-là, Messire Jacques Retailleau, dont la figure, point banale du tout je vous l'assure, m'a paru digne de poser un instant devant l'objectif du chroniqueur passionné et quelque peu indiscret que j'ai le malheur d'être. M. l'abbé Boutin ne m'en voudra certainement pas, j'en suis convaincu, si je parais aller sur ses brisées en publiant cette chronique : le savant directeur des Archives du Diocèse de Luçon est bien trop riche pour être jaloux, et je serais tenté de dire que c'est là son moindre défaut, s'il n'avait le privilège - à la différence des "savantasses" qui le jalousent lui-même - de n'en avoir précisément aucun. C'est un simple épi, - pas même un épi : un simple grain que je me permets de distraire de la magnifique gerbe qu'il grossit tous les jours, et quand on a déjà fait une aussi belle moisson, quand on a encore en perspective tant d'épis dorés pour enrichir ses greniers, on pardonne généreusement à l'humble passant indiscret - quelque peu maraudeur mais si pauvre ! - qui se permet d'étendre seulement la main, sans même mettre le pied dans le champ, et plutôt dans le simple but de se rendre compte de la récolte qui se prépare et d'en donner un avant-goût aux curieux qui attendent.

Jacques Retailleau était né à la Verrie même, au village de l'Armoire, en 1651. Un fait dont il est facile de se convaincre du premier coup, lorsqu'on parcourt les registres paroissiaux de l'époque, c'est que la plupart des prêtres du Bocage étaient originaires du pays, souvent même de la paroisse où ils étaient appelés à exercer le ministère. C'était là une sorte de règle, de tous temps pratiquée dans cette partie de notre future Vendée : elle pouvait avoir ses inconvénients, mais elle avait bien aussi ses avantages, et elle cadrait admirablement avec le caractère des Bocains, naturellement défiants à l'égard des étrangers. Aujourd'hui encore, lorsque pareil fait se rencontre, il faut entendre avec quel sentiment de satisfaction et d'orgueil mal déguisé les braves gens du pays répondent, à qui les interroge sur leur curé ou leur vicaire : "Celui-là, il est de chez nous !"

Une autre observation non moins intéressante, à l'appui de laquelle vient encore l'exemple du curé Jacques Retailleau, c'est que le ministère paroissial, à cette époque, était en quelque sorte héréditaire dans un grand nombre de paroisses rurales, où l'on voit à chaque instant l'oncle passer sa succession soit à un neveu propre, soit à un parent plus ou moins éloigné. Lorsque Jacques Retailleau, né, lui aussi, au village de l'Armoire. René Retailleau étant venu à mourir en 1683, à l'âge de quatre-vingts ans, Jacques lui succède immédiatement comme curé. Quelques années plus tard, un troisième Retailleau, neveu de Jacques, et qui s'appelait René comme son grand-oncle, est nommé vicaire de la paroisse. Jacques, à son tour, lui passe sa succession en 1715, et nous voyons que, plus tard, ce troisième Retailleau, neveu de Jacques, obtient lui-même, comme vicaire, un neveu du nom de Loizeau, lequel, comme son oncle, comme son grand-oncle et son arrière-grand-oncle, était né au village de l'Armoire. C'est ainsi que la paroisse de la Verrie, pendant plus d'un siècle et sans aucune solution de continuité, fut administrée - sans compter le neveu Loizeau - par trois générations de Retailleau, tous originaires du pays et nés dans le même village. Avant la dynastie des Retailleau, il y avait eu la dynastie des Vigneron ; il devait y avoir, plus tard, celle des Graveleau. Il en était ainsi, je le répète, dans un grand nombre de paroisses du Bocage, mais il semble que ce devait être le privilège de celle de la Verrie de continuer même après la Révolution, cette pieuse et touchante tradition dont personne ne se plaignait, et dont tout le monde, au contraire, paraissait se trouver bien ; au commencement de ce siècle, on a pu voir le curé Guilloton administrer la paroisse conjointement avec son oncle, l'abbé Barbeau, et passer ensuite sa succession, après cinquante années de ministère, à son neveu, l'abbé Harry, dont le nom est resté si justement populaire dans le diocèse tout entier. La piété des fidèles a tenu à réunir dans un même tombeau, élevé par souscription, les restes de ces trois prêtres vénérables, dont le dernier surtout, prématurément et presque subitement enlevé, en 1886, était adoré de ses paroissiens.

Mais revenons à Jacques Retailleau. j'ai dit qu'après avoir succédé à son oncle, en 1683, il exerça à son tour les fonctions de curé jusqu'en 1715 ; j'ai dit également qu'à cette époque il démissionna en faveur de son neveu. Il était alors âgé de soixante-quatre ans, et il y en avait quarante qu'il exerçait le ministère dans la paroisse. Il devait continuer à l'y exercer encore après sa démission, et même très activement, car jusqu'en 1735, date de sa mort, on le voit signer presque chaque jour, avec le titre d'"ancien curé", les actes des baptêmes, des sépultures et des mariages auxquels il présidait concurremment avec son neveu. C'est à la date du 19 février 1735 que sa signature paraît pour la dernière fois, et il mourut dans les premiers jours du mois de juin suivant, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, après un ministère de soixante ans dans sa paroisse natale.

C'était assurément une vie bien employée, pour un de ces "prêtres fainéants" d'une époque où l'on n'avait encore aucune idée des futures "conquêtes de la Révolution", et je doute qu'aujourd'hui, cent ans après ces "conquêtes" (?), on rencontrât un seul de nos gros fonctionnaires - aussi francs-maçons qu'inutiles - qui voulût consentir, même au prix des traitements scandaleux dont on les gave à nos dépens, à travailler pendant le même laps de temps, et avec le même dévouement, au bonheur des pauvres contribuables.

Jacques Retailleau, lui, humble et modeste, sans autre ambition que celle de faire le bien, sans autre rémunération que ce qu'il recevait de la charité des fidèles, avait ainsi mené vaillamment, pendant plus de soixante années, la vie obscure et laborieuse qu'était celle des bons curés du Bocage, et cela avec un entrain dont on retrouve à chaque instant la trace dans les registres rédigés par lui.

A en juger par les curieuses annotations qu'on rencontre sur ces registres, Jacques Retailleau et son neveu René semblent n'avoir point été dépourvus de cette petite pointe d'originalité qui a toujours été le propre du caractère vendéen. A preuve les deux citations suivantes, extraites du registre de l'année 1726.

Le 20 juin 1726. Je soussigné ay baptisé François fils légitime de Louis Poupelin de la Rochemolive et de Françoise Guitton. Le parain a esté Françoise Poupelin et la marraine Marie Vigneron, qui ont dit ne savoir signer.
R. RETAILLEAU, curé de la Verie.
En marge de cet acte de baptême, et sous le nom de Poupelin, figure une grosse croix, et, au-dessous, on lit une annotation ainsi conçue :
On espère que ce sera un grand homme de bien parce qu'il est né le jour du Sacre, et qu'on a observé une grande patience en son baptême ET DES MARQUES D'ESPRIT.
L'annotation était du neveu, René Retailleau, déjà curé depuis onze ans, mais l'oncle Jacques ne l'avait probablement pas trouvée suffisante, car c'est de sa main que se trouvent ajoutés les quatre derniers mots, en gros caractères.

Trois mois après, l'ancien curé fait à son tour un baptême, et voici ce qu'on peut lire sur le registre :
Le cinq de septembre 1726 j'ay baptisé Marie Vion fille légitime de René Vion et de Philippe Tremblet du bourg, le parain a esté Jacques Tremblet, la maraine dame Marie Morin qui ont signés.
J. RETAILLEAU, ancien curé de la Verie.
Laditte Marie Vion doit estre une grande dévote, car son père, sa mère, le parrain, la marraine et la sage-femme sont horriblement dévots.

Si François Poupelin, "né le jour du Sacre", devint réellement par la suite "un grand homme de bien", et si Marie Vion fut elle-même "une grande dévote", c'est ce que les registres paroissiaux ne nous apprennent malheureusement pas. Cela est regrettable, car j'aurais été curieux de savoir jusqu'à quel point la double prédiction s'était accomplie, et si l'oncle et le neveu avaient été bons prophètes.

Plaisante qui voudra ces annotations - peut-être un peu naïves - du bon curé Jacques Retailleau et de son neveu René ... Pour moi, je ne m'en sens pas le courage, et je suis tout entier, à un siècle et demi de distance, au sentiment d'admiration que j'éprouve pour de tels pasteurs, qui se dévouaient pendant soixante ans à la conduite de leur troupeau, vaillants et fidèles jusqu'au bout, sans ambitionner d'avancement et sans rechercher d'autre récompense que la satisfaction du devoir accompli.

LE CHERCHEUR
LA VENDÉE HISTORIQUE
1897

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Commentaires
E
Je ne crois pas Marie Vion aura le temps d'être très dévote puisqu'elle mourra trois ans plus tard
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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