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La Maraîchine Normande
5 mai 2013

LONS-LE-SAUNIER ♣ LA CHOULETTE PRISONNIERE (1795)

LA CHOULETTE PRISONNIERE
(1795)

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L'enfance ne possédant rien, ne peut, en conséquence, disposer de rien : mais elle sait encore, dans la mesure de ses faibles moyens, satisfaire quelque fois sa bonté compatissante.

En 1795, il existait dans une des prisons de Lons-le-Saunier, une pauvre fille du peuple, nommée la Choulette. Vous dire par quel délit elle s'était attiré une condamnation de cinq années d'emprisonnement, me serait impossible. Je ne me rappelle de son jugement qu'une seule chose, c'en était la circonstance aggravante et la voici : Dans le temps où le gouvernement de la Montagne insistait sur le port de la cocarde par les personnes de tout sexe et de tout âge, cette pauvre ouvrière (elle était cardeuse et fileuse) eut la malencontreuse idée de se montrer en public avec une cocarde tricolore, placée au bas du dos sur son jupon ; une telle aggravation de faute parut digne d'une aggravation de peine¤

Mais dans une ville aussi peu révolutionnaire que Lons-le-Saunier, un délit politique de cette espèce, de la part d'une jeune fille aussi énergique, n'était pas de nature à lui aliéner l'estime et l'intérêt que lui avait attirés son malheur, au contraire, cette condamnation avait accru la compassion en sa faveur.

Aussi les femmes de sa classe désirant lui rendre la captivité plus supportable, allaient-elles, tous les jours, s'asseoir sous la fenêtre de la chambre de la Choulette, afin de la distraire par leur babil et leurs nouvelles. En échange de leurs causeries, la pauvre recluse entonnait des chansons de circ¤nstance que lui apprenaient sans doute les aristocrates détenues comme elle. Elle avait dans son répertoire des chants pour tous les goûts : ainsi par exemple si elle devinait qu'il y eût dans son auditoire extérieur quelques mères, elle trouvait à les intéresser par les douces plaintes d'un fils absent, et elle tirait des larmes par ce refrain sanglotant qui retentit encore dans mon coeur : "Robert, Robert, on n'est heureux - Qu'au sein de sa patrie ! ..."

Et combien n'avait-elle pas de romances d'amour pour enchanter les jeunes filles qui avaient leurs amants ou sous les drapeaux ou dans les prisons ! Plus d'une fois je l'ai entendue chanter les infortunes de la famille royale, où le nom de Louis XVI était remplacé par un pseudonyme, surtout l'ariette si célèbre :

O Richard, ô mon roi !
L'univers t'abandonne,
Sur la terre, il n'est que moi
Qui m'intéresse à ta personne !
Moi seul dans l'univers,
Voudrais briser tes fers,
Et tout le reste t'abandonne !
O Richard ! ô mon roi !

Au moment où je transporte le lecteur sous la fenêtre de la prison de la Choulette, cette fille entonnait ce qu'alors on appelait la Chanson des prisonniers de Besançon. Ces strophes, de M. Roux de Rochelle, étaient d'une extrême hardiesse ; mais que faire pour empêcher des prisonniers de chanter ? Surtout pour en empêcher une malheureuse fille, que l'on regardait comme privée de sa raison dans ses moments d'exaltation fébrile ?

Non-seulement les femmes et les filles venaient tenir leurs assises sous cette fenêtre, mais les hommes, et surtout les garçons, s'y arrêtaient volontiers pour entendre des airs si bien chantés. Les gamins, non plus, ne laissaient pas tranquille cet instrument sonore. Passaient-ils dans un moment de repos ? ils prêtaient l'oreille pour savoir si la Choulette était là, et ils criaient : Choulette ! Choulette ! chante donc ! A cet ordre inconvenant, la détenue déposant sa mansuétude et sa patience, répondait quelques mots : chante ! chante ! oui la Choulette va chanter pour te plaire, gamin ! Chanterais-tu bien, toi, si tu étais en prison depuis un an, et si tu devais passer quatre ans encore en ce lieu ? Passe ton chemin, petit malhonnête, et laisse tranquille les pauvres prisonniers !

Les jeunes gens de mon âge y venaient à leur tour et (s'adonnaient) à leurs jeux bruyants. Nous y avons joué maintes fois au cheval fort. Il m'arrivait souvent lorsque mon ami Bob, aîné, fit le cheval, et moi l'écuyer, de lui sauter sur le dos et de m'y tenir debout, afin d'atteindre plus aisément les barreaux de fer qui scellaient en partie la fenêtre, et de là, je regardais tout à mon aise la Choulette travaillant avec courage dans son cachot. Car elle avait obtenu la permission de filer la laine afin de gagner peu à peu quelques francs, et d'acquitter du moins les intérêts d'une somme qu'on lui avait prêtée avant sa condamnation. Le souci de cette dette était une marque de vertu fort touchante dans cette fille du peuple. Comment n'aurait-on pas été ému au bruit de ce grand rouet, quand on l'entendait gronder, en passant près de la prison ? Le cachot de la Choulette était précisément à l'angle nord-est de l'hôtel-de-ville actuel, à la place qu'occupe aujourd'hui l'escalier qui monte à la salle du musée départemental.

J'étais si bien à ce poste pour contempler mon héroïne dans son cachot, que je pourrais encore aujourd'hui dessiner sa personne. La Choulette était d'une taille au-dessus de la moyenne. La maturité de ses traits accusait une trentaine d'années. Elle ne parlait point comme une simple fille du commun qu'elle était ; il y avait de l'assurance dans son langage, de la fermeté dans ses idées, et de la fierté dans le regard. Enfin vous auriez cru voir en elle une créature digne de figurer sur une plus grande scène et faite pour devenir célèbre même dans la capitale d'un pays en révolution. Ceci me remet un peu sur la voie, voici peut-être le sujet de sa disgrâce. Républicaine à la façon de Charlotte Corday, la Choulette avait manifesté trop énergiquement son admiration pour cette virago du Calvados, lorsqu'elle apprit parmi nous la nouvelle de l'assassinat de Marat, surnommé l'Ami du peuple par les sans-culottes. Ajoutez pour achever le tableau que la Choulette croyait avoir beaucoup de ressemblance avec Charlotte Corday. Il suffisait de la voir marcher avec son air de dignité dans sa chambre, d'un pas ferme et régulier, la tête levée et le bras quelquefois étendu comme celui d'un orateur, pour avoir de cette femme l'idée la plus avantageuse. Alors il lui échappait de ces mots remarquables qui feraient la fortune d'un tribun. Et lorsqu'elle passait sans transition de la pose éloquente à ces chants favoris, elle vous aurait fait venir le frisson. Je me rappelle et me rappellerai toujours ces strophes chantées par la prisonnière, après la chute de Robespierre au neuf thermidor :

A bas les dictateurs, les triumvirs, les rois !
Périssent les tyrans sous le glaive des lois !
Jusque dans les cachots, l'espérance enfin brille :
Les Français ne font plus qu'une seule famille.
Aux lieux même où l'on vit flétrir l'humanité,
On adore la liberté (bis)

Ordinaire, quand j'allais voir la prisonnière, je lui portait une portion de mon dîner, afin qu'elle mangeât quelquefois de la viande cuite. La première fois que cela m'arriva, je lui dis : Tenez Mademoiselle Choulette - Oh ! Oh ! s'écria-t-elle, c'est du nouveau, cela ; Mademoiselle ! Il y a déjà bien longtemps qu'on ne dit plus Mademoiselle. Ce n'est pas un polisson qui me parle, cette fois, ce n'est pas un de ces petits sans-culottes qui me crie grossièrement : Chante donc, Choulette, allons, chante ! On m'insulte pas aujourd'hui.

Une autre fois, elle me dit : Oh ! ne vous privez donc pas de votre dîner pour moi, mon petit ami, mon petit monsieur : Je suis nourrie au frais de l'Etat. Voyez mon morceau de pain sur cette table. Et l'on me donne également à boire, voyez ma cruche d'eau par terre. A présent je sais à qui j'ai l'honneur de parler, vous êtes le fils de M. Monnier, président du district, et, au lieu de m'apporter à manger et à boire, vous pourriez m'être bien utile mon bon petit monsieur.
- Et de quelle manière, mademoiselle Choulette ?
- Ce serait de souhaiter à votre papa, le bonjour de ma part.
- C'est bien facile ; mais ne demandez-vous que cela ?
- Non, rien que cela, M. votre père devinera le reste. C'est que nous sommes grands amis, les deux, ajoute la prisonnière avec un air de fierté et de confiance. Cependant, si votre papa vous demande ce que je fais, dites-lui : elle chante la chanson des prisonniers de Besançon : "Jusque dans les cachots l'espérance enfin brille".

Vous vous rappellerez bien de ce que je vous dis, n'est-ce pas Monsieur ?
- Oh oui, mademoiselle. Et j'y cours tout de suite.

En entrant à la maison, je n'eus rien plus à coeur que de remplir fidèlement ma promesse, sans oublier le "Jusque dans les cachots l'espérance enfin brille".

Mon père se levant aussitôt de sa table de travail, va pendre au trumeau de la cheminée quelques papiers déjà préparés. Puis, passe à son col le cordon tricolore qui distingue ses fonctions publiques, et il me dit avec son air de bonté : veux-tu venir avec moi, petit ?
- Oui, oui, lui répondis-je avec joie.
- Hé bien, partons !

Quand nous fûmes arrivés, je vis aussitôt, comme par enchantement, toutes les portes s'ouvrir sous la main du geôlier. La Choulette fut appelée hors de son cachot, et, ne se fit pas tirer l'oreille pour gagner le large.

Seulement, revenant d'elle-même sur ses pas, elle nous dit : A propos de la liberté, mes bons messieurs, n'oublions pas l'oiseau qu'on m'a donné pour me distraire dans ma captivité. Ce pauvre Biribi ! le laisser en prison, ne ce ne serait pas juste, il n'a pas porté de cocarde tricolore trop bas. Attendez mon petit monsieur, que je l'attrape mon Biribi. Ah ! le voici qui revient tout seul. Tenez, Monsieur, prenez-le, ou bien si vous le permettez, j'aurai aussi bonheur, comme vous, de rendre la liberté à un pauvre prisonnier.
- Oui, mademoiselle Choulette, donnez lui bien vite la clef des champs. Alors la Choulette atteignant la fenêtre à l'aide d'une chaise, présenta l'oiseau devant une vitre cassée et Biribi prit sa volée vers les premiers arbres qu'il vit, c'est-à-dire vers le clos voisin de M. Chevillard, l'un des plus honorables bourgeois de notre ville.

A peine étions-nous rentrés à la maison que nous entendîmes retentir la voix de la Choulette dans la grande salle qui précédait la Chambre où nous étions. Il tardait à cette pauvre fille de remercier mon père plus à son aise que dans une prison. Elle était, la reconnaissante créature, dans un tel état d'exaltation, qu'elle chantait à pleine gorge :
A bas les dictateurs, les triumvirs, les rois !
Périssent les tyrans sous le glaive des lois !
- Chut ! chut ! lui crie mon père, en accompagnant ces mots d'un geste impératif.
- Hé ! fit-elle, consternée, est-ce que le tyran Robespierre n'est pas guillotiné !
- Si, si, ; mais qui sait ce que tout cela deviendra ? ... Soyez plus prudente ma fille. Le plus sûr est d'être circonspecte jusqu'à la fin.

La Choulette se conforma, depuis, au conseil de son libérateur et elle se fit oublier dans les années qui suivirent.

Extrait
Souvenirs d'un octogénaire de province
par Désiré Monnier
1871

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