LE BOUFFAY - NANTES ♣ 1472 - 1622 ♣ 3ème partie
LE BOUFFAY
3ème partie
En 1472, les ducs de Guyenne, de Bourgogne et François II s'étaient ligués contre Louis XI. De ces trois adversaires, celui dont le monarque français avait peut être le plus à craindre était son frère le duc de Guyenne, jeune prince dans la fleur de l'âge. Aussi mit-il tout en oeuvre pour rompre cette alliance. Il y travaillait sans chance apparente de succès, lorsque le duc de Guyenne et sa maîtresse, la dame de Montsorreau, moururent empoisonnés par Urbain Faure, abbé de Saint-Jean-d'Angely, aumônier du prince.
L'assassin fut arrêté par Odet d'Aydic, favori du jeune duc de Guyenne, et confié à la garde du duc de Bretagne qui le fit enfermer dans la maison du Bouffay et ordonna qu'il fut procédé à son jugement, ainsi qu'à celui de Henri de la Roche, écuyer de cuisine, son complice.
Cette résolution devait d'autant plus inquiéter le roi Louis XI que le misérable abbé avouait son crime et désignait le roi comme son instigateur.
Le matin du jour où la sentence devait être portée, en entrant dans le cachot de l'assassin, il en sortit une odeur infecte de soufre et de bitume et l'on ne trouva qu'un cadavre tout couvert de noires meurtrissures.
On prétendit alors que le geôlier avait, pendant la nuit, entendu un bruit extraordinaire dans la prison ; qu'au milieu d'un violent orage, la foudre était tombée sur le Bouffay et avait tué l'abbé dont le diable avait emporté l'âme.
Une autre opinion, dit Mezerai, attribua la mort de l'abbé de Saint-Jean-d'Angely au duc de Bretagne lui-même, qui l'aurait ainsi fait périr dans le but de satisfaire au désir du roi Louis XI qui avait un immense intérêt à ce que la preuve du crime disparut avec l'empoisonneur. Mais cette opinion paraît bien peu fondée. Il faut se rappeler en effet que le duc de Bretagne était alors en guerre avec Louis XI et qu'il lui importait au contraire de tenir ce monarque dans sa dépendance par la crainte que sa complicité dans la mort de son frère ne fut dévoilée et reconnue. Au reste, Louis XI avait assez de ruses à sa disposition pour gagner un geôlier, et, comme le fait judicieusement observer Thibaudeau, dans son histoire du Poitou, si ce prince fut injustement accusé de la mort de son frère, il pouvait du moins en être soupçonné.
Quant à l'écuyer de la Roche, il disparut et nos historiens ne nous ont point dit ce qu'il devint.
Nous avions fait connaître qu'en 1467, le duc François II avait donné en usufruit sa maison du Bouffay à son valet de chambre, Guillaume Guiomard, et que, parfois déjà, les tribunaux exceptionnels y tenaient leurs assises. En 1477, François II affecta définitivement cet ancien palais à l'auditerie et en fit le siège ordinaire des tribunaux. Les bâtiments reçurent dès-lors les appropriations nécessaires. A cette époque, la place était libre et ouverte ; il s'y tenait un marché et déjà quelques constructions s'y étaient élevées.
Il y a peu d'années encore, avant la destruction du vieux manoir de Conan, on pouvait facilement reconnaître les constructions ordonnées par François II, notamment celles de la façade sur la place et celle de la galerie intérieure ouverte sur la cour. Des menaux en pierres, noyés dans la maçonnerie, indiquaient aussi la place des hautes croisées de l'ancien palais. Sans doute aussi des restaurations antérieures avaient eu lieu, car au moment de la démolition, on reconnut une fenêtre, ayant vue sur la rivière et qui appartenait évidemment au XIVe siècle.
Mentionnons, en passant, un exploit judiciel, comme on disait alors, de 1480, entre le procureur général du duc et Gilles de Maure et qui apprend que andré Parent était alors geôlier du Bouffay et qu'il était fait défense de l'appeler en première instance hors du duché.
L'un des premiers jugements prononcés au Bouffay fut celui rendu en faveur de Guillaume Chauvin, chancelier de Bretagne, homme ferme, éclairé, blanchi dans les emplois publics et qui le lava de l'accusation que Pierre Landais, trésorier et favori du duc François II, avait fait diriger contre lui. Mais, disons-le aussi, si, faute de preuves, les juges n'osèrent le condamner, ils n'eurent pas non plus le courage de l'absoudre d'une accusation qui n'avait pour motifs qu'une basse jalousie. Tous ses biens furent confisqués et le chancelier Chauvin, toujours détenu et transféré de cachot en cachot, tomba dans un tel état de misère que l'un de ses geôliers présenta humble requête pour être déchargé de la garde d'un homme arrivé à un pareil dépérissement. Enfin il mourut le 5 août 1484. Peu de jours avant, sa femme était également morte d'inanition sur la voie publique. Quatre cordeliers les inhumèrent par charité. Quant à ses enfants ; ils furent forcés de mendier, et, malgré tout l'intérêt qu'inspirait une aussi grande infortune, ce n'est qu'en tremblant qu'on les secourait, tant était grande la puissance de Landais, leur ennemi.
Mais Chauvin ne devait pas tardé à être vengé.
Pierre Landais qui, de simple tailleur était parvenu à la plus haute dignité de la cour du duc, celle de trésorier, dénoncé et poursuivi à son tour par toute la noblesse qu'il s'était fait une étude de blesser en toute occasion, fut arrêté en 1485 et renfermé dans la grosse tour de Saint-Nicolas. Bientôt il fut transféré au Bouffay, pour y subir son jugement et là il s'entendit condamner à être mené par le bourreau, la corde au col, et les mains liées par devant, jusqu'au gibet de Biece, pour y être pendu et étranglé.
L'accusation portée contre Landais, de maléfices contre la vie du duc, était évidemment absurde ; mais le tailleur de Vitré était monté trop haut, certain amour-propre avait été trop fortement froissé, et malgré son habileté, malgré les services qu'il avait pu rendre, il fallait qu'il tombât devant les passions jalouses qu'il avait soulevées. Ses accusateurs furent ses juges, et François II, contre la volonté duquel on agissait, laissa faire cependant ; oubliant vite tout ce que Landais avait fait pour lui, il prit un nouveau favori, et quelques jours après, sur la place même du Bouffay, où Richer dit qu'eut lieu le supplice de Landais, François II célébrait un tournoi et donnait au vainqueur, le maréchal de Rieux, un diamant estimé 82 # 10 s, monnaie d'alors.
Vers l'an 1488, le duc fit arrêter le vicomte de Rohan, prévenu d'avoir fait assassiner René de Keradieux, gentilhomme de sa chambre, et le fit enfermer au château. Ses domestiques Vendroles, Kersaudi et Kerquezenger furent détenus au Bouffay. Leurs complices ou prétendus tels, s'étaient réfugiés dans l'église des Carmes. Pour ne pas encourir les censurés ecclésiastiques, François II les y fit garder pendant deux ans que le sénéchal de Guérande mit à instruire l'affaire. Cette accusation se termina par une ordonnance de non lieu en faveur du vicomte de Rohan, aucun témoignage ne s'étant élevé contre lui. Quant aux autres accusés, l'histoire n'en parle pas.
Nous avons dit qu'en 1437 la ville avait fait construire sur la place du Bouffay une maison destinée aux assemblées de la communauté. Vers 1492, cette maison reçut en outre une autre destination. On en fit l'arsenal de la ville, d'où lui vint le nom de Maison des Engins.
Cette même année, on ne sait à quelle occasion, la communauté de ville fit représenter aux flambeaux, sur la place du Bouffay et devant le lieu de ses réunions, le Jeu du Mystère de Saint Donation et de Saint Rogatien avec moresque. Puis, après avoir amusé nos seigneurs du bureau de ville, les acteurs parcoururent tous les quartiers, pour faire participer le populaire aux plaisirs de la fête.
La Bretagne avait été réunie à la France par le mariage de la duchesse Anne avec le roi Charles VIII. Pendant le séjour que ce prince fit à Nantes, il permit à la communauté, par lettre du 14 juillet 1491, de disposer de la maison de la Prévôté, située à l'angle de la rue des Halles, pour y tenir ses assemblées. En 1494, cette maison se trouva appropriée, et celle de la maison du Bouffay cessa alors d'avoir la destination pour laquelle elle avait été d'abord édifiée.
Comme on l'a vu, en 1218, Pierre de Dreux avait jeté les premiers fondements du port fluvial, qui a conservé le nom de Port-Maillard, et qui s'étendait sur la Loire, le long de la muraille du château du Bouffay. En 1411, on avait établi un pont en bois, qui, de la poterne, communiquait au port en passant au-dessus du fossé. Ce pont venait aboutir à une petite plantation qui séparait le port en deux parties. Les habitants avaient en outre obtenu du duc Jean V l'autorisation de faire établir près du pont une horloge publique pour servir au château et à la ville. Ce fut la première horloge établie à Nantes. Un connétable et des portiers étaient affectés à la garde du pont et de la barbacane.
En 1449, des réparations et des améliorations importantes furent faites au Port-Maillard, que l'on rendit accessible à tous les bateaux descendants la Loire. Depuis longtemps les marchands d'Orléans sollicitaient ces améliorations, et contribuèrent à la dépense pour 2,000 #. Dès lors, en effet, la navigation de notre fleuve avait une certaine activité, et des quantités assez considérables de marchandises arrivaient à Nantes de tout le littoral.
Mais, pour être introduites du port dans la ville, toutes ces marchandises devaient passer sur le pont, qui était la seule voie ouverte. De là une grande gêne et souvent même des difficultés et des inconvénients. Aussi en 1499 se décida-t-on à démolir le pont, à combler le fossé et à établir une chaussée qui, de la poterne, arrivait directement au port. On démolit également dans le courant de la même année une galerie qui régnait le long de la muraille du Bouffay.
Des constructions assez nombreuses se firent à Nantes vers 1517, et, suivant Travers, on se servait pour ces constructions des pierres prises dans la carrière du Bouffay. Nous ne pouvons dire précisément où était située cette carrière, mais tout fait croire qu'elle touchait de près à la rue de la Juiverie. Dans le dénombrement des fiefs de la Prévôté, on trouve en effet la maison appelée vulgairement de Brunday ayant la rue de la Juiverie au midi et sortie sur cette rue, et à l'occident la maison des Perrières.
Pour la première fois nos annales font mention en 1521 d'une maison d'éducation à Nantes. On faisait alors depuis quelques années des leçons de droit dans le cloître du prieuré de Saint-Martin, joignant l'église Sainte-Croix. Un sieur Richard, et ce projet de collège fut abandonné. Toutefois, les moines, qui avaient quitté le prieuré, n'y rentrèrent pas.
En 1526, les sieurs de Malestroit furent arrêtés et déposés dans les prisons du Bouffay. Voici en quels termes Albert le Grand raconte cet évènement :
"Jean et Julien de Malestroit, seigneurs d'Oudon et enfant de Guillaume et de Françoise de La Noë, dame de La Noë, en Goulaine, forlignèrent de la vertu de leurs ancêtres, tyrannisant tellement leurs sujets, qu'ils en furent tirés en justice. Mais enfin maître Louis Drouet, natif d'Oudon, avocat au privé Conseil, les accorda. Depuis, ils reprirent leurs brisées et voulurent contraindre leurs sujets à prendre la fausse monnaie qu'ils fabriquaient dans leur tour d'Oudon. Et comme un crime attire l'autre, s'étant trouvés au cimetière des Jacobins de Nantes avec le seigneur de la Muce Ponthus, sur quelques paroles piquantes, ils mirent la main à l'épée et le tuèrent, puis ils se sauvèrent dans leur château d'Oudon.
Ayant été accusés des susdits crimes, le roi François fit commandement au duc d'Etampes, gouverneur de Bretagne, d'aller mettre le siège devant la tour et château d'Oudon, ce qui fut exécuté, et y furent pris et rendus aux prisons du Bouffay à Nantes, et depuis condamnés à mort par M. Guillaume Lhuilier, commissaire du roi, pour faire le procès aux faux monnayeurs qui se trouvaient en Bretagne. Et leurs biens confisqués au roi qui vendit la terre d'Oudon à messire Raoul du Juch, seigneur de Molac et de Pratauvaux, pour la somme de 8,000 écus. L'exécution des sieurs de Malestroit eut lieu sur la prairie de Mauves."
La place du Bouffay fut pavée pour la première fois en 1536.
Le pilori du roi fut d'abord placé sur la place Saint-Pierre. Plus tard, il fut transféré sur celle du Puits-Lory, qui en a pris le nom. En 1552, il fut définitivement établi sur la place du Bouffay. Le présidial, nouvellement créé, siégea aussi dans le palais du Bouffay, comme les tribunaux des autres juridictions.
Cependant le juge-prévôt continua à occuper la maison des Changes, et comme il se tenait un marché sur cette place et que probablement le bruit était pour lui un sujet de gêne, il ordonna, en 1558, que ce marché fût réuni à celui du Bouffay. La communauté se montra d'abord blessée de n'avoir pas été consultée sur cette mesure et annula la décision du prévôt. Mais elle ne tarda pas à reconnaître que le marché principal serait en effet beaucoup mieux situé sur le Bouffay, et par délibération du 29 août 1562, la translation du marché fut confirmée.
La place du Bouffay était alors plantée d'arbres et une avenue conduisait au palais.
Vers la fin de cette même année 1562, les calvinistes semblaient menacer Nantes, et dans la crainte d'une surprise, la communauté arrêta que le marché de la place du Bouffay se tiendrait le samedi sur les Ponts, la motte Saint-Nicolas et la motte Saint-Pierre, près des portes de ville.
Une autre décision, beaucoup plus grave, portait que tous les suspects, tant hommes que femmes, auraient à quitter la ville et les faubourgs, avec défense d'y rentrer, sous peine de la potence.
Enfin un troisième arrêté ordonnait la démolition de toutes les loges qui se trouvaient sous le mur de ville, depuis l'hôtel de la Monnaie jusqu'à la porte de la Poissonnerie. Cette mesure s'appliquait évidemment aux baraques en bois qui avait été élevées sur le Port-Maillard et qui, outre le danger qu'elles pouvaient offrir dans la circonstance présente pour la sûreté de la ville, gênaient aussi considérablement au mouvement des marchandises. Un siècle plus tard, on dut prendre la même mesure pour la même cause.
Avant d'aller plus loin, nous ne pouvons nous dispenser de mentionner un fait, qui, bien qu'il ne se rapporte pas d'une manière directe au sujet spécial que nous traitons, eut cependant trop d'importance pour que nous n'en disions pas un mot.
Par lettres patentes, données à Blois en janvier 1560, le roi François II autorisa les habitants de Nantes à élire un chef de la ville, sous le nom de maire, et dix échevins. C'était là évidemment une concession précieuse aux libertés des citoyens ; mais en même temps elle froissait quelques intérêts particuliers qui allaient perdre par là une partie de leur influence. Aussi l'université, la chambre des comptes, le présidial, le gouverneur, les deux chapitres s'unirent-ils pour y mettre opposition. Mais enfin cette résistance put être vaincue. Ce ne fut toutefois qu'en 1565 que la mesure put recevoir son exécution. Le premier maire, élu de Nantes, fut Geffroy Drouet, sieur de l'Angle ; le premier hôtel-de-ville fut la maison de la prévôté, située rue des Halles.
Dans le cours de cette même année 1565, le 15 août, la reine Catherine, mère du roi, écrit d'Angoulême, au vicomte de Martigues, de faire arrêter et conduire dans la prison du Bouffay, un sieur Puldrée, de Tours, que son fils voulait y trouver à son arrivée à Nantes. Le motif de cette arrestation est resté inconnu.
A cette époque, où cependant les moeurs se poliçaient, l'exécution des criminels était accompagnée de tortures aussi barbares que vraiment inutiles. Nous en rapporterons un exemple que nous fournit l'un de nos historiens les plus véridiques :
Frère Jean d'Astin, prêtre religieux, sacriste du couvent de la Chaume de Machecoul, avec d'autres misérables, avaient abusé d'un jeune homme, et pour y parvenir ils l'avaient tellement torturé par l'application même du feu, qu'il en était mort quatre jours après.
Le crime était grand ; aussi le présidial, saisi de l'affaire, condamna-t-il d'Astin, le 24 décembre 1567, à la peine de mort.
L'évêque de Nantes, Philippe du Bec, assisté de Baptiste Tiercelin, évêque de Luçon, en habits pontificaux, et d'Antoine Marsal, doyen de Nantes, en habits de chanoine, procéda alors à la dégradation du coupable, dans la salle de l'évêché, où le présidial l'avait fait conduire.
Philippe du Bec commença la cérémonie par une exhortation en même temps sévère et touchante. D'Astin se tenait à genoux et était revêtu de ses habits sacerdotaux. Ces habits lui furent enlevés l'un après l'autre par l'évêque, qui le déclara dégradé et déposé pour toujours ab officio et beneficio.
L'évêque ne voulut point se charger de la suite de la procédure et il livra le coupable au parlement, en le recommandant à la clémence de ses juges. Mais, comme on pouvait s'y attendre, le parlement confirma la première sentence du présidial.
Le même jour, d'Astin fit amende honorable, en chemise, tête nue, et une torche ardente de trois livres à la main. Il fut ensuite tenaillé aux mamelles, puis conduit sur l'échafaud dressé sur la place du Bouffay. Là on recommença à le tenailler en quatre autres parties du corps et on le mit à la torture des escarpins. Enfin il fut pendu, étranglé, et son corps brûlé.
Le crime d'Astin devait sans doute recevoir son expiation, mais lorsque ce crime était prouvé et avoué, pourquoi ce luxe de tortures ? Jugeant avec nos moeurs actuelles, nous nous révoltons, non sans raison, contre des actes d'une telle barbarie.
Voici encore un fait que nous fournit l'époque à laquelle nous sommes arrivés, qui ne se lie pas directement à notre sujet, et dont nous parlerons cependant, car nous aimons notre bonne ville de Nantes, et en toute occasion nous sommes fier et heureux de pouvoir mettre en relief ce qui honore les hommes qui furent liés à ses destinées.
Le roi Charles IX, ou plutôt sa mère, Catherine de Médicis, avait résolu et arrêté le massacre des calvinistes, connu sous le nom de Saint-Barthélémy. Ce massacre, aussi injuste qu'impolitique, avait eu lieu à Paris, le 24 août 1572 ; à Orléans, le 27 ; à Angers et Saumur, le 29. Il approchait de Nantes et déjà des ordres précis étaient arrivés à nos officiers municipaux. Mais la mairie de Nantes avait alors à sa tête un homme plein d'humanité et d'une fermeté à toute épreuve. A la réception de ces ordres sanguinaires, il réunit de suite ses collègues et tous jurent de ne point y obéir. Cette honorable résolution eut un plein succès, et notre ville ne fut pas rougie d'un sang innocent.
L'histoire a conservé le nom de ces dignes magistrats.
Enregistrons-les nous aussi. C'étaient :
MM. Guillaume Harrouis de la Seilleraie, maire ; Michel Leloup, seigneur du Breuil, sous-maire ; Pierre Billy de la Grée ; Jean-Paul Mahé ; Nicolas Pyot, seigneur de la Rivière ; Jacques Davy ; Gilles Delaunay ; Jean Houye ; Guillaume Lebret ; Jean Quantin, Guillaume Bretaigne, échevins.
La communauté de ville arrente en 1575 à Imbert Delaunay, moyennant le pris de 181 #, son hôtel de la place du Bouffay. Peu d'années après, comme nous allons le voir bientôt, cette propriété fut définitivement aliénée.
La même année, le présidial, qui siégeait toujours au Bouffay, peu soucieux sans doute d'avoir constamment sous les yeux les instruments servant à l'exécution de ses sentences, tente de faire transporter sur la place Sainte-Catherine les fourches patibulaires, roues, bouglier, échafaud, etc., mais le corps de ville, comme propriétaire du lieu et le commandeur de Sainte-Catherine, en raison de son fief, firent avorter ce dessein qui n'eut pas d'autre suite.
En 1578, la ville avait trois maisons d'assemblée. La plus spacieuse était celle du Bouffay ; l'autre était située place Sainte-Catherine, et la troisième dans la Prévôté, aux Changes. Comme ces maisons manquaient désormais de l'étendue et des appropriations nécessaires, la ville se décida à s'en défaire et acheta la maison Bizart ou Derval, rue de Verdun, pour le prix de 4,488 écus d'or au soleil, et un tiers d'écu et cinq sous de cens. Cet hôtel appartenait à la seigneurie des Dervallières. Il devint alors la maison commune, et c'est encore aujourd'hui notre Hôtel-de-Ville.
Le passage qui servait de communication de la place du Bouffay à la rue et au pont de la Poissonnerie était tellement étroite qu'à peine deux personnes pouvaient y passer de front. C'était un sujet constant de gêne, et, pour y remédier et élargir cette voie, la ville arrêta, le 7 mars 1578, l'acquisition d'une maison, joignant la porte de la Poissonnerie, à l'entrée de la rue de la Tremperie.
En 1579, on projette la construction d'une halle au Bouffay ; mais, faute de ressources, ce projet ne reçut son exécution que beaucoup plus tard. Cependant, en 1580, on dressa le tarif de la perception à toucher de ceux qui occuperaient cette halle, et le présidial, nous ne savons pour quelle cause, refusa de sanctionner ce tarif. A cette époque, on retrouve des exemples de pareils conflits entre le présidial et le bureau de ville, et l'on pourrait en inférer que les attributions de ces deux corps n'étaient pas nettement définies. Toutefois, la communauté qui représentait plus spécialement les intérêts de la ville finissait généralement par avoir gain de cause.
La muraille extérieure avait des mâchicoulis d'une proportion gênante. Dans cette même année 1579 on décide que ces mâchicoulis seront réduits dans toute la longueur du Bouffay, depuis la porte de la Poissonnerie jusqu'au château.
Charles Harrouis, sénéchal de Nantes, fait enfermer au Bouffay, en 1582, Guillaume Bodin, greffier de la ville, qui avait refusé de lui communiquer les registres sans un ordre du bureau. Plainte est immédiatement portée par la communauté au présidial et au lieutenant général et Charles Harrouis voit tourner à sa confusion son abus d'autorité.
Nous venons de dire qu'en 1579 la ville avait décidé la construction d'une halle sur le Bouffay. Par lettre du 15 mai 1582, Henri III accorda l'autorisation nécessaire à cet effet. Cette halle devait s'étendre le long de la muraille et la ville était investie du droit d'en affermer à son profit les places et les étaux. Elle était tenue d'un autre côté de payer au domaine du roi 500 sols monnaie de rente annuelle. Ce projet présentait un avantage et une utilité incontestables, mais la ville manquait toujours de moyens financiers, et quarante-cinq ans se passèrent encore avant qu'il pût être réalisé.
On lit dans Travers sous la date du 15 septembre 1585 :
"La ville donne son attention à unir au domaine, avec la permission du roi, toutes les loges situées sur les boulevards de la ville, entre les portes du Bouffay et dans les places publiques."
On pourrait croire, d'après ce passage, que la communauté faisait de nombreuses acquisitions. Il n'en était rien. Elle se bornait à prendre à rente ou à ferme ces diverses propriétés du domaine royal, soit pour les appliquer à un service public, soit pour augmenter, en les sous-louant, le peu de revenus dont elle jouissait. Nous puisons cette opinion dans l'un des registres de l'époque où l'on voit que la ville payait à la recette du domaine soixante sols de rente pour la seule place du Bouffay.
Au mois d'août 1590, une émeute populaire eut lieu sur cette dernière place.
Le capitaine Lesnaudière, du parti de l'Union, avait fait plusieurs prisonniers calvinistes, au château de la Juliennaie, en Saint-Etienne-de-Mont-Luc. Le parlement de Nantes, c'est-à-dire celui de la ligue, et Mme la duchesse de Mercoeur, avaient décidé que ces prisonniers seraient punis comme des voleurs. De son côté, le bureau de ville ne se souciait nullement de les voir mettre à mort, et la crainte des représailles les fortifiait encore dans cette opinion. La populace, toujours prête à suivre l'impulsion que lui donnent les meneurs, se rua sur la place du Bouffay criant qu'il fallait mettre les prisonniers à la potence, qu'autrement ils en seraient quittes pour une rançon qui ne profiterait qu'à quelques privilégiés. La communauté intervint et réussit cependant à calmer l'émeute ; comme moyen de salut, elle fit conduire les malheureux prisonniers à la geôle du Bouffay. Le temps calma cette effervescence et quelques mois après les détenus furent remis au capitaine qui les avait arrêtés. Seulement, en récompense de son zèle, on l'obligea à acquitter les frais faits à la geôle. C'était, il faut le reconnaître, un bon moyen d'assurer leur prompte liberté.
Cette époque du reste présente une perturbation générale dans notre pays. Les passions politiques, les passions religieuses étaient vivement surexcitées. C'était, en un mot, le moment le plus ardent de la ligue. Les calvinistes avaient des chefs, dont plusieurs de haute naissance. Ils formaient un parti puissant, prenaient des villes et inquiétaient Nantes, que plus d'une fois ils menacèrent d'un siège.
Notre ville tenait pour la ligue, et l'esprit remuant et exalté de la duchesse de Mercoeur était passé dans les masses. La guerre civile couvrait ainsi tout le pays, et par suite la misère était grande. Mais c'était un motif de plus pour chercher chaque jour quelque moyen de soutenir l'exaltation populaire.
Le 8 août 1591, une cérémonie eut lieu en grande pompe à la cathédrale. On y lut la bulle de Grégoire XIV, du 1er mars, qui excommuniait Henri IV et ses adhérents. Puis quelques jours après, à la suite d'une procession générale, on brûla publiquement sur la place du Bouffay et par la main du bourreau, l'arrêt hérétique du parlement de Tours contre cette même bulle de Grégoire XIV.
A quelque temps de là, le duc de Mercoeur fit pendre sur la place du Bouffay un juge de Laval, par ce seul motif qu'il était resté fidèle au roi hérétique. Du haut du gibet, le patient s'adressant à la foule voulut lui prouver que sous la primitive église on rendait à César ce qui appartenait à César ... César fut-il païen. Aujourd'hui, nous dirions que le juge de Laval avait raison et que sa fidélité à Henri IV ne méritait certainement pas la potence. Mais alors ... la corde lui prouva que son argument n'était pas de saison.
En 1595, on construisit le puits de la rue de la Poulaillerie. Ce puits, que nous avons connu, joignait le mur du château du Bouffay. Il a été supprimé lors de la démolition de 1851.
Bien que le projet de construction de la halle du Bouffay n'eut pas encore reçu son exécution, cependant, dès 1597, depuis l'hôtel de la Monnaie jusqu'au Palais et à la Tremperie, existaient le long du mur de ville un grand nombre de loges ou petites boutiques qui ne payaient rien ni pour le fonds qu'elles occupaient ni pour leur attache au mur public. Par délibération du 3 février, le bureau de ville, qui, comme nous l'avons dit, servait une rente au domaine royal, arrêta que chaque particulier paierait une redevance en raison de l'espace occupé par son échoppe. C'est là, croyons-nous, l'origine de notre droit d'emplacement sur les marchés publics.
La guerre de la ligue continuait toujours, et notre ville, ou plutôt le duc de Mercoeur, luttait avec la plus grande énergie contre le parti du roi. Cette même année 1597, il fut encore frappé à notre monnaie des pièces à l'effigie de Charles X, bien que le vieux cardinal de Bourbon fût mort à Fontenay-le-Comte depuis déjà quelques années.
L'abjuration de Henri IV eut cependant pour effet d'assoupir momentanément cette guerre ; mais dans le Poitou le feu n'avait point été parfaitement éteint et l'opposition à l'autorité du roi persistait. En 1622, Rohan de Soubise réussit même à réunir un corps de 6.000 hommes. Il tenait la campagne et menaçait chaque jour notre ville. Louis XII arriva à Nantes, et après un court séjour, il marcha contre Soubise, qu'il surprit au Poirier. Il lui fit un grand nombre de prisonniers qui furent amenés à Nantes et jetés dans les prisons du Bouffay. A la suite d'un jugement, treize de ces prisonniers furent pendus, les autres condamnés aux galères. Cependant, à la prière de l'évêque, le roi accorda la grâce à tous ceux qui consentiraient à se convertir. Beaucoup se décidèrent à profiter de cette faveur et firent une abjuration, qui, si elle n'était pas sincère, leur était du moins imposée par la nécessité.
Mais toutes ces malheureuses victimes appartenaient à la classe du peuple ; notre population ne pouvait s'empêcher de les plaindre et se montrait ouvertement mécontente de ce que les grands seigneurs, évidemment beaucoup plus coupables, échapassent à tout châtiment. Pour faire cesser ces murmures, la cour de Rennes se crut obligée de rendre un arrêt sévère contre deux seigneurs des environ de Nantes, David de la Muce, sieur de la Muce et Ponthus, et André Le Noir, sieur de Beauchamps. Convaincus de crime de lèze-majesté, pour avoir fait partie des assemblées tenues à La Rochelle, ces deux gentilshommes furent condamnés à mort avec tous les accessoires de tortures et de dégradation en usage alors. Mais cette condamnation ne fut en réalité qu'une vaine formalité, et la place du Bouffay ne vit aucune exécution sanglante. Les deux condamnés étaient à La Rochelle, en pleine sûreté, et leur exécution n'eut lieu qu'en effigie.
Cette malheureuse guerre de religion se termina enfin le 19 octobre 1622, par un traité conclu à Montpellier et qui confirmait l'édit, donné à Nantes par Henri IV. Le duc de Soubise et tous les autres chefs de la rébellion rentrèrent en grâce.
... à suivre ...
M. J.-C. RENOUL
Annales de la Société royale académique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1864