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La Maraîchine Normande
25 mai 2013

UNE PAGE D'HISTOIRE DE BEAUVOIR-SUR-MER ET DE SES ENVIRONS ♣ L'ABBÉ GERGAUD

UN PRETRE VENDÉEN SOUS LA TERREUR

BEAUVOIR 1

ANDRÉ GERGAUD
Curé de Beauvoir-sur-Mer
de 1777 à 1813

Au cimetière de Beauvoir-sur-Mer, sur le socle de la grande croix de granit qui domine tombes et cyprès une plaque de marbre blanc porte cette inscription :
ICI ONT ÉTÉ RECUEILLIS LES RESTES DE
MONSIEUR L'ABBÉ ANDRÉ GERGAUD
CURÉ DE BEAUVOIR DE 1777 A 1813.

L'abbé Gergaud méritait cet honneur, car il fut et demeure l'une des figures les plus attachantes, non seulement du clergé de Beauvoir à travers les siècles, mais aussi du clergé vendéen pendant la Révolution. S'il ne fut pas de ceux qui suivirent l'armée des Brigands, exhortant les paysans à la guerre sainte, célébrant la messe la nuit dans quelque forêt ou dans quelque masure abandonnée, il n'en eut pas moins dans la région maraîchine une action des plus importantes et un apostolat très fécond. "Banni de son presbytère, a écrit de lui un historien local (M. de Sourdeval), il a erré dans les champs vendéens, portant partout son ministère, sans être promoteur de guerre civile. La vénération qu'il inspirait aux populations environnantes était unanime ..." Et son action sur le clergé régional n'était pas moins marquée, les municipaux n'en seront pas dupes, qui écriront en 1791, que la cure de Beauvoir est un repaire d'aristocrates, d'autant plus à craindre que le curé a une influence particulière sur l'esprit des prêtres..." Enfin, si le vénérable M. Gergaud ne fut pas massacré par les bandes patriotes comme certains de ses confrères, le curé Noeau, de Soullans, par exemple, ou conduit à l'échafaud, comme le curé Tortereau, de Challans, ou fusillé, comme l'ancien vicaire de Beauvoir, Mathieu de Gruchy, il ne le dût qu'à un concours de circonstances quasi miraculeux. Car rien ne lui manqua, ni les privations, ni les angoisses de cachettes plus ou moins sûres, ni les dénonciations, ni l'hostilité des membres des administrations diverses qui craignaient son influence. Il réussit à se cacher aussi bien dans le Marais, pendant les combats, que dans la ville même de Nantes durant le règne de Carrier. A plusieurs reprises et pendant longtemps, il put exercer fructueusement son ministère à Beauvoir et aux environs. D'autre part, c'est en vain que l'on chercherait dans son attitude, en ces temps troublés, la moindre déviation à la ligne de conduite que lui traçait sa conscience sacerdotale, et nul doute que son exemple ait exercé le plus salutaire effet dans la région.

Nous ne savons que peu de chose de Messire André Gergaud avant son arrivée à Beauvoir. Il était né le 24 avril 1740, à Nantes, où son père exerçait la profession de boulanger, et avait été baptisé le même jour, en l'église Saint-Similien, sa paroisse, par Messire Duchesne, prêtre vicaire.

Ordonné prêtre le 20 mai 1765, il fut d'abord vicaire lui-même à Saint-Similien, puis, après quelques années de vicariat (1767-1776), arrivait à Beauvoir comme curé, dans les tout premiers jours de l'année 1777. Sa première signature sur les registres paroissiaux est du 3 janvier. Son prédécesseur, Maître Claude Simonnet, après avoir été vicaire de Beauvoir de 1758 à 1761, puis curé, était décédé le 12 novembre 1776 et avait été inhumé au grand cimetière le surlendemain 14 novembre, en présence de nombreux prêtres des environs.

Les premières années du rectorat de l'abbé Gergaud ne furent marquées par aucun évènement important dont le souvenir ait été conservé. Disons seulement qu'il dût être très malade en 1779. Cette année-là fut très mauvaise au point de vue sanitaire, non seulement à Beauvoir, mais aussi dans les paroisses voisines : la mortalité fut très élevée et l'on compta à Beauvoir 209 décès, chiffre qui ne fut jamais atteint, ni auparavant, autant du moins que les documents existants permettent de l'affirmer, ni après. La signature du curé est absente des registres paroissiaux du 29 juillet au 6 octobre et du 9 octobre au 16 novembre, et l'on trouve dans l'exemplaire de 1779 conservé aux archives départementales, un certificat relatif à un mariage écrit et signé de M. Denogent, curé de Notre-Dame de Monts, qui se termine ainsi : "Je luy souhaite une meilleure santé et suis son respectueux serviteur ..."

Nous ne savons la cause exacte, quelque épidémie sans doute, de cette morbidité, qui fit ses ravages surtout de juillet à octobre.

On peut se rendre compte aisément de ce qu'était en cette fin d'ancien Régime, la vie d'un curé de campagne bas-poitevin. Beauvoir comptait alors une bourgeoisie nombreuse et riche avec laquelle l'abbé Gergaud semble avoir entretenu les meilleurs rapports. Il menait lui-même la vie simple d'un petit propriétaire campagnard, et une lettre de 1786 nous apprend que le personnel de la cure de Beauvoir comportait en plus de la cuisinière qui devait être une sorte de gouvernante, une journalière chargée des soins de la vache, de la boulangerie et de la lessive, et un garçon pour les occupations du dehors, du jardin et de l'écurie :

Lettre adressée vraisemblablement à une demoiselle de la famille Viaud-Grand-Marais. Publiée par "L'Echo de Saint-Filibert", en juillet 1905, n° 103, p. 1264.
"Mademoiselle,
Je suis sensible à la peine que vous vous donnez pour moy ; je réponds à l'honneur de votre dernière lettre pour vous en remercier. Je suis bien aise d'avoir vu la Bodin que vous me proposez pour cuisinière, à la voir et à l'entendre, elle me convient assez : c'est dommage qu'elle ne sçache pas coudre ni travailler dans le linge : avec cela je serais dispensé de prendre aucune journalière dont je me suis toujours passé. Cependant nous pouvons, si elle veut, convenir ensemble à ces conditions :
1° Que ma cuisinne étant fort simple et peu sujette à la compagnie, et lui restera beaucoup de temps qu'elle employera pour moy soit à brocher, soit à filer ou à faire d'autres ouvrages nécessaires à la maison mesme de laver ; ces travaux ne seront jamais trop considérables, puisque j'ai une autre fille pour luy aider ; en tous cas c'est elle qui a soin de la vache, qui boulange pour la cuisinne, qui lave le plus souvent, etc ...
2° Que la cuisinnière sera chargée de faire des provisions, de tenir tout en ordre et de veiller à ce que tout soit propre, etc. J'ai un garçon pour les occupations du dehors et de son jardin, et de son écurie.
3° Que je donnerai pour gage 54 l. ; je ne promets rien autre chose ; mais je ne suis pas difficile à faire dans l'occasion quelques présents ; les parents de ma deffunte Marion en ont emporté un assez joli pacquet.
Je vous donne pleine commission d'arrester le marché pour le terme de la Saint-Michel, si tout ce que je viens de marquer lui convient, et de m'en instruire à la première occasion.
Je vous engage, en attendant, à bien vous porter et à réparer toutes les brèches faites à votre santé. Il pourroit bien se faire que je fasse cette année un voyage à Noirmoutier ; je ne manquerai point d'avoir l'honneur de vous saluer et de vous assurer des sentiments de respect avec lesquels je suis,
Mademoiselle,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Gergaud, curé de Beauvoir.
Je ne parle point du tout du temps dont ma domestique a besoin pour elle-même ; je serai là-dessus raisonnable.
13e aoust 1786.

Les revenus de la cure étaient ordinaires, mais suffisants et un document de 1782 indique que de la cure de Beauvoir dépendaient, dans la paroisse seulement, douze journaux un tiers de prés et terres et quatre aires de marais salants.
En plus de ces biens appartenant en propre à la cure, le curé de Beauvoir avait la gestion des biens de la Fabrique qui étaient relativement considérables et qu'on peut évaluer assez approximativement à une soixantaine de journaux de terre, une centaine d'oeillets de marais salants et plusieurs titres de rente.

Les registres paroissiaux, très régulièrement tenus, ne nous apprennent que peu de chose sur la vie paroissiale. Ils contiennent d'innombrables actes de baptêmes, de mariages, de sépultures ... écrits souvent de la main du curé, parfois et pendant certaines périodes, de celle de ses vicaires : F. Le Roux, dominicain, qui devait devenir le dernier prieur des Jacogins de Beauvoir ; Michuy (8 octobre 1780 - 17 sept. 1781) ; J. M. Emery de la Martinais (11 fév. 1782 - 21 nov. 1783) ; Jean-Louis Gourdon du Mélier, et enfin Mathieu de Gruchy dont nous dirons plus loin la vie aventureuse et le martyre.

BEAUVOIR CALVAIREDeux faits importants sont à signaler cependant : d'abord, en 1785, la prédication d'une mission par les Pères de Saint-Laurent et la plantation, à cette occasion, "dans les champs au nord de la ville", d'une croix de mission qui n'est autre que le grand calvaire actuel de Beauvoir. Cette mission fut un véritable succès, mais voici dans sa brièveté, plus éloquente qu'un long compte rendu, la note du curé Gergaud relative à cet évènement :
"Le vingt et deux may mil sept cent quatre vingt cinq, les Messieurs Missionnaires de St Laurent firent la closture de leur mission dans cette paroisse. La procession généralle se fit le mesme jour qui étoit la feste de la trinité, près de sept mille personnes y assistèrent en étendarts. La Croix de la Mission avait été plantée le dix huit du mesme mois par les Messieurs au nombre de sept scavoir Messieurs Javelot, Cornet, Orion, Joubert conférencier, de la Gogué, Pouponeau et Poitevin dans les champs au nord de la ville". Signé : Gergaud, curé.

Puis, en 1788, eut lieu la Bénédiction de la grosse cloche de l'Eglise, laquelle "le vingt-septième jour d'aoust", fut bénie par le "curé de Salertaine", Doyen de la Conférence, et nommée Marie-Barbe par Messire André Gergaud, curé de ce lieu, parain et par Dame Marie-Françoise-Sévère Couthouis, épouse de N. Maître Urbain-Aimé Bret, avocat en Parlement, maraine, lesquels ont soussignés avec N. H. Vigneron de la Jousselandière, marguillier en charge et autres".

Mais déjà les prodromes de la Révolution se manifestaient ...

A l'entrée de cette période, se place un évènement peut-être sans précédant dans notre contrée : le rigoureux hiver de 1788-1789. L'abbé Gergaud en a consigné le souvenir dans une relation remarquable ; bien qu'elle soit déjà très connue, nous ne résistons pas au plaisir de la publier ici :

"Dans cette année 1789 est fini, au 14 janvier, l'hiver le plus rigoureux qu'on ait peut-être jamais vu dans ce pays. Le baromètre y descendit 2 degrés et demi plus bas qu'en 1709. Il commença vers la mi-novembre 1788 ; et finit au 14 janvier suivant. Un vent de nord violent, sous un ciel toujours couvert, rendit le froid insupportable et continua de se faire sentir sans cesse pendant deux mois. Par deux reprises il tomba un verglas fort épais qui couvrit la terre près de quatre semaines, et empêcha toute circulation de denrées, tout commerce, et suspendit tout genre de travail. Il tomba des neiges en quantité, et, ce qui ne s'était jamais vu sur ces bords maritimes, la neige s'éleva jusqu'à dix pouces. Plusieurs personnes moururent de froid. La plupart des oiseaux périrent aussi, à l'exception des pinsons, et, dans cette dernière année, nous n'avons vu ni merles, ni grives. Tous les poissons des fossés périrent, jusqu'aux anguilles, toutes les huîtres furent gelées, et un superbe banc nouvellement découvert fut entièrement détruit par la gelée. Toute la baie qui sépare de Noirmoutier n'était que glaces. Des tas énormes amoncelés formaient des rochers de glace dans le Gois à mer basse.

Les blés furent gelés en partie ; mais ils ne périrent pas tous, à cause de la grande sécheresse qui avait précédé l'hiver. Les grains dernier semés restèrent en terre aussi sains que dans le grenier, et germèrent à la fin de janvier. Tous ceux qui repiquèrent du blé, même du froment, eurent une excellente récolte. Ce repiquage réussit jusqu'au commencement d'avril.

Quoique ce pays recueillit une excellente récolte en toutes sortes de blé, le froment s'est vendu 16 livres le boisseau. Le royaume fut fort maltraité. A la suite de cet hiver, la misère a été extrême. On en prévint les horreurs en faisant venir des blés étrangers.

Année mémorable encore par la grande révolution opérée dans le royaume, à l'occasion de l'Assemblée nationale, la plus fameuse qui se soit jamais tenue en France. L'histoire en instruira la postérité : je prie Dieu qu'elle n'ait qu'à se louer des fondements qui se jettent aujourd'hui comme base du bonheur dont le peuple français est si digne de jouir ; mais qui ont d'abord été accompagnés de tant de troubles, de tant de révoltes et d'une si grande effusion de sang, qu'on aura peine à le croire.

A Beauvoir, ce 15 janvier 1790

GERGAUD, Curé"

Au sortir de cet hiver si rigoureux, ce furent les Etats généraux. Depuis longtemps déjà on en parlait lorsque Louis XVI en décida la convocation, en août 1788, pour le printemps suivant.
Le 20 mars 1789 avait lieu à Poitiers la séance d'ouverture de l'assemblée du Clergé des Etats provinciaux du Poitou. L'abbé Gergaud y était présent ainsi que plusieurs prêtres des paroisses voisines, en particulier M. M. Noirot, curé de Sallertaine ; Guillon, de Soullans ; Rodrigue, premier curé de N.-D. de la Crosnière, alors curé de Fougeré, futur évêque constitutionnel de la Vendée ; Dom Graux, prieur de N.-D. de la Blanche, en Noirmoutier ; Dom Alexandre Martin, religieux trinitaire, Ministre de la Maison de Beauvoir ; Antoine de la Barre, curé du Perrier ; Mathurin Gouraud, curé de la Garnache ... Ces deux derniers étaient titulaires de deux bénéfices desservis en l'église de Beauvoir ; les chapellenies de N.-D. des Courtilliers et du Petit-Bois.

Messire André Gergaud représentait sa paroisse et de plus était fondé de pouvoirs du curé de Saint-Gervais, Jacques Pivron, et de son propre vicaire Jean-Louis Gourdon du Mélier, lequel était titulaire du bénéfice de la chapelle de la Gaubretière, desservi en la paroisse de Saint-Benoist d'Aizenay.
Des maisons religieuses de Beauvoir, les Mathurins avaient délégué à l'assemblée leur propre ministre, Dom Martin ; quant aux Jacobins, leurs intérêts avaient été confiés au R.P. Durant, religieux de cet ordre, que nous trouvons qualifié de fondé de pouvoirs de Messire François Le Roux, prieur des Dominicains de Beauvoir.
Les séances de l'assemblée du clergé se tinrent dans l'une des salles du Collège Royal de sainte-Marthe. Dès l'ouverture, le vénérable évêque de Poitiers, Mgr de Beaupoil de Saint-Aulaire, marqua, dans son discours, sa "satisfaction de voir autour de lui réuni tout ce que cette grande province renferme dans l'ordre du clergé de plus distingué par ses lumières et son patriotisme." Puis on procéda aussitôt à la nomination d'un secrétaire et des commissaires chargés de préparer les cahiers des demandes, représentations et doléances du clergé de la sénéchaussée de Poitou. L'abbé Gergaud fut, avec ses confrères de Sallertaine et de Soullans et le prieur de la Blanche, l'un des trente élus. Enfin, ce furent, les 30 mars et jours suivants, les élections des députés aux Etats Généraux. Le vendredi 3 avril avait lieu la séance de clôture, mais déjà de nombreux prêtres, surtout ceux des régions éloignées de Poitiers, avaient dû quitter l'assemblée sitôt la fin des élections pour rentrer dans leurs paroisses à cause des fêtes de Pâques. De ce nombre fut M. Gergaud, car sa signature ne figure pas au procès-verbal de cette dernière séance, non plus que celles des curés des environs que nous avons cités plus haut. Le 28 avril 1789, la signature du curé de Beauvoir, absente depuis le 8 mars, reparaît sur les registres de sa paroisse.

Les premiers évènements de la Révolution ne semblent pas avoir eu grand retentissement dans notre Marais ; en tous cas on n'y signale aucun trouble. Rien dans la tenue des registres paroissiaux ne laisse deviner les excès populaires de la Révolution commençante. En cette fin de 1789, la vieille bourgeoisie de Beauvoir eut encore ses fastes ; quelques jours à peine après la prise de la Bastille, le 27 juillet, des représentants de presque toutes les vieilles familles de la ville assistaient au mariage de Guillaume Dupleix, avocat en Parlement, originaire de la paroisse des Sables-d'Olonne, avec Rose Osmane Duret, fille de N. H. Jean-Mathurin Duret de la Frandière, receveur de Mgr l'Amiral, et de dame Rose Victoire Corbier des Tourettes. L'acte, écrit de la main de M. Gergaud, est suivi d'un amas de signatures, et l'on éprouve quelque émotion en lisant celles de ces bourgeois qui tous joueront, dans un proche avenir, un rôle plus ou moins considérable et finiront plus ou moins tragiquement : Charruyau, qui sera officier public en 1793 ; Charles Goüy, tout nouvellement revenu alors des Etats Généraux du Poitou où la paroisse l'avait député, et qui disparaîtra dans la tourmente révolutionnaire ; le notaire Mathurin Bonnin et Urbain Bret, sénéchal de Saint-Gervais et de Coudrie, qui seront fusillés à Machecoul en avril 1793 par les soldats de Charette ; Mourain, qui dénoncera au district de Challans en 1791 les agissements du curé Gergaud ; Rouillé, qui mariera l'une de ses filles à un prêtre défroqué ; Simon, qui siégera au Comité révolutionnaire de Noirmoutier en l'an II ; Vigneron, qui sera commandant de la Garde Nationale de Beauvoir ; Dupleix lui-même qui sera préposé au ravitaillement des armées républicaines ... Le clergé de Beauvoir au complet, signe à la suite : Le Roux, prieur des Dominicains ; Martin, Ministre des Trinitaires ; Gourdon du Mélier, vicaire ; Gergaud, curé.

Deux mois plus tard jour pour jour, le 27 septembre 1789, avait lieu le mariage de Joseph Joubert des Ouches, négociant, consul de Sa Majesté le Roy de Prusse, commissaire de la Marine et du Commerce des Etats Généraux de Hollande, de la paroisse de Saint-Philbert de Noirmoutier, avec Anne-Eléonore Maublanc, fille de N. H. Guillaume Maublanc, négociant, et de feue Dame Anne-Céleste Faudry, de Beauvoir. Même affluence de signatures ; N'est-il pas poignant de voir réunis, au bas de cet acte, à côté d'autres moins significatifs, les noms de Faudry, représentant d'une très vieille famille de Beauvoir, qui paraît pour la dernière fois, et précisément la signature de cette héroïque Henriette-Dorothée "Faudry de la Guinardière", marraine de la mariée, mère du chef vendéen Benjamin du Bois de la Guignardière, de Soullans, qui périra elle-même sur l'échafaud en 1794 ; des frères Angibaud qui, après une très courte carrière militaire, seront guillotinés tous deux aux Sables en avril 1793 ; de Jacques Coindet des Goronnières qui sera, l'année suivante, le premier maire de Beauvoir ; des Maublanc qui seront internés comme suspects à Noirmoutier, en 1794 ; de Pierre-Louis Le Breton des Grapillières qui sera maire de Noirmoutier et sauvera à grand peine sa tête, en janvier 1794, mais verra une très proche parente mourir sur l'échafaud ; vieille famille de Beauvoir aussi, ces Le Breton, alliés à toute la bourgeoisie du Marais, dont la Révolution détruira la richesse et l'influence, et dont les derniers rejetons végéteront au cours du siècle suivant avant de disparaître complètement ... ?
Mais qui donc, en cette fin de 1789, pensait à toutes ces choses ?! ... Et pourtant, que d'orages amoncelés ! Cette bourgeoisie, quelles que soient les opinions politiques, sera emportée comme l'Ancien Régime lui-même. Ce sont ses derniers beaux jours, les dernières manifestations de sa vitalité ...

Et c'est l'abbé Gergaud qui les préside ...

Rien ne paraît changé dans l'existence, le curé de Beauvoir et son vicaire continuent d'enregistrer baptêmes, mariages, sépultures. Cependant l'abbé Gergaud n'était pas sans appréhensions et il faut rendre justice à la clairvoyance de ce curé de campagne qui, témoin des premiers excès de la Révolution, écrivait à la date du 15 janvier 1790, sur ses registres paroissiaux, à la suite de sa relation de l'hiver de 1788-89, cette appréciation qui fait honneur à son bon sens et que la suite des évènements n'a, hélas ! que trop justifiée :

"Année plus mémorable encore par la grande Révolution opérée dans le Royaume à l'occasion de l'Assemblée Nationalle la plus fameuse qui se soit jamais tenüe en France. L'histoire en instruira la postérité, je prie Dieu qu'elle n'ait qu'à se loüer des fondements qui se jettent aujourd'hui comme base du bonheur dont le peuple français est si digne de joüir, mais qui ont d'abord été accompagnés de tant de troubles, de tant de révoltes et d'une si grande effusion de sang qu'on aura peine à le croire".
A Beauvoir, le 15 janvier 1790.
GERGAUD, curé.

Sur ce témoignage s'arrêtent les registres paroissiaux de Beauvoir.

"Tant de troubles, tant de révoltes, une si grande effusion de sang !! ..." Ce n'était que le commencement. La Révolution suivait son cours ; la loi des 2 et 3 novembre 1789 avait mis terres et biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte et à l'entretien des ministres. Le 27 février 1790, le bureau du département de Fontenay-le-Comte invitait les municipalités à dresser le devis approximatif des domaines ecclésiastiques situés dans chaque commune. Les officiers municipaux procédèrent alors à l'inventaire de ces biens. La visite de la maison des Trinitaires de Beauvoir eut lieu les 28 et 29 mai 1790, le procès-verbal en a été conservé.

Plus grave fut la Constitution civile du Clergé, votée par la Constituante en juillet 1790 ; on exigea bientôt en effet, des prêtres, la prestation du serment "d'être fidèles à la Nation et au Roi et de maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée Nationale". Cette loi du serment, sanctionnée fin décembre seulement, et après bien des tergiversations, par Louis XVI, fut promulguée dans les départements en janvier 1791.

Ce fut le commencement des troubles graves ; le clergé se divisa en deux camps ; les assermentés et les non assermentés. Ceux-ci furent de beaucoup les plus nombreux dans le district de Challans où l'on compte 38 refus contre 14 serments. Le curé Gergaud refusa énergiquement de prêter le serment schismatique, de même que son vicaire, Mathieu de Gruchy.

"On assista alors, écrit P. de la Gorce, à un premier éveil de l'âme vendéenne. Sur toute la rive gauche de la Loire ... un même cri non concerté, mais spontané, jaillit : Nous ne voulons pas des intrus ! ... Dans le Bas-Poitou et surtout aux confins de l'âpre marais, la réprobation se révéla par des menaces, des représailles farouches et déjà des commencement de révoltes". Le 9 avril 1791, l'abbé Laroche, vicaire assermenté de Saint-Jean-de-Monts, était grièvement blessé d'un coup de feu. Déjà, ainsi qu'il résulte d'un arrêté du district de Challans du 11 avril, "deux personnes avaient été assassinées à Beauvoir-sur-Mer ..." Une autre émeute éclata à Apremont le 24 avril, mais l'affaire la plus grave fut celle de Saint-Christophe-du-Ligneron, le dimanche 1er mai, où l'intervention de la force armée fut nécessaire ; des deux côtés le sang coula.

Quel fut le rôle des prêtres dans la génèse de ces troubles ? On ne le sait. Toujours est-il que le curé Gergaud était alors très suspect aux autorités communales de Beauvoir. Le 25 juin 1791, la municipalité, à la presque unanimité de ses membres, ordonnait "au Commandant de la Garde Nationale de fournir un officier et quelques soldats pour accompagner deux officiers municipaux qui iront mettre le scellé sur le cabinet du sieur Gergaud, où l'on soupçonnait que se tenait la correspondance générale des prêtres réfractaires ..." ; car, écrivait-elle, le lendemain 26 juin, au district, "la cure de Beauvoir est un repaire d'aristocrates, d'autant plus à craindre que notre curé a une influence particulière sur l'esprit des prêtres ... Ces prêtres ont une conduite extraordinaire dans les fonctions de leur ministère, confessions multipliées, publications de mariages et mariages même précipités ; ils sont toujours allant et venant, ce qui fait croire qu'ils sont porteurs de correspondances ..."

Nous ignorons ce qui résulta de cette perquisition. Peu de jours après d'ailleurs, le 3 juillet 1791, l'abbé Gergaud devait quitter son presbytère pour faire place au curé constitutionnel, le citoyen Jacques Merlet. Le dernier acte officiel de son ministère est, le 28 juin 1791, la sépulture de Marie-Anne Devineau, épouse d'André Genaudeau, âgée de 71 ans et décédée de la veille.

Menacé dans sa liberté par l'hostilité et les dénonciations de la municipalité, l'abbé Gergaud dut même alors quitter sa paroisse. Mais son absence fut de courte durée ; la tradition, confirmée du reste par les documents écrits, nous apprend qu'il y revint bientôt et put, plus ou moins facilement, continuer à exercer son ministère. Le registre paroissial de 1791, conservé aux archives départementales, donne à ce sujet d'intéressants renseignements.

Le curé constitutionnel Merlet inaugurait son ministère à Beauvoir par un baptême, le 6 juillet, et pendant deux mois, la vie paroissiale continua comme par le passé : on enregistra jusqu'au 7 septembre neuf baptêmes, chiffre normal, mais après cette date et jusqu'à la fin - 5 janvier 1792 - du registre, celui-ci n'est plus qu'un obituaire ; on compte pendant ce temps 29 sépultures, et seulement quatre baptêmes, et un mariage. On ne pouvait se dispenser d'avoir recours au curé assermenté pour enterrer les morts, mais on le délaissait, on désertait son église, et pour les autres actes importants de la vie, baptêmes, mariages, on s'adressait à quelque prêtre fidèle. Le début de cette résistance au clergé officiel se place vers le 10 septembre 1791. Un seul prêtre, dans le Marais, avait pu, tout en refusant le serment à la Constitution civile, rester à son poste : l'abbé Mazerolle, curé de Saint-Urbain. C'est vers lui qu'alors, obéissant comme à un mot d'ordre - auquel l'abbé Gergaud ne fut sans doute pas étranger - vont accourir les fidèles de toutes les paroisses voisines.
Depuis le 12 septembre 1791, date à laquelle on voit apparaître pour la première fois sur les registres de Saint-Urbain, la mention d'une paroisse autre (Sallertaine) jusqu'au départ forcé de M. Mazerolle (4 juillet 1792), celui-ci ne baptisa pas moins de deux cents enfants.

L'abbé Gergaud jouit sans doute d'une liberté relative jusqu'en novembre 1791, mais dès cette époque, en attendant les lois de déportation, les insermentés étant placés hors du droit commun et réduits à l'état de suspects, il dût se cacher. Tant qu'il fut à Beauvoir, son principal refuge fut, croyons-nous, la vieille maison de la Butte qui appartenait aux Le Breton de la Joucaillière et où habitait alors Dame Céleste Lefebvre, veuve de Pierre-Jean-Maxime Le Breton. Cette demeure, en tous cas, lui servira de cachette plusieurs fois au cours des troubles civils, car, en fructidor an II (août-septembre 1794), la veuve Le Breton de la Joucaillière sera violemment dénoncée aux autorités du district de Challans par l'ancien maire Mourain, comme aristocrate, protectrice des rebelles, des émigrés et des prêtres réfractaires. Cette dénonciation lui coûta la liberté et la vie. Aussitôt appréhendée et conduite devant le Tribunal révolutionnaire de Nantes, elle mourut peu après dans cette ville, le 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794) au Temple de l'Humanité - ci-devant Hôtel-Dieu - où elle était détenue.

En mars 1792, le curé de Beauvoir était au château de la Bonnetière, entre Saint-Gervais et Saint-Urbain. Découvert, il reçut l'ordre de se constituer prisonnier à Fontenay, conformément à l'arrêté départemental du 9 mars. "Il s'échappe le 22 juin, écrit l'abbé Baraud, et son retour faisant supposer qu'il s'était évadé, on le place sous la surveillance de la police". A cette même date, en effet, 22 juin 1792, le directoire du district de Challans arrêtait que "les sieurs Gergaud, ex-vicaire de Beauvoir, Noirot, ex-curé de Sallertaine, et Bouanchaud, ex-vicaire de Saint-Gervais, qui avaient été transportés au chef-lieu du département et qui, depuis quelques jours, étaient de retour dans le pays, seraient invités, au besoin par la force, à se présenter devant le Directoire pour donner des explications sur leur présence". "Les prêtres dont il vient d'être question", ajoute C. Merland à qui nous empruntons ce texte, "avait-ils été faussement dénoncés ou bien purent-ils se soustraire à toutes les recherches ? Toujours est-il que la gendarmerie, malgré toutes ses perquisitions, ne put les saisir".

Le curé de Beauvoir ne fut, en effet, par la suite, ni emprisonné, ni déporté. Mais il fut contraint de quitter le Marais pour se réfugier à Nantes, dans sa famille.

En cette fin de 1792, l'orage grondait d'ailleurs : l'affaiblissement rapide et l'annihilation du pouvoir royal, l'audace grandissante des extrémistes, les déportations en masse des prêtres insermentés, les massacres de septembre aux Carmes et à l'Abbaye, commandaient la plus sévère prudence. On ne trouve plus trace en Vendée de clergé orthodoxe. Dans la région maraîchine, le vénérable M. Mazerolle, qui avait réussi à se faire oublier dans sa cure de Saint-Urbain, dût interrompre son ministère après le 4 juillet 1792. Seuls restaient les prêtres constitutionnels, Pivron à St-Gervais, Pétel à la Crosnière, Merlet à Beauvoir, et à Notre-Dame de Monts cet infortuné Denogent qui, surpris en 1794, dans l'église de Saint-Gervais, par une bande de patriotes, fut impitoyablement massacré par eux, bien qu'il leur eût crié : "Mes amis, je suis des vôtres !"
Le registre de Beauvoir de 1792 a disparu, mais ceux de la Crosnière, les seuls, croyons-nous, qui existent au complet pour notre région durant toute la période révolutionnaire, indiquent encore, le 13 novembre 1792, le citoyen Merlet comme curé de Beauvoir. Le curé de la Crosnière tint bon jusqu'au bout et n'hésita même pas à troquer, en novembre 1792, son titre du curé contre celui d'officier public.

L'insurrection vendéenne mit fin à cette situation. Le 10 mars 1793, les habitants de Beauvoir assemblés "pour l'organisation de la garde nationale, au lieu de se prêter à cette opération, se répandirent en propos séditieux et désarmèrent les gardes nationaux ..." Le même jour, l'insurrection éclatait à Machecoul et en quarante-huit heures le département entier était soulevé. Challans évacué par les autorités du district, les ports de la côte vendéenne et même Noirmoutier étaient, peu de jours après, aux mains des insurgés. Se sentant menacés plus que tous les autres, les intrus s'enfuirent : ce fut la fin du clergé constitutionnel en Vendée.
Pendant la majeure partie de l'année 1793, à part l'occupation du Marais par Boulard et Beysser en avril-mai, toute la région, sauf Noirmoutier reprise le 29 avril, resta au pouvoir des Vendéens. Le 12 octobre, Noirmoutier tombait aux mains de Charette.

Le service religieux fut alors réorganisé dans le Marais, sous la protection de l'armée vendéenne et M. l'abbé Ch. Grélier a retrouvé un registre de catholicité de Sallertaine qui indique qu'en novembre 1793, cette paroisse était desservie par Mre Alexis Molliet-Ribet, curé de Saint-Hilaire-le-Doyen, diocèse de Poitiers, "nommé par Monsieur Rodier, grand vicaire de Luçon", lequel résidait lui-même à Beauvoir. Lorsque les Républicains reprirent l'offensive, en décembre 1793, M. Rodier se retira, avec de nombreux prêtres, à Noirmoutier, où il fut massacré dans les premiers jours de janvier 1794, après la reprise de l'île.

Après ces évènements et jusqu'à la mort de Charette (29 mars 1796) il ne fut pas question du rétablissement du culte : les colonnes infernales avaient passé, incidiant bourgs et hameaux, s'acharnant principalement sur les églises, et les lois d'exception contre les prêtres subsistaient toujours. Cependant, à la suite du traité de la Jaunaie (17 février 1795), la liberté religieuse avait été proclamée dans l'Ouest. Profitant de cette accalmie, l'abbé de Beauregard, ancien grand vicaire de Luçon, accompagné de Mathieu de Gruchy, ancien vicaire de Beauvoir, débarquait, le 10 juillet 1795, après un voyage des plus mouvementés, aux environs de Sion. Ils apportaient à Charette quelques dépêches de Londres et avaient le dessein de réorganiser, dans la mesure du possible, le culte catholique en Vendée. Le 4 août suivant, l'abbé de Beauregard présidait au nom de l'évêque de Luçon, le synode du Poiré-sur-Vie, auquel prirent part cinquante-sept prêtres non assermentés.

Le nom de l'abbé Gergaud ne figure pas parmi ceux-ci. De fait, de 1792 à 1797, le curé de Beauvoir passa la plus grande partie de son temps à Nantes, où il vivait caché (il fut recherché, à plusieurs reprises, mais sans succès, au domicile d'un de ses parents, qui habitait place Viarmes). Les occasions ne lui manquaient pas, dans cette ville, d'exercer son apostolat et sa charité, et il fut sans doute du nombre de ces prêtres orthodoxes qui, sous les déguisements les plus variés et à l'aide des stratagèmes les plus ingénieux, parvenaient dans les prisons où étaient enfermés les insermentés destinés à la Guyane ou les insurgés condamnés à l'échafaud. Nul doute qu'il en assista beaucoup. Le plus célèbre de ces condamnés n'est autre que cet abbé de Gruchy, son ancien vicaire, dont nous venons de parler et qui, reconnu à Nantes sous son déguisement, fut condamné à mort et exécuté le 28 novembre 1797. Mais nous reviendrons sur ce sujet.
La tradition affirme que l'abbé Gergaud revint plusieurs fois, en cachette, dans sa paroisse, en particulier dans le courant de 1793, alors que les rebelles tenaient la côte, et pendant les années suivantes. L'abbé Baraud s'en est fait l'écho : "Ce fut au milieu de graves difficultés, écrit-il, et de dangers sans nombre que M. Gergaud put demeurer à Nantes pendant les massacres et les noyades de Carrier. Néanmoins, il s'en échappait dès qu'il le pouvait, et plus d'une fois il vint jusqu'à Beauvoir pendant cette période critique, offrir à ses paroissiens les secours de son ministère dont ils étaient privés".
Mais nous ne pouvons apporter aucune précision sur ses séjours à Beauvoir avant 1797.

La Vendée était alors relativement calme, l'exécution de Charette avait mis fin à la guerre proprement dite et les efforts pacificateurs de Hoche avaient abouti à quelque résultat. En beaucoup d'endroits, le culte public avait repris.

Profitant de cette accalmie, dès le début de cette année 1797, l'abbé Gergaud regagna le Marais où il résida tantôt à Beauvoir, tantôt à St-Gervais ; il semble même qu'il ait eu quelque préférence pour cette dernière paroisse où il exerça son ministère du 12 février au 13 avril, du 15 au 20 juillet et du 19 août au 14 septembre. Beauvoir ne le posséda que du 16 avril au 16 juillet. Peut-être le vénérable prêtre conservait-il le souvenir des vexations que lui avaient fait subir les municipaux de Beauvoir en 1791 et considérait-il St-Gervais comme un asile plus tranquille ?
En tous cas, il a laissé, aussi bien à Beauvoir qu'à Saint-Gervais, un registre des baptêmes et des mariages faits par lui, documents extrêmement précieux, qui montrent l'attachement des populations à leur religion et à leurs prêtres légitimes.

Le 12 février, M. Gergaud inaugure son ministère à Saint-Gervais par une sépulture et, bientôt, de tous côtés, on accourt à lui ; il bénit onze mariages le 20 février, quatre le lendemain ; ce même jour 21 février, on compte 17 baptêmes et il en va de même jusqu'au 13 avril. C'est vers cette date qu'il s'installe à Beauvoir où ses premiers actes sont datés du 16 avril, jour de Pâques 1797. Quelle joie ce dut être pour lui de célébrer cette fête dans cette paroisse de Beauvoir qu'il n'avait jamais cessé de considérer comme sienne ! Il y resta sans interruption pendant trois mois, jusqu'au 16 juillet, faisant pendant ce temps  264 baptêmes et 88 mariages. Toutes les paroisses environnantes sont représentées dans la liste : Bouin (17 baptêmes, 9 mariages) ; Saint-Urbain (6 baptêmes, 2 mariages) ; Sallertaine (11 baptêmes, 2 mariages) ; Le Perrier (2 baptêmes, 5 mariages) ; Saint-Gervais (1 mariage) ; Saint-Jean-de-Monts (25 baptêmes, 9 mariages) ; Notre-Dame-de-Monts (21 baptêmes, 4 mariages) ; Noirmoutier (32 baptêmes, 34 mariages) ; Barbâtre (17 baptêmes, 4 mariages) ; Bois-de-Cené (1 mariage, 1 baptême) ; l'Ile d'Yeu (2 mariages) ; La Barre-de-Monts (1 baptême, 1 mariage) ; L'Herbaudière (2 baptêmes) ; la Crosnière (2 baptêmes) ; l'Epoids (3 baptêmes) ... Il baptisa même un enfant de la paroisse de Saint-Géréon, près Ancenis.
Ces chiffres paroissiaux ne sont évidemment qu'approximatifs, pour plusieurs actes il y a doute, et il y a environ une trentaine de baptêmes sans indication de lieu et dont quelques-uns manifestement ne sont pas de Beauvoir, qui entre dans ce total pour 46 baptêmes et 18 mariages environ.
A la fin du registre, se trouve une liste de baptêmes d'une écriture inconnue, d'enfants tous âgés de quelques mois à trois ans et non signés. Puis à la suite, de l'écriture de M. Gergaud, le baptême d'un enfant de la Crosnière, le 20 ... ? ... Et c'est tout.

Le 15 juillet, reprend le registre de Saint-Gervais jusqu'au 20 juillet. Le 26, apparaît M. Mazerolle, curé de Saint-Urbain, qui reste seul jusqu'au 19 août. A cette date, reparaît M. Gergaud et leurs signatures s'entremêlent jusqu'au 26 août, puis M. Gergaud reste seul jusqu'au 13 septembre ; ce jour-là M. Mazerolle fait trois baptêmes, le lendemain M. Gergaud en fait deux, puis plus rien ... Ce registre de Saint-Gervais contient 208 baptêmes et 50 mariages ; le curé de Beauvoir fit à sa part 41 mariages et 164 baptêmes.

La loi du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) mit fin à son apostolat. Cette loi ralluma la persécution contre le clergé, rétablissant toutes les anciennes mesures de rigueur contre les prêtres, les aggravant même par l'obligation d'un nouveau serment de fidélité au régime. L'abbé Gergaud s'y refusa et de nouveau dut quitter le Marais. Il figure sur un état, daté du 6 brumaire an VI, des prêtres réfractaires résidant dans le département de la Vendée, sous le n° 48, avec cette mention :
"Gergaud, de Saint-Gervais, ex-curé de Beauvoir, est disparu aussitôt qu'il a eu connaissance de la loi de fructidor ; on ne sait ce qu'il est devenu".

Quelques semaines plus tard (18 nivôse an VI, 7 janvier 1798), un arrêté du Directoire ordonnait de déporter un certain nombre de prêtres réfractaires parmi lesquels figuraient Mathieu de Gruchy et André Gergaud, ex-curé de Beauvoir. La plupart ne purent être arrêtés, et sur les trente-deux prêtres désignés, huit seulement furent déportés. L'abbé Gergaud s'était retiré, comme en 1792, à Nantes. Il y avait en mai 1798, dans cette ville "deux ou trois cents prêtres réfractaires", suivant un rapport du Ministre de l'Intérieur, qui ordonnait de les rechercher.

La Providence avait ses desseins, en ramenant à Nantes M. Gergaud en cette fin de 1797 : il allait être le témoin du martyre de son ancien vicaire, Mathieu de Gruchy.

P1170437De Gruchy, natif de Jersey, protestant converti, avait été, avant les lois d'exception contre le Clergé, le dernier vicaire de Beauvoir. Ordonné prêtre la veille de Pâques 1788, il fut d'abord vicaire à Soullans, puis à Bois-de-Cené. Ce fut alors que M. Gergaud, usant du privilège qu'avait le curé de Beauvoir de choisir son vicaire, le demanda pour sa paroisse. Il arriva à Beauvoir aux approches de la Toussaint 1790 et y resta jusqu'au moment où le clergé non assermenté dut céder la place aux intrus (juillet 1791). Après quelques semaines passées au château de Boitissandeau, en Ardelay, dans une famille amie, il retourna dans son île natale où l'appelait l'ardent désir de convertir sa mère au catholicisme. Mais les ministres protestants de l'île lui suscitèrent mille difficultés et il dut se réfugier à Londres. Il y retrouva de nombreux émigrés français dont plusieurs évêques. L'abbé Brumauld de Beauregard, chargé de mission pour les chefs vendéens, Charette en particulier, le prit comme compagnon ; tous deux échappèrent comme par miracle au désastre de Quiberon et nous avons dit déjà qu'ils débarquèrent, le 10 juillet 1795, aux environs de Sion. M. de Gruchy se fixa alors à Venansault, où il exerça son ministère pendant plusieurs mois. La loi de fructidor l'obligea à se cacher.
Il arriva à Nantes le 15 novembre 1797 ; le 23, alors qu'il se présentait à la Municipalité pour faire viser son passeport qui le disait Anglais et menuisier, il fut reconnu pour être un prêtre rentré et emprisonné au Bouffay. Le 27, la commission militaire siégeant à Saint-Vincent le condamnait à mort. Il fut exécuté le lendemain, mardi 28 novembre 1797, entre onze heures et midi, sur la Place Viarmes.

M. Gergaud a écrit dans la suite, pour l'édification de ses paroissiens, une relation de la mort de son ancien vicaire, que publia, en 1863, la "Revue de Bretagne et de Vendée". Il en fut le témoin oculaire et raconta bien souvent à Beauvoir, qu'il avait tenté, avec d'autres amis de la victime, toutes les démarches possibles pour le sauver et que, s'il ne put réussir, il eut du moins la consolation de satisfaire son ultime désir. On avait refusé à Mathieu Gruchy l'assistance d'un prêtre catholique et c'était pour lui une grosse préoccupation : "Faites en sorte", disait-il dans son cachot à un ami venu le voir, la veille de sa mort, "faites en sorte qu'il s'en trouve un sur mon chemin quand j'irai au supplice et que je connaisse l'endroit où il se tiendra, afin que je me recueille en recevant l'absolution. C'est la le plus grand service que je puisse attendre de votre dévouement ..."

ABBE GERGAUDSon désir fut exaucé et ce fut l'abbé Gergaud lui-même qui, du haut d'une mansarde d'une rue aboutissant à la Place Viarmes, donna la dernière absolution au condamné qui marchait à la mort en chantant des cantiques. Au moment où il étendit la main vers lui, leurs yeux se rencontrèrent et M. Gergaud ne devait jamais oublier cette minute poignante.

Lorsque le calme se rétablit enfin, et que les mesures pacificatrices de Hoche et de Bonaparte le permirent, l'abbé Gergaud qui, de Nantes, surveillait la marche des évènements, fut l'un des premiers à regagner sa paroisse. Dès les derniers mois de 1799, croyons-nous, il revenait prendre possession de son poste.

L'abbé Baraud dit qu'il vint à Beauvoir par mer et qu'il s'arrêta au passage "dans la ville de Noirmoutier, où il suppléa les cérémonies du baptême à de nombreux enfants, dans la maison de Madame Richer-Benoît, l'église paroissiale n'étant pas encore livrée au culte. C'était, ajoute-t-il, peu avant le retour des prêtres de l'île".

La chose est fort possible, encore que M. Gergaud ait bien pu être appelé à passer quelques jours dans l'île après son retour à Beauvoir. Il nous est impossible de fixer la date exacte de ce retour. Le seul registre d'actes paroissiaux qui existe dans la région maraîchine pour cette période, celui tenu par M. Mazerolle, curé de Saint-Urbain, signale sa présence à Beauvoir le 23 mai 1800, mais la liste des baptêmes faits à Saint-Urbain même par M. Mazerolle laisse à penser que Beauvoir dut retrouver son Pasteur dès 1799. Cette liste ne comporte en effet pour 1799, que trois baptisés de Beauvoir (sur un total de 223) et le dernier porte le n° 207. Aucun nom de Beauvoir en 1800. Il semble donc que les fidèles pouvaient, dès la fin de 1799, faire baptiser leurs enfants à Beauvoir, ce qui implique la présence de M. Gergaud.

Les mêmes registres de Saint-Urbain, indiquent que le curé de Beauvoir eut alors des pouvoirs assez étendus, faisant même fonction de grand vicaire. On le voit en effet donner des dispenses de bans et d'empêchement de consanguinité pour les mariages de la région, en particulier les 7 et 14 octobre 1800, le 10 novembre 1802, le 9 juillet 1805 ... et le fait est confirmé par certaines pièces du dossier conservé aux Archives communales de Saint-Urbain, relatif à l'érection de l'église de ce lieu en chapelle dépendant de St-Gervais, puis en paroisse, qui portent explicitement ces termes : "... le deffunt curé du chef-lieu du canton de Beauvoir qui étoit alors grand vicaire ..." et "feu M. le curé de canton, faisant alors fonctions de grand vicaire ..."

Peu après son retour à Beauvoir, un évènement assez considérable plaça l'abbé Gergaud au premier plan de l'actualité ; nous voulons parler du fait d'armes du Gois du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800), dont l'histoire a été contée maintes fois.
Une escadre anglaise bloquait alors nos côtes et venait d'incendier dans le Gois, sous les yeux des riverains impuissants, une flotille de quarante barques chargées de blé. Mais les Anglais avaient compté sans le reflux ... Bientôt, la mer, se retirant, leurs canonnières s'envasent en dépit de leurs efforts. Aussitôt, les gens de Beauvoir et de Noirmoutier, voyant la revanche possible, se précipitent, prennent d'assaut les navires anglais et font près d'une centaine de prisonniers.
Ce fait d'armes eut une répercussion immense dans le pays. Bonaparte voulut voir les héros du combat et demanda qu'on envoyât à Paris douze de ceux qui s'étaient le plus distingués dans l'affaire : "On m'a rendu compte, citoyen préfet, écrivait-il au Préfet de la Vendée, de la bonne conduite qu'ont tenue les habitants de Noirmoutier, la Crosnière, Barbâtre et Beauvoir ... On ne m'a pas laissé ignorer que ce sont ceux-là mêmes que la guerre civile avait le plus égarés qui ont montré le plus de courage et le plus d'attachement au gouvernement. Faites choisir douze des habitants qui se sont le mieux comportés dans cette affaire et envoyez-les à Paris. Je veux voir ces braves et bons Français, et je veux que le peuple de la capitale les voie, et qu'ils rapportent à leur retour des témoignages de satisfaction du peuple français. Si parmi ceux qui se sont distingués, il y a des prêtres, envoyez-les moi de préférence, car j'estime et j'aime les prêtres qui sont de bons Français et qui savent défendre la Patrie contre ces éternels ennemis du nom français, ces méchants hérétiques d'Anglais ..."

Un prêtre fut en effet mêlé à cette affaire, et en dépit d'une affirmation récente, il y a tout lieu de croire que ce fut l'abbé Gergaud. C'est l'avis de la plupart des érudits qui se sont occupés de la question : "... les riverains, encouragés par M. Gergaud qui se tenait avec eux sur le rivage ..." dit l'abbé Baraud, après Mourain de Sourdeval, Ch.-Ed. Gallet, le Dr Viaud-Grand-Marais et autres.

Cependant le plus récent historien de la Vendée, dont l'oeuvre d'ailleurs jette un jour nouveau sur de multiples faits et a reçu les plus hautes approbations, M. Emile Gabory, admet qu'il s'agit de l'abbé Coussays, curé de Bouin. A notre avis, sans preuves suffisantes, et nous l'allons montrer. Nous connaissons la brillante érudition de l'archiviste de Nantes, et il nous paraît malaisé de contester, somme toute sans argument décisif, son assertion. Toutefois, comme il veut bien avouer lui-même que la question est fort délicate et que les documents officiels à ce sujet ne sont qu'"incertitudes et contradictions", il nous permettra de faire remarquer que, jusqu'ici, aucun historien n'avait mis en doute le rôle de M. Gergaud dans cette affaire ; les Mémoires mêmes de Mercier du Rocher, sur lesquels il paraît se baser, qu'il indique, tout au moins, comme référence, ne citent nullement l'abbé Coussays.
Avant lui, déjà, néanmoins, A. Lallié avait aussi fait intervenir dans cette affaire le curé de Bouin : "Né à Nantes, écrit-il de ce dernier, prêtre du 20 décembre 1771, vicaire d'Indre en 1773, de Doulon en 1775, de St-Etienne-de-Montluc, puis curé de Bouin qui faisait alors partie du diocèse de Nantes ... : alla en Espagne, revint dans sa paroisse en l'an IX et son attitude, au moment de la prise des péniches anglaises dans le Gois, attira sur lui l'attention bienveillante du gouvernement. Maintenu dans sa cure au Concordat, mort le 5 juillet 1815". Remarquons en passant une contradiction : si l'abbé Coussays ne revint d'Espagne qu'en l'an IX, comme il est dit ici, comme il est dit ici, il ne pouvait assister à l'affaire du Gois qui se déroula le 12 messidor an VIII. D'autre part, M. Coussays n'était recteur de Bouin que depuis 1787, et, ayant perdu pendant des années, du fait de son émigration, le contact avec son troupeau, il était loin d'avoir, dans le Marais, la réputation et l'influence de M. Gergaud. D'ailleurs, A. Lallié ne nie nullement l'action du curé de Beauvoir dans l'affaire qui nous occupe : "M. Gergaud, écrit-il, se trouvait à Noirmoutier quand une flotille anglaise, au mois de juillet 1800, attaqua des navires français ; il contribua à exciter les Maraîchins, à attaquer des navires anglais échoués, et une cinquantaine de marins anglais furent faits prisonniers". Ces détails sont autrement nets que l'entrefilet consacré à M. Coussays. Et comment admettre la présence simultanée au Gois des deux prêtres ce jour-là ?
De plus, on ne signale, en dépit de l'affirmation de M. Gabory, aucun habitant de Bouin dans l'affaire ; les documents officiels n'en mentionnent aucun - ce qui n'a rien d'étonnant, Bouin étant distant du Gois de près de trois lieues - ; aucun n'y prit part, aucun ne fit partie de la délégation envoyée à Paris, et l'on ne voit pas bien par quel singulier hasard l'abbé Coussays se serait trouvé, et seul de sa paroisse, ce jour-là précisément, au Gois, si éloigné de son église et de son presbytère. Enfin, chose très favorable à notre opinion, il n'y a chez les Bouinais, pourtant très chauvins et très fiers du passé de leur île, aucune tradition à ce sujet. Le regretté Dr Pelletier, très renseigné sur l'histoire de son clocher, qui parle assez longuement, dans son intéressant opuscule sur l'Eglise de Bouin, de M. Coussays, ne mentionne nullement qu'il ait pris une part quelconque à l'affaire en question ... ce qu'il n'eût pas manqué de faire autrement.

L'affaire est embrouillée, certes ... Oserons-nous ajouter que certaines confusions de M. Gabory lui-même, dans son récit, ne nous incitent guère à partager son opinion ? Jusqu'à plus ample informé, nous persistons donc à croire que ce prêtre qui "marchait au premier rang des combattants", les encourageant de la parole et du geste, n'était autre que le curé de Beauvoir.
Le fait, du reste, n'ajoute ni n'enlève rien aux mérites du vénérable prêtre, mais telle est, croyons-nous, la réalité.
Mais quand on vint lui demander d'accompagner à Paris ses paroissiens, il refusa net et se contenta de remettre aux délégués une lettre pour le Premier Consul, dans laquelle il demandait l'élargissement de trois prêtres vendéens venus d'Espagne sans autorisation et qui avaient été incarcérés à Bordeaux, MM. Voyneau, Morisset et Guérineau. Requête que Bonaparte accueillit d'ailleurs très favorablement et exauça. Il fallait tout l'attachement que portaient à leur église ces prêtres exilés, persécutés, pour revenir dans leur paroisse après la tourmente. Evidemment, un séjour plus ou moins long les y avait attachés et ils jouissaient de l'entière confiance de la population dont ils avaient partagé la vie, les joies, les angoisses ..., de ces gens qui étaient restés fidèles à leurs principes et qui, en pleine guerre civile, étaient venus dans leurs refuges leur faire baptiser leurs enfants et bénir leurs unions, tandis qu'eux-mêmes, les proscrits, allaient au mépris du danger, réconforter les mourants et leur porter les ultimes consolations ...

Mais il y avait tout de même quelque chose de changé ; à Beauvoir, en particulier, de vieilles familles avaient disparu ; ces Angibaud, ces Le Breton, ces Lefebvre, ces O'Byrne ... et autres, qui avaient été les soutiens du curé, qui s'étaient insurgés pour le garder, n'étaient plus là. Une nouvelle bourgeoisie, issue de la Révolution et tout imprégnée des principes nouveaux, avait pris en mains les rênes de l'autorité civile. Celle-ci, en 1800, était dévolue à Guillaume Dupleix, dont les descendants devaient avoir une si belle page au XIXe siècle dans l'histoire religieuse de Beauvoir, mais qui lui-même avait été un chaud partisan de la Révolution et dont les rapports avec le curé ne semblent pas avoir été, au début, si nous en jugeons par certaine lettre particulièrement cordiaux ; à Bret, qui sera parrain de la grosse cloche en 1805, mais dont le père avait été fusillé en 1793 à Machecoul par les insurgés ; à Simon, ancien membre du Comité Révolutionnaire de Noirmoutier en 1794 ... Il y avait encore, à Beauvoir, alors installé comme juge de paix, Jacques Merlet, l'ancien curé constitutionnel ...
Quelle serait l'attitude de tous ceux-là envers le curé légitime revenu parmi ses ouailles et ne semblait-il pas normal que M. Gergaud eût eu quelques appréhensions ? Rien ne l'arrêta cependant et il ne semble pas avoir hésité un seul instant.
Tout paraît d'ailleurs s'être très bien passé à son retour, d'autant plus que ses exigences étaient minimes ; il ne demandait qu'une chose : continuer à évangéliser sa paroisse et jouir de son église retrouvée.

L'église de Beauvoir avait traversé sans trop en souffir les dures années des guerres de Vendée. Mise en adjudication en 1791 comme bien national, elle n'avait pas trouvé d'acquéreur et avait servi dans la suite, à la fois de grenier, d'écurie et de caserne ; cette transformation utilitaire la sauva de la destruction, mais on pense bien qu'elle sortit de là dans un état lamentable. La sacristie avait été brûlée en 1794 et le clocher menaçait ruine "par suite de l'incendie causé par le feu du ciel", et était dans "un état de dégradation faisant craindre pour les maisons voisines et l'intérieur de l'église".
La restauration de son église et l'achat des objets nécessaires au culte, telle fut la première préoccupation de M. Gergaud, qu'il fit passer bien avant sa propre commodité.
A son retour, en effet, l'ancien presbytère d'où on l'avait chassé en 1791, ayant été incendié en 1794 par les Colonnes Infernales, puis vendu, l'abbé Gergaud dut se loger par ses propres moyens ; il choisit une habitation attenant à son ancienne résidence, "maison située entre cour et jardin", dit l'acte d'achat en 1810, "composée de deux chambres basses, une cuisine, une chambre haute, un toit couvert en bourre et une cave ... confrontant de l'orient à maison et jardin du sieur Raguenier, officier de santé, du midi à une petite rue nommée la Levée, du couchant à la maison et jardin de l'ancienne cure de Beauvoir, et du nord à la rue de Saint-Nicolas ..." Cette maison appartenait à la famille Chépeau qui l'avait acquise, le 6 pluviôse an IV, des héritiers Angibaud de la Morinière. Sans doute le curé de Beauvoir avait-il déjà trouvé asile dans cette demeure aux jours sombres de la Terreur ...
Pour se loger, la commune, se conformant à la loi du 18 germinal an X, lui avait octroyé une somme annuelle de 250 francs (18 floréal an XI). Le curé, consulté, avait déclaré se contenter parfaitement de cette somme, n'ayant "besoin d'aucuns meubles et que les revenus de l'église pouvaient suffire aux frais d'achat des objets nécessaires au culte et à l'entretien de ceux actuellement existants".

En 1809, l'Empereur ayant accordé une somme de 300.000 francs pour la reconstruction des églises et des presbytères du département, une subvention de 2.000 francs fut dévolue à la commune de Beauvoir, laquelle décida de l'employer à l'acquisition de la maison occupée par le curé ; ce qui eut lieu le 30 octobre 1810. Un décret impérial sanctionnait, le 2 juillet 1812, cet achat, dont le prix ne fut d'ailleurs complètement payé que dans les derniers mois de 1814.

Ces questions ne semblent pas avoir troublé le moins du monde le curé de Beauvoir. La Fabrique, réorganisée suivant les nouvelles dispositions concordataires, était rentrée en possession d'une partie de ses biens. Les titres et registres de la cure de Beauvoir ayant disparu pendant la Révolution, on eut quelque peine à établir un Relevé des biens et rentes appartenant à la Fabrique sous l'Ancien Régime. D'un Etat dressé les 14 vendémiaire an XII et 4 nivôse an XIII, par Pierre-François-Marie Pesteturenne-Laval, marguillier trésorier, il ressort que 30 journaux de terres environ et 120 oeillets de marais salants avaient été vendus comme biens nationaux et huit journaux de terres attribués comme dotation pour la Légion d'Honneurs. Le reste, soit onze hectares quarante-cinq ares de terres répartis en trente et une parcelles et divers titres de Rentes, fit retour à la Fabrique.

Peu à peu, l'abbé Gergaud compléta le mobilier de son église. C'est à lui que Beauvoir doit les plus anciennes cloches existant actuellement. Plusieurs historiens ont affirmé que les cloches de Beauvoir avaient été descendues et envoyées à la Monnaie de Nantes ; ainsi M. Eugène Louis qui, dans une "Notice sur Saint-Gervais" écrit que les cloches de cette paroisse, "à l'époque de la Révolution, restèrent longtemps descendues sur le pavé de l'église, mais à la fin de 1794, elles furent brisées et transportées à l'Hôtel des Monnaies à Nantes avec celles de Noirmoutier et de Beauvoir ..." De même l'abbé Teillet, dont les dires valent d'ailleurs ceux d'E. Louis qu'il indique comme référence. Il existe bien certains documents qui mentionnent la présence de "cloches déposées à la municipalité de Beauvoir" mais rien ne prouve que ces cloches étaient celles de l'église Saint-Philbert. Elles pouvaient fort bien provenir soit des anciens monastères des Jacobins et des Mathurins, soit des paroisses voisines.
Car la tradition de Beauvoir est tout autre ; les anciens du pays racontent que pour éviter la réquisition du bronze, nos cloches furent descendues du clocher et jetées dans quelque fossé du Marais où elles restèrent de longs mois. Et cette tradition est confirmée par les Archives de la Fabrique. Le 7 thermidor an XIII (26 juillet 1805), en effet, le curé de Beauvoir et les Marguilliers cédaient à "Monsieur Caillard, fondeur à Nantes, carrefour de la Casserie, le métal des anciennes cloches, de 3052 livres de poids, pour fondre trois cloches, dont la première de 1530 livres ; la seconde de 645 ; la troisième, de 373 livres de poids, moyennant la somme de 30 livres par quintal de métal pour son salaire, à la charge pour lui de prendre en paiement le métal excédant. Le déchet de la fonte sur cette partie sera compté pour poids à raison de 5 %". Cet acte est signé Gergaud, Raguenier, Bâtard, Caillard.

D'après la tradition aussi, ces cloches auraient été fondues à Beauvoir même, dans le petit cimetière. Deux existent encore, simplement ornées de filets et portant des inscriptions incomplètes et assez difficiles à déchiffrer. On peut cependant lire sur la plus petite, les noms d'André Gergaud, qui fut sans doute son parrain et de Marie-Anne Rezeu (?), marraine. La plus grosse fut baptisée Napoléon ; le fait vaut d'être signalé, car peu de cloches, sans doute, doivent porter ce nom. C'est là une preuve de l'enthousiasme avec lequel nos populations accueillirent le restaurateur des libertés religieuses. Ses parrain et marraine furent Urbain-Charles-Aimé Bret, maire, et Eulalie Raguenier. Leurs noms, mal orthographiés d'ailleurs, sont encore parfaitement lisibles sur la cloche, de même que celui du fondeur et la date 1805.

Le curé Gergaud se montra donc là encore à la hauteur des évènements ; à défaut d'autres preuves, les actes que nous venons de citer en témoigneraient. Il avait su calmer les dissensions passées ; les catholiques avaient vu avec joie se rouvrir leur église et ceux-là mêmes qui avaient embrassé avec ardeur l'idéal révolutionnaire, étaient devenus les collaborateurs du curé. Il semble n'y avoir eu aucun tiraillement entre les autorités religieuses et civiles et les archives de Beauvoir, dans les questions qui intéressent le culte, mentionnent toujours l'avis du curé et son accord avec la municipalité.

Dans un rapport sur le clergé de son arrondissement, le sous-préfet des Sables écrivait d'ailleurs du curé de Beauvoir, vers 1810 : "Est avancé en âge, généralement considéré dans la commune où il prêche d'exemple l'amour de la religion et du gouvernement".

Nous n'avons que peu de renseignements sur les dernières années de M. Gergaud ; nous savons seulement qu'il fit, le 16 mai 1808, la bénédiction du nouveau cimetière de Sallertaine, en présence du Maire, du Conseil Municipal au complet et d'une grande partie de la population.

L'une de ses dernières oeuvres, fut l'installation, à Beauvoir, des Dames Ursulines de Chavagnes, congrégation fondée en 1802, par le vénérable P. Baudouin, pour l'instruction et l'éducation des petites filles. Ce rôle était assumé avant la Révolution par les Soeurs de l'Union Chrétienne de Luçon.
A l'hiver de 1811-1812, les Religieuses s'installaient à Beauvoir dans "une petite maison que M. Gergaud lui-même leur avait préparée". Si nous en jugeons par l'acte de décès d'une religieuse (28 octobre 1812), cette maison devait se trouver dans la grand'Rue.
Cette institution rendit le plus grand service à la paroisse ; le 3 mai 1812, le Conseil Municipal disait au sujet des religieuses : "Aux talents nécessaires aux personnes qui se chargent d'instruire la jeunesse de nos campagnes, ces Dames joignent des vertus qui deviennent rares de plus en plus et que les bons exemples peuvent seuls ranimer, un louable désintéressement ..."
Depuis lors, les Ursulines de Chavagnes ont continué leur oeuvre à Beauvoir, elles n'ont pas démérité et rappeler leurs vertus est chose vaine pour les familles qui les voient continuellement à l'oeuvre. Leur école fut, jusqu'en 1885, époque des premières lois laïques, la seul école communale de filles de Beauvoir.
De la grand'Rue, elles ont émigré rue Saint-Nicolas, et le bon abbé Gergaud serait particulièrement heureux de voir, après plus de cent ans, son oeuvre si florissante, installée dans ce qui fut, avant la Révolution le presbytère des curés de Beauvoir.

Le zèle de M. Gergaud ne se départit pas un instant, on trouve sa signature à chaque page des registres paroissiaux jusqu'au 21 avril 1813. Peu de jours après, il mourait, emporté par une très courte maladie.

Voici son acte de décès tiré des registres de l'Etat-Civil :
"L'an mil huit cent treize, et le vingt-huit avril, par devant nous, Maire et Officier public de l'Etat-Civil de la commune de Beauvoir soussigné, ont comparu messieurs Jean-François Hubert, âgé de quarante-huit ans, rentier et André Hubert, âgé de quarante-six ans, boulanger, demeurant à Nantes lesquels nous ont déclarés (sic) que M. André Gergaud, curé de cette ville, âgé de soixante treize ans, né à Nantes et demeurant en cette ville, fils de feu André Gergaud et de Anne Saurin, est décédé hyer à six heures du soir dans sa maison, sise Rue de Saint-Nicolas, et ont les déclarants neveux du défunt signés (sic) avec nous, après lecture."
Signé : Pre Mourain, maire ; J. Hubert, A. Hubert.

Il fut inhumé le surlendemain au cimetière par son ami M. Guérineau, curé de Challans, en faveur duquel il avait intercédé en 1800, assisté de deux anciens vicaires de Beauvoir :
"Le vingt-neuf avril mil huit cent treize, le corps de André Gergaud, curé de cette paroisse, décédé le vingt-sept dans cette ville, à l'âge de soixante treize ans, a été inhumé par nous, curé soussigné, dans le cimetière de cette paroisse, en présence de MM. Pierre Pitaud, curé de St-Gervais, et Placide Guinemand, curé de Soullans".
Signé : Guérineau, curé de Challlans
Pitaud - Guinemand.

La succession de M. Gergaud paraît avoir été quelque peu difficile. La paroisse resta sans pasteur, après sa mort, pendant un an environ et fut gérée par le vicaire, M. Letard, jusqu'au 1er avril 1814. D'autre part, de 1814 à 1829, date de l'arrivée du vénérable curé Soulet qui devait gouverner la paroisse pendant 43 ans, quatre curés se succédèrent à Beauvoir.

Le premier d'entre eux fut l'abbé Letourneur, ancien vicaire de Marennes, qui, au bout de quatre ans, démissionna pour raison de santé. Les difficultés qui avaient précédé son arrivée se reproduisirent à son départ et Mgr Paillou eut toutes les peines du monde à décider l'abbé Pitaud, ancien vicaire de Beauvoir, qui avait été nommé curé de St-Gervais à la mort du P. Martin, ancien Ministre des Trinitaires (1806) : "Vous êtes le vingt-deuxième, lui écrivait l'évêque, à qui j'offre la cure de Beauvoir ... Je me jette à vos genoux, mon cher curé, ne me refusez pas ; ces refus me chagrinent et jettent de l'amertume sur mes vieux ans ; acceptez, je vous en prie, vous me rendrez un vrai service ..." Le curé de Saint-Gervais ne put que se résigner et fut installé le 17 juillet 1818. Il devait d'ailleurs rester à Beauvoir quatre ans seulement et mourir archiprêtre de Fontenay, le 5 avril 1829.

Lorsque, au début de ce siècle, on restaura le grand cimetière de Beauvoir, la tombe primitive de l'abbé Gergaud disparut au cours des travaux : elle se trouvait - les anciens du pays s'en souviennent parfaitement - non loin du mur de clôture sud, presque face à l'entrée actuelle, était entourée d'une petite grille en fer forgé et présentait à chacun de ses angles un haut cyprès.
Mais on avait pris soin d'exhumer les restes du digne prêtre et sous la croix de granit que l'on érigea au centre du cimetière, où l'on avait recueilli déjà tous les ossements épars trouvés pendant les terrassements, on plaça pieusement ces précieuses reliques : "La petite caisse en chêne", écrit M. le curé Blanchet dans sa relation de la cérémonie d'érection et de bénédiction de la Croix (novembre 1901), "placée entre les quatre pierres de la seconde assise du piedestal, renferme, avec les ossements principaux, les lambeaux de soutane encore assez bien conservés et les deux pans de l'étole que recouvraient deux bouts de planches de sapin non complètement pourris. Les débris de chapelet et le petit Christ en ébène trouvés sous l'étole et sur le drap de la soutane, ont été conservés au Presbytère ..."

Le souvenir du bon abbé Gergaud est encore très vivant à Beauvoir ; comme tous ceux qui furent mêlés à la grande tourmente de 93, une sorte d'auréole le nimbe aux yeux de la postérité. Ses oeuvres sont vivantes : le  grand Calvaire fondé par lui en 1785, les restaurations faites à l'église, la fondation du presbytère ... redisent son nom aux générations actuelles, de même que les deux cloches qui, dans l'antique beffroi de Beauvoir, le portent encore gravé dans le bronze ...

C'est dans les grandes crises que les âmes s'épurent et si quelques-unes alors dévoilent leur bassesse, il en est qui savent s'élever jusqu'à l'héroïsme et au sacrifice. L'abbé Gergaud fut, à cette époque particulièrement troublée de la Révolution, un apôtre dans toute la force du terme, un mainteneur. Une foi inébranlable, un solide bon sens lui permettant de juger les évènements avec droiture et clairvoyance, une vision nette du devoir, une magnifique activité, un sublime attachement à sa paroisse, telles furent, jointes à une incomparable dignité sacerdotale, les grandes qualités de ce curé Vendéen.

A plusieurs de ces prêtres qui demeurèrent fidèles, dans notre Marais, Dieu donna la palme du martyre. Ceux qui survécurent aux combats et à l'exil eurent presque tous la suprême récompense terrestre de retrouver leur paroisse et d'y mourir. L'abbé André Gergaud eut la joie de voir les autels restaurés, son église purifiée, et la consolation de finir ses jours, dans la paix religieuse recouvrée, au milieu de ces habitants de Beauvoir qu'il avait évangélisés pendant trente-six ans.

Son tombeau, au centre de notre vieux cimetière, où reposent depuis des siècles nos ancêtres, a toute la valeur d'un symbole, et c'est à de nobles âmes comme la sienne que notre pays doit d'avoir conservé sa foi religieuse et ses antiques traditions.

Dr JULIEN ROUSSEAU
Revue du Bas-Poitou
1933 - 1ère, 2ème et 4ème livraison
1934 - 1ère et 2ème livraison

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Commentaires
B
Bonjour;<br /> <br /> je m'intéresse plus particulièrement à la Famille Vigneron de la Jousselandière.<br /> <br /> Auriez-vous quelque piste particulière ?<br /> <br /> Merci
Répondre
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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