LE BOUFFAY - NANTES ♣ 1626 - 1710 ♣ 4ème partie
LE BOUFFAY
4ème partie
Nous avons maintenant à parler d'une exécution capitale, qui eut lieu en 1626 sur la place du Bouffay et qui eut un grand retentissement par le rang et le nom de la victime.
La cour était alors à Nantes et mille intrigues s'y agitaient. Le cardinal de Richelieu tenait la clef de toutes ces intrigues, et il avait le soin et l'adresse de les faire tourner au profit de sa politique. Il avait entre autres jugé utile à ses vues le mariage de Mlle de Montpensier avec Gaston, duc d'Anjou et frère du roi Louis XIII.
Henri de Talleyrand, comte de Chalais, remplissait près du roi les fonctions de maître de la garde-robe ; il était en même temps ami et conseiller de Gaston. Il eut l'imprudence d'user de son influence près de ce prince pour contrarier le mariage projeté par Richelieu. On lui reprocha aussi d'avoir trempé dans un complot ayant pour but d'assassiner le cardinal-ministre et de mettre Gaston à la tête d'un parti.
Richelieu, on le sait, était maître et maître absolu, et contrarier ses desseins et sa volonté était à ses yeux un crime qu'il ne devait pas pardonner. Il réussit à faire contracter à Gaston le mariage projeté par lui, avec Mlle de Montpensier, et ce succès obtenu, de Chalais fut arrêté le 8 juillet et conduit immédiatement au château. Il était accusé de plusieurs menées et factions très importantes à la personne du roi, à la dignité de sa couronne et au repos de l'Etat, dans la cour et ailleurs.
Le 11 août, de Chalais parut devant ses juges, désignés d'avance par Richelieu, et l'on eut bientôt la conviction que l'issue de son procès lui serait fatale. Et en effet, le 18 août, il fut condamné à avoir la tête tranchée sur la place du Bouffay. Puis l'arrêt ajoutait : "que sa tête, mise au bout d'une pique, serait placée sur le pont Sauvetout ; que son corps, divisé en quatre quartiers, serait attaché à des potences, et exposé aux principales avenues de la ville ; que sa postérité serait dégradée de noblesse, ses maisons rasées ; qu'enfin il serait appliqué à la question, pour obtenir la révélation de ses complices."
De Chalais avait fait tous les aveux que l'on désirait de lui, espérant qu'il serait tenu compte de cette franchise ; néanmoins on ne lui épargna pas le supplice de la question. Quant aux autres aggravations de l'arrêt, on obtint du roi, à force de sollicitations, qu'elles ne reçussent pas leur exécution.
Les amis de Chalais s'étaient un peu endormis pendant l'instruction du procès, ne pensant pas que les choses fussent poussées si loin.
Louis XIII chassait dans la forêt de Bourgon, et ils avaient espéré qu'à son retour on pourrait facilement l'intéresser au sort de l'un de ses officiers que le dévouement à son frère avait seul égaré. Quant à Gaston, il était à Châteaubriant, oubliant, dans les joies de son nouveau mariage, celui qui s'était ainsi perdu pour lui. La mère de de Chalais seule avait vu le danger qui menaçait son fils ; elle mit tout en oeuvre pour le sauver, et son dévouement fut sublime. Mais rien ne put fléchir le sévère cardinal, et l'arrêt dut recevoir son exécution. Le 19 août fut fixé pour le sanglant sacrifice.
Terrifiés à cette nouvelle, les amis de de Chalais virent enfin que tout espoir allait échapper. Ils songèrent donc à empêcher l'exécution, ou tout au moins à la retarder de quelques jours jusqu'à l'arrivée du roi. A force de menaces et d'argent, ils parvinrent à faire disparaître l'exécuteur des hautes oeuvres, ainsi que son collègue de Rennes, venu à la suite des juges. Aussi quand le moment fatal fut arrivé, la victime était prête, mais les bourreaux manquaient.
Toutefois, la mort de de Chalais était décidée, et Richelieu n'était pas homme à reculer devant une pareille difficulté. Dans un cachot voisin de celui de de Chalais se trouvaient deux compagnons ouvriers, condamnés à la potence. Grâce leur fut promise et l'un d'eux consentit à faire l'office de bourreau et l'autre à lui servir d'aide.
Aux termes de l'arrêt, l'échafaud était dressé sur la place du Bouffay.
L'exécuteur improvisé, garçon cordonnier de la Touraine, sans expérience aucune, mais non sans émotion, s'approche de la victime. On lui met en main l'épée d'un suisse, et de deux coups mal assurés il blesse seulement de Chalais qu'il fait tomber sur l'échafaud. Puis redoublant d'efforts, il frappe, frappe encore au hasard, et prolonge ainsi le supplice du malheureux que l'on entend crier : Jesu, Maria !!! Le père minime Desrosiers, qui assiste la victime, ne peut plus alors contenir son horreur et son indignation. Il ordonne de placer la tête du patient sur le fatal billot. Mais alors la scène prend un nouveau caractère d'atrocité. Armé d'une doloire de tonnelier, cet homme, qui n'a plus sans doute la conscience de ce qu'il fait, recommence à frapper sur ce corps mutilé, et ce n'est qu'après plus de vingt coups, qu'il parvient à séparer la tête du tronc.
C'est sans doute avec dégoût que nous donnons de pareils détails, mais c'est peindre et faire connaître une époque que de signaler ainsi ses moeurs et ses usages. Et en outre, en rappelant un semblable spectacle d'inhumanité, n'est-on pas fondé à dire à ces hommes, qui dans leur engouement des temps passés, vont jusqu'à nier les progrès qu'on fait les moeurs publiques ... Croyez-vous qu'un acte de cette sauvage barbarie serait toléré aujourd'hui ? Non, certes, répondrons-nous pour eux. Partout l'opinion se soulèverait, et le sentiment public ne le permettrait pas. Ajoutons du reste que, grâce à Dieu, notre législation saurait bien y mettre obstacle.
Les restes de de Chalais furent remis à sa mère et ensevelis par ses soins dans l'église des Cordeliers.
L'exécution avait eu lieu à six heures du soir. Aussitôt après, la population tout entière se porta sur la place du Bouffay, s'entretenant de l'évènement qui venait d'avoir lieu et des circonstances qui l'avaient accompagné. Un intérêt général se manifestait pour la victime, mais tout bas et sans bruit, car les agents de Richelieu veillaient, et l'on savait par expérience qu'il ne faisait pas bon de fronder les actes du cardinal-ministre.
Quant à Gaston d'Orléans, dit un historien, en apprenant la mort de de Chalais, soit par dissimulation, ingratitude ou insensibilité, il continua une partie de jeu commencée, avec autant de gaîté, que si son ancien ami eût obtenu sa grâce.
Peu de jours après la cour quitta Nantes, où elle avait séjourné pendant six semaines. Avant son départ pour Rennes, Louis XIII voulut assister à l'installation du maire et des échevins. La réception royale, le mariage de Gaston d'Orléans avaient donné lieu à des fêtes nombreuses, et qui avaient jeté la ville dans de grandes dépenses. Alors en effet, outre les frais que nécessitaient ces fêtes, l'usage voulait que la ville fit des présents à tous les princes et aux gens de leurs maisons. Ces présents consistaient généralement en vins, confitures, etc., et se montaient toujours à des sommes assez élevées.
Nous avons dit précédemment, que le projet de construire des halles sur le Bouffay, arrêté en 1579, autorisé par Henri III en 1582, n'avait pu recevoir son exécution, faute de ressources financières. En 1628 enfin ces halles purent être construites.
Jean Regnault, maître charpentier, fut chargé de ce travail, moyennant le prix de 12,235 # 10 s.
Par suite de cette construction, la place du Bouffay devint le principal et à peu près l'unique marché public de Nantes. Par délibération du 15 juillet 1628, le marché aux herbes et légumes qui se tenait sur le pont de la Poissonnerie et ses alentours, y fut transféré. Cette place fut également affectée aux marchands de son et de graineteries.
Cette construction d'une halle au Bouffay amena la démolition du logement qu'y occupait l'exécuteur public. La ville en fit élever un autre sur la place Sainte-Catherine, moyennant la somme de 500 #. Comme renseignements, disons que cette place Sainte-Catherine, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois et qui n'existe plus aujourd'hui, occupait à l'intérieur du mur d'enceinte l'emplacement sur lequel se sont élevées depuis les maisons du quai Brancas. C'est sur cette place que se trouvait autrefois la chapelle des Templiers.
Au mois de janvier 1642, la ville fit une dépense de 186 #, pour faire placer en permanence, sur la place du Bouffay, un poteau, une chaise et une bascule, destinés aux condamnés qui, n'ayant pas mérité la mort, avaient cependant encouru la flétrissure qui résulte de l'exposition publique.
Cette exposition, que l'on trouve mentionnée dans quelques conciles de notre province et dans les plus vieilles constructions de nos ducs, s'est continuée jusqu'en 1848. Le décret du 12 août de cette même année la fait enfin disparaître.
A la suite de la bataille de Rocroy, plusieurs Espagnols, faits prisonniers, furent en 1643 enfermés au Bouffay. Leur garde fut confiée à la milice bourgeoise, et les frais de détention furent acquittés par la ville. Ces frais s'élevèrent à la somme de 21,194 # 16 s 6.
Nous voudrions pouvoir mentionner le nom d'un grand nombre de prisonniers qui, victimes d'un pouvoir ombrageux et despotique, tantôt vinrent à cette époque expier sous les verrous du Bouffay la plus simple imprudence, tantôt même y furent amenés sous le moindre soupçon ou pour satisfaire une vengeance particulière. Mais cela nous mènerait trop loin et puis d'ailleurs les renseignements précis manquent.
Pour donner un exemple du peu de cas que l'on faisait alors de la liberté des citoyens, nous parlerons seulement de l'arrestation et de la mise en prison, au Bouffay, d'un sieur Michel Chevalier.
Michel Chevalier était le trompette de ville, et en cette qualité, il avait reçu du juge-prévôt et du bureau de ville l'ordre de publier par les rues et carrefour un arrêt du conseil d'Etat faisant défense, sous peine de mort, d'envoyer des grains hors du royaume et d'en vendre aux étrangers. Cet ordre était bien simple ; il avait été donné à Chevalier par ses chefs naturels ; aussi le brave trompette s'était-il empressé de le remplir.
Mais il avait compté sans le sénéchal, M. Charette de la Gacherie, qui remplissait alors cette charge ; mécontent que cette annonce ait été faite sans qu'il ait été consulté, il fait arrêter Michel Chevalier et l'envoie sous les verroux réfléchir à la fâcheuse position de ceux qui ont plusieurs maîtres à servir et à contenter.
Le bureau de ville intervint naturellement pour soutenir son agent et décide aussitôt qu'il en sera écrit au gouverneur de la province et au besoin au roi lui-même.
De son côté, le sénéchal ne veut pas en démordre et décrète d'ajournement personnel l'échevin qui a mis l'arrêté aux mains du trompette.
L'affaire, comme on le voit, prenait un caractère et des proportions inattendus. Les municipaux arrêtent alors de se pourvoir en conseil contre le sénéchal et députent à cet effet l'échevin décrété lui-même, avec une indemnité de 9 # par jour.
Puis arrivent l'arrêt du conseil, signification d'icelui, comparution du sénéchal devant le conseil et cent autres évolutions de procédure. Enfin, après six mois, le bureau de ville triomphe sur tous les points, et il est décidé que le sénéchal a eu tort et n'a fait qu'un acte arbitraire. Le pauvre Michel Chevalier qui, pendant tout ce temps, est resté en prison, peut reprendre sa trompette et sonner sa victoire. Mais, d'un autre côté aussi, le trésorier tire de la caisse municipale 1,000 écus, que ce ridicule conflit a coûté à la ville.
Suspendons un instant notre récit et jetons un coup d'oeil topographique sur les lieux dont nous nous occupons, à cette époque du XVIIe siècle.
La place du Bouffay n'a plus rien qui l'enserre. Libre et ouverte, elle possède au centre un petit corps-de-garde, près duquel se dressent les instruments de la justice criminelle. Le reste de la place est un marché, constamment alimenté de provisions ménagères. Quatre rues s'ouvrent pour donner communication aux autres quartiers de la ville : celle de la Bâclerie qui va déboucher dans la rue de la Juiverie ; celle de la Poulaillerie, servant surtout d'accès aux églises Sainte-Croix et Saint-Saturnin ; la petite rue de la Monnaie qui, longeant, l'hôtel des Monnaies, vient tomber dans la rue du Port-Maillard ; enfin, la rue ou le passage de la Tremperie, entre le mur de ville et le château, et communiquant de la place au pont et à la rue de la Poissonnerie. Ce passage, déjà fort étroit, était encore souvent obstrué par les marchandes de poissons.
Le château, disons mieux, le palais de justice formait le côté Sud de la place. Ce bâtiment n'avait point de rez-de-chaussée ; le terre-plein intérieur s'élevait jusqu'à la hauteur du premier étage auquel on arrivait par un large escalier en pierres, non couvert, établi à l'extérieur. Au-dessous de cet escalier existaient des boutiques ayant jour et façade sur la place.
Le mur de ville fermait la place du côté de l'Est, qui s'étendait le long de la Loire. A l'intérieur de cette muraille se présentait d'abord l'hôtel des Monnaies, qui touchait par l'un de ses côtés au Port-Maillard, puis un long rang d'échoppes ou loges en bois, appuyées au mur, et qu'occupaient les divers marchands qui alimentaient le marché. C'était là la halle nouvellement construite.
Le côté Ouest, faisant face à la rivière, était occupé par de chétives constructions, la plupart en bois.
Enfin, sur le côté Nord, on remarquait la maison des Engins, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, et quelques autres maisons bâties à la manière et dans le goût de l'époque.
Le pont de la Poissonnerie, ayant plusieurs arches et uniquement en bois, était établi dans l'axe de la rue de ce nom. Au point de rencontre s'ouvrait une porte de ville, flanquée de deux tours : celle de la Poissonnerie, au Nord, et celle de la Prévôté, au Sud.
Quand au Pont-Maillard, malgré les améliorations qu'il avait reçues en 1449, il était loin encore de suffire et surtout d'être convenable aux besoins de la navigation. C'était uniquement jusque-là un atterrissement de cinquante à soixante toises de profondeur sur la rivière et qui s'étendait de l'hôtel des Monnaies jusqu'un peu au-dessous de notre château actuel. Et encore, par une incurie que l'on à peine à comprendre, l'on avait souffert que cet espace devint un dépôt de fumiers. En 1643, de vives réclamations s'élevèrent contre un pareil état de choses, notamment de la part des mariniers. La communauté s'en émut et prit un arrêté pour faire cesser enfin un pareil abus. Les fumiers durent être enlevés et conduits dans les douves Saint-Nicolas.
L'administration fit plus. Elle présenta requête au roi pour solliciter l'agrandissement de cet unique port fluvial. Par lettre de février 1644, Louis XIV fit droit à cette requête, et au moyen de ressources qu'elle réussit à se créer, la ville, dans les années qui suivirent, fit exécuter les travaux projetés et le port fut prolongé jusqu'au pont de la Poissonnerie. La partie ancienne du port conserva le nom de Port-Maillard ; celle nouvellement créée prit le nom de Port-Lorido, du nom de M. Duménil Lorido, alors maire de Nantes.
En 1631, la Loire s'éleva à une hauteur jusqu'alors inconnue. La place du Bouffay fut presque entièrement couverte ; pendant quelque temps le marché ne put s'y tenir ; les approvisionnements de la ville devinrent difficiles, ce qui fut grand sujet de gêne pour la cité. L'église des Carmes fut inondée jusqu'au choeur.
Nous avons vu qu'en 1521 les moines de Marmoustiers avaient abandonné leur prieuré de saint-Martin, lorsque la ville avait eu la pensée d'y établir un collège. Depuis lors ce prieuré était demeuré vacant. En 1650, les curés et marguilliers de Sainte-Croix voulant avoir un cimetière particulier pour leur église, firent de vives instances près du prieur, pour qu'il leur abandonnât cet établissement, moyennant finances. Ce commandataire, s'il eût été libre, n'eût probablement pas mieux demandé que d'écouter cette proposition ; mais la maison de Marmoustiers elle-même intervint. Elle repoussa les offres de la fabrique de Sainte-Croix et manifesta au contraire l'intention de faire occuper de nouveau par les enfants de Saint-Benoist cette maison qu'ils avaient abandonnée depuis plus d'un siècle.
Ce projet fut dénoncé au bureau de ville par le procureur du roi syndic, et le 6 août 1651, fut prise la délibération suivante :
"Sur ce qui a été représenté au bureau par le procureur sindic, que le jour d'hier, certains religieux de l'ordre de Saint-Benoist entrèrent dans la chapelle et prieuré de Saint-Martin de cette ville, où ils prétendent s'établir et faire communauté de religieux, ce qui est préjudiciable à la ville, attendu le grand nombre de religieux, qui sont déjà établis en icelle et fauxbourgs, à quoi il est requis pourvoir ;
De l'avis commun du bureau,
Sont MM. de Noualle Bureau, sous-maire et Touraine, procureur sindic, près de vouloir prendre la peine de voir lesdits religieux et savoir leurs intentions, pour, passé de ce, et après en avoir fait leur rapport y être pourvu ainsi qu'il appartiendra."
Il paraît que ces premières démarches n'eurent pas de succès, car dans l'année 1656, nous voyons la paroisse Sainte-Croix, à elle joint messire Regner, commandataire de Saint-Martin, plaider sur le fond de la propriété, contre la puissante abbaye de Marmoustiers. Par délibération du 19 mars la communauté de ville se décida à prendre fait et cause dans l'instance. Cette démarche mit fin au débat, et les religieux se désistèrent de leurs prétentions.
La chapelle du prieuré forma alors la sacristie de l'église Sainte-Croix. Quelques constructions nouvelles furent aussi faites à cette dernière église, car, ainsi que l'établissent plusieurs aveux de l'époque, la chapelle Saint-Martin et l'église Sainte-Croix étaient alors séparées par un chemin appartenant au domaine royal.
La collection des plumitifs de la chambre des compte nous fournit, à la date du 28 avril 1653, un document que nous devons faire connaître. Il s'agit d'une requête présentée par damoiselle Françoise Fradin, "remontrant que défunt escuyer Michel Touzelin son mari et elle auraient en l'année 1608, fait bâtir de neuf, aux prisons du Bouffay, de cette ville de Nantes, une chapelle, et fondé certain nombre de messes pour la comodité et soulagement des prisonniers, laquelle fondation s'est toujours bien observée, fors depuis peu ; ladite Fradin ayant eu advis que la messe ne s'y célèvre pas comme de coutume, à cause de l'indigence de réparations à ladite chapelle, quoiqu'il y ait des deniers destinez pour les réparations desdites prisons, dont ladite chapelle fait portion ; s'il n'y est pas promptement remédié, il sera du tout impossible de célébrer la sainte messe. Requérant à ces causes qu'il pleust à ladite chambre commettre l'un des conseillers et maîtres, pour voir l'état de ladite chapelle, et ordonner que les réparations qui s'y trouveront nécessaires, seront faites et les deniers pris préférablement sur la somme de 700 # destinée pour l'entretien desdites prisons."
La chambre des comptes se montra très favorable à cette requête. Procès-verbal fut rapporté "de l'indigence des réparations en ladite chapelle" et mécontente sans doute de ce qui avait été constaté, la chambre ordonna qu'à la requête du procureur général du roi, le geôlier des prisons dudit Nantes serait appelé pour communiquer les titres en vertu desquels il jouissait de ladite geôle.
Dans les XVe et XVIe siècles, dit Travers, la ville avait deux horloges ; l'une, dont nous avons déjà parlé, était établie au Port-Maillard ; mais l'édifice tombant en ruines, elle fut démolie en 1647. L'autre existait au Bouffay ; comme elle était insuffisante pour les besoins de la ville, on en descendit la cloche en 1661. C'est alors que, pour établir une horloge, qui répondit à l'étendue de la ville, on commença la construction de la tour que nous avons connue et qui a été démolie en 1848. Le sieur Bussonnière se rendit adjudicataire des travaux au pris de 17 # 10 s la toise, et la dépense totale s'éleva à 2,150 #.
Cette tour fut terminée en 1664. Elle n'avait certainement rien d'artistique ni de monumental, et cependant elle produisait un effet pittoresque. Elle se terminait par une galerie à jour surmontée d'un dôme que soutenaient des cariatides. De sa plate-forme la vue était magnifique et fort étendue. Dans un voyage écrit au commencement du XVIIIe siècle, on lit au sujet de cette tour : "La tour neuve du Bouffay qui porte si légèrement son dôme et ses belles moulures en plomb."
Une table de marbre blanc, scellée dans l'un des parements du mur, contenait cette inscription :
Dv regne de Lovis XIV Roy de
France et de Navare ;
et govvernement de très havt et
tres pvissant Seigneur Armand
Charles Dvc de Mazariui de Lamelleraie
et de Mayenne, Comte de Ferre et Tannes,
Befort, Marles, Lafarre et Segondigni,
Baron de Lauzer et d'Alkirt, de Parthenay
et de saint Maixent ; grand Bailly et Land-
zvot d'Agveneau ; Governevr
Lievtenant général povr le Roy en la havte et basse Alzace ; Governevr particv-
lier des villes et chateavx de Briszac,
Philisbovrg, Nantes, Blavet, la Serre et Vincen-
nes ; Lievtenant général pour sa Majesté
en ses pays et dvché de Bretaigne et en ses armées ;
pair ; grand maître et capitaine
général de l'artillerie de France :
Estant Maire
Messire Lovis Macé seignevr de la Roche,
Cer du Roy en ses conseils d'Estat
et privé, président au siège preal de Nantes ;
Escvier Michel Forchetav, sievr de la
Colleterie, Cer et secrétaire du Roy,
greffier en chef de la Chambre des Comp-
tes de Bretaigne, Soubs-Maire ;
Noble home Gilles Mesnard sievr Desclos,
Escvier Ivllien Caillaud sieur de Boistenet et Cer
du Roy, recevevr des Fovages et avtres
deniers royavx de l'Evesché de Nantes,
Noble homme Mathurin Ertavet sr de la Bretonnière.
Noble homme Jean Ollivier sr de la Bovgvenière,
Noble homme Lovis Mesnard sr du Pavillon,
Coners et Echevins ;
Noble homme Gville Philipes de Cazales
Advocat en parlement, procvrevr sindic
de la ville ;
Cette horloge a été fondée et
retablie, et la tour eslevée des deniers publics de la ville, en l'an 1664.
Pendant les trois années que durèrent les travaux de construction de la tour, les heures se réglaient sur la cathédrale, où Hierome Barbereau, aux gages de la ville, les frappait sur la grosse cloche.
Trois ans après la descente de la première horloge. Cette fonte eux lieu à la cour des comptes par René Landouillet, qui, après deux essais infructueux, réussit à produire la belle cloche que nous possédons encore aujourd'hui. Cette cloche pèse 16,532 livres. Le maréchal et la maréchale de la Melleraie furent ses parrain et marraine et la nommèrent Charles-Marie.
Voici le détail de la dépense faite par la ville :
...
L'horloger avait 90 # par an, pour gages et entretien de l'horloge. La ville lui avait fait construire un logement auprès de la tour. A l'époque de la Révolution, la commune fut dépossédée de cette maison qui devint propriété départementale.
La penderie, comme l'écrivait à sa fille madame de Sévigné, qui alors habitait Nantes, est journalière dans notre ville en 1675.
Louis XIV venait d'établir des impôts sur le tabac et le papier timbré. Il fallait en outre que la bonne ville de Nantes trouvât et fournit cent mille écus, dans vingt-quatre heures, et passé ce délai, en cas de non paiement, la somme devait être doublée. C'était ainsi que le grand roi battait monnaie pour subvenir aux frais de la guerre qu'il soutenait alors contre la Hollande.
Les populations bretonnes, qui n'avaient point perdu le souvenir de leur ancienne nationalité, et que de pareils impôts exaspéraient, s'agitaient et refusaient de se soumettre à ces exigences fiscales. Aussi de nombreuses troupes avaient été dirigées sur Nantes et les ordres les plus sévères étaient donnés pour réprimer toute émeute. A la suite d'un mouvement, l'un des chefs fut arrêté, roué, écartelé sur la place du Bouffay, et ses restes exposés aux quatre coins de la ville. Des exécutions en grand nombre suivirent et la terreur devint générale. L'emploi de cette excessive sévérité finit cependant par étouffer toute résistance. Le peuple effrayé s'apaisa et les bourgeois payèrent, mais le souvenir de 1675 fut long à s'effacer.
Dans un aveu rendu en 1678 par le prieur de Saint-Martin, on lit "que ledit prieur est seigneur, non fondateur de l'église Sainte-Croix, comme ayant été bâtie de neuf à l'endroit où était autrefois la chapelle appartenant audit prieuré, et qu'en cette qualité, il a dans ladite église, à côté du maître autel, une chapelle bâtie sur son fond." A cette époque, en effet, l'église Sainte-Croix fut complètement restaurée. La partie supérieur est de 1671. Le portail de 1685.
Nous en trouvons la preuve dans une supplique que la fabrique Sainte-Croix adressa en 1696 au bureau de ville. Voici comment, à la date du 21 mars, s'exprimaient les délégués de cette fabrique :
"Ont représenté lesdits délégués que ci-devant la chute de l'église de ladite paroisse ayant enseveli sous ses ruines des boutiques qui étaient à côté de la grande porte et qui avaient été arrentées au sieur Delaplaise Martin, les paroissiens jugèrent à propos, lors du rétablissement de leur dite église, d'empêcher que ledit Martin ne rebâtit lesdites boutiques, reconnaissant que la face de ladite église en serait plus spacieuse et plus belle. Mais il est depuis arrivé que ledit Martin a prétendu être dédommagé de cette perte et lesdits paroissiens ont été obligés de lui consentir un contrat de constitution de 3,000 # ; ce qui est bien onéreux pour la paroisse, endettée de plus de 30,000 # pour des emprunts qui ont été faits pour le rétablissement de ladite église et la construction de son grand autel. Et comme de plus certaines personnes ont l'imprudence de remplir d'immondices l'endroit ou étaient lesdites boutiques,
Supplient lesdits délégués, qu'il leur soit permis de bâtir de nouvelles boutiques sur ledit emplacement, tant afin de se rédimer du contrat de constitution consenti au sieur Martin, que pour empêcher la muraille de ladite église d'être remplie d'immondices, comme elle l'est présentement."
Il paraît que le bureau de ville ne fit pas droit à cette requête, car la même demande fut renouvelée par la fabrique à la date du 4 mai 1713. Cette fois enfin l'autorisation fut donnée et les boutiques se construisirent. Elles subsistèrent jusqu'en 1821, époque à laquelle elles furent détruites pour la régularisation de la place.
... à suivre ...
M. J.-C. RENOUL
Annales de la Société royale académique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1864