LE BARON DUCHESNE DE DENANT
1777-1868
Jacques-Joseph-Florent DUCHESNE, baron de DENANT, naquit au château de Denant, le 10 septembre 1777, de Messire Nicolas-Dominique Duchesne, chevalier, seigneur baron de Denant, seigneur de la Riallière, la Guyonnière, etc., ancien officier au régiment de Royal-Cravattes cavalerie, et de dame Marie Anne-Josèphe-Marguerite de Morais.
Il fut baptisé le même jour en l'église de Denant et tenu sur les fonts baptismaux par messire Jacques-Charles-Florent Duchesne, chevalier, seigneur baron de Denant, Franchauvet, la Perrien, la Riallière, etc., son aïeul paternel, et par dame Marguerite-Charlotte-Antoinette Sochet des Touches, son aïeule maternelle.
Il fut élevé dans sa famille avec des maîtres spéciaux qui dirigèrent son éducation, moitié à Denant, moitié à Luçon où ses parents avaient un hôtel et passaient la plus grande partie de l'hiver. Ceux-ci lui inculquèrent les principes les plus sérieux de dévouement à son Roi ; aussi ne devons-nous pas nous ét¤nner de le voir, bien qu'à peine adolescent au moment où la Vendée se souleva, embrasser avec ardeur la cause royale et se joindre, dès qu'il le put, aux armées vendéennes.
Suivant l'exemple de la plupart des gentilshommes poitevins, son père émigra et fit en Allemagne la campagne de 1792, comme maître dans une des c¤mpagnies nobles d'ordonnances. Il passa ensuite à l'armée de Condé et fut tué, en 1794, dans les hussards de Berchiny. Florent Duchesne resta avec sa mère et sa soeur au château de Denant où ils passèrent assez tranquillement les années 1791 et 1792. Le 14 avril 1793, des bandes de patriotes étant venues piller le château, ils furent pris et jetés dans les prisons de Fontenay. Leur sort fut des plus tristes ; entassés avec un grand nombre de personnes suspectes dans d'étroites prisons, ils eurent à y subir beaucoup de privations et de mauvais traitements. Chaque jour d'ailleurs leur vie était en danger, un caprice ou un arrêt arbitraire pouvant les envoyer à l'échafaud.
Ce ne fut qu'après plus d'un mois de cruelles angoisses que vint l'heureux jour de la délivrance. Le 25 mai 1793, l'armée catholique et royale, sous la conduite de Lescure, de la Rochejaquelein et des autres chefs, entrait victorieuse dans Fontenay et rendait la liberté aux prisonniers.
Florent Duchesne se joignit alors à l'armée vendéenne, heureux de pouvoir combattre pour la bonne cause. Il se distingue toujours dans le succès comme dans les revers par sa bravoure à toute épreuve et par une généreuse intrépidité.
Après la prise de Saumur, Talmond rejoignit l'armée et ne tarda pas à remarquer le jeune officier qu'il attacha à sa personne, en qualité d'aide de camp.
Nous ne pouvons citer ici toutes les batailles et tous les engagements auxquels Florent Duchesne prit part, car, depuis Fontenay jusqu'à la déroute de Savenay, il fut continuellement à l'armée ; nous nous contenterons seulement de mentionner ceux dans lesquels il se fit plus particulièrement remarquer.
Le 19 septembre 1793, il était à la bataille de Torfou et y fut blessé d'un coup de sabre à la main. Nous le trouvons encore, le 17 octobre, à Cholet, où l'armée vendéenne, après avoir une première fois repoussé l'ennemi, se vit forcée, malgré des prodiges de valeur, de plier devant le nombre. A huit heures du soir, les généraux désespérés font un dernier appel, ils rassemblent quatre cents volontaires qui une fois encore vont tenter de faire une trouée dans les rangs des républicains. Florent Duchesne est du nombre de ces braves.
Laissons ici la parole à Crétineau-Joly :
"Bonchamps, d'Elbée et La Rochejaquelein unissent leurs efforts. Ils veulent, par un prodige, sauver l'armée ou s'ensevelir sous ses débris. Ils parcourent les rangs où la terreur et la mort ont laissé tant de vides. Leurs prières rassemblent quatre cents volontaires, bataillon sacré de cavaliers et de fantassins. La plupart de ces volontaires sont des hommes qui, même en Vendée, ont mérité d'être réputés braves. C'est Dupérat, Beaurepaire, Forêt, Desessarts, Legeay, Duchaffault, Renou, de Beaugé, Soyer, de Royrand, Cadi, Allard, Genest, Picherit, Delaunay, Tonnelet, Mondyon, Tranquille, Vandangeon, de Brocourt, de Grellier, Loyseau, surnommé Berryer, parce qu'à la seconde bataille de Coron il avait tué de sa main plus de vingt volontaires d'un bataillon du Berry ; Barbot de la Trésorière, Chevigné, Guerri de la Vergne, Conty, Jousselin, Duchesne de Denant, Lusignan, Pardessus, Drouault, Raimbault, Mathurin Rochard et Jacques Marchais. Groupés autour de leurs trois généraux, ils s'élancent au cri de : Mort aux républicains ! qui sort de toutes les bouches à la fois."
A la suite de cette glorieuse, mais funeste bataille de Cholet, les Vendéens, poussés par une panique insurmontable, entraînèrent leurs officiers vers la Loire que l'on traversa à Saint-Florent le 29 octobre.
L'armée vendéenne arrivée sur la rive droite nomma Henri de la Rochejaquelein généralissime, d'Elbée étant resté blessé en Vendée, et marcha sur Candé, Château-Gontier et Entrames où, le 23 octobre, elle remporta une éclatante victoire. Florent Duchesne s'y battit vaillamment et y fut blessé d'un coup de sabre à la tête.
Après avoir été échouer devant Granville, les Vendéens pressés de revenir vers leur pays cherchaient à s'ouvrir un passage au travers des armées innombrables qui leur barraient le chemin. A Dol, le 21 novembre, un combat acharné a lieu, un incident imprévu met le désordre dans les rangs, les femmes elles-mêmes, les prêtres, les officiers cherchent à arrêter la panique. Madame de Lescure, devenue depuis marquise de la Rochejaquelein, se trouvait dans un de ces endroits obstrués par une foule grossissante.
"A quelques pas de là, raconte-t-elle dans ses mémoires, était M. Duchesne de Denant, le jeune homme de seize ans, aide de camp du prince de Talmond : il criait à haute voix aux fuyards d'arrêter ; me voyant paraître, il ordonna sans me reconnaître : "Que les femmes s'arrêtent aussi, qu'elles empêchent les hommes de fuir." J'obéis aussitôt, et lui promis de rester auprès de lui, ce que je fis trois quarts d'heure ; pendant tout ce temps, il ne cessait de rallier les soldats, il les exhortait, les menaçait, les battait à coups de plat de sabre ; il faisait tout ce qui dépendait de lui avec une ardeur incroyable."
Après ces belles victoires de Dol, Antrain et Fougères, l'armée vendéenne échoua devant Angers, subit au Mans un véritable désastre et vint finir dans les landes de Savenay. Florent Duchesne prit part à tous les combats et lutta jusqu'au bout. Ce fut vers cette époque qu'il fut nommé colonel de cavalerie.
Après la déroute de Savenay, il dut songer à se cacher. D'honnêtes paysans lui offrirent un asile non loin de cette ville, nous ignorons malheureusement leur nom. Ces braves gens le gardèrent chez eux pendant plusieurs mois, réussissant toujours à le dissimuler aux patrouilles des bleus qui battaient, nuit et jour, le pays.
Il ne savait comment leur témoigner sa reconnaissance et voyait qu'il ne pouvait rester indéfiniment à leur charge. Une occasion de leur rendre service ne tarda pas à s'offrir. Le fils de la maison venait de tirer à la milice, il fallait partir. Florent Duchesne n'hésita pas, il offre de prendre sa place, la municipalité ferme les yeux ; il part, laissant le jeune homme à sa famille, et va rejoindre sous le nom de ce dernier l'armée de Sambre et Meuse.
Nous ne savons au juste combien de temps il y resta, mais nous le retrouvons en Poitou dès 1798, et le 13 juin de cette année, il épousait, à Angers, Marie-Céleste-Rosalie Gontard, d'une famille noble d'Anjou. Il s'y fixa, dès lors, passant seulement quelques mois tous les ans dans sa terre de la Guyonnière, en Poitou.
A la première Restauration, en récompense de ses services, le baron Duchesne de Denant fut autorisé à porter les insignes du grade de colonel de cavalerie auquel il avait été nommé peu de temps avant la déroute de Savenay. Le roi Louis XVIII le nomma, le 7 novembre 1814, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.
C'est à Angers, que lui parvinrent, en 1815, les premiers bruits d'un nouveau soulèvement dans la Vendée. Il partit aussitôt, et vint à Saint-Aubin de Baubigné rejoindre le comte Auguste de la Rochejaquelein qui travaillait activement à organiser le quatrième corps de l'armée royal, dont le commandement venait de lui être confié.
Le baron Duchesne de Denant nous a laissé quelques notes, trop brèves malheureusement, sur les incidents de cette courte guerre auxquels il a été mêlé. Nous croyons intéressant de les reproduire ici :
"Le 15 mai, le tocsin sonna dans toutes les paroisses.
Le 16, on fit une organisation provisoire.
Le 17, l'armée de la Rochejaquelein se porta sur Maulévrier, elle pouvait compter 2.200 hommes, la moitié n'avait pour armes que des bâtons, et le reste, de mauvais fusils de chasse et de munition. A quatre heures du soir, elle attaqua aux Echaubrognes un corps buonapartiste fort de 1.400 hommes de très bonnes troupes. Les Vendéens eurent un succès complet et la défaite de leur ennemi eût été décisive si MM. de Laugrenière et de Beauvollier se fussent trouvés à Châtillon avec leurs colonne pour attaquer l'ennemi en queue.
Le même jour, 17 mai, il y eut un petit combat à Croix-de-Vie à l'avantage des Vendéens.
Le 19, combat de l'Aiguillon. Le chef de division Desabaye sauva par son courage et son habileté un convoi que le général Travot attaquait. Ce dernier ne prit que très peu de poudre et eut beaucoup de monde tué.
Le 21 mai, combat d'Aizenay. Le général Travort surprit entre onze heures et minuit les corps d'armée aux ordres de MM. de Suzannet, de Sapinaud et Louis de la Rochejaquelein. La perte des royalistes fut considérable. M. de Charette, neveu du fameux général de ce nom, y perdit la vie, ainsi que M. de Beauregard. Les buonapartistes perdirent aussi beaucoup de monde.
Le 27 mai, petit combat à Croix avec les douaniers, à l'avantage des royalistes.
C'est à partir de cette époque que les évènements se compliquèrent dans la Vendée, et si l'on veut étudier l'histoire de cette époque, l'on n'y peut apporter trop d'attention.
Le même jour, 27, le corps d'armée de M. Auguste de la Rochejaquelein fit sa jonction avec celui du général de Sapinaud et bivouaqua aux Essarts. Il est entendu que ce grand mouvement a pour but de favoriser le débarquement des munitions apportées par la flotte anglaise aux ordres de sir Henry Hottam.
Le 28, ces deux corps de l'armée royale se portèrent sur Challans et Soullans. On devait espérer voir arriver ce jour-là les premier et deuxième corps commandés par MM. de Suzannet et d'Autichamp. Ils ne parurent pas.
Le 29, le marquis de la Rochejaquelein se porta sur Saint-Jean-de-Monts ; l'amiral anglais lui fit dire qu'il était prêt à débarquer tous les effets que son gouvernement envoyait."
Ici s'arrêtent les premières notes écrites par le baron Duchesne de Denant sur la campagne de 1815 dans la Vendée.
Le 1er juin, le général Auguste de la Rochejaquelein était à Croix-de-Vie ; Louis de la Rochejaquelein y présidait au débarquement des munitions envoyées par l'Angleterre.
Le 2 juin, leur parvenait l'arrêté de Falleron, daté du 31 mai, par lequel d'Autichamp et Sapinaud leur faisaient savoir qu'ils ne pouvaient soutenir le général en chef. Ils étaient les dupes des agents de Fouché, qui par l'intrigue cherchait à empêcher le soulèvement de la Vendée.
Il est à remarquer que du jour où cet homme fourbe et astucieux s'occupa de la Vendée, les dissentiments naquirent et se propagèrent de tous les côtés.
Le 4, Louis de la Rochejaquelein, réduit aux seules forces du corps d'armée de son frère Auguste, est acculé aux Mathes ; il y tombe glorieusement frappé. Tous alors sur sa tombe regrettent les divisions et les malentendus.
Le baron Duchesne de Denant avait été nommé colonel d'état-major à l'armée de la Rochejaquelein, le 28 mai.
Le 12, Sapinaud, qui deux jours auparavant avait été élevé au grade de général en chef à la place du marquis de la Rochejaquelein, l'envoya vers d'Autichamp, alors à Montfaucon, pour lui présenter l'ordre du jour lui enjoignant, ainsi qu'à MM. de Saint-Hubert et de Suzannet, "de se porter sur tous les points qui entourent et couvrent le marais, tandis que M. Dupérat, pour faire une diversion s'avancerait sur Thouars."
Cet ordre et celui du jour suivant ne furent malheureusement pas exécutés par tous, comme ils auraient dû l'être.
Le 14, le baron Duchesne de Denant est nommé adjudant général commandant dans le quatrième corps d'armée.
Le 18, les généraux Auguste de la Rochejaquelein et Dupérat s'avancent sur Thouars, qui est brillamment emporté, mais le général Delage venant de Parthenay les force à revenir vers Châtillon.
Depuis quelques temps déjà, Lamarque essayait par tous les moyens possibles de traiter avec d'Autichamp. De son côté le général Delage écrivait au comte Auguste de la Rochejaquelein pour lui faire de semblables propositions.
Le 22, Duchesne de Denant fut envoyé en mission vers le général Delage. Il nous en a laissé le récit suivant :
"Le 22 de juin 1815, étant à Châtillon, le major général Auguste de la Rochejaquelein me fit appeler et me dit : J'ai une mission d'une haute importance à vous donner, je sais que depuis longtemps Suzannet et d'Autichamp suivent une négociation cachée avec le général Lamarque, j'ignore jusqu'à quel point elle se trouve conduite, mais il est prudent de ne pas m'isoler, et les intérêts du Roi comme ceux de l'armée m'imposent l'obligation d'avoir l'oeil sur toute cette affaire.
Je vous ai choisi pour vous rendre auprès du général Delage à Parthenay, tâchez de découvrir ce qui se passe. ... Surtout, mettez-vous dans la position de beaucoup apprendre de lui sans nullement l'instruire sur nos affaires. Le point essentiel que vous avez à traiter est d'arrêter la base d'une suspension d'hostilités. En parvenant à ce but, nous nous trouverons à même d'achever l'organisation de l'armée, de faire des recrues et d'attendre les évènements pour en profiter.
Aucun motif de crainte, me dit encore M. de la Rochejaquelein, ne m'engage à faire cette démarche ; au point où en sont les choses sur nos frontières, je ne suis porté que par le désir d'épargner le sang français qui coule dans l'Ouest, pour une cause qui ne peut se décider que dans le Nord. Le but politique de notre prise d'armes est atteint, puisque nous prouvons à l'Europe que le Roi a encore une armée en France qui combat pour lui.
De toutes ces raisons, vous choisirez celles que vous devez faire valoir auprès du général Delage, et dans mon particulier, je ne veux pas me trouver seul en armes, sans négociation commencée, le jour où les généraux buonapartistes proclameraient la soumission des autres chefs vendéens.
Je vous ai dit ma pensée, pénétrez-vous en bien, et comme il faut surtout gagner du temps, profitez de toutes les occasions pour y parvenir. Quel que fût le ridicule des propositions qui vous seraient faites, écoutez tout tranquillement et ne rompez jamais ces préliminaires."
"Je répondis à M. de la Rochejaquelein que je ne me croyais pas capable d'exécuter habilement une commission aussi délicate, et que je le priais d'en charger un autre officier."
"Pour toute réponse, il me remit une lettre pour le général Delage, avec un ordre écrit pour moi. Je dus obéir et le même jour, 22 juin au soir, je me rendis à Courlay. Par les soins du divisionnaire de Lessert, je me mis en communication avec Delage. Sa réponse ne me parvint à Courlay que le 25 à onze heures du matin ; ce général m'envoyait un sauf-conduit et m'écrivait une lettre fort honnête."
"Pendant que j'étais à Courlay, on répandit la nouvelle de la bataille de Ligny gagnée par Buonaparte sur les Prussiens. Cet évènement, qui pouvait être suivi par d'autres victoires, nous mettait dans une tout autre position et devait peut-être changer la lettre comme l'esprit de mes instructions. Je me déterminai à retourner de suite à Châtillon.
Là, le général de la Rochejaquelein m'apprit que M. d'Autichamp, frappé de terreur par la perte de la bataille de Rocheservière, où il s'était fait battre, bien plus par ses mauvaises dispositions que par les forces de son ennemi, avait provoqué une grande réunion d'officiers vendéens à la Tessoualle ; que sur trente-deux, vingt avaient opiné pour accepter de suite les propositions de Lamarque. Le major général y était présent avec quatre de ses officiers, un seul avait voté pour la paix.
Ces malheureuses circonstances devaient rendre notre ennemi plus audacieux, il était urgent de s'assurer que le corps d'armée de Delage ne nous inquiéterait pas pendant que nous nous débattions avec Lamarque ; en conséquence, M. de la Rochejaquelein me donna l'ordre de retourner de suite à Courlay. Il ne changea rien au contenu de ses premières instructions, seulement il me dit d'ajouter : "qu'il offrait l'assurance que ses troupes resteraient tranquilles dans les limites du pays soumis au roi, que nous exigions la même chose de nos ennemis, mais que dans aucun cas il ne pouvait souffrir leur entrée sur notre territoire. Que les deux partis avaient un intérêt égal à rester en observation, que sa détermination était irrévocable, et qu'il se ferait plutôt tuer, que d'en changer."
"Au moment de partir, je représentai de nouveau au général que, cette mission devenant beaucoup plus compliquée, je désirais qu'il m'adjoignit un autre officier ; il voulut bien y consentir, et M. Le Maignan vint avec moi.
"Le 27 de juin, profitant du sauf-conduit que j'avais, nous nous rendîmes à Parthenay. Le général Delage, pour nous mettre hors des insultes de la soldatesque, et plus encore de la canaille de la ville, envoya un aide de camp et quelques chasseurs à cheval au devant de nous. La garnison et les fédérés étaient consignés.
L'entrevue eut lieu sur la hauteur des Trois-Moulins, qui domine la ville. Nous trouvâmes le général arrivé ; trois de ses officiers l'accompagnaient.
M. Le Maignan et moi étions si bien pénétrés de l'objet de notre mission, qu'il nous fut facile de lui expliquer clairement ce que nous pouvions lui en dire. Nous vîmes qu'il avait pour le moins autant d'empressement que nous pour conclure la suspension d'armes.
Il fut convenu que les deux partis garderaient leurs positions respectives, s'obligeant à ne faire aucune course sur le pays l'un de l'autre ; en conséquence, les réquisitions cesseraient de suite. On convint, en outre, que si la paix définitive ne suivait pas cette trève, les hostilités ne seraient recommancées qu'après s'être avertis réciproquement au moins quarante-huit heures d'avance. Tout fut ainsi réglé. Le général Delage en terminant me remit une lettre pour M. de la Rochejaquelein.
M. Le Maignan et moi étions assez étonné de cette grande facilité à nous accorder tout ce que nous demandions, lorsque Delage me prenant à l'écart se fit une espèce de mérite de la confiance qu'il allait me témoigner : "Je viens de recevoir, me dit-il, une estafette d'Angers, on m'annonce que l'Empereur a perdu une grande bataille à Waterloo, soixante mille Français ont été tués ou faits prisonniers, il a laissé son armée, et dans ce moment-ci il organise une levée en masse à Paris. Vous devez avoir remarqué, continua-t-il, ce chef de bataillon de la garde impériale qui m'espionnait, il n'a pas tenu à lui que je ne rompisse avec vous."
J'admirais le merveilleux effet de la nouvelle de la perte de la bataille de Waterloo sur les sentiments de Delage ; il pensait probablement qu'en nous traitant bien, le Roi lui tiendrait compte de cette disposition en notre faveur.
Pour moi, je ne voyais en lui que l'homme des circonstances, je le connaissais depuis assez longtemps pour un partisan zélé de la révolution et un ennemi déclaré des Bourbons et des royalistes."
"Nous le quittâmes donc dans la même journée pour nous rendre le lendemain auprès du major général de la Rochejaquelein. L'heureux résultat de notre mission lui fit grand plaisir, car on venait d'apprendre dans la matinée l'entrée du général Lamarque à Cholet.
Au moins, nous avions garanti les frontières du quatrième corps, du côté de Thouars et de Parthenay."
Le 10 juillet 1815, le baron Duchesne de Denant était encore chargé ainsi que le général Dupérat de porter à Cholet, aux généraux Delage, Lamarque et Travot des lettres du général de Sapinaud. Dans ces lettres, le général en chef les engageait à retirer du pays leurs colonnes dont la présence ne pouvait qu'y exciter des troubles.
Canuel dans ses mémoires sur la guerre de la Vendée nous en parle en ces termes :
"MM. Dupérat et Duchesne de Denant furent chargés de porter ces lettres à Cholet. Ils n'y trouvèrent que le général Delage, auquel ils les remirent, en le priant de faire parvenir à Lamarque et à Travot celles qui leur étaient adressées. Delage dit à ces messieurs que puisque le roi était rentré à Paris, l'armée ferait sa soumission, et se rallierait à lui. "Mais, ajoute-t-il, croyez bien que les alliés n'ont ramené Louis XVIII que pour la forme. Nous avons la certitude qu'ils ne tiendront point leurs promesses. La France va être démembrée ; ils veulent se la partager, et, dans ce cas, l'armée opposera la plus terrible résistance. Les Français qui la composent sont décidés à s'ensevelir sous les ruines de leur patrie, plutôt que de subir le joug de l'étranger." - "Pensez-vous, répliquèrent ces messieurs, que nous soyons moins bons Français que vous ? Nous n'avons pris les armes que pour notre légitime roi ; les alliés nous le ramènent, nous ne doutons pas de leur loyauté. Mais si, contre notre persuasion intime, ils montraient les prétentions que vous leur supposez, notre conduite passée répond de celle que nous tiendrons encore. Nous avons prouvé que nous n'aimions pas les usurpateurs, nous nous réunirions sans balancer à tout ce qu'il y a de braves en France pour les repousser ; et, dans ce cas, vous pourriez compter sur la coopération la plus active de notre part."
Après la fin des hostilités, le baron Duchesne de Denant fut employé, avec plusieurs autres, à dresser les états des officiers qui avaient fait la campagne de 1815 dans le IVe corps de l'armée royale de la Vendée.
La seule récompense qu'il demanda alors au Roi fut d'être maintenu dans son grade de colonel. Les généraux de Sapinaud, La Rochejaquelein et Dupérat appuyèrent sa demande en envoyant au ministre de la guerre les certificats les plus élogieux sur sa conduite.
Le 16 janvier 1816, le prince Louis de la Trémoïlle lui écrivait en lui annonçant qu'il l'avait proposé au ministre de la guerre pour être confirmé dans son grade de colonel adjudant commandant.
Malgré ses mérites et les chaleureuses recommandations dont il fut l'objet, il ne put l'obtenir, et dans une lettre du 23 août 1816, le maréchal de Beurnonville lui annonçait qu'il était admis seulement au grade de lieutenant colonel d'infanterie. Son brevet que nous avons sous les yeux est daté du 18 décembre 1816, avec la mention : "pour tenir rang du 1er janvier 1816."
Comme la plupart des officiers vendéens, il fut mis à la demi-solde et ne fut jamais appelé à faire partie d'aucun régiment.
Le baron Duchesne de Denant mourut à la Pichonnière, commune de Charcé, près Brissac, en Anjou, le 19 janvier 1868, ayant été toute sa vie fidèle à son Roi.
Revue du Bas-Poitou
1892 - 3ème livraison
Par contre, je ne pense pas qu'il ait vu Savenay le 22 décembre 1793. M. de Talmont, le général de la cavalerie dans laquelle M. Duchesne de Denant avait été promu colonel, avait quitté l'Armée catholique et royale à Blain, soit l'avant-veille de la défaite finale de Savenay. Peut-être l'a-t-il suivi un temps. Peut-être même était-il parti avant. Toujours est-il qu'aucune trace de lui n'est mentionné à Savenay les 22 et 23 décembre.
Il serait donc intéressant de savoir où habitaient exactement ces fameux paysans chez qui il se cacha pendant plusieurs mois, cela pourrait aider à savoir à quel moment il se sépara des Vendéens. Peut-être aussi en sachant sous quel nom il partit rejoindre l'armée de Sambre et Meuse à la place du fils du couple de paysans. La municipalité du lieu où il se cachait ayant fermé les yeux, il y a dû avoir quelques traces...