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La Maraîchine Normande
12 avril 2013

CRÉATION DE LA COMMISSION BRUTUS MAGNIER ♣ RENNES ♣ 1793

CREATION DE LA COMMISSION BRUTUS MAGNIER
Son personnel, son organisation, ses pouvoirs, son mode de fonctionnement.

Ce fut à Antrain le 1er frimaire an II (21 novembre 1793), six jours après l'insuccès des Vendéens à Grandville, et le jour même où ils repoussaient à Dol l'armée républicaine, que les représentants Bourbotte, Prieur de la Marne et L. Turreau créèrent la Commission militaire révolutionnaire Brutus Magnier. L'arrêté qu'ils prirent à cette occasion montre quels services ils demandaient au nouveau tribunal.

"Considérant, dit cet arrêté, qu'il importe au salut public que les scélérats qui ont pris les armes contre la Liberté reçoivent, quand ils sont saisis, la peine due à leurs forfaits, et que tous les contre-révolutionnaires qui cherchent à fomenter dans l'armée l'indiscipline, pour parvenir à la désorganiser et à la diss¤udre, soient punis avec la même célérité, il est établi une Commission militaire."

Cette Commission se composa d'abord d'un président, de trois juges, d'un accusateur militaire, nommés par les représentants, et d'un greffier que les juges désignaient eux-mêmes. Le traitement était uniforme pour tous, c'était celui de capitaine. Il était mis en outre à la disposition du tribunal une s¤mme destinée aux frais de bureau, aux indemnités de déplacement, etc. Sur cette somme, on prélevait également le prix des insignes des juges : ils consistaient en un bonnet d'assez médiocre qualité, car il ne coûtait que cinq livres, et en une écharpe tricolore portée en sautoir, à laquelle était suspendue une médaille.

Le président nommé par l'arrêté du 1er frimaire était Brutus Magnier, capitaine des travailleurs de la Seine, c'est-à-dire d'une compagnie de génie. Il était né le 11 juin 1771 dans la petite ville de Guise, département de l'Aisne ; son père y était procureur du bailliage. Etudiant au moment où commença la Révolution, Magnier s'engagea dans le bataillon de Guyane, et séjourna quelque temps dans ce pays. Son patriotisme s'échauffant, il changea ses prénoms de Antoine-Louis-Bernard pour ceux plus patriotiques de Lepelletier-Beaurepaire-Brutus. Il fit, comme simple grenadier, la campagne de Belgique sous les ordres de Dumouriez, et fut envoyé en Vendée avec son bataillon au printemps de 1793. Là, sans passer par aucun grade intermédiaire, les représentans "le nommèrent capitaine du seul détachement de sapeurs qui existât dans l'armée de l'Ouest". Nommé président de la Commission, il raconte lui-même à Pomme, avec une feinte modestie, "qu'un jeune homme de 22 ans n'était sans doute point capable de remplir une mission aussi importante que celle-là." Son zèle révolutionnaire prouva du moins son désir de justifier le choix des représentants. Il demeurait à Rennes, rue Nationale, chez le citoyen Roussel, homme de loi.

Jean-Simon Defiennes, nommé accusateur militaire, était lieutenant au 22e régiment de chasseurs. Il était né le 11 octobre 1750 à Farmoutiers (Seine-et-Oise), de parents de condition modeste ; il avait par conséquent 42 ans.

Magnier et Defiennes conservèrent leurs fonctions jusqu'au 17 prairial, jours de la suppression de la Commission ; ils en sont les personnages importants, on peut même dire qu'à eux deux ils sont toute la Commission. Magnier, tête exaltée, imagination ardente, dont la vanité naturelle avait été surexcitée par sa nouvelle fortune, était surtout désireux de faire parler de lui, de devenir un personnage, de se pousser au premier rang. Investi d'un pouvoir à peu près discrétionnaire, il fut grisé par cette élévation subite ; convaincu d'ailleurs de son mérite, persuadé qu'il de taille à jouer les premiers rôles, il pensa donner sa mesure en rendant des jugements tout boursouflés de tirades patriotiques et de déclamations pâteuses ... Son ambition fut déçue. Plus tard, bien qu'il fût alors en prison, nous le trouverons s'essayant encore aux grands rôles ; mais son attente fut une seconde fois trompée, et il ne trouva que condamnations et exil là où il espérait rencontrer gloire et profit.

Defiennes, d'un sens plus rassis, et qui d'ailleurs s'effaçait jusqu'à un certain point derrière son président, goûtait surtout les avantages matériels qu'il retirait de ses nouvelles fonctions. Pendant toute la durée de la Commission, ces deux personnages furent étroitement unis, mais quand arrivèrent les jours d'épreuve, Magnier ne trouva plus dans Defiennes l'ami dévoué d'autrefois.

Bassenge, sergent au 10e bataillon des volontaires de Paris, Rémacly et Coulon, volontaires au même corps, furent nommés juges. Le tribunal ainsi composé choisit pour greffier Scoevola Biron, aussi volontaire au même bataillon. Les démissions, les maladies, la mort, apportèrent des changements à ce personnel primitif, et Coulon fut le seul des trois juges qui conserva ses fonctions pendant presque toute la durée des séances de la Commission.

Cette commission n'était qu'une sorte de cour martiale ; elle devait donc suivre le quartier-général de l'armée ; elle devait aussi adresser aux généraux des rapports sur tous les faits venus à sa connaissance, établie à l'entrée de la rue de Bourbon actuelle, sur une bouche d'égout qui se voyait encore, il y a quelques années, avant les travaux de repavage de la place. Comme il n'y en avait qu'une pour tout le département d'Ille-et-Vilaine, il arrivait parfois que, réclamée par les autres tribunaux du département, elle était soit à Fougères, soit à Saint-Malo, soit à Vitré ; on fusillait alors les condamnés.

Créée à Antrain, ainsi qu'on l'a vu, le 1er frimaire, la Commission n'y tint qu'une seule séance. Cette petite ville étant, le 3, menacée par les Vendéens, Kléber conseilla au nouveau tribunal "de filer sur Rennes." Il s'y installa le 5 dans la grande salle du Temple de la Loi (Palais de justice actuel). Du 19 au 25 du même mois, elle se transporta dans le district de Fougères, revint à Rennes le 25, mais ne put siéger dans le même local qui était occupé par la commission Frey ; elle se transporta alors au Présidial, dans la salle du tribunal de paix, qu'elle fit orner des bustes de Brutus, de Le Pelletier, de Marat et de J.-J. Rousseau. Elle y resta jusqu'à sa dissolution.

DÉBUTS DE LA COMMISSION
PROCLAMATION AUX CITOYENS ET AUX SOLDATS
CONDAMNATION DE LA MARZELLE
CRIMES ET DÉLITS MILITAIRES

On peut penser si de tels juges, si leur président surtout était désireux d'entrer en fonctions. Aussi, dès qu'on leur eut communiqué l'arrêté qui les nommait, ils se réunirent et annoncèrent, dans une proclamation aux troupes et aux habitants d'Antrain, que les séances se tiendraient publiquement chez la veuve Bezot, aubergiste, rue de la Municipalité, près de la Grande-Halle. Cette proclamation, évidemment écrite par Magnier, porte la marque de ce zèle excessif et brouillon, de cette niaise emphase qui se reproduira dans ses jugements.

"Citoyens, si vous connaissez des scélérats qui cherchent à fomenter l'indiscipline dans les armées pour parvenir à les désorganiser et à les dissoudre, des lâches que ni le devoir ni l'honneur ne retiennent à leurs postes dans les moments glorieux d'un combat ; si vous connaissez des dilapideurs, des conspirateurs, des ennemis de la Liberté et de l'Egalité, venez promptement nous les dénoncer, et sur le champ vos voeux seront remplis, vos coeurs seront satisfaits ; une prompte justice vous consolera d'avoir été les témoins de quelque forfait contre la République."

Malgré leur désir de bien faire, les juges ne purent tenir leur première séance que le lendemain. Ils condamnèrent à mort et firent fusiller ce jour-là Jacques Royer, déserteur passé aux chouans, parce que, disait-il, il espérait s'y trouver mieux que dans les armées républicaines.
Après leur victoire de Dol, les Vendéens marchèrent sur Antrain ; la Commission suivit le prudent conseil de Kléber et se rendit à Rennes, où elle siégea le 4 au Temple de la Loi.

Il n'est pas possible de suivre jour par jour les travaux de la Commission ; nous nous bornerons à citer dans leur ordre de dates ceux de ses jugements qui présentent de l'intérêt, soit par leur forme, soit par les personnages qu'ils visent ; ils suffiront, croyons-nous, pour la bien faire connaître.

Madame de la Marzelle lui fournit, le 7 frimaire, l'occasion d'affirmer son zèle révolutionnaire, Mme de la Marzelle n'avait pris part à aucun complot, à aucune manifestation anti-patriotique ; rien, absolument rien, ne pouvait lui être reproché ; son seul crime était d'être la veuve d'un gentilhomme qui avait été guillotiné. "Victoire Lebreton, femme Marzelle, ci-devant noble", n'en fut pas moins condamnée à la réclusion, bien qu'il n'existât aucune preuve qu'elle eût pris part directement aux projets de ces vils brigands (les chouans)", mais parce que notre sainte Révolution n'arrivait point de sitôt à son terme désiré, si on laissait à des aristocrates la liberté d'exhaler dans la société leurs principes impurs, lors même qu'on n'a point de preuves matérielles des délits." Ainsi, pour être acquitté, il ne suffisait pas de n'avoir pris part à aucun projet contre-révolutionnaire, de n'avoir contre aucune preuve de délit ; que fallait-il donc ? On n'est vraiment pas plus naïf dans l'arbitraire.

Le décadi suivant était pour le nouveau tribunal jour de repos, mais son président s'arrangeait mal de l'inaction. On adressa donc, ce jour-là, une proclamation aux soldats de l'armée :
"Chers camarades, assez et trop longtemps, les traîtres, les lâches, les indisciplinés qui fourmillent dans nos armées, ont retardé le salut de la patrie ; il faut enfin que les lois s'exécutent dans toute leur sincérité ... La Commission invite ses frères d'armes, à traduire devant elle tous ceux qui feront la moindre action indigne d'un soldat républicain, et à ne plus capituler avec leur devoir, qu'elle ne capitulera avec la loi, quand il s'agira de punir un coupable ...
Debout, soldats républicains, combattez et surveillez. Guerre aux brigands de la Vendée, mais aussi guerre aux lâches et aux pillards qui occasionnent les déroutes, et qui, par leur infâme conduite, retardent sans cesse le salut de la patrie et la tranquillité de 25 millions d'hommes."

Brutus Magnier et ses collègues, qui sortaient des rangs de l'armée, connaissent mieux que personne les habitudes de vol, de pillage, de lâcheté, qu'ils dénonçaient ainsi. Composée, pour sa plus grande partie, de héros de cinq cents livres, de gardes nationaux réquisitionnés, ne marchant qu'à contre-coeur, on peut bien dire que, à l'exception des quelques régiments qui venaient de la frontière, de l'armée républicaine qui opérait en Bretagne et en Vendée était plutôt un amas d'hommes qu'une véritable armée. Quel ordre, quelle discipline pouvaient d'ailleurs introduire dans ce chaos, des chefs tels que Rossignol, Santerre, Muller, Turreau, véritables généraux de théâtre, aussi lâches qu'incapables, dont les habitudes d'intempérance et de pillage étaient un continuel sujet de plaintes pour les vrais militaires. Les choses en étaient arrivées à ce point que les patriotes redoutaient l'arrivée des républicains plus encore que celle des chouans et des Vendéens. Kléber et quelques autres généraux firent des efforts énergiques, mais absolument vains, pour réprimer ces déplorables habitudes. La Commission Brutus Magnier les seconda de son mieux ; son désir de faire cesser le pillage, l'indiscipline, de punir les lâches, paraît avoir été sincère, et l'on peut dire que, comme tribunal militaire, elle eut son côté utile. En voici deux exemples :

Le 18 frimaire, elle condamna à trois mois de prison un nommé Préau, volontaire de la Loire-Inférieure qui avait volé des souliers et des poules. Il fut exposé au pilori, pendant six heures, avec les poules au cou et un écriteau portant ces mots : Infâme pillard qui avait trois paires de souliers, tandis que nos frères d'armes n'en ont pas. Le jugement est bizarre, mais enfin l'intention est bonne.

Le 28 frimaire, Nicolas Brock, sergent au 15ème bataillon d'Orléans "qui n'avait pas rougi de voler 13 livres à une famille pauvre qui pouvait à peine "vivre" fut condamné à deux ans de fers et trois heures d'exposition avec l'écriteau : Infâme voleur. Le jugement affiché, envoyé aux armées, portait en outre contre les pillards ce blâme énergique : "N'est-il pas douloureux qu'il se trouve, dans nos armées, des scélérats qui, levés pour la défense de la patrie, augmentent le nombre de ses ennemis en violant impitoyablement les propriétés des citoyens ? N'est-ce pas là une des causes des fréquents revers que nos armées ont éprouvés ? Nicolas Brock est un de ceux auxquels il faut rapporter la cause du frémissement qu'éprouvent, à l'arrivée chez eux d'un soldat de la patrie, les malheureux habitants des campagnes, qui doutent encore si les brigands sont plus pillards que les républicains."

Il eût été à souhaiter que la Commission se bornât à être un tribunal militaire, jugeant les délits militaires ; mais c'était là seulement une des fonctions que lui avaient confiées les Représentants, et d'ailleurs la vanité de son président s'accomodait mal de ce rôle utile mais effacé ; en jugeant les faits attentatoires à la liberté, il espérait acquérir un relief, une importance qu'il était par-dessus tout désireux d'obtenir. Une petite ville patriote des environs de Rennes, dont les querelles intestines devaient par deux fois l'occuper, lui fournit l'occasion de jouer dans le pays le rôle prépondérant qu'il ambitionnait. ...

Extrait de :
LA COMMISSION BRUTUS MAGNIER A RENNES
par Hippolyte de la Grimaudière
1879

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