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La Maraîchine Normande
13 mai 2013

NOYADES DE CARRIER ♣ A PROPOS D'UNE INSERTION AU MONITEUR DU 2 JANVIER 1794

noyades 1



Le Moniteur du 2 janvier 1794, rendant compte de la séance de la Convention de l'avant-veille, publiait la lettre suivante, adressée par un jacobin de Nantes au représentant du peuple Minier, et dont celui-ci avait donné lecture à l'assemblée, aux applaudissements de ses collègues :

"Mon ami, je t'annonce avec bien du plaisir que les Brigands sont enfin détruits. Le nombre qu'on en amène ici depuis huit jours est incalculable. Il en arrive à tout moment. La guillotine est trop lente ; et comme en les fusillant c'est aussi trop long et qu'on use de la poudre et des balles, on a pris le parti de les mettre un certain nombre dans de grands bateaux, de les conduire au milieu de la rivière, à une demi-lieue de la ville, et là on coule le bateau à fond. Cette opération se fait journellement."

C'est ainsi que le journal officiel de la Révolution apprenait au peuple français comment cette Révolution, qui s'était faite au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, entendait exécuter son programme humanitaire, et comment les représentants de la nation, en applaudissant à de pareilles infamies, se montraient disposés à donner carte blanche, à tresser à l'avance une sorte de couronne civique aux intelligents novateurs grâce auxquels on allait pouvoir remédier aux lenteurs de la justice révolutionnaire et continuer à se défaire des Brigands tout en économisant la poudre et les balles et en ménageant le rasoir de la guillotine !

carrier... Faisant alors la part des responsabilités, nous verrons que Carrier, l'inventeur des noyades, le bourreau applaudi le 2 janvier, ne fut en réalité qu'un exécuteur fidèle du Comité de Salut Public : exécuteur plus zélé peut-être et plus inventif que la plupart de ses collègues, mais jamais blâmé, souvent félicité, approuvé en somme jusqu'au dernier moment, en dépit des plaintes et des dénonciations dont il avait été l'objet. Nous verrons que si, plus tard, la Convention crut devoir réprouver les actes de celui qu'elle avait si longtemps considéré comme un patriote modèle, comme le proconsul selon son coeur, ce fut de sa part simple hypocrisie, pure lâcheté, uniquement parce que le vent soufflait désormais à une certaine modération relative, et qu'il s'agissait de faire expier par quelque bouc émissaire des monstruosités qui n'étaient plus dans le ton du jour sans doute, mais que l'assemblée tout entière avait approuvées, sanctionnées, encouragées à mainte reprise, et dont chacun de ses membres, s'était rendu complice.

Sans insister davantage sur ce point pour le moment, et tout en me réservant de compléter par la suite le dossier du proconsul nantais, je voudrais me borner à donner aujourd'hui un aperçu de ces noyades tristement célèbres auxquelles faisait allusion la lettre insérée au Moniteur du 2 janvier, et dont un si grand nombre de nos compatriotes ont été les malheureuses victimes ! - Ce n'est pas sans une certaine répugnance, j'en conviens, qu'on peut se décider à réveiller de tels souvenirs et faire revivre le récit de semblables horreurs, mais c'est de l'histoire, hélas ! et, si pénible d'ailleurs que cela puisse être, le moment n'est pas inopportun de rappeler aux générations nouvelles quels éléments composaient ce fameux bloc révolutionnaire qu'encensent tous les jours sous nos yeux les jacobins de l'école de M. Clémenceau ...

Le souvenir de ces noyades a quelque chose de si odieux et de si révoltant, on se sent tellement indigné, même à un siècle de distance, à l'idée de ces malheureux prisonniers, sans défense, vieillards, femmes et enfants, entassés pêle-mêle au fond de "bateaux à soupape" et précipités sans plus de façons dans les eaux de la Loire, qu'on voudrait pouvoir douter, pour la dignité de l'histoire et du genre humain, et l'on serait tenté au premier abord de se demander s'il n'y aurait point là une de ces terribles légendes, inventées ou tout au moins grossies après coup, sur lesquelles se plaisent parfois à broder les imaginations fantaisistes ...

Hélas ! ce doute, dont certains fervents quelque peu honteux, adversaires de la théorie du bloc mais admirateurs de la Révolution quand même, auraient bien voulu et ont souvent essayé de faire bénéficier leur idole, ce doute n'est malheureusement pas permis lorsqu'on parcourt les pièces authentiques du procès intenté à Carrier et à ses complices, après le 9 thermidor, et qu'on se trouve en présence de cette foule de témoignages si précis, si peu suspects et si concordants, de ces aveux, d'un cynisme révoltant, tombés de la bouche des accusés eux-mêmes !

Écoutons d'abord les témoins :

Capture plein écran 08032012 143126Le premier qui ait été entendu à l'instruction, Gillaume-François Lahennec, "médecin de charité à Nantes", dépose ainsi : "... J'ai également connaissance d'une noyade de 90 prêtres, dont deux vieillards, savoir : Lacombe et Briançon, parvinrent à se préserver, et ne durent le soutien de leur existence, pendant quelques jours, qu'aux soins généreux du capitaine Laflotte ; j'ai été pareillement instruit de tous les mouvements que se sont donnés les membres du comité révolutionnaire pour se saisir de ces deux citoyens soustraits à leur barbarie.
D'abord, les noyades se faisaient de nuit ; mais le comité révolutionnaire ne tarda pas à se familiariser avec le crime, il n'en devint que plus cruel, et dès ce moment, les noyades se sont faites en plein jour, à trois heures après dîner. D'abord, les individus étaient noyés avec leurs vêtements ; mais ensuite le comité, conduit par la cupidité autant que par un raffinement de cruauté, dépouillait de leurs vêtements ceux qu'il voulait immoler aux différentes passions qui l'animaient. Il faut aussi vous parler du mariage républicain, qui consistait à attacher, tout nu, sous les aisselles, un jeune homme à une jeune femme, et à les précipiter ainsi dans les eaux."

noyades 2Victoire Abraham, femme Pichot, vingt-cinquième témoin, qui demeurait à la Sècherie de Nantes, c'est-à-dire juste en face de l'endroit où se pratiquaient les noyades, déclare : "Je déclare avoir vu, du 18 au 20 brumaire, des charpentiers faire des trous à une sapine ou gabare, et le lendemain j'appris qu'on avait noyé des prêtres. Trois semaines ou un mois après, je vis amener au crépuscule, grand nombre de femmes, dont plusieurs portaient des enfants sur leurs bras. Toutes pleuraient et se plaignaient ; on va nous noyer, disaient-elles, et on ne veut pas nous juger. Des citoyens prennent des enfants et les emportent : les cris des mères redoublent. Des femmes enceintes furent également amenées. On dépose ce qui reste de femmes et d'enfants dans une galliote hollandaise. Le lendemain matin, par quelques citoyens, nouvelle demande de femmes et d'enfants. Fouquet s'y oppose, et ces femmes, ces enfants dont la remise avait été refusée, furent, peu de jours après, noyés.
Lorsqu'on effectuait une noyade, on faisait descendre de la galiote dans un chaland ceux qu'on voulait expédier. Ces chalands avaient des trous pratiqués exprès, par lesquels l'eau s'introduisait et faisait couler le vaisseau ; j'en ai vu plusieurs submergés de cette manière : il fallait un chaland pour chaque noyade. On a noyé à Nantes pendant deux mois.
Je vis un jour amener des prisonniers sur des charrettes ; ils venaient de l'entrepôt : on les disposa dans une galiote où on les oublia pendant quarante-huit heures ; on avait eu la précaution de fermer le pont. Lorsqu'il fut ouvert, on trouva soixante malheureux étouffés. On les fit enlever par d'autres prisonniers qu'on venait d'amener. Robin, le sabre à la main, fit jeter ces cadavres dans la Loire. Cette opération finie, il fait mettre à nu tous les prisonniers, hommes, femmes et enfants, on leur lie les mains derrière le dos, on les fait entrer dans un chaland, où ils sont noyés."

Un autre témoin, Philippes Tronjoly, président des tribunaux civil et criminel de Nantes, fait une déposition non moins précise, dont voisi la partie la plus importante : "Il y a eu vingt-trois noyades, dont deux de prêtres, dirigées par Foucault, commandant à Paimboeuf, et d'autres à Nantes ... Femmes enceintes, vieillards, enfants, tout a été noyé, on compte plus de six cents enfants livrés aux flots. Ces expéditions se faisaient d'abord de nuit, ensuite la lumière du jour a éclairé ces horreurs ; d'abord, ces victimes étaient précipitées avec leurs vêtements, ensuite elles ont été dépouillées au moment d'être noyées.
J'arrive à un nouveau genre de cruauté qui produira sans doute dans vos âmes le même mouvement d'indignation qu'il m'a fait éprouver ; je veux parler du mariage républicain, qui consistait à attacher un jeune homme à une jeune femme, sous les aisselles, à les garder ainsi accolés pendant une heure, et à les précipiter dans cette situation dans les flots après leur avoir porté des coups de sabre sur la tête. On commettait des horreurs envers les femmes."

Il me serait facile de multiplier les dépositions de ce genre. Je n'aurais qu'à prendre au hasard dans la liste des nombreux témoins entendus au cours de l'enquête : depuis les fonctionnaires ayant eu des relations personnelles avec le proconsul et ses séides, comme l'inspecteur de l'armée Martin Naudille, devant lequel Carrier, bien avant la fin des noyades, se vantait un jour "d'avoir déjà fait passer deux mille huit cents Brigands dans la baignoire nationale," jusqu'aux simples manoeuvres chargés de la construction des bateaux à soupape, comme le charpentier Affilé par exemple, qui fait passer sous les yeux des juges les réquisitions signées par les membres du comité révolutionnaire pour assurer le service des noyades ! ...

A quoi bon ? - Alors surtout que nous avons, signés par eux, les aveux des accusés eux-mêmes !

noyades 3Car tous les complices de Carrier sans exception, Chaux, Grand-Maison, Mainguet, Joly, Bachelier, Goullin, tous ont fini par reconnaître, au cours de leur interrogatoire, sinon toutes les charges relevées avec tant de précision par les divers témoins, du moins le fait même des noyades.

De tous ces aveux, dont le relevé nous entraînerait en dehors des limites d'une simple chronique, je n'en veux retenir qu'un seul, celui du féroce Goullin, cet ancien négrier devenu le lieutenant de Carrier, et qui, sur une interpellation du président à la suite de la déposition du médecin Lahennec, fait cette cynique déclaration :

"Il faut apprendre au tribunal qu'à cette époque les prisons étaient remplis de Brigands, et que le dessein d'immoler tous les détenus était suffisamment justifié par les circonstances, puisqu'on ne parlait que de conspirations dans les prisons. Je soutiens que ces mesures, toutes extrêmes qu'elles paraissent, étaient inévitables. Parisiens ! si vous avez jugé nécessaire la journée du 2 septembre, notre position était peut-être encore plus délicate que la vôtre ; ces noyages, toutes révoltantes qu'elles vous semblent, n'étaient pas moins indispensables que le massacre du 2 septembre auquel vous vous êtes livrés."

L'aveu est cynique, mais formel ; voilà donc bien la cause définitivement entendue, et tous les témoignages seraient désormais superflus.

Qu'on discute après cela, tant que l'on voudra, sur le nombre des noyades et sur le chiffre plus ou moins considérable des victimes ; qu'on admette que vingt mille malheureux suivant certains témoins, ou seulement trois mille, suivant les autres, auraient trouvé la mort au fond des bateaux à soupape de la Terreur nantaise : peu importe ! Et, pour ma part, je la trouve vraiment singulière, l'attitude de nos jacobins modernes, de ces défenseurs d'office qui continuent de temps en temps à plaider la cause de Carrier et de ses complices en criant à l'exagération ! C'est une triste besogne, avouons-le et de nature à faire peu honneur à qui s'en charge, que celle de défendre au tribunal de l'histoire certains criminels, - et ici quels criminels ! - alors qu'on en est réduit à discuter le nombre de leurs crimes et le chiffre de leurs victimes !

HENRI BOURGEOIS
LA VENDÉE HISTORIQUE
1897

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