JACQUES DUMOUSTIER DE LA FOND, HISTORIEN
JACQUES DUMOUSTIER DE LA FOND, HISTORIEN
(1745-1815)
D'après un célèbre poète latin, c'est une oeuvre méritoire que de retracer les annales de sa patrie :
Et pius est Patrioe facta referre labor.
Cette pensée d'Ovide a servi de guide à Jacques Dumoustier, qui toute sa vie eut le culte de l'histoire locale.
Dumoustier (François-Jacques) est né à Loudun le 30 juillet 1745 ; son père occupait en cette ville l'importante charge de président du bailliage.
Aux fonctions administratives et judiciaires que les divers membres de sa famille exerçaient à Loudun depuis deux siècles, le jeune Dumoustier préféra la carrière des armes.
Ce motif l'amena à quitter son pays natal en 1762, pour entrer dans le corps royal d'artillerie. Les besoins du service l'appelèrent à Belle-Isle, de 1779 à 1781, où il dirigea les travaux de construction d'un arsenal. En dernier lieu, il tint garnison à Valence, et dans son régiment il lit connaissance du lieutenant Bonaparte. Par la suite, Dumoustier sut rappeler bien haut cette heureuse rencontre avec l'ex-lieutenant devenu empereur. Très désintéressé, Dumoustier ne se servit de cette illustre amitié que pour être utile à ses concitoyens.
Au cours de sa carrière militaire, Dumoustier ne détourna pas son attention des études historiques ; en 1778, il publia une très intéressante Histoire de Loudun. Dédié au duc de Chartres, gouverneur du Poitou, cet ouvrage a un réel mérite et son apparition fut saluée par des articles élogieux de la presse régionale.
Dans sa préface, Dumoustier explique ainsi les raisons qui l'ont engagé à écrire les annales de son pays natal : "De toutes les histoires, celle de la Patrie, sans doute, est la plus agréable ; un sentiment naturel excite toujours en nous l'envie de connaître les évènements dont nos aïeux ont été témoins. Guidé par cet heureux instinct, et persuadé que mes compatriotes sont animés du même désir, je me suis proposé de mettre sous un même point de vue tout ce qui peut les intéresser à cet égard."
Contrairement à la déplorable habitude de son temps, Dumoustier cite les sources où il a puisé. Toutefois son récit ne suit pas toujours l'ordre chronologique ; les matières sont un peu confusément entassées. Dumoustier avoue lui-même qu'il ne lui a pas été toujours "possible de donner une liaison et une suite parfaite." Malgré ces petites imperfections, on ne saurait trop louer les services rendus par cette publication, où se trouvent résumés d'intéressants documents, disparus depuis, et qui sans Dumoustier auraient été à jamais perdus.
Enfin, avant Dumoustier, l'histoire de Loudun était encore un sujet presqu'inexploré. Il n'existait que de courtes notices, rédigées au dix-septième siècle, l'une par Leproust et l'autre par Trincant, où les faits les plus saillants étaient résumés et ne formaient qu'une ébauche historique.
Intitulé modestement Essais sur l'histoire de la ville de Loudun, le livre de Dumoustier révèle chez son auteur les qualités d'un historien de valeur. La première partie de cette publication raconte l'histoire loudunaise des origines à la fin des guerres de religion, puis la lamentable affaire des possédées de Loudun. La seconde partie est consacrée à des notices sur les administrations judiciaires et les communautés religieuses, sur les fiefs et seigneuries de la région. ; elle se termine par les notices biographiques des Loudunais célèbres.
Cette publication attira sur Dumoustier l'attention du monde savant et lui valut d'être admis membre des Académies d'Angers, de la Rochelle, de Villefranche, de Valence, de Bade, de Hesse-Hambourg, de Munich, de Stockholm et de Hesse-Cassel.
Comme récompense de ses services militaires, Dumoustier reçut, le 30 juillet 1790, la croix de chevalier de Saint-Louis. Il prit sa retraite à la fin de l'année 1791 et se retira à Chinon où il possédait quelques biens du chef de sa première femme. Dumoustier épousa en premières noces Anne Drouin, le 25 janvier 1779, à Saint-Maurice de l'Isle Bouchard (décédée à Chinon le 6 août 1790), et en secondes noces Julie Torterue de Langardière, le 6 février 1792, à Ligré. De cette seconde union il eut deux filles nées en 1793 et 1795.
Partageant son temps entre son habitation de Chinon et sa maison de campagne à Ligré, Dumoustier avait l'intention d'occuper les loisirs de sa retraite aux études historiques ; mais les graves évènements de la Révolution l'en détournèrent pendant plusieurs années. "Intelligent, instruit et encore jeune, il eût certainement pu y jouer un rôle important ; mais, tout en acceptant les idées généreuses et libérales qui avaient été le point de départ du grand mouvement révolutionnaire de 1789, il ne voulait en aucune façon s'associer aux mesures extrêmes et violentes des hommes qui furent bientôt au pouvoir. Aussi sa présence à Chinon passa-t-elle pour ainsi dire inaperçue."
Malgré ce rôle effacé, Dumoustier ne se désintéressait pas des affaires publiques, surtout pour être utile à ses concitoyens. Il le prouva dans deux circonstances, où l'on eut recours à ses connaissances d'ex-capitaine d'artillerie. Ainsi, le 13 juillet 1792, lors d'une terrible crue de la Vienne, Dumoustier dirigea en personne les travaux des digues ; il fit de même, en juin 1793, pour les travaux de défense faits autour de Chinon afin d'empêcher la ville de tomber au pouvoir de l'armée vendéenne.
En 1803, Dumoustier prit l'initiative de deux projets ayant un intérêt local de premier ordre. Par voie de pétition aux autorités compétentes, il demandait l'installation à Chinon d'une fabrique de dentelles et la construction d'une grande route entre Loudun et Chinon. Son zèle pour le bien public attira l'attention de l'administration sur Dumoustier, qui, par un arrêté du 11 août 1808, fut nommé conseiller municipal de Chinon, fonction qu'il occupa jusqu'en mai 1815.
Profitant de l'accalmie revenue avec l'Empire, Dumoustier se livra à nouveau aux recherches historiques, comme nous l'apprend sa correspondance avec l'érudit poitevin Jouyneau des Loges et avec l'historien saumurois Bodin.
Entre temps, Dumoustier publia, en 1803, une seconde édition de ses Principes généraux sur la construction des bâtiments à l'usage des particuliers (in-8 de 230 pages)
Mais le but préféré de ses recherches était l'histoire de Chinon, à laquelle il travaillait depuis de nombreuses années.
Sur ce sujet, il n'avait pour ainsi dire pas de devanciers ; il n'existait aucun travail imprimé.
L'archéologue de la Sauvagère avait bien rédigé une Histoire de Chinon, mais faute de donds ce travail n'avait jamais été imprimé ; et personne ne connaissait le sort de son manuscrit, que Dumoustier fit rechercher en vain. De ce manuscrit de valeur, Dumoustier avait lu plusieurs feuillets qui lui avaient été jadis communiqués par de la Sauvagère. Ainsi donc le sujet était inédit ; ensuite il était difficile de se livrer à l'étude des documents, les dépôts d'archives ayant été presque tous détruits.
Dans sa préface, Dumoustier nous met au courant de toutes ces difficultés : "L'auteur, qui publie aujourd'hui ces Essais historiques sur la ville de Chinon, a l'avantage de n'avoir pas à se justifier ici de leur donner le jour un peu tard. On sait qu'il n'habite cette ville que depuis qu'il s'est retiré du service, et que le temps de la Révolution n'a pas été celui où il pouvait faire des recherches qui auraient été inutiles, ce fléau ayant détruit presque tous les titres qui lui auraient servi pour rendre cet ouvrage plus complet ; il n'y va faire usage que des notes qu'il a trouvées, concernant la ville de Chinon et les villes voisines, dans les bibliothèques et dans les chartriers qui lui ont été ouverts lorsqu'il a entrepris l'Histoire du Loudunais."
Cette précaution pour prévenir le lecteur était utile ; car le travail de Dumoustier sur Chinon est bien inférieur à celui publié sur Loudun. L'ordre chronologique n'est pas suivi ; puis, ici et là, il y a des tirades philosophiques très étrangères au sujet traité.
Malgré ces imperfections et quelques autres encore, l'Histoire de Chinon (in-8 de 192 pages), qui vit le jour en 1807, est une publication contenant d'intéressants renseignements. En l'écrivant, Dumoustier a fait oeuvre d'historien.
La première édition des Essais sur l'histoire de la ville de Chinon ayant été épuisée en quelques mois, une seconde fut publiée en 1809.
Dumoustier mourut à Chinon le 4 août 1815.
Puissent ces quelques lignes retirer de l'oubli le nom de l'historien Dumoustier et perpétuer le souvenir de cet homme de bien.
HENRY GRIMAUD
Société archéologique de Touraine
1909
http://books.google.fr/books?id=hRMJma8BxcQC&hl=fr&pg=PR3#v=onepage&q&f=false
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