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La Maraîchine Normande
28 avril 2013

LE BOUFFAY - NANTES ♣ 1843 - 1862 ♣ 11ème et dernière partie

LE BOUFFAY

11ème et dernière partie

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En 1843, avons-nous dit, les bâtiments du Bouffay avaient été démolis, mais au milieu de ces ruines, la vieille tour de l'horloge se dressait toujours. Soit qu'il eût des inquiétudes réelles sur la solidité de cette tour, soit que plutôt il fût dominé par le désir de la voir disparaître, afin de rendre libre la totalité du terrain, le préfet, M. Chaper, manifestait ouvertement ses craintes de la voir subitement s'écrouler. Il n'avait pas manqué de signaler ces craintes à l'administration municipale qui, pour prévenir t¤ut danger, avait officieusement chargé M. Frédéric Huette, l'un des membres du conseil, de s'assurer si réellement la tour éprouvait des oscillations de nature à faire craindre que sa solidité fût compromise. M. Huette installa un appareil simple, mais sûr, au moyen duquel, pendant tout le cours de 1847, il pouvait chaque jour constater si le moindre mouvement se produisait. M. Chaper était toujours là et venait ajouter ses observations à celles de M. Huette. Bref, bien que l'on eût fait des travaux d'excavations à une distance assez rapprochée de la tour, rien ne semblait indiquer qu'il y eût le moindre danger. Mais l'éveil avait été donné et les habitants du quartier se montraient dans des transes continuelles. Pour y mettre fin, le c¤nseil, dans ses séances des 4 et 19 mars 1848, décida que la tour serait immédiatement démolie. Un crédit de 3,000 fr. fut ouvert à cet effet.

Ainsi disparut encore ce vieux monument auquel se rattachaient tant de souvenirs. Au moment de la descente de la cloche, le câble se rompit et la cloche tomba d'une certaine hauteur ; mais cette chute n'eut aucune suite fâcheuse.

La ville se trouvait donc sans horloge publique et l'on comprend que ce devait être un grand sujet de gêne pour la population. Aussi, dès le 4 avril, un membre du conseil fit-il la proposition que l'on s'occupât sans retard de la reconstruction du beffroi communal. Comme moyen financier, il proposait un appel à tous les habitants qui, dans sa pensée, ne manqueraient pas d'apporter leur offrande pour l'érection d'un monument aussi utile, et, à défaut, si le moyen était jugé légal, une capitation de 50 c. par habitants.
Cette proposition fut prise en considération.

Dans ce moment, l'on faisait des travaux de déblais sur tout l'emplacement de l'ancien palais, et déjà quelques objets d'antiquité avaient été trouvés. Dans la séance du 6 mai, sur la proposition du maire, M. Colombel, une commission fut nommée pour surveiller ces fouilles et recueillir les objets curieux qu'elles pourraient faire découvrir. Cette commission fut composée de MM. Huette, Chenantais, Marcé et Cuissart, tous membres du conseil. Disons de suite que, malgré une surveillance active, rien ne fut trouvé qui put fixer l'attention. Quelques débris romains furent seulement recueillis et déposés au musée archéologique.

Cependant le vote du conseil du 15 novembre 1847, relatif au nouveau marché à établir sur une partie des terrains du Bouffay, subistait toujours, et le département qui lui aussi avait grand besoin de ressources, pressait la commune de prendre un parti. Mais à cette époque, les ateliers nationaux absorbaient chaque jour des sommes considérables, l'avenir ne laissait pas que d'être sombre et l'on osait se livrer à aucune entreprise qui eût nécessité encore une large mise de fonds. Les 19 et 20 octobre et 19 novembre l'affaire revint devant le conseil. La proposition était faite d'abandonner tout projet de construction et de se borner seulement à la régularisation de la place. Mais le conseil tenait toujours à son projet de marché et crut devoir maintenir son premier vote.
L'affaire chôme donc encore.

Enfin, sur les instances de plus en plus pressantes du préfet, le 4 avril 1849, un parti définitif est pris et une transaction intervient entre la ville et le département. Un échange de terrain est arrêté et la ville prend de plus à sa charge l'acquisition d'une maison pour régulariser la place. La commune fait aussi le sacrifice de ses droits de propriété sur l'emplacement de la tour, mais il fallait en finir, et cet arrangement, qui mettait un terme à ce long conflit, fut encore jugé le plus convenable. Du reste, toute idée de marché était désormais abandonnée, et le département était mis en possession du périmètre entier de l'ancien Bouffay.

Pouvant ainsi disposer en toute liberté de l'emplacement complet, le préfet s'empressa d'annoncer l'adjudication de ces terrains divisés par lots. Mais le moment était si critique, que plusieurs essais d'adjudication restèrent sans aucun effet. Ce fut alors que M. Chenantais, architecte, se présenta au nom de divers entrepreneurs qui consentaient à traiter et à élever une construction, en prenant à l'oeuvre l'intérêt de leur travail et de leurs fournitures. L'affaire put se lier, et M. Chenantais devint acquéreur de ces terrains, au prix moyen d'environ 100 fr. le mètre. C'est là l'origine dans notre ville de ce système d'entreprises, qui depuis a doté Nantes de belles et importantes constructions.

Rappelons et expliquons seulement un petit incident auquel cette construction donna lieu. La façade devait en tout point être conforme à celle du plan Ceineray. A cet égard aucune difficulté ne pouvait s'élever. Mais M. Chenantais mit pour condition de disposer les mansardes en appartements. Cette condition n'apportait pas au plan une modification bien sensible ; dans les circonstances difficiles où l'on se trouvait, il fallait à tout prix donner du travail aux ouvriers, et malgré quelques objections, l'administration et le conseil ne crurent pas devoir s'opposer à ce léger changement. Les travaux de construction commencèrent aussitôt et furent poussés avec activité. En 1852, la maison monumentale que nous possédons aujourd'hui était achevée, et toute trace de l'ancien Bouffay avait disparu.
Restait la question du beffroi communal.

Le 20 août 1850, le maire en saisit le conseil et propose d'élever ce beffroi sur l'église Sainte-Croix. Un plan et un devis sont soumis. Le devis s'élève à 63,000 fr. La fabrique prend à sa charge une partie de la dépense, et une souscription que l'on est dans l'intention d'ouvrir, devra encore alléger le sacrifice de la commune.

Cette proposition trouve des adhérents, mais aussi d'autres opinions se produisent. On demande que la préférence soit donnée à l'église Saint-Nicolas, dont la tour est en construction. D'autres membres pensent que la véritable place de l'horloge publique est à l'hôtel-de-ville ; une commission est nommée.

Dans la séance du 11 février 1851, cette commission fait son rapport. Abandonnant les divers emplacements jusqu'alors signalés, elle propose celui de l'éperon de la Petite-Hollande. On y élèverait une tour d'une riche architecture, qui contiendrait à son sommet l'horloge publique et serait surmontée d'un phare qui jetterait sa lumière sur tout le port. A sa base seraient établis un corps de garde et la morgue.

Ce projet réunit tous les suffrages, et l'on demande que les plans et devis en soient dressés.

Le 28 mai, ces pièces sont mises sous les yeux du conseil. Le plan est accueilli par un assentiment unanime ; le devis s'élève à 104,681 fr. 60 c. Une nouvelle sanction du corps municipal consacre ce projet, et le 29 octobre, une somme de 15,000 fr. est inscrite au budget de 1852, comme premier acompte aux frais de construction.

Cet enthousiasme toutefois dut bientôt se calmer. Après un examen sérieux, on acquit en effet la certitude qu'il serait fort difficile d'établir des fondations solides sur un pareil terrain, et qu'en tous cas la dépense serait sensiblement supérieure à celle prévue au premier devis. Le conseil départemental des bâtiments civils, consulté à cet effet, n'avait pas hésité à émettre cet avis.

Le corps municipal en délibère de nouveau le 19 novembre 1853, et exprime le désir, qu'avant d'être abandonné, le projet soit soumis au conseil supérieur des ponts et chaussées. Cet avis du corps des ingénieurs, fortement étudié, est produit le 24 juillet 1854.

D'après l'opinion exprimée, la construction projetée eut pu se faire sur l'éperon de la Petite-Hollande, mais de grandes précautions eussent été à prendre et la dépense se fut élevée au moins à 200,000 fr.

En présence de cette opinion, et vu surtout l'importance du chiffre de la dépense, le projet fut abandonné.

Cette affaire du beffroi va encore sommeiller pendant plus de trois ans.

Avant d'y revenir, nous parlerons de deux projets qui se produisirent en 1853 et 1855, et qui avaient pour but d'établir un marché couvert sur la place du Bouffay.

Dans la séance du 19 novembre 1853, l'administration exprimant le regret que Nantes n'eut aucun marché convenablement établi, que surtout elle manquât de marchés couverts, proposa de créer aux frais et pour le compte de la ville, sur la place du Bouffay, quatre pavillons, entourés de grilles et séparés par deux rues de cinq mètres. Chaque pavillon eût contenu soixante-douze places, soit en tout deux cent quatre-vingt-huit places. La recette présumée pouvait s'élever à 22,224 fr. ; la dépense, à raison de 20,000 fr. par pavillon, était calculée à 80,000 fr.

Le conseil, voyant là une création d'une utilité incontestable et la source d'un revenu certain et avantageux, exprima le désir qu'il fût donné suite à ce projet.
Et cependant rien ne se fit.
Seulement la connaissance de ce projet amena M. Lafont, régisseur alors des droits d'emplacements, à faire une proposition que le conseil eut à examiner dans sa séance du 28 février 1855.

Au moyen de quelques combinaisons financières qui ne furent pas jugées onéreuses pour la commune, M. Lafont proposait d'établir à ses frais et sans aucun concours financier de la ville, deux marchés couverts, l'un sur la place du Bouffay, l'autre sur la place du Port-Communeau. Ces constructions en fontes de fer, eussent été établies, conformément à un plan dressé par M. Voruz, qui se fut chargé de l'exécution, et seraient devenues propriétés communales, sans aucune indemnité, au bout de 21 ans.

Cette proposition donna lieu à une sérieuse discussion, et fut encore adoptée par le conseil.

Et cependant, répéterons-nous, pas plus ce projet que le précédent n'a reçu son exécution, et aujourd'hui encore, Nantes manque de marchés couverts !

Mais revenons au beffroi communal.

Depuis la séance du 24 juillet 1854, le conseil n'avait point été appelé à s'en occuper. La population, privée d'horloge publique, depuis 1848, se plaignait hautement. Aussi, le 19 mars 1856, le conseil invita-t-il fortement l'administration à reprendre l'affaire et lui donner enfin une solution.

Ce ne fut néanmoins qu'en 1858, le 6 octobre, que la question fut définitivement tranchée.

L'administration exposa qu'en effet, depuis 1848, la ville était demeurée sans horloge publique, mais qu'il fallait aussi tenir grand compte des difficultés nées des évènements politiques, du défaut de ressources financières de la commune et enfin du choix d'un emplacement. Elle rappela en même temps que le quartier du Bouffay était, depuis 1662, en possession du beffroi communal et qu'il y avait ainsi justice à ne le point priver de ce vieil héritage. Elle renouvela donc la proposition de l'érection sur l'église Sainte-Croix.

Cette fois l'unanimité du conseil partagea cette dernière opinion.

Quant au devis qui accompagnait cette proposition, il était de 56,000 fr., dont :
26,000 fr. à la charge de la fabrique Sainte-Croix.
30,000 fr. à la charge de la commune.

Mais ce devis reçut bientôt d'importantes modifications.
En 1859, il s'élevait déjà à 80,000 fr., se décomposant comme suit :

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Capture plein écran 26042013 023156Un instant on avait songé à établir la charpente en fer, ce qui, en augmentant la sécurité, aurait aussi augmenté la dépense d'une manière notable ; mais le conseil fut d'avis qu'une charpente en bois répondait à tous les besoins.

Au mois d'avril 1860, la ville fit l'acquisition de l'horloge, oeuvre de M. Gourdin, et qui avait valu à son auteur une médaille d'honneur, à l'exposition universelle de 1855.

La ville eut à débourser pour l'établissement de cette horloge :

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Ce beffroi, commencé en 1858, a été terminé en 1862. Par suite des crédits divers qu'il a fallu successivement ouvrir pour achever cette construction, la dépense à la charge de la ville s'élève en réalité à bien près de 100,000 francs.

Comme complément de renseignements, disons que, dans sa dernière session, le conseil municipal a voté une allocation annuelle de 600 fr., en faveur de l'horloger, chargé de l'entretien de l'horloge communale.

Nous sommes peu compétent pour donner un avis éclairé sur la dernière oeuvre de M. Driollet. Nous pouvons dire cependant que le plan primitif du monument présentait une élégance et une légèreté qui ne se retrouvent plus dans l'exécution. La tour qui soutient le dôme devait avoir plus d'élévation.

La hauteur de cette tour a été sensiblement réduite, et c'est là surtout ce qui nuit à l'effet de l'ensemble qui paraît lourd et écrasé.

Capture plein écran 27042013 023720Mais d'un autre côté, il faut se rappeler que cette construction a dû se faire sur des fondations qui ne semblaient point avoir été établies pour supporter un poids aussi considérable. L'architecte, M. Driollet, eut donc bien des précautions à prendre, et la crainte qu'un accident ne vint compromettre sa responsabilité fut sans doute le motif qui l'amena à un changement évidemment contraire aux règles de l'art. Aujourd'hui que l'édifice est solidement établi, on pourra dire qu'il eut tort ; mais pour être juste, il n'en faut pas moins tenir grand compte à M. Driollet du motif de prudence qui le fit agir.

Nous arrêtons ici les renseignements que nous avions à donner sur le Bouffay. Nous avons tenu à reproduire tous les détails que nous avions pu recueillir et probablement il en est d'autres qui nous ont échappé.

Quoi qu'il en soit, dans le cadre que nous nous étions tracé, si resserré qu'il fût, nous avons pu signaler un grand nombre de faits, dont certains étaient peu ou mal connus. Nous avons pu mettre en relief des actes, les uns honorables et du plus pur patriotisme, les autres arbitraires et parfois d'une cruauté presque sauvage, qui peignent mieux que tout récit les époques que nous avons parcourues ; nous avons pu enfin mentionner de nombreux projets d'utilité publique, dont cependant quelques-uns attendent encore leur réalisation. Nous croyons donc que nos concitoyens, que nos administrateurs surtout pourront trouver dans ce travail le sujet de quelques bonnes études. C'est dans ces vues que nous l'avons fait, car nous avons toujours pensé que les meilleurs enseignements dont puissent profiter le présent et même l'avenir, sont ceux que nous lèguent la connaissance et l'expérience du passé.

20 juillet 1864

M. J.-C. RENOUL
Annales de la Société royale académique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1864

[Lors de la séance publique annuelle du 20 novembre 1864, M. Renoul père reçoit la médaille d'or pour son Histoire du Bouffay.]

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