Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
28 avril 2013

LE BOUFFAY - NANTES ♣ LA RÉVOLUTION ♣ 6ème partie

LE BOUFFAY

6ème partie

Capture plein écran 26042013 025026

Pour suivre l'ordre chronologique, disons un mot d'un usage assez bizarre, qui existait sur nos marchés, et que l'année 1764 vit enfin disparaître.

D'après cet usage, dont l'origine était fort ancienne, le bourreau, les jours de marchés, avait un droit de havage sur tous les grains et petites denrées exposées en vente. Ce privilège l'autorisait à prélever sur chaque sac ce que sa main pouvait contenir. Les jours de fête pour lui, c'est-à-dire les jours d'exécution, il avait droit à une double ration.

Cette perception faite par le bourreau en personne donnait souvent lieu à des altercations et même à des rixes, notamment avec les gens de la campagne. Des contestations s'élevaient aussi parfois, entre le Toror, nom que l'on donnait alors au bourreau, et les employés de l'octroi qui auraient voulu qu'il perçût moins, afin de pouvoir eux-mêmes percevoir davantage. Comme depuis quelques années et surtout depuis l'exécution des quatre gentilshommes, toutes les rixes menaçaient de dégénérer en émeutes, la communauté crut devoir faire cesser ce droit de havage, dont la perception était d'ailleurs odieuse au peuple qui avait une horreur instinctive pour la main qui le faisait. Ne pouvant toutefois le supprimer de sa propre autorité, elle le racheta, moyennant une somme annuelle de 1,000 # qu'elle accorda au bourreau, ainsi que le logement.

Jusque là aussi la potence restait en permanence dressée sur la place du Bouffay. C'était sans doute une menace incessante contre les malfaiteurs, mais aussi l'exposition continuelle de cet instrument de supplice choquait les regards. La communauté imposa à l'exécuteur l'obligation de faire disparaître ce funèbre appareil, dès que son usage aurait cessé d'être nécessaire.

A cette époque, il n'existait encore à Nantes qu'un seul corps de garde permanent, celui du Bouffay. En 1772, on en établit trois nouveaux, l'un au pont de la Magdeleine, l'autre à Chésine, et le troisième à l'entrée de la rue Saint-Clément. C'était celui du Bouffay qui fournissait des hommes à ce dernier poste.

Ceineray achevait l'édification de nos beaux quais Brancas et Flesselles. L'on songea alors à élever pareillement sur la place du Bouffay, à la place des misérables échoppes qui y subsistaient toujours, des constructions qui pussent répondre à celles des nouveaux quais.

L'habile architecte de la ville dressa les plans des maisons que l'on voulait bâtir au fond de la place, avec retour dans la rue de la Poulaillerie. Le projet de Ceineray reçut l'approbation du bureau de ville.

Mais pour le réaliser, il fallait obtenir du roi la cession de tous ces emplacements qui appartenaient au domaine royal. Il fallait plus, et c'est là surtout que les difficultés devaient se produire : il fallait acquérir de la comtesse du Barry les droits d'usufruit qui lui avait été concédés en 1769. On fit marcher de front ces deux négociations. De la part du roi aucune objection sérieuse ne s'éleva, et dès le principe, le domaine royal se montra disposé à faire la concession demandée. La ville fut ainsi autorisée à traiter avec Mme du Barry. C'est là qu'elle trouva une résistance et surtout des prétentions auxquelles elle n'eut pas dû s'attendre et qu'elle ne réussit à vaincre qu'en faisant de bien lourds sacrifices.

Cette dernière négociation fut entamée au mois de mars 1777, et l'on fit tout d'abord offrir à Mme du Barry une somme de 100,000 #, qui fut refusée. La comtesse, portant beaucoup plus haut le prix de ses honteuses faveurs, demandait 150,000 #. La communauté tenait à l'exécution de ses projets de constructions ; après quelques hésitations, elle se décida donc, par délibération du 21 juillet 1777, à accepter la demande qui lui était faite. Elle consentait ainsi à traiter au prix de 150,000 #, qui serait réglé en six paiements de 25,000 #. Un emprunt, qu'elle sollicita aussitôt, devait lui procurer cette somme.
Mais Jeanne Vaubernier n'était, à ce qu'il paraît, pas plus fidèle en paroles qu'en actions. Elle retira sa promesse. Dans l'intervalle, d'autres offres lui avaient été faites dans un intérêt particulier, et pour elle, un avantage d'argent passait avant l'honneur de tenir à sa parole.
La négociation demeura alors suspendue.

Cependant des lettres patentes de Louis XVI, du 2 juin 1779, avaient autorisé la ville à contracter l'emprunt destiné au règlement de cette triste affaire. On entra alors de nouveau en pourparlers, mais ce ne fut qu'en 1784, et au prix exorbitant de 200,000 # que le marché put se conclure. Voilà ce que, dans cette circonstance, coûtèrent à la ville de Nantes par lettres patentes du 13 septembre 1778.

Nous avons vu qu'en 1750, la cohue et la halle du Bouffay étaient passées aux mains de Mme Charlotte Loquet de Granville, épouse de M. Magon de la Lande. En 1781, les ayants-droit de cette dame cédèrent ces propriétés ainsi que les moulins, boucheries, etc. à M. Mellinet, négociant, pour le prix de 140,000 #. C'était à ce même M. Mellinet, qu'en 1777, avait été adressé Joseph II, frère de Marie-Antoinette, lorsque, sous le nom de baron de Falkenstein, ce prince avait voulu visiter incognito la ville de Nantes.

Cette même année 1781, un certains nombre de prisonniers pour dettes, qui étaient détenus au Bouffay, recouvrèrent la liberté, grâce à la libéralité du commerce, à l'occasion des fêtes qui eurent lieu le 2 décembre, pour célébrer la naissance du dauphin, fils de Louis XVI ... pauvre enfant dont l'aurore fut si brillante et dont la fin prématurée devait être si malheureuse !!!

En 1784, disparut le monument de notre ville, qui, sans contredit, remontait à l'époque la plus ancienne. Nous voulons parler de l'église Saint-Saturnin.

On s'occupait de quelques réparations à l'intérieur, lorsque le 21 juillet, vers sept heures du soir, le pilier au milieu de l'église s'écroula tout à coup, entraînant dans sa chute deux arcades de la nef. N'ayant plus d'appui, la charpente tomba aussitôt. A cette heure, personne heureusement ne se trouvait dans l'église, et il n'y eut ainsi aucune victime.

Pour éviter tout accident, on prit le parti de descendre ce qui restait de la charpente, et l'église dès lors dut être abandonnée.

Trois architectes, MM. Ceineray, Antoine Peccot et Lefort furent désignés pour visiter les lieux et donner leur opinion sur le parti à prendre. Tous furent d'avis qu'il y avait lieu d'ordonner la démolition complète de l'église et de la tour carrée du clocher. Cette tour avait environ cent pieds de hauteur.

Mais les habitants de la paroisse cherchèrent à combattre cette décision et demandèrent avec une vive instance la reconstruction de leur église. Ils adressèrent à cet effet, au mois d'août 1784, une requête au parlement. Ils offraient de faire eux-mêmes les frais de cette reconstruction ; ils signalaient des souscriptions assez importantes qu'ils avaient déjà recueillies, et témoignaient l'assurance que la somme de 30,000 #, jugée nécessaire, serait promptement couverte, sitôt que l'autorisation qu'ils sollicitaient leur aurait été accordée.
Mais cette requête ne fut point accueillie. Le bureau de la ville la combattit lui-même, désireux qu'il se montrait de voir enfin s'établir en avant de l'église Sainte-Croix une place décidée en principe dès 1766.
Ainsi disparut, pour ne plus se relever, ce pieux sanctuaire qui rappelait les premiers temps de l'établissement du christianisme à Nantes. Longtemps les débris de Saint-Saturnin jonchèrent le sol. Ce ne fut qu'en 1821 que l'administration municipale se décida à les faire disparaître et à réaliser ce projet de 1766, d'une petite place en avant du portique de Sainte-Croix.

Et maintenant vainement chercheriez-vous dans ce quartier la place qu'occupait Saint-Saturnin, ce temple qui pendant plus de douze siècles, fut un lieu de prières et l'objet de la vénération de nos pères. Aucune trace ne pourrait même vous l'indiquer. Il n'en reste plus que le souvenir, et encore ce souvenir n'est consacré par rien ... pas même par le nom d'une rue. C'est un oubli regrettable que nous croyons devoir signaler.

Nous avons vu que, de 1755 à 1759, la ville avait pu créer les premières cales de notre Port-Maillard actuel. Les travaux furent successivement conduits jusqu'à la rencontre des douves du château, et bien que le quai n'existât point encore, ces cales basses étaient d'une très grande utilité. Mais l'emplacement qu'elles présentaient était encore évidemment insuffisant pour les besoins de la navigation. Aussi, suivant le plan arrêté, la ville avait-elle le vif désir de les continuer jusqu'à Richebourg. A la fin de 1759, l'autorisation fut donc demndée d'établir ces cales, en face du château, mais le génie militaire voulut imposer de telles conditions, que l'on dut forcément ajourner l'exécution de cette partie du projet.
Cependant, à force de sollicitations en 1766, on obtint quelques concessions et le travail des cales put se reprendre et continuer. Mais l'on ne pouvait encore procéder au remblai et à la confection du quai, et pendant plus de vingt ans encore, les choses restèrent en cet état.

Capture plein écran 26042013 025218Enfin, en 1791, tout empêchement fut levé, et à partir de cette époque liberté entière fut acquise pour travailler à l'établissement du port et des quais. Mais alors un autre obstacle survint. A peine les travaux avaient-ils été repris, qu'arrivèrent les mauvais jours de la Révolution, et que, faute de ressources, l'on fut encore forcé de tout suspendre.

Ce ne fut qu'en 1808, lors du passage à Nantes de l'empereur Napoléon, que l'administration municipale put appeler l'attention du chef de l'Etat sur des travaux aussi utiles et qui cependant demeuraient interrompus et inachevés.

L'Empereur comprit facilement l'importance qu'il y avait à terminer un pareil projet. Par son ordre, un plan général des travaux qui restaient à faire fut dressé par M. Dubois-Dessauzaire, alors ingénieur en chef des ponts et chaussées à Nantes. Le devis s'élevait à 221,381 fr. 21 c.

L'adjudication eut lieu le 14 juillet 1809, et M. L.-F. Sauvaget fut déclaré adjudicataire pour le prix de 212,800 francs.
Sur cette somme :


206,302 fr. 89 c. étaient à la charge de l'Etat.
6,497 fr. 11 c. étaient à la charge de la ville.
Poussés d'abord avec une grande activité, les travaux, par suite des nécessités de la guerre, furent de nouveau interrompus en 1811. Enfin, sur les vives insistances de M. Dufou, alors maire, ils purent être repris et terminés en 1816. Vers le milieu de 1817, la circulation put aussi s'établir dans toute la longueur du quai tel à peu près que nous le voyons aujourd'hui.

En même temps que vers 1760, la communauté s'occupait des premiers travaux des cales de Port-Maillard, elle songeait aussi à arrêter le plan des maisons qui devaient border le quai. Ceineray fut encore l'auteur de ce plan qu'il présenta le 12 février 1761, et qui reçut l'approbation du bureau de ville.
Ce projet comportait vingt-huit boutiques avec entresol, premier et second étages. Pour la régularité, il eût fallu encore cinq autre boutiques, mais on devait les obtenir en prolongeant les constructions jusqu'au Bouffay, de qui dès lors était arrêté.
Par diverses circonstances, l'exécution de ce projet demeura longtemps suspendue. La ville ne put s'en occuper sérieusement qu'en 1790. Sur un nouveau plan dressé par MM. Douillard et Seheult, elle mit alors en adjudication les terrains de façade qu'elle possédait et qu'elle avait acquis en partie des Jacobins par voie d'échange. Le prix d'adjudication fut d'environ 4 # le pied.
A la suite de cette adjudication, quelques maisons se bâtirent ; d'autres se sont successivement élevées depuis. Cependant aujourd'hui encore quelques lacunes se font remarquer sur ce beau quai.

Mais revenons à l'époque où nous nous sommes arrêtés.

Nous arrivons à ce moment terrible où la prison et surtout la place du Bouffay vont se lier plus étroitement que jamais aux faits qui se produisent chaque jour. Nous sommes donc forcément amenés à parler de ces évènements ; nous le ferons du reste de la manière la plus concise qu'il nous sera possible.

L'orage politique qui déjà depuis longtemps planait sur la France, gronde et éclate. - Nous sommes en pleine révolution. - Avec ses aspirations généreuses, avec ses principes de liberté longtemps mûris, 1789 donne à la France de nouvelles institutions, une vie nouvelle. - 1790, 1791 voient nos premières assemblées travailler à cette rénovation sociale et politique avec un courage, avec une persévérance qui ne se démentent pas un instant. Chaque jour tombe un ancien abus, chaque jour un nouvel anneau vient s'ajouter à cette chaîne qui désormais doit former le lien législatif du pays.

Oh ! combien il eût été heureux pour la France de se reposer alors de ses agitations, à l'ombre et sous la sauvegarde de ces institutions si longtemps attendues, si justement acquises ! Mais il ne devait point en être ainsi. Déjà en effet les partis se forment, les exigences s'accroissent, les passions se révèlent. Et ajoutons : les opinions diverses trouvent à leurs services d'immenses talents.

D'un côté, l'on ne se contente plus de ce que l'on avait voulu d'abord ; les premiers désirs satisfaits ont réveillé de nouveaux désirs. On marche en avant, sans vouloir s'arrêter, sans paraître s'inquiéter de savoir si les concessions obtenues ne suffisent pas aux besoins de l'époque, sans se rendre compte enfin s'il n'y a pas témérité et même danger à dépouiller le pouvoir royal de son autorité et de son prestige.

D'un autre côté se produit une résistance qui lutte de toutes ses forces contre un pareil entraînement. Ce parti semble avoir vu le danger et ne cesse de le signaler ; mais la prudence lui fait souvent défaut et il se mêle à des intrigues qui bientôt connues et dévoilées tournent contre la cause qu'il défend. Son courage toutefois ne faiblit point, et si, victime de son dévouement pour une cause désormais perdue, il succombe dans la tourmente révolutionnaire, il ne tombe du moins point sans honneurs.

En présence de ces débats, l'exaltation populaire se développe et s'accroît chaque jour. Déjà la Bastille a disparu ; des mouvements ont eu lieu à Versailles et à Paris, et le sang a coulé ... Enfin, en 1792-1793, après la chute des institutions qui l'avaient soutenu si longtemps, le vieux trône de nos rois s'abîme et disparait.

La révolution politique était consommée, mais aussi la terreur allait commencer.

En Bretagne, c'était aussi avec un véritable enthousiasme que l'on avait accueilli les premières espérances de la révolution. La jeunesse surtout s'y était montrée très sympathique et le pacte fédératif qui, en 1790, réunit un nombre considérable d'adhérents, eut dans nos départements une immense influence.

L'opposition de la noblesse n'eut aussi dans le principe aucun caractère bien apparent. Bien des membres au contraire se montrèrent disposés à seconder le mouvement national. Quant à l'opposition du clergé, elle ne se révéla aussi que plus tard.

Mais, nous l'avons dit, l'assemblée nationale avait jugé le moment venu de ne laisser debout aucun abus et elle avait ainsi cru devoir abolir tous les privilèges. Elle avait en même temps supprimé les voeux monastiques et déclaré propriétés nationales tous les biens du clergé. Bientôt même on alla plus loin, et ce fut, à notre avis, une très grande faute : on exigea du clergé et de toutes les corporations religieuses un serment que la grande majorité de ceux qui y étaient soumis repoussa comme étant en opposition à ses devoirs de conscience. Ces motifs, auxquels vinrent successivement se joindre la chèreté des grains, la persécution contre les membres du clergé qui avaient refusé le serment, l'envoi dans les paroisses des prêtres constitutionnels, enfin la mort du roi, jetèrent notre pays dans une insurrection, qui prit bientôt les proportions d'une véritable guerre civile.

A Nantes, de 1789 à 1791, de Kervégan était maire ; de Kervégan, homme éclairé, indépendant, estimé de tous et qui n'avait cessé de donner des gages d'un patriotisme que chacun appréciait. Son autorité était grande et respectée et il l'employait à maintenir l'ordre et à réprimer tout ce qui pouvait le compromettre. Déjà en effet les sociétés populaires s'étaient formées, et tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, l'émeute des rues était en quelque sorte en permanence. Mais jusque là ces petites séditions n'avaient point pris le caractère d'une révolte, et il avait suffi pour les calmer de l'intervention en même temps ferme et bienveillante du chef de l'administration municipale. Malgré les troubles réels dont notre pays était le théâtre, jusqu'à la fin de 1791, les prisons du Bouffay n'avaient donc reçu que des prévenus, soumis à la justice ordinaire, et l'échafaud ne s'était point encore dressé, pour verser le sang d'une victime de ces désordres publics.

Mais les circonstances devenaient chaque jour plus graves.

Nos campagnes se couvraient de rassemblements armés qui déjà avaient porté l'incendie sur plusieurs points et prenaient une attitude de plus en plus menaçante. La garnison de Nantes, la garde nationale elle-même avaient fourni des détachements pour s'y opposer ; et, bien que la résistance ne fût pas encore fortement organisée, quelques victimes étaient déjà tombées. Ce n'était là du reste que le prélude de cette guerre impie et acharnée qui allait s'étendre sur les deux rives de notre fleuve.

Ajoutons que la guerre étrangère compliquait encore la situation et allait appeler les forces actives de la nation à la défense de nos frontières. Mais de ce côté du moins la France présentait le spectacle d'un ardent et véritable patriotisme, et en présence de l'honneur national mis en péril, toute autre passion se taisait. Aussi l'étranger, qui avait semblé croie que sa seule présence suffirait pour anéantir les changements qui venaient de s'opérer dans notre constitution politique, apprit-il, à ses dépens tout ce qu'il y a de fermeté et de courage chez un peuple qui marche à la défense de ses institutions et de ses foyers sous l'égide de la liberté.

A Nantes du reste le mot de république ne se prononçait encore que tout bas. Ce mot effrayait notre population bourgeoise et commerçante, et notre administration municipale elle-même se montrait énergiquement opposée au système républicain. Le 24 septembre 1791, elle écrivait encore à l'assemblée nationale :
"Nous vous le disons encore, nous n'avons voulu, nous ne voulons qu'un roi. Nous l'avons voulu inviolable et sacré dans sa personne, parce que notre intérêt l'exige, parce que la majesté du peuple se réfléchit sur lui, parce qu'il est constitué pour être le désespoir de toutes les ambitions perverses, parce qu'enfin la royauté est notre propriété et que nous n'entendons pas la livrer à la merci des usurpateurs et des brigands."

Il fallait alors à l'administration de de Kervégan un certain courage pour s'exprimer ainsi ; mais pareille manifestation était désormais vaine et sans portée. Rien ne pouvait plus arrêter le mouvement révolutionnaire qui bientôt allait menacer de tout engloutir, même la liberté, cette nouvelle conquête dont la nation devait être si heureuse et si fière. Les mauvais instincts éveillés, surexcités, devenaient les maîtres de la situation, et la société française allait, pour un temps du moins, devenir leur esclave et leur proie.

Le 30 novembre 1791, de Kervégan avait cessé d'être maire et avait été remplacé par M. Giraud Duplessix. Bien que d'opinions plus avancées que son prédécesseur, le nouveau maire de Nantes, débordé de toutes parts, ne put qu'opposer sa volonté et ses efforts à la lutte et aux exigences des partis.

Il faut le dire aussi, Nantes était déjà dans une position vraiment critique.

La disette devenait de plus en plus pressante ; la ville ne possédait pas pour vingt jours de subsistances, et la difficulté d'y faire arriver des grains était extrême, l'insurrection s'étendant en quelque sorte jusqu'aux faubourgs. Et cependant encore la population se trouvait considérablement accrue par tous les réfugiés des campagnes.

Les prisons étaient encombrées de détenus appartenant pour la plupart à l'insurrection, et cette accumulation était devenu la cause de maladies contagieuses, surtout au Bouffay. Aussi la mortalité y était-elle énorme, car ces malheureux étaient dans le plus grand abandon, sans secours, sans soins, sans visites de médecin. M. Darbefeuille, touché de compassion, s'offrit pour les visiter. Son offre fut acceptée ; mais l'on comprend ce que pouvaient faire ses seuls efforts personnels contre une semblable misère.

Disons-le toutefois, jusque là la sécurité et la vie des prisonniers avaient été respectées.

C'était surtout contre les prêtres que se manifestait la haine du parti démagogique. Arrêtés partout, même au moyen de visites domiciliaires, ils avaient d'abord été renfermés dans la maison de Saint-Clément. Mais leur vie ne paraissant pas en sûreté, on les transféra au château. Au mois d'août, on leur signifia le décret du 22 mai qui les condamnait à la déportation. En conséquence, tous ceux qui avaient moins de 70 ans reçurent l'ordre de s'embarquer pour l'Espagne ou l'Angleterre. Les vieillards au-dessus de 70 ans et les infirmes furent renfermés dans le couvent des Carmélites. On en agit de même à l'égard de 168 prêtres qui, du Mans, avaient été dirigés sur Nantes.

A la même époque, pour diminuer l'encombrement de la prison du Bouffay, on en fit sortir les femmes arrêtées pour délit de police, et le Bouffay resta uniquement affecté aux prisonniers politiques.

Nous aimons du reste à constater que l'administration municipale, aussi bien que la garde nationale, se montraient toujours animées d'un esprit de modération et d'humanité. Mais il n'en était pas toujours ainsi du département, qui, d'accord en cela avec les idées de la populace, était parfois et trop souvent prêt à recourir aux mesures les plus acerbes. Cette funeste condescendance fut sans contredit l'une des causes qui préparèrent les excès de 1793.

... à suivre ...

M. J.-C. RENOUL
Annales de la Société royale académique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1864

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité