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La Maraîchine Normande
28 avril 2013

LE BOUFFAY - NANTES ♣ LA RÉVOLUTION ♣ 8ème partie

LE BOUFFAY

8ème partie

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Ainsi la guillotine, qui fonctionne chaque jour sur la place du Bouffay, n'est plus suffisante. Les carrières de Gigant, l'Eperonnière, la prairie des Mauves deviennent le théâtre d'exécution, où l'on fusille indistinctement par centaines hommes, femmes, enfants, tous ceux qu'il plait à Carrier et au comité révolutionnaire d'envoyer à la mort.

Et cela ne suffit pas encore à la soif de sang qui dévore ces monstres. Aux fusillades en masse, ils joignent les noyades en masse !!!

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Des témoignages auxquels on peut ajouter foi font connaître que plus de 3.000 personnes, parmi lesquelles un grand nombre de prêtres et de femmes, périrent par ce dernier moyen. Aussi les prisons, notamment celle du Bouffay, chaque jour remplies, se vident chaque jour. On ne se donne plus la peine de soumettre les malheureux détenus même à une apparence de jugement. On les tue, on les noie, sans constater même leur identité.

Pour donner une idée de ces massacres, nous reproduisons une pièce authentique que nous avons trouvée dans nos archives municipales et que nous avons lue la rougeur au front et avec un grand serrement de coeur :

"Rapport général des inhumations des cadavres et enfouissement des animaux crevés, depuis le 6 nivôse jusqu'au 30 thermidor, l'an deuxième de la République française, une et indivisible et impérissable.

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Et cela dans sept mois, lorsque la mortalité ordinaire de Nantes, à cette époque, n'excédait pas par année 2.000 !

Et notons encore que dans cette récapitulation ne sont point compris les cadavres des noyés que l'on abandonnait au courant du fleuve et qui restaient privés de sépulture, à Nantes du moins.

Ce rapport est d'un sieur Dobigny, nommé par arrêté du conseil général de la commune de Nantes, en date du 26 nivôse : Commissaire aux inhumations des cadavres et enfouissement des animaux crevés.

Un autre document peut, du reste, donner la mesure de l'importance des fonctions de ce Dobigny.

Cette pièce porte pour titre :

Etat des paiements faits par les commissaires chargés de l'inhumation des morts de cette commune, et de l'enfouissement des animaux d'icelle, depuis le 21 germinal jusqu'au 9 thermidor inclusivement."
Cet état constate qu'une somme de 12.740 fr. avait été payée pour ce service d'inhumations pendant moins de quatre mois.

Comme il est naturel de le penser, ces scènes de désolation et de carnage donnaient souvent lieu à des actes vraiment touchants de vertueuse résignation et de courage religieux. La foule un instant même s'en montrait parfois émue, mais l'habitude de ce hideux spectacle avait endurci les coeurs et faisait taire bientôt ces sentiments de pitié.

Quelques exécutions cependant parvinrent à exciter un certain intérêt chez ces hordes qui chaque jour venaient se repaître de la vue du sang qui coulait à flot sur la place du Bouffay et se donnaient l'horrible mission d'insulter ceux qui marchaient à l'échafaud. Citons entre autres, d'après Mellinet, la mort de mesdemoiselles de la Métayrie.

Les 17 et 18 décembre 1793, Carrier expédie deux ordres signés de lui, pour faire guillotiner sans jugement cinquante brigands détenus au Bouffay.

Capture plein écran 27042013 023206Parmi ces prisonniers se trouvent sept femmes, dont quatre soeurs, Mesdemoiselles Gabrielle, Marguerite, Claire et Olympe Millo de la Métayrie. La plus âgée n'a que 28 ans, la plus jeune n'en a pas 17 ; elles sont accompagnées de leur domestique, Jeanne Roy, âgée de 22 ans, dont le dévouement a voulu partager le sort de ses jeunes maîtresses.
Le concierge, Bernard Laqueze, a vu ces innocentes victimes dans leur prison, et touché de compassion, il songe à les sauver. Il se rend chez Carrier, et par tous les moyens possibles il cherche à l'intéresser en faveur de ces quatre infortunées. Le monstre reste insensible et réitère l'ordre d'exécution, dont le concierge et le bourreau auront à répondre sur leur tête.
Vivement affligé de cet insuccès, Bernard Laqueze revient au Bouffay, mais il ne se sent pas la force d'aller lui-même signifier aux quatre soeurs l'ordre qu'il vient de recevoir. C'est sa femme qui va remplir cette pénible mission.
Cette femme fait appeler les demoiselles de la Métayrie dans une chambre particulière. Heureuses de trouver de l'air et de l'espace, elles croient avoir recouvré leur liberté, mais cette douce pensée ne dure qu'un instant, et la triste vérité leur est révélée par ces mots que leur jette en pleurant la femme du concierge : "Mes amies, mes pauvres chères amies, votre dernière heure approche."

Dans le premier saisissement, continue Mellinet, une seule et même plainte échappe aux jeunes filles : Comment la mort des criminels peut-elle les atteindre ? Elles n'ont été ni entendues ni jugées ; veut-on les assassiner ? A cette pensée elles se serrent les unes contre les autres avec effroi, et leurs yeux immobiles se fixent sur celle qu'elles croient chargée d'exécuter le crime. Mais les regards de cette femme leur révèlent assez de pitié, et d'une voix qui se fait à peine entendre à travers ses larmes, elle reprend : "Mes pauvres chères filles, préparez-vous à la mort, à neuf heures vous ne serez plus ... C'est Carrier qui l'ordonne."

A ce nom, tout espoir s'est anéanti ; les jeunes filles jusque là avaient songé à ce monde, où riches, belles et bonnes, l'avenir devait s'offrir si brillant pour elles, où leurs mains devaient encore répandre les bienfaits à l'indigence, les consolations à la souffrance ; mais Carrier l'ordonne. Elles ne doivent plus se préparer qu'à mourir ; Carrier ne pardonne pas ... mais Dieu pardonne ..., et par un mouvement sympathique les quatre soeurs se séparent, joignent leurs mains, tombent à genoux, embrassent la terre, cette terre à laquelle elles font un dernier adieu. Elles sont résignées, elles sont prêtes à mourir ; ce ne sont plus des jeunes filles timides qui redoutent les tortures. Le bourreau peut venir, il trouvera des martyres pour la terre, des anges pour le ciel.
Après quelques instants de ce profond recueillement, où réfugiée dans son immortalité, l'âme s'élève au-dessus de nos misères mondaines et trouve sa puissance dans la foi, Mlle Olympe de la Métayrie, la plus jeune des quatre soeurs, se relève la première et s'avançant vers la femme du concierge avec cette ineffable bonté que l'innocence peut seule donner, elle tire une bague de l'un de ses doigts, en disant à cette femme : Madame, Dieu vous récompensera ; vous avez eu pitié de nous, que cette bague soit un souvenir de notre reconnaissance. Nous mourrons sans haine, Dieu connaît nos coeurs.
A ces simples et célestes paroles, ses soeurs se relèvent aussi, lui pressent les mains en signe d'assentiment, puis leurs baisers se confondent ; elles ne se disent cependant pas un éternel adieu, comme elles l'ont dit à la terre ; elles se donnent rendez-vous au séjour éternel qu'elles se promettent mutuellement.
Alors, pour se raffermir contre elles-mêmes, les quatre vierges se remettent en prières, leurs voix unies dans un pieux et divin accord, s'élancent vers le ciel chastes et pures comme leur vie, lorsque les valets du bourreau se présentent les gras nus et tachés de sang, les vestes décolletées, le bonnet rouge sur la tête, et d'un mot brutal appellent leurs victimes ... Elles sont prêtes et se mettent en marche, sans plaintes, sans murmures, toujours douces et belles sous leur expressive pâleur, mais toujours priant ...

Lorsque le peuple voit s'avancer ces quatre belles victimes, qui ferment le cortège des quarante condamnés, l'émotion est unanime. Pour la première fois, un morne silence règne sur la place ; pour la première fois, la population n'interrompt pas la prière des condamnés par ses insultes et ses moqueries. Les quatre soeurs entonnent ensemble un touchant cantique et s'avancent ainsi jusqu'au pied de l'échafaud.
Le bourreau lui-même est interdit ; se regards ne peuvent se détacher des quatre blanches figures qui sont au pied de la guillotine, attendant patiemment que leur tour soit venu. Successivement montent sur l'échafaud quatre laboureurs de Blain, sept habitants de Guérande et sept laboureurs de Savenay. Le bourreau frémit à chaque goutte de sang qui va jaillir sur les vêtements de ces jeunes filles. Il suspend un instant son effroyable tâche ; on voit qu'il hésite. Mais Carrier n'a jamais laissé échapper une victime. Dans son appréhension sanguinaire, il s'est rendu au Bouffay, et sa parole vient retentir jusqu'à l'âme timorée de l'exécuteur. Celui-ci dominant alors sa propre frayeur, abat convulsivement dix-huit têtes. Le couteau de la guillotine s'est donc levé et abaissé trente-cinq fois ... C'est le tour de Jeanne Roy, Mesdemoiselles de la Métayrie se jettent dans ses bras ; elles la pressent avec effusion, et en lui montrant le ciel, elles l'exhortent à mourir saintement.
Une tête tombe encore !
Les quatre soeurs s'avancent.
Une voix s'écrie dans la foule : "Elles sont trop belles pour mourir !"
Il n'y a rien de trop beau pour le ciel, répond Mlle Olympe de la Métayrie, en élevant ses yeux vers les cieux, avec un sentiment pieux d'inspiration qui la rend plus belle encore.
Puis, reprenant la prière avec ses soeurs, elle s'offre elle-même au supplice. Mais le bourreau la regarde sans oser s'approcher ... Qui donc montera la première sur l'échafaud ? Leurs regards s'abaissent ; elles veulent l'ignorer. Leurs chants redoublent avec une divine extase ... Mais le choeur s'affaiblit progressivement ... Bientôt on n'entend plus qu'une seule voix ... Un murmure plaintif et confus se propage dans la foule, et lorsque les chants ont cessé, la main tremblante du bourreau a peine à terminer son horrible tâche. Il n'y survivre pas ; ses forces sont anéanties, le délire s'empare de lui. Trois jours après il n'était plus.

Nous dirons encore un mot de la mort de M. Leloup de la Biliais et de sa famille. Nous retrouverons dans cet épisode, le même courage, la même résignation, la même foi chrétienne que dans le précédent.

M. Leloup de la Biliais, ancien conseiller au parlement de Bretagne, habitait Saint-Etienne-de-Mont-Luc. Il s'y livrait à l'agriculture. Avant tout, c'était un homme de bien, méritant à tous les titres l'estime et la considération de ceux qui l'entouraient. Mais alors ces titres étaient justement un motif ordinaire de proscription. Aussi le 7 décembre 1793, M. de la Biliais fut-il arrêté avec sa femme et ses deux filles et conduit dans les prisons de Nantes.
Le motif de son arrestation était puéril ; il était de plus dénué de toutes preuves. On avait trouvé chez lui le portefeuille d'un prêtre et l'on en tirait la conséquence que M. de la Biliais lui avait donné asile.
Malgré les dénégations les plus formelles, M. de la Biliais fut condamné à mort. Carrier avait vu sur les registres des prisonniers le nom d'un gentilhomme, d'un ancien magistrat, et c'en était assez à ses yeux pour désirer et ordonner son supplice. Homme de conviction religieuse, M. de la Biliais monta à l'échafaud avec calme et fermeté, en élevant son âme à Dieu, et sa tête roula sur celles des autres victimes qu'avait déjà abattues le couteau sanglant.
Quant aux dames de la Biliais, on les fit comparaître, pour la forme, devant une commission miliraire ; mais leur sort était fixé d'avance, et comme rien ne pouvait légitimer une condamnation, le motif du jugement à mort prononcé contre elles fut uniquement ; qu'elles avaient distribué des coeurs de Jésus, pour soutenir le peuple dans la foi catholique.

"En retournant dans leur cachot, dit Mellinet, elles marchaient avec tant de résignation et de tranquillité, que le peuple les crut acquittées. Dans la rue de la Casserie, quatre fusiliers qui les escortaient les quittèrent un instant pour apaiser une rixe. Aussitôt, plusieurs personnes s'approchèrent d'elles, en leur disant à demi-voix : Fuyez, fuyez vite ... Profitez du moment que la Providence semble vous offrir ... Mais le chef de la famille était mort, que pouvaient-elles faire sur cette terre sans soutien ? Décidées à mourir, elles attendirent patiemment le retour de leur garde. Et le lendemain, le 7 mars 1794, à midi, elles marchaient à l'échafaud, en récitant ensemble les prières des agonisants. Arrivées au pied de la guillotine, elles s'embrassèrent, et après cet épanchement humain, elles s'exhortèrent mutuellement à mourir, en se disant que bientôt elles allaient renaître dans le ciel ..."

Emu par la beauté de la plus jeune, un garde national résolut de les sauver : "Epouse-moi, lui dit-il, et je te sauverai, avec ta mère et ta soeur." Non, répondit avec fierté la jeune fille, j'aime mieux mourir pour mon Dieu que de vous appartenir. Et, prête à subir le supplice, lorsque le bourreau se présenta pour la soutenir : "Non, dit-elle, avec un regard mêlé de dégoût et de dignité, ne me touchez pas, je marcherai bien seule."
La mère voulut mourir la dernière, pour être sûre que nulle flétrissure ne souillerait ses filles. La foi avait transformé en un courage paisible la faiblesse de leur sexe. Leur bouche murmurait encore la prière dans laquelle elles puisaient leur force, quand les valets du bourreau, avec un rire féroce, montrèrent leurs trois têtes au peuple, ces trois têtes tombées comme celle de l'époux et du père.

Cependant Carrier tenait toujours courbée sous sa verge de fer notre ville qu'il décimait. La terreur et l'épouvante étaient partout ; on n'osait se regarder, et chacun semblait attendre la mort dont tout instant le menaçait ... Dans ces circonstances, un homme eut le courage d'élever la voix et de tenir tête à Carrier. Ce fut Champenois, officier municipal. Cet acte d'énergie, qui n'était certes pas sans danger, fut le signal du réveil de nos administrations. Carrier avait destitué Champenois de ses fonctions, mais le corps municipal prit hautement parti pour lui. Le charme était rompu. Bientôt des voix s'élevèrent pour faire connaître à la Convention l'horrible conduite de Carrier, à Nantes. Il fut rappelé, et le 14 février 1794, il quittait notre ville.

Le départ de Carrier permit enfin de respirer, et un peu de courage revint dans les esprits. La terreur n'était pas sans doute encore finie. Robespierre, à Paris, restait tout puissant, et à Nantes le comité et le tribunal révolutionnaires fonctionnaient toujours. Aussi dans les mois qui suivirent, la place du Bouffay vit-elle un certain nombre d'exécutions. Mais chaque jour l'opinion contre les terroristes se prononçait davantage et la réaction prit bientôt une telle énergie, qu'au mois de juin, un arrêté décida l'arrestation de tous les membres du comité révolutionnaire et du président Philippe Tronjolly. Peu de temps après, les évènements des 9 et 10 thermidor mirent fin au pouvoir tyrannique de Robespierre, et Carrier lui aussi, convaincu d'avoir fait périr, pendant son séjour à Nantes, dix à douze mille hommes, femmes, enfants, guillotinés, fusillés, noyés, monta sur l'échafaud, le 16 décembre 1794. Ce monstre n'avait que 35 ans ; il était né à Yollet, département du Cantal.
Lorsqu'il quitta Nantes, nos prisons étaient encombrées de détenus. On en comptait au moins quatre mille, dont plus de mille femmes, dans les huit prisons du Bouffay, des Saintes-Claires, des Frères, du Sanitat, de la Marlière, du Bon-Pasteur et dans la prison militaire. A la suite d'une visite qui fut ordonnée, la plupart de ces détenus furent mis en liberté.

La guerre de la Vendée continuait cependant toujours, et cela avec un acharnement qui souvent se traduisait de part et d'autre en acte d'une véritable barbarie. Toutefois, depuis l'affaire de Savenay, l'on pouvait facilement reconnaître que le parti de l'insurrection avait considérablement perdu de ses moyens. Et, en effet, les deux traités de la Jaulnais et de la Mabilais, donnèrent un instant à penser que la lutte allait enfin cesser. Mais ces deux traités n'eurent qu'une durée éphémère, et des deux côtés on reprit les armes.

Enfin en février 1796, Stofflet, fut arrêté, et dans le mois suivant Charette eut le même sort. Conduit d'abord à Angers, Charette fut ramené à Nantes et devint l'hôte du Bouffay. Quelques jours après, il fut condamné à mort et fusillé le 29 mars, sur la place Viarme.

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La grande guerre vendéenne était alors en réalité finie, mais longtemps encore la pacification fut loin d'être complète. En 1799, il se passa même un fait qui se rattache à notre sujet, et dont nous devons ainsi naturellement parler.

A cette époque, la partie gauche de la Loire, qui avait eu particulièrement à souffrir du fléau de la guerre, était à peu près tranquille. Mais il était loin d'en être ainsi du côté de la Bretagne. L'organisation de la chouannerie s'y maintenait toujours, malgré les efforts que l'on ne cessait de faire pour la détruire. Les insurgés tenaient encore la campagne et osaient même parfois se montrer jusqu'aux portes de Nantes.

Mais notre population et nos administrations elle-mêmes ne semblaient pas se préoccuper beaucoup de ces mouvements. On était tellement habitué à cet état de guerre, que l'on prenait en quelque sorte plaisir à n'en plus calculer le danger. Chacun s'endormait ainsi dans une sécurité qui en réalité n'existait pas. L'on ne se doutait pas surtout que les chouans voulussent pousser l'audace jusqu'à attaquer Nantes, et aucune précaution n'était prise contre pareille éventualité.

Et cependant ce projet était arrêté de leur part, et il était même à la veille de recevoir son exécution.

Dans le courant de septembre, deux détachements avaient été dirigés sur Châteaubriant et Clisson, et la garnison de Nantes se trouvait réduite à six cents hommes de nouvelles recrues. La garde nationale, par suite du dernier recensement, présentait bien un effectif de onze mille quatre cent ving-cinq hommes, mais une partie seulement était armée.
C'est dans cette circonstance que le 17 octobre la nouvelle arrive qu'une colonne de trois mille chouans attaquait Ancenis, et que le 18 l'on apprend également que cette colonne est à Carquefou et qu'elle en attend une autre de même force pour attaquer Nantes.
Nos administrations se réunissent aussitôt, mais une confiance aveugle préside encore à ces délibérations et l'on se contente de prendre des mesures purement insignifiantes.

M. Chévy, colonel de la garde nationale, seul a vu le danger, et de lui-même et sous sa responsabilité, il organise ses moyens de défense.

Il était temps : car dans la nuit du 18 au 19 octobre, sur les trois heures, les chouans attaquaient le poste de Rennes, et quelques instants après, ils étaient sur la place du Port-Communeau. En même temps, plusieurs bandes pénétraient par d'autres issues que l'on avait négligé de garder et se répandaient dans toute la ville.
Mais alors le canon d'alarme se fait entendre ; on sonne le tocsin ; la générale est battue ; partout retentit le cri : aux armes !! A cet appel, la garde nationale retrouve le courage et l'énergie qu'elle avait montrés à la première attaque de 1793. Chacun se rallie au premier détachement qu'il rencontre, et la défense commence et s'organise au milieu d'une nuit, rendue plus obscure encore par un épais brouillard.

Nous n'avons point à reproduire toutes les péripéties de cette affaire. Nous dirons seulement que, de la part de notre population, chacun fit honorablement son devoir, et que l'on eut même à citer des actes de vrai courage et d'un grand dévouement.
L'obscurité du reste était telle, que plusieurs détachements de la garde nationale, ne pouvant se reconnaître, marchèrent un instant les uns contre les autres.
Le chef de brigade Banchais, sorti de chez lui au premier cri d'alarme, ne dut la vie qu'à cette circonstance, qu'il n'avait pas pris le temps de revêtir son uniforme. En se rendant à la mairie, il tomba, sur le quai d'Erdre, au milieu d'un parti de chouans, qui lançaient des coups de fusil de tous côtés. Il eut la présence d'esprit de tirer son sabre et de relever les fusils en disant avec l'autorité du commandement, qu'il ne fallait pas ainsi perdre sa poudre et effrayer les habitants. Les chouans, le prenant pour un de leurs chefs, obéirent ... et Banchais profita de cette erreur pour se dégager et regagner son poste.

Disons-le au surplus, en s'introduisant à Nantes, les chouans avaient évidemment un but qu'ils réussirent à remplir. Dans de précédentes rencontres, un certain nombre de prisonniers notables avaient été faits sur leur parti et étaient détenus au Bouffay. Quelques-uns mêmes avaient subi leur jugement et étaient condamnés à mort. Les chouans le savaient et avaient voulu délivrer ces prisonniers. Aussi l'un des chefs, connu par son intrépidité, Dupré, dit Tête-Carrée, se présenta-t-il au Bouffay, avec un fort détachement, et somma le concierge de lui ouvrir les portes de la prison. Dans l'impossibilité de résister, le concierge obéit, et onze détenus furent ainsi délivrés.
Mais pareille lutte ne pouvait se prolonger au grand jour. Aussi le jour commençait-il à paraître, que les insurgés, qui du reste avaient atteint le but qu'ils s'étaient proposé, fuyaient dans toutes les directions. On voulut les poursuivre, mais les moyens manquaient, et l'on se contenta de prendre des précautions pour s'opposer à toute nouvelle surprise.

Dans cette affaire, la population de Nantes paya encore son tribut. Vingt-un citoyens tombèrent morts, et quarante-un furent blessés. Au nombre de ces derniers se trouva encore le maire de Nantes, M. Saget. Il était sur la place Égalité, donnant l'exemple et excitant chacun à faire courageusement son devoir, lorsqu'il reçut un coup de crosse de fusil à la tête et fut frappé à bout portant de deux coups de feu, dont l'un lui brisa la cuisse et l'autre lui fractura la jambe gauche. Le digne maire de Nantes allait indubitablement périr, lorsqu'un brave citoyen, le sieur Odé, en s'exposant lui-même au plus grand danger, parvint à le traîner jusque chez lui. Quelques heures après, M. Saget avait à supporter l'amputation, et il fut assez heureux pour survivre à sa blessure. La population tout entière donna alors à son maire les marques du plus sympathique intérêt ... Mais aujourd'hui ? Où donc est le témoignage public qui rappelle le souvenir de l'acte héroïque de dévouement du maire Saget ?

Nous arrêtons ici ce que nous avions à dire sur les évènements de la période révolutionnaire. A l'époque où nous sommes arrivés le Consulat se constitue pour faire bientôt place à l'Empire. Pendant les premiers temps tout trouble n'avait certainement point cessé, et la prison du Bouffay s'ouvrit encore souvent pour recevoir des détenus soumis à des jugements plus ou moins sévères ; mais en réalité nous ne trouvons plus rien qui s'élève à la hauteur de faits historiques, se rattachant à notre sujet.

A la fin du dernier siècle et jusqu'en 1805, la ville fait exécuter, dans les quartiers qui couvrent l'ancienne cité, un grand nombre d'aqueducs qui viennent se réunir à celui qui débouche dans la Loire, au Port-Maillard. Les fouilles qui eurent lieu pour l'établissement de ces aqueducs firent découvrirent un grand nombre d'inscriptions et de débris de l'époque romaine.

Nous n'avons point à parler de ceux recueillis dans les autres quartiers. Nous dirons seulement qu'en 1797, dans la rue et près de la porte du Port-Maillard, M. Brochart, entrepreneur de ces travaux, mit à découvert onze colonnes d'un seul fût, de vingt-deux pieds de longueur sur cinq pieds de diamètre au centre. Elles étaient couchées les unes à côté des autres et transversalement à la rue. Elle reposaient sur les fondations d'un grand édifice, dans un mur duquel on trouva, entre deux pierres plates, et dans un trou carré, ménagé exprès, une médaille paraissant toute neuve, en cuivre jaune, représentant le buste de Néron avec cette légende : Imperator Nero Cesar Augustus, pontifex Maximus, tribunitia potestate, pater patrioe. Et au revers, un génie debout, coiffé d'un bonnet phrygien, tenant une palme dans la main gauche, et dans la droite une couronne de laurier. Pour légende : Victoria Augusti. Et sur le champ : S.C. (senatus-consulto)
L'édifice, dont ces colonnes décoraient le portique, avait à peu près les proportions de la colonnade de notre Bourse, du côté de la promenade. M. Fournier, l'habile architecte, qui a recueilli de précieux renseignements sur les fouilles de cette époque, croit que c'était un temple carré, décoré d'un péristyle de vingt-quatre toises sur chaque face. Ce temple paraît avoir été consacré au commerce.
Cette découverte était restée dans le souvenir de notre administration municipale, et l'on regrettait toujours que les fouilles de 1797 n'eussent pas été poussées plus loin. Aussi, en 1850, le maire, M. Colombel, demanda-t-il au conseil de la commune l'ouverture d'un crédit spécial, à l'effet de recommencer et de continuer ces fouilles. Une tranchée fut ouverte à cet effet à l'endroit indiqué par Fournier, et à une profondeur d'environ deux mètres, on retrouva en effet les preuves et les traces déjà signalées de l'existence sur ce point d'un grand édifice de construction romaine. Plusieurs tronçons de colonnes avec inscriptions furent même recueillis et sont déposés aujourd'hui à notre musée archéologique.
Mais malheureusement encore on ne put donner à ces nouvelles fouilles le développement que l'on eût désiré. A l'endroit où la tranchée avait dû s'ouvrir, la rue du Port-Maillard est fort étroite, et l'ouverture et la profondeur de cette tranchée compromettaient évidemment la solidité des maisons des deux côtés de la rue. Des plaintes très vives s'élevèrent de la part des locataires, et par crainte d'accident, la ville jugea convenable de faire arrêter les travaux. Ainsi le seul résultat de cette seconde recherche fut de constater l'exactitude des premières découvertes.

Au nombre des voeux formulés par le corps municipal et soumis à l'empereur Napoléon, lors de son passage à Nantes en 1808, se trouvait le suivant :
"Que le quai des Gardes-Françaises (les quais Brancas et Flesselles), ne soit pas continuellement masqué par les prisons et le palais du Bouffay. Pour l'agrandissement de cette place et sa régularité, il est nécessaire que ce bâtiment antique et menaçant ruine, soit démoli, et que la commune fasse l'acquisition des maisons qui s'opposent à l'alignement du quai des Gardes-Françaises. Le conseil municipal engage donc M. le maire à solliciter de Sa Majesté la concession du domaine du Bouffay et à se faire autoriser, à acquérir, au nom de la commune, les maisons nécessaires pour la continuation et l'alignement des quais. Il ne manquerait rien à la régularité de ces quais, si Sa Majesté daignait faire transférer dans un autre endroit l'hôtel de la Monnaie qui menace ruine et qui empêche de raccorder le quai Maillard à celui des Gardes-Françaises."

Le désir exprimé par les représentants de la commune était bien naturel, et ce qu'ils sollicitaient devait contribuer puissamment à l'embellissement de la ville.

Nos beaux quais s'étendaient en effet de l'extrémité de la Fosse jusqu'au pont de la Poissonnerie et du Port-Maillard à Richebourg. Mais dans l'intervalle du pont de la Poissonnerie au quai Maillard se trouvaient la Temperie et surtout la place du Bouffay, dont les vieilles constructions, sur le mur même bordant la Loire, empêchaient la jonction de ces quais. Les loges servant à la Poissonnerie, un corps-de-garde et surtout l'hôtel des Monnaies occupaient tout cet espace. Pour aller d'un quai à l'autre, il fallait ainsi nécessairement traverser la place et une petite rue noire et étroite, la petite rue de la Monnaie, qui débouchait dans celle du Port-Maillard.

Il y avait donc là une grande amélioration à réaliser ; mais le temps n'était pas encore venu, car l'état de guerre qui signala les dernières années du premier Empire, laissait le Gouvernement et la ville elle-même sans ressources financières.

... à suivre ...

M. J.-C. RENOUL
Annales de la Société royale académique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1864

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