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La Maraîchine Normande
11 mai 2013

PIERRE BRUNET, PATRIOTE DURTALOIS (1753-1799)

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Pierre Brunet, né dans une famille de tuiliers à Durtal, au nord de l'Anjou, est représentatif des républicains ruraux. Ses huit enfants moururent très jeunes et lui-même, simple artisan, connût rapidement la gêne. Prenant des responsabilités dans l'organisation de la commune de Durtal, puis dans la garde nationale et dans la société populaire locale, il pourchassa constamment les royalistes de 1793 à 1796. Les chouans tentèrent à plusieurs reprises de le tuer et ils y parvinrent à la fin du Directoire. Ses concitoyens, qui avaient eu besoin de lui pour les protéger, ne le défendirent pas beaucoup.

UNE FAMILLE DE TUILIERS

Pierre Brunet est né en 1753 au village des Tuileries, dans la paroisse angevine de Notre Dame de Durtal, au nord du Baugeois. C'est un lieu écarté, à près d'une lieue au nord de la grande route de Paris à Nantes et au bord du chemin, joli mais très secondaire, qui conduit à Notre Dame du Pé. La forêt et les landes n'étaient pas loin. Le grand chemin de Durtal à Sablé passait plus à l'est, tandis qu'au sud-¤uest une voie mal entretenue, pleine de fondrières, conduisait à Saint-Germain et à Daumeray par les bois du Grip.
Implanté au milieu d'un banc d'argile propre à faire des briques, du "bloc" (carreaux de terre cuite) et de la vaisselle de terre, le village des Tuileries rassemblait en 1791 une dizaine de "marchands tuilassiers". La famille la plus marquante semble y avoir été celle des Sourciller, alliée aux Buisard et aux Brunet.

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Pierre Brunet le jeune, était fils de Pierre Brunet, marchand tuilier, et d'Anne Maubert. La tuilerie paternelle, avec sa "grange" servant d'atelier de fabrication, ne devait pas c¤mpter plus de trois ouvriers, tout comme les installations voisines des cousins Sourciller.
Même si Brunet père était désigné comme "maître tuilassier", il était un artisan et non un entrepreneur industriel. L'inventaire mobilier dressé en septembre 1780 après le décès de sa femme en témoigne : il ne s'élève qu'à 1.663 livres 16 sols, c'est-à-dire un niveau équivalent aux inventaires des métayers des environs à la même époque. Si on en défalque le matériel de production, le mobilier ne devait être ni abondant, ni luxueux.

On ne connaît rien des premières années de Pierre Brunet le jeune. Le 15 mai 1780, âgé de 27 ans, il épouse sa cousine germaine, Marie-Anne Poulain, âgée de 24 ans, fille de défunt Pierre Poulain, marchand tuilier au Rairies, et d'Anne Brunet, présente, tante de l'époux. Une dispense de parenté a été accordée le 3 mai précédent par l'évêque d'Angers. Peut-être cette consanguinité allait-elle contribuer au destin malheureux des enfants à venir du nouveau couple. Mais ce mariage s'imposait car Marie-Anne attendait un heureux évènement.

Six semaines plus tard, le 5 juillet 1780, alors que l'époux était en déplacement, naissait Pierre-Louis Brunet. Le père signa l'acte à son retour de voyage. Malheureusement, inaugurant une triste série, Pierre-Louis devait être inhumé le lendemain de sa naissance.
Suivront alors sept autres enfants, à un rythme soutenu, mais dont aucun ne dépassera la neuvième année. A partir du mois d'avril 1794 le ménage Brunet n'aura plus aucun enfant vivant. C'est à un exemple extrême de la démographie d'Ancien Régime, dont les causes tiennent sans doute à de nombreux facteurs : consanguinité, pollution de l'eau, alimentation inadaptée et manque de soins. Le médecin était loin, à près d'une lieue, et le faire venir coûtait l'équivalent de plusieurs journées d'ouvriers.

En 1790, le village des Tuileries, plus peuplé qu'aujourd'hui et désormais situé en Maine-et-Loire et aux confins de la Sarthe, comptait parmi ses tuilassiers le père Brunet et ses trois fils : Louis, Pierre et Nicolas. Pierre Brunet le jeune joua un rôle dans sa paroisse grâce à la forte implantation locale de sa famille et parce qu'il savait bien écrire.
Lors de la formation de la municipalité paroissiale, le 22 février 1790, il fût élu 4e sur la liste des quatorze notables qui, avec les officiers municipaux, le maire et le procureur, allaient former le conseil général de la commune.
Cette élection permit à notre homme de participer épisodiquement aux réunions du conseil général de Notre Dame (mais on ne demandait pas plus aux "notables", à la différence des officiers municipaux). D'ailleurs son domicile était éloigné, fait qui devait jouer un grand rôle dans son destin.

Le 13 octobre 1790, un décret de l'Assemblée nationale réunit les quatre paroisses de Durtal en une seule municipalité. La nouvelle commune comptait alors 3.432 habitants.
De nouvelles élections eurent lieu à partir du 29 novembre 1790 et Pierre Brunet fût élu 17e sur les dix-huit notables de la nouvelle commune, par 53 voix sur seulement 70 citoyens actifs présents, alors qu'il y avait 500 inscrits. La durée du scrutin (étalé sur plusieurs jours), les rivalités de personnes et entre paroisses, ainsi que le recul prudent d'une partie du clergé, avaient grossi les rangs des abstentionnistes.
Dès le 5 décembre, notre notable prête serment de fidélité à la Constitution. Il est présent aux séances du conseil général les 8 et 26 décembre 1790, mais, peut-être parce qu'il habite loin, il ne compte pas parmi les premiers membres de la nouvelle "Société des Amis de la Constitution" fondée à Durtal le 8 mai 1791. Lors des élections municipales de décembre 1792, il n'est pas réélu notable, à la différence de son voisin d'Aussigné, Urbain Préaubert.

UN PATRIOTE AU MILIEU DES TROUBLES

C'est à partir de 1793 que l'engagement républicain de Pierre Brunet l'entraîne à prendre parti plus nettement et à risquer sa vie, d'abord comme simple garde national puis comme capitaine d'une compagnie.

Alors que l'exécution du roi, le 21 janvier 1793, ne semble pas avoir provoqué de réaction immédiate dans la campagne, la proclamation à Durtal de la loi sur le recrutement de 300.000 hommes, le 9 mars, est suivie d'émeutes le lendemain et les jours suivants. A la différence de ce qui se passe, au même moment, au sud de la Loire, le soulèvement est réprimé rapidement grâce à la gendarmerie et à une forte mobilisation des gardes nationaux des bourg patriotes. De plus, on ne rencontre guère dans cette révolte de meneurs ayant une expérience militaire (peu ou pas de nobles, guère d'anciens soldats).

A Durtal, la municipalité a dû hisser le drapeau rouge et proclamer la loi martiale, comme à Châteauneuf, le chef-lieu du district. Des arrestations nombreuses ont suivi et 81 jeunes gens de la commune et des environs (Huillé, Notre-Dame-du-Pé, la Chapelle-d'Aligné et Précigné) sont envoyés en détention au château d'Angers. Parmi eux quelques artisans et compagnons, mais surtout des laboureurs (au sens de conducteurs de train de labourage, fils de métayers ou domestiques de fermes). Sauf de rares exceptions, ils sont jeunes (de 17 à 30 ans) et célibataires ; c'est dire qu'ils sont directement visés par la loi sur le recrutement.
Plusieurs viennent d'exploitation proches du village des Tuileries : ainsi les deux frères Blanchouin, des Ruaux près du Grip, ou Gaultier, de la Miennerie. Presque tous sont connus de Pierre Brunet qui a participé à la répression.
Ils seront relâchés dans les premiers jours d'avril 1793, après plusieurs interrogatoires, aucun n'ayant été pris les armes à la main. Mais les républicains de Durtal ne se montreront pas pressés de les voir revenir et, le 12 avril, la municipalité recevra une pétition émanant des "bons citoyens" qui se plaignent que les coupables d'attroupement et de désordres restent impunis. En fait, pendant leur détention, une partie de ces "mutins" ont été désignés d'office comme "volontaires" pour partir aux frontières.

Là ne se bornent pas les mesures répressives. Le district de Châteauneuf a en effet décidé dès le 21 mars d'envoyer une centaine de "suspects" en résidence surveillée à Angers, au nombre desquels une tante de Pierre Brunet, soupçonnée d'incivisme, c'est-à-dire d'assistance aux messes des prêtres réfractaires.

Le temps n'est plus à la tranquillité. Le soulèvement vendéen s'étend et tous les gardes nationaux du département participent durant le printemps et l'été 1793 à la défense de la République. Ceux de Durtal vont défendre Chalonnes, puis se rendent au secours d'Angers et à la reprise des Ponts-de-Cé.
Pour enrayer la multiplication des défaites, les représentants du peuple en mission dans l'ouest, réunis à l'état-major de Saumur, proclament le 7 septembre 1793 contre la Vendée la levée en masse au son du tocsin de tous les citoyens en état de porter des armes. Ceux du district de Châteauneuf sont convoqués à Angers avec armes et provisions.
Ce texte est publié à Durtal le 11 septembre et il apparaît bien vite dans tout le district que les "bons citoyens" eux-mêmes n'accepteront de partir que si les municipaux et les administrateurs du district les accompagnent.
Les discussions à la veillée dûrent être âpres et, dès le jeudi 12 septembre, des attroupements se formèrent dans la partie du département de la Sarthe voisine du district de Châteauneuf, notamment à Précigné, autour de Sablé, à Auvers-le-Hamon et à Brûlon. Plusieurs centaines d'hommes y désarmèrent les patriotes et refusèrent de partir pour la Vendée. On entendit des cris "Vive le Roi".

Au district de Châteauneuf, où on avait encore en mémoire les risques encourus lors des émeutes de mars, l'annonce d'incursions des attroupés dans les environs de Durtal, à Daumeray et Morannes, ainsi qu'à Saint-Denis-d'Anjou (Mayenne), provoqua une panique. On appela le directoire du département de Maine-et-Loire à l'aide et on demanda des renforts de gardes nationaux à tous les districts environnants. Il en vint même du Lude et de Château-du-Loir. La propagation des rumeurs amplifia ce soulèvement au point qu'une petite armée fut constituée par le représentant Thirion et confiée au général Humbert.

En fait, dès le 14 septembre, après la déroute des attroupés à Saint-Denis-d'Anjou (ce qui valut à cette commune le nom républicain de "Mont-Vainqueur"), tout était rentré dans l'ordre, aux proscriptions près.

Les gardes nationaux, auxquels cette insurrection avait permis de rester sur place pour la réprimer et donc d'éviter de rejoindre les contingents de la levée en masse destinés à combattre les Vendéens, agirent brutalement et opérèrent des centaines d'arrestations. Une commission militaire fût formée à Sablé pour juger les attroupés. Il y eut quelques exécutions capitales, mais des centaines de personnes restèrent enfermées jusqu'à la chute de Robespierre, ballottées d'une prison à l'autre pour échapper à l'Armée Royale qui, le 18 octobre 1793, allait entamer sa "virée de galerne" au nord de la Loire. Parmi les détenus se trouvaient des réfractaires au recrutement de mars 1793, dont des proches voisins des Tuileries, tels les frères Blanchouin, déjà cités. En tant que "capitaine du détachement des Tuileries", Pierre Brunet avait participé directement aux arrestations.

Notons qu'Urbain Blanchouin, emprisonné d'abord à Sablé, transféré au Mans puis à Chartres, mourût ainsi que plusieurs de ses co-détenus dans les prisons de Corbeil au printemps de 1794. Les rancunes qui allaient s'accumuler contre Pierre Brunet trouvent sans doute leur origine dans les arrestations de septembre 1793.

Le rôle du détachement des Tuileries consistait alors en patrouilles fréquentes pour dépister ceux qu'on appelait les "malintentionnés". Le 23 septembre, il découvrit dans un champ, près les bois du Grip, une cache souterraine construite avec des madriers et des planches, contenant 48 boisseaux de seigle. Dans l'intervalle de ces courses, les hommes occupaient un poste de garde au lieu des Petites Tuileries ; en mars 1794, Brunet put d'ailleurs obtenir 100 livres de la municipalité pour le dédommager du prix de six charretées de bois de chauffage utilisé par ce poste durant l'automne et l'hiver précédents.
Cette activité s'interrompit au cours de la première semaine de décembre 1793, quand l'armée vendéenne passa à Durtal, au retour de Granville. Mais les patrouilles reprirent ensuite pour débusquer les réfugiés et les traînards de l'Armée catholique et royale, dont plusieurs furent exécutés à Durtal et jetés dans le Loir.

Ce sont sans doute ces succès patriotiques qui valurent à Pierre Brunet d'être proposé le 26 janvier 1794 à la société populaire de Durtal. Il y fut reçu le 28 janvier. Le 19 mars (29 ventôse an II) fût marqué par une visite d'importance en cette époque de terreur : le représentant du peuple Francastel, en tournée pour connaître l'esprit public, assista dans l'ancienne église Saint-Pierre à une séance extraordinaire de la société populaire de Durtal. L'épuration qu'il imposa à cette occasion au conseil général de la commune fit bénéficier Pierre Brunet d'un poste de notable.
Dès lors, patriote confirmé, notre homme essaya de valoriser ses voisins qui l'aidaient au sein du détachement des Tuileries. C'est ainsi qu'il fit recevoir successivement au sein de la société populaire son frère Louis Brunet, Joseph Février, Joseph Buisard le jeune et Charles Arthuis, tous quatre des Tuileries, ainsi que Urbain Chesneau, garde au Grip. L'importance du rôle de Pierre Brunet atteignit son plus haut niveau quand il fût chargé, le 17 juillet 1794, avec huit autres commissaires, d'épurer la société populaire.

Mais des nuages biens noirs se sont levés à Durtal et aux alentours. Dès la fin de février 1794 le district de Châteauneuf connaît les premières manifestations de la chouannerie, à l'initiative de Joseph Coquereau, un rescapé de la grande armée vendéenne. Les actions engagées par ce dernier sont relativement limitées de mars à juin entre Mayenne et Sarthe et elles sont concentrées sur des objectifs éloignés de Durtal. Pourtant, progressivement, les chouans se rapprochent de Châteauneuf dont l'administration réclame le secours de tous les gardes nationaux du district. Dès le mois de juin 1794, des chouans sont signalés dans les parages des Tuileries et de Saint-Germain et c'est Brunet qui assure la coordination des patrouilles républicaines.

A cette occasion, il apparaît que les adversaires se connaissent bien. Les chouans sont des voisins, des réfractaires de mars 1793, de la levée en masse de septembre ou encore de la première réquisition.

A partir de fin juin la situation s'aggrave et, en juillet, les chouans du Segréen s'unissent à ceux de Coquereau pour venir menacer Châteauneuf. Durtal envoie le 15 juillet, 60 gardes nationaux armés au chef-lieu du district, au nombre desquels le notable Pierre Brunet et l'officier municipal Ferdinand Gillet. Ce dernier sera tué, par les chouans lors des combats du bois de Charot, entre Contigné et Miré, le 17 juillet 1794.
Alors que la brigade de gendarmerie de Durtal est toujours réquisitionnée par le district, ce sont les gardes nationaux qui sont chargés d'assurer les tâches de police. Ainsi, le 27 juillet, Pierre Brunet reçoit l'ordre de surveiller la closerie du Petit Montrieux à Gouis, où demeure la veuve de Gervais Fossé qui avait fait partie des attroupements de septembre 1793 et était mort en déportation à Chartres au mois de décembre suivant.

Si les chouans du Segréen ont repassé la Mayenne après le 17 juillet, Coquereau et les siens sont restés dans le district de Châteauneuf et, le 9 août, 25 à 30 d'entre eux traversent la Sarthe à Brissarthe pour tenter, via Daumerey et les Moulins Neufs à Huillé, d'aller soulever les campagnes du Baugeois.
Peu après, le 31 août précisément, Pierre Brunet vient faire part à la municipalité de Durtal qu'il a reçu des menaces par une lettre anonyme postée à Sablée. Ces menaces n'étaient pas vaines, comme on le verra.
Pourtant, à partir d'octobre 1794, l'établissement d'un camp militaire important à Précigné, puis d'un autre à Morannes au début de novembre, viendront, souvent relevés, pour résider dans la ville où le général Lebley a souhaité que se trouvent en permanence une centaine de militaires, compte tenu de l'intérêt stratégique de la route de Paris à Nantes.

Mais le camp de Précigné est levé au début de décembre, ce qui provoque les plaintes de l'administration du district et de la municipalité de Durtal. Désormais, les gardes nationaux du bourg et ceux du village des Tuileries seront livrés à leurs seules forces. Leurs ressources sont faibles car ils comptent beaucoup d'indigents.
Les chouans ne tardent pas à exploiter la situation. Dès le 28 décembre, la municipalité de Daumeray doit se réfugier précipitamment à Durtal pour se protéger des incursions répétées des brigands qui parcourent sa commune et celle de la Chapelle-d'Aligné.

Si Brunet assiste à la réunion du conseil général de Durtal le 1er janvier 1795, il est dès le 7 janvier, comme capitaine de la 5e compagnie de la garde nationale, à la tête des patrouilles organisées pour rechercher les chouans qui sont venus la nuit précédente aux Granderies et aux Rochelleries. La municipalité fournit du pain à sa troupe, car les hommes n'ont pas les moyens d'en faire la dépense. Mais, dès le 8 janvier au soir, en raison des menaces des chouans, il est contraint de se retirer "avec tout son monde" pour se réunir aux gardes nationaux du bourg ; il indique avoir entendu une fusillade soutenue et le tocsin dans la direction de Daumeray.

La nuit se passe sous les armes à Durtal et à Huillé où on entendra la fusillade de Daumeray. En fait, l'attaque lancée par "Monsieur Jacques" et une quarantaine de chouans contre le bourg de Daumeray a échoué et son auteur est blessé à mort.
Dès le matin du 9 janvier, la municipalité de Durtal réclame au représentant Bézard, alors en mission à Angers, l'envoi de 100 soldats à Durtal et autant à Daumeray. C'est aussi ce jour-là qu'est prise la décision de fortifier Durtal, mais de longues semaines s'écouleront avant la réalisation des premiers ouvrages, faute de moyens.
Cependant les pourparlers de paix entre les royalistes et les républicains aboutissent à trois traités signés du 17 février au 2 mai avec Charette, Cormatin et Stofflet. Ces trois déclarations de paix avaient été conclues avec des arrière-pensées et elles ne firent pas cesser les harcèlements des chouans, même si plusieurs chefs participèrent à des tournées de pacification avec leurs adversaires de la veille, notamment Coquereau qui vint près de La Flèche avec le général Lebley.

Le mois de février 1795 est aussi marqué, pour les 3.076 habitants alors recensés à Durtal, par de considérables difficultés d'approvisionnement en grains. Une mission d'achat de blés est envoyée en Beauce par les plus riches durtalois qui se cotisent pour payer ces fournitures. Brunet, désargenté, ne peut y contribuer.
C'est le 22 février qu'est lue à Durtal, au son du tambour, la proclamation de Hoche annonçant la reddition de Charette. Mais les réjouissances sont de courte durée car, dès le 25 février, les chouans envahissent le bourg de la Chapelle-d'Aligné et tentent d'y incendier plusieurs maisons.

La nuit suivante, vers une heure du matin, une dizaine de chouans se portent aux Tuileries et frappent à la porte de Pierre Brunet "en jurant et tenant des propos incendiaires". Sa femme, Marie-Anne Poulain, est contrainte de leur ouvrir pendant que son mari se réfugie au grenier avec son fusil à deux coups. Refusant de croire l'épouse qui prétend être seule, un des brigands demande une chandelle et monte à l'échelle pour vérifier si le maître de maison est vraiment absent. En haut Brunet l'ajuste et le tue. Aussitôt les autres mettent le feu à la maison. Pierre Brunet n'a que la ressource d'ouvrir une brèche dans son toit et de sauter à terre ; il se blesse légèrement dans sa chute mais peut s'enfuir grâce à l'obscurité.

Mais la Constitution de l'an III entre en vigueur, le 15 novembre 1795, après bien des hésitations et des refus, la nouvelle administration du canton de Durtal peut s'installer, prenant le relais local du district disparu. A ce moment, les communications sont interceptées et les communes de Huillé et Baracé sont occupées par les chouans. Ceux-ci viennent si près de la ville que, le 28 novembre, la garde national abat au prieuré de Saint-Léonard un de leurs chefs, Charles Rocher.

Le 6 janvier 1796, les troupes cantonnées à Châteauneuf et les gardes nationaux de Durtal, menés par le commissaire du pouvoir exécutif, Jacques Gaudin, livrent un combat important entre les châteaux de la Rochejacquelein et du Grip à un rassemblement de 300 chouans venus entendre la messe du jour des Rois. Une soixantaine de royalistes seraient restés sur le terrain. La place de Durtal restera en état de siège de janvier à juillet 1796. De nombreux meurtres seront encore commis dans les campagnes environnantes.
Mais les chouans paraissent manquer de munitions et certains renoncent à leurs activités, passant même pour deux d'entre eux aux côtés des républicains auxquels ils servent de guides avec Pierre Brunet qui exerce toujours cette fonction en mai 1796.

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Après la pacification acceptée par l'armée de Scépeaux en mai et confirmée le 17 du même mois au château de Martigné en Saint-Denis-d'Anjou par Tercier et Gaullier, les redditions de chouans vont aller en se multipliant. Entre la fin mai et la mi-juin, 200 se rendent à Châteauneuf et 80 à Durtal ; d'autres à Tiercé, Précigné, etc ... Le gros de la troupe de Gaullier dépose les armes au château de la Fautraise à Argenton (Mayenne). La grande chouannerie est terminée.

LA FAUSSE SÉCURITÉ DU RÉGIME DIRECTORIAL

Les activités normales reprennent, même si, de temps à autre, des incidents se produisent avec les anciens chouans dont certains ont conservé leurs armes et l'habitude d'opérer des réquisitions ou de défier les républicains. De juin à septembre 1796, entraînés par Monsallier, ancien membre du comité révolutionnaire de Châteauneuf passé aux royalistes, les ex-rebelles se réunissent à plusieurs reprises à Baracé, Daumeray et Huillé ; ils y font bombance aux frais des patriotes qui n'osent refuser, étant désarmés, et se laissent "emprunter" des chevaux et des effets. Les chouans rendus essayent même d'interdire le port d'armes à leurs adversaires, notamment aux membres de l'administration.
C'est pourquoi une réorganisation de la garde nationale est rendue nécessaire, afin de faire régner l'ordre et de mieux contrôler qui a le droit d'être armé.

Pierre Brunet, qui a remis en état sa maison des Tuileries, est élu le 10 juillet 1796 à l'un des cinq emplois de capitaine de la garde nationale de Durtal. S'il dispose d'effectifs plus importants que ceux de l'ancien détachement des Tuileries, il y a sans doute moins de solidarité entre les membres de cette unité car beaucoup ne viennent pas des parages des Tuileries mais du bourg ou d'ailleurs. Comme les autres membres de la garde nationale, ces hommes serviront durant toute la durée du Directoire au sein de colonnes mobiles qui parcoureront les campagnes.
Toutefois, il faut vivre et Brunet dispose de peu de moyens. Le marasme économique et le mauvais état de son atelier de tuilier l'obligent à trouver des ressources complémentaires. Le 22 août 1796, il accepte de la municipalité cantonale de Durtal les fonctions de garde-champêtre pour les anciennes paroisses de Notre-Dame et de Saint-Pierre, aux appointements modestes de 150 livres par an. Cette fonction lui donnait le droit d'être armé et c'est peut-être ce qu'il cherchait.
Mais le 5 mars 1797, Brunet revenait à la municipalité pour expliquer qu'il ne pourrait consacrer suffisamment de temps à sa tâche de garde que si on doublait son traitement, faute de quoi il faudrait qu'il gagne sa vie autrement. La municipalité lui accorda une augmentation le 16 mars.

De 1796 à 1798, il s'acquitta consciencieusement de ses obligations, dressant des procès-verbaux pour délits de chasse et assurant la surveillance des biens nationaux, ce qui permettait au commissaire du pouvoir exécutif à Durtal d'écrire dans son rapport décadaire du Ier frimaire an VII (21 novembre 1798) : "la police champêtre s'exerce rigoureusement dans mon arrondissement. Les moindres délits y sont fortement punis. Ce n'est que par ces moyens que l'on peut espérer rétablir l'ordre dans les campagnes qui ont si grand besoin d'être surveillées de près". La tranquillité qui régnait dans le canton permit en avril 1797 de supprimer l'astreinte d'une garde de jour pour les responsables du maintien de l'ordre.

Pourtant, les poursuites contre les prêtres réfractaires s'étaient multipliées et les patrouilles républicaines (auxquelles Brunet participa) avaient permis d'en capturer deux, Chollet et Glattier, malgré la protection du chef chouan Brichet dit "Dusimbray".

La garde nationale du canton fut à nouveau réorganisée le 12 juillet 1798 et notre homme se retrouva capitaine, de la 6e compagnie. La hiérarchie restait la même qu'en 1796 et plusieurs officiers et sous-officiers étaient maintenus, mais, comme deux ans avant, il y avait un amalgame de gens de différentes parties de Durtal, sans beaucoup de liens avec les Tuileries. Cela peut contribuer à expliquer que, le moment venu, Brunet n'ait pu compter sur une aide suffisante de ses voisins.

C'est à partir des premiers jours de novembre 1798 que la situation s'aggrave et que la chouannerie recommence à menacer les responsables républicains. La question religieuse et l'anticléricalisme du Directoire vont aggraver les difficultés : le seul prêtre constitutionnel de la région qui ait eu une réelle influence, Pierre-Henry Marchand, curé de Baracé, est arrêté en décembre 1798 et envoyé en déportation à l'île de Ré, d'où il ne sortira que grâce à Talot. Le pouvoir s'aliénait ainsi une partie de ses rares partisans.
Si bien qu'au début de 1799 le régime est discrédité et que, le voyant dépourvu de moyens, ses adversaires royalistes relèvent la tête. Pierre Brunet en sera une des premières victimes. La chouannerie renaissante se manifeste en effet par une vague de meurtres : le 22 décembre 1798 (2 nivôse an VII) c'est le citoyen Cosnard-Desportes fils, ancien administrateur du district de Sablé et franc-maçon, qui est assassiné à Précigné ; le même jour, sur la route de Morannes à Sablé, tombent Germain Coustard, ancien maire de Morannes, et son gendre Fillon du Poteau.

Le commissaire du pouvoir exécutif à Durtal, Jacques Gaudin, raconte que le 8 janvier 1799 (19 nivôse an VII) "quatre individus habillés en uniforme et se disant militaires du cantonnement de Daumeray se présentent à huit heures du matin chez un nommé Brunet, garde-champêtre de cette commune, demeurant au village des Thuilleries, à environ trois quarts de lieue de cette ville, et s'annonçant comme chargés d'oppérer un désarmement se saisissent de ce bon citoyen et luy demandent ses fusils, ses pistolets, munitions, etc. ..."
"Brunet leur fait des représentations, il dit qu'il est bon citoyen. Les coquins, par plusieurs demendes, s'assurent si effectivement il est bien Brunet le jeune, puis l'emmènent sous prétexte de leur désigner ses voisins qui ont des fusils. Brunet, ne se doutant de rien par les assurences et explications qu'on luy faisait, sa femme donne les armes. On l'emmène, Brunet l'interdit et sent qu'il est trompé. Il ne veut pas aller plus loin et on l'assassine à une demie portée de fusil de chez luy, dans un village où tout le monde trompé ne savait pas ou faignait de savoir que ce fut des brigands".
Malgré les efforts de Gaudin, les poursuites furent vaines ; on ne retrouva pas les assassins, sans doute des chouans de la bande de "Dusimbray". Le commissaire de Durtal se préoccupa alors de ceux qui restaient : "une malheureuse femme patriotte, chargée d'un père vieillard et infirme". Il réclama l'application de la loi du 10 vendémiaire pour faire fixer une indemnité à la charge des habitants de la campagne de Durtal, accusés de n'avoir pas empêché le crime.

L'administration départementale suivit ses recommandations. En février 1799 le tribunal d'Angers accorda une indemnité de 1.200 livres à la veuve Brunet, mais à la charge de tous les contribuables de Durtal, ville et campagne, ce qui souleva des protestations. Le recouvrement s'effectua difficilement puisqu'au début d'avril le percepteur n'avait encore encaissé que 950 livres, dont on ne savait pas s'ils devaient être amputés des frais de justice. En fait, la grande majorité des habitants de Durtal se sentaient peu concernés.

Pourtant les troubles continuaient. Dans des circonstances comparables, le 15 mai 1799, c'était au tour du commissaire du Directoire à Morannes, Thomas Millière, d'être assassiné dans sa maison par cinq chouans habillés en soldats républicains et commandés par Guiter dit "Saint-Martin", un des lieutenants de Gaullier.
Face à ces coups de main, les forces républicaines étaient affaiblies. En mars 1799 la colonne mobile du canton de Durtal était réduite à 25 hommes valides ; c'est seulement en juin qu'on retrouva 50 hommes en état de marcher. Il est vrai que dans l'intervalle des faux chouans circulaient entre Baugé et La Flèche, ajoutant aux troubles plutôt que les prévenant.

L'automne 1799 fut marqué par un nouveau soulèvement général, culminant en octobre avec la prise des villes de Nantes, du Mans et de Saint-Brieuc. Mais à Paris d'autres évènements se produisaient, amenant Bonaparte au pouvoir qui allait en finir avec la chouannerie. Puis la Restauration contribua pour longtemps à faire oublier les victimes républicaines.

Représentatif des républicains angevins ruraux, Brunet n'eût droit que rarement à la reconnaissance de ses concitoyens qu'il protégeait des chouans. On ne peut mieux décrire les raisons de sa mort qu'en reprenant la conclusion tirée par Jacques Gaudin. Pour ce témoin, "quoique les brigands qui ont commis l'assassinat de Brunet ne soient pas de mon canton, il est néantmoins constant que le ressentiment de la campagne a livré Brunet à ses assassins. On ne pouvait luy pardonner d'avoir été patriotte ; il avait détruit bien des brigands ; c'est aux yeux des royalistes un crime impardonnable et les campagnes le sont toutes".

A la différence de plusieurs chefs chouans des environs, tels que Bernard de la Frégeolière ou Tercier, Brunet n'a évidemment pas laissé de mémoires et son témoignage nous manque pour mieux comprendre cette période.

CLAUDE CHÉREAU
Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest
Tome 101, numéro 2, 1994.

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Commentaires
P
Avant l'opportunité de la Révolution, Pierre Brunet n'a su se signaler qu'en mettant sa cousine dans une situation embarrassante que Claude Chéreau qualifie d'heureux événement. La tante qu'il fit arrêter n'était autre que sa belle-mère qui constituait un vivant reproche de son comportement à l'égard de sa fille. Joseph Poulain, fils d'Anne Brunet et donc frère de Marie-Anne et cousin de Pierre, a tout fait pour savoir ce qu'était devenue sa mère ; il n'a jamais eu de réponse. Pierre Brunet, héros pour le uns, belle crapule pour les autres. On a retrouvé son cadavre pendu à la Mare au Brec.
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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