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La Maraîchine Normande
27 mars 2013

1815 ♣ COLLEGE DE VANNES ♣ UNE VAILLANTE ARMÉE D'ÉCOLIERS CONTRE LES BONAPARTISTES ♣ 4ème partie

EPISODE DE 1815

SOUVENIRS D'UN ÉCOLIER

par P.M. BAINVEL, curé de Sèvres

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CHAPITRE IV

MUSILLAC, LE 10 JUIN

Le départ des écoliers, leur insurrection et leur fuite avaient produit une grande sensation dans tout le département ; c'était un évènement important pour les royalistes de trouver des défenseurs dans l'élite de la jeunesse et de rattacher ainsi les familles auxquelles appartenaient ces jeunes élèves ; cette manifestation donnait une grande consistance à l'élan général de la population. Mais, d'un autre côté, le désappointement des autorités eut des conséquences funestes pour les parents de beaucoup d'élèves ; les uns furent mis en prison ; d'autres obligés de s'y soustraire par la fuite. On mit le séquestre sur leurs propriétés et des garnisaires dans leurs maisons ; il y eut ainsi des familles entièrement ruinées, et qui ne purent jamais obtenir, dans la suite, la moindre indemnité de la perte de leur liberté et de leur fortune. Ce qui restait du collège ne fut pas épargné par les colères administratives ; on licencia les derniers élèves ; et les bâtiments, transformés en caserne furent occupés militairement. Mars, avait vaincu Apollon, les muses furent chassées par Bellone.

Enfin, le samedi 27 mai, les écoliers qui avaient pris part au combat de Sainte-Anne purent se réunir au corps principal de leurs condisciples, qui étaient tous arrivés au rendez-vous de Kercohan, village isolé de la commune de Berric, au milieu des landes et des bois. Cette réunion fut expansive ; chacun avait à raconter ses aventures depuis la sortie du collège, ses joies, ses terreurs, les difficultés éprouvées et surmontées. Mais s'être battu à Sainte-Anne, avoir assisté à un combat heureux, donnait une telle importance à ceux qui arrivaient, que les autres élèves les regardaient presque comme des hommes d'une haute capacité, d'une expérience consommée.
Cependant la réunion de Kercohan n'avait pas perdu son temps : on avait procédé à la nomination des officiers et sous-officiers ; et déjà la compagnie, organisée militairement, s'exerçait à la manoeuvre et au maniement des armes sous la direction d'un sergent instructeur.

Voici quelle fut cette première organisation de la compagnie des écoliers. Malheureusement, elle fut modifiée quelques jours après, la mort devant faire de promptes victimes dans nos rangs.

LISTE DES OFFICIERS ET SOUS-OFFICIERS.
Capitaine, Nicolas (J.-M.), tué le 10 juin.
Lieutenant, Bainvel (P.-M.-J.)
Sous-lieutenant, Lequellec (J.-L.)
Il y eu trois sergents-majors :
Radeau du Mat, qui, quelques jours après sa nomination, fut appelé par son oncle, M. de Sécillon, pour remplir les fonctions d'aide-de-camp.
Rio (Alexis), qui devint sous-lieutenant le 10 juin.
Germain, de Vannes, mort officier dans les douanes.
Sergents
Le Thiec (Jacques), tué le 10 juin.
Lacorre (Joachim), mort prêtre.
Laurent, de Guéméné, mort notaire.
Lomenek, curé de Pluvignier, digne pasteur qui est aujourd'hui une véritable providence pour ses paroissiens.
Lagillardaie (J.-M.), aujourd'hui notaire.
Fourrier.
Lediffon, mort jeune prêtre.
Caporaux.
Nicolas (Yves), tué le 5 juillet, frère du premier capitaine.
Rio (Colomban), tué le 21 juin.
Allio (Pierre), mort prêtre, en 1830
Guillaume (Joachim), curé de Kergrist.
Le Goalec, vicaire de Groix.
Mahé (Julien), mort sous-officier à la légion du Morbihan.
Ledrogo (Jean), mort vicaire à Kelven.
Dagorn, mort adjoint de la commune de Sené.
Ledréan, mort prêtre.

Il y eut de plus un sous-lieutenant-porte-drapeau ; ce fut Questel, tué à Auray, le 21 juin, et un sous-officier, sergent instructeur, le brave Bertaud qui avait son jeune frère dans la compagnie des écoliers. Ce sous-officier sortait de la jeune garde, et était un très-bon instructeur, hardi, entreprenant, fougueux dans le combat. Officiers et soldats, nous avions bien besoin des leçons et des enseignements de notre instructeur, car toute notre science ne consistait qu'à savoir tirer un coup de fusil ; mais notre intelligence nous faisait assez comprendre la nécessité d'une prompte instruction militaire ; aussi étions-nous des élèves patients et avides d'apprendre. A la moindre halte, et toutes les fois qu'il y avait possibilité, nous donnions de l'exercice au sergent Bertaud ; nous avions au surplus pour lui une grande estime, et il la méritait bien. Après la bataille de Leipsick, il avait été porté pour la croix, la restauration la lui devait certainement bien, et cependant le brave Bertaud n'a jamais été décoré.

Ce fut au scrutin que se fit la nomination des officiers et sous officiers de la compagnie. Dans cette circonstance apparurent, dans tout leur éclat, le noble désintéressement et le généreux dévouement de ces jeunes gens, qui avaient fait sans arrière-pensée le sacrifice de leur vie ; il y eut rivalité pour ne pas accepter de grades ; un grand nombre les refusèrent absolument, non-seulement pour la compagnie des écoliers, mais encore pour les compagnies de leurs paroisses respectives où on les désirait, et pour lesquels on demandait des officiers : chacun voulait rester simple soldat, et suivant l'expression adoptée : "simple chrétien comme un autre". C'est là que se révèle, je crois, dans toute sa beauté la noble et généreuse conduite des écoliers. Je voudrais qu'il me fût possible de citer les noms de tous ces jeunes gens, aujourd'hui l'honneur du sacerdoce et de la magistrature dans le Morbihan, qui alors se montrèrent si éloignés des distinctions et des grades ; je ne puis néanmoins résister au désir de nommer MM. Legludic, curé de Pontscorf ; Levisage, curé de Quiberon, et Lavenan, curé de Plouay, destinés à tenir un jour le premier rang dans le clergé. Rien ne put les décider alors à prendre celui qui leur était si bien dû parmi leurs camarades ; bien d'autres encore imitèrent leur modeste désintéressement. Le bon, le sage Valy, curé de Plumergat, seul survivant des nombreux écoliers de Lanvodan, qui firent partie de la compagnie. A la fin de la campagne, aux acclamations de tout le collège, on voulut qu'un hommage public fût décerné aux élèves les plus braves et les plus distingués ; leurs condisciples se montrèrent justes appréciateurs du mérite, lorsqu'ils désignèrent pour partager cet honneur avec Valy, Lecorre Toussaint, de Sarzau ; Lecorre Joachim, de Lanvodan, Allio, de Lanvodan ; Guillôme, aujourd'hui digne curé de Kergrist, et Lediffon, noms bien chers au souvenir de leurs compagnons.
Il y avait aussi parmi les plus distingués, un jeune et aimable enfant, à peine âgé de 15 ans ; il s'appelait Leflohy, et est aujourd'hui chanoine de la cathédrale de Vannes. Ses condisciples remarquèrent dès lors le mérite naissant de ce jeune élève, que Mgr l'évêque de Vannes a bien su apprécier plus tard.

Les écoliers, ainsi organisés militairement, formèrent le premier bataillon de la légion commandée par le chevalier de Margadel, sous les ordres duquel ils avaient demandé à servir par reconnaissance et par attachement. Aussitôt qu'ils furent réunis, ils reçurent l'ordre de rejoindre l'armée à Plaudren, où ils arrivèrent le matin du 28 mai, premier dimanche de la Fête-Dieu. Le soir, l'armée se remit en marche avec les écoliers, bien fiers d'être enfin regardés comme de vrais soldats ; ils ne tardèrent pas à apprendre que tout n'est pas rose dans le noble métier des armes.

C'était une bien belle nuit que cette nuit du 28 au 29 mai 1815. Nous venions de traverser une petite rivière, pour entrer dans une charmante vallée que la lune éclairait d'un côté, et dont l'autre côté, couvert de grands bois, était plongé dans une profonde obscurité. Le passage du défilé avait démesurément allongé la colonne, qui cependant, d'après les ordres les plus sévères, continuait de s'avancer sans bruit ; la marche était en effet calme et silencieuse comme la nuit, quand tout à coup des cris étouffés de "halte, silence, en avant, aux armes, se font entendre de tous les côtés ; les échos se réveillent pour répéter ces cris alarmants ; les officiers courent de tous côtés pour s'enquérir des causes inconnues de ce désordre et de ces alarmes, et ordonnent d'une voix peu rassurante de serrer les rangs et de se tenir prêt à faire feu ... Heureusement ce n'était qu'une terreur panique ; un cheval qui s'était échappé du côté des bois, avait dit-on, causé tout ce vacarme ; mais pour nous, qui n'étions pas aguerris encore, ce danger inconnu, cet ennemi invisible nous firent prendre une bonne part de l'émotion causée par cet incident. Tout cela cependant ne dura qu'un instant, et la sécurité revint pour les écoliers comme à tout le monde. C'est au surplus l'unique accident de ce genre pendant toute la campagne.

Le 30, la ville de Ploërmel fut prise après une faible résistance. Ces petites affaires nous préparaient peu à peu à de plus grands combats. Le soir, l'armée se porta sur Josselin, ville si dévouée, que toute la population reçut les royalistes comme des libérateurs. Josselin est une petite ville tout à fait pittoresque. La rivière d'Oust baigne les tours gothiques du magnifique château d'Olivier de Clisson ; le manoir du connétable, très-bien conservé, a été plus heureux que son tombeau, à moitié brisé, que l'on voit dans l'église paroissiale. Ce fut à Josselin que les officiers et les sous-officiers de la compagnie furent reconnus militairement. Cette ville si hospitalière pour l'armée royale, ne le fut pas pour un grand nombre d'écoliers.
Ceux-ci, au départ de Ploërmel, étaient d'arrière-garde ; c'est à une distance égale de ces deux villes qu'eut lieu en 1351 la fameuse bataille des Trente, livrée entre trente Bretons et trente Anglais. Pouvions-nous fouler aux pieds ce théâtre d'un glorieux triomphe de nos ancêtres, sans rendre hommage à la mémoire des héros bretons ? Arrivés donc à mi-voie, nous nous mîmes en bataille devant les débris d'un monument, jadis élevé en souvenir de ce mémorable combat et on présenta les armes, non sans une vive émotion.
Mais tout cela avait demandé un certain temps ; la nuit était venue et lorsque nous arrivâmes à Josselin, tous les logements avaient été distribués. La mairie envoya un assez fort détachement d'écoliers à une auberge située dans un faubourg éloigné. L'aubergiste, en bonnet de nuit, se présente à une lucarne élevée et demande ce qu'on lui veut à une heure si avancée ; quand on le lui a expliqué, il déclare qu'il n'ouvrira pas, envoie tout le monde au diable, ajoutant qu'il se f... du maire comme des écoliers, fussent-ils sortis du collège d'enfer. Force fut donc à ces malheureux élèves, quoique bien fatigués, de coucher dans les champs voisins à la belle étoile !
Mais la gent écolière, comme on le sait, n'est pas très-patiente, et les écoliers de Vannes, qui venaient de déclarer la guerre à Napoléon, ne se trouvèrent pas d'humeur à supporter une telle insulte, sans en tirer une petite vengeance. Il y avait plus d'un malin dans le détachement, et l'aubergiste l'apprendra à ses dépens.

Le lendemain matin donc, les écoliers, si grossièrement évincés la veille, se présentent dans cette même auberge, et d'un air patelin, commandent un bon déjeuner, assurant à l'hôte qu'ils lui ont donné la préférence, à cause de l'excellente renommée de sa maison.
L'aubergiste, qui les avait envoyés au diable, se trouve lui aux anges d'une si bonne aubaine, et s'empresse de les satisfaire ; le déjeuner terminé, il présente le montant de la dépense, en paiement de laquelle on lui donne gravement tous les billets de logement refusés la veille ; dire la stupéfaction de l'aubergiste serait impossible. Enfin il fit des excuses, jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus ; on paya le déjeuner et on rit beaucoup de cette plaisanterie.

Après avoir occupé successivement les villes de Questembert, de Rochefort et de Malestroit, l'armée se présenta devant Redon, le 4 juin. Redon est une ville importante par son port, sa position au confluent de deux rivières et à distance égale de Rennes, de Nantes et de Vannes ; il y avait sans doute grand avantage à s'en emparer ; mais comment se fit-il qu'on attaqua cette ville, au moment même de la procession de la Fête-Dieu qui parcourait les rues pavoisées ? Il faut croire que le jour et l'heure de cette solennité n'étaient pas entrés dans les calculs et les prévisions des généraux ; mais cette circonstance produisit un mauvais effet et attrista surtout les écoliers. Leur ardeur de combattre n'en fut cependant pas ralentie, tant ils désiraient faire leurs preuves. M. de Margadel eut de la peine à modérer leur élan et à les empêcher de se jeter sur l'ennemi sans aucunes précautions. Une terrible fusillade s'engagea dans les rues, et l'ennemi repoussé de toutes parts se retira, au bout d'une heure de combat, dans une tour crénelée attenant à la mairie qui était également fortifiée. La garnison s'y défendit avec opiniâtreté. Les collégiens placés sous les halles, à une petite distance de l'ennemi, tiraillèrent toute la nuit pour le tenir en échec. Plusieurs écoliers furent blessés et aussi un de nos braves cantiniers qui eut la main gauche fracassée par une balle. Tout en nous battant de bon coeur, nous étions épuisés de fatigue et de sommeil, n'ayant ni dormi, ni mangé depuis près de deux jours ; de bons habitants eurent pitié de nous, et dans les maisons voisines chacun, sans s'éloigner du poste, put aller se restaurer à son tour et prendre ensuite un peu de sommeil à notre bivouac sous les halles.

Le 5, au matin, l'armée royale évacua Redon menacée par des forces supérieures, s'avançant contre nous par les routes de Rennes, de Nantes et de Vannes. Elle passa à Peillac, la rivière d'Oust, arriva dans la nuit à Rochefort, où elle prit deux jours de repos devenu indispensable. Le 8, elle se porta sur Questembert ; là nous vîmes arriver au quartier général le comte de Floirac ; un des commissaires du roi près l'armée et préfet royal du Morbihan. Le comte de Floirac nous dit qu'il était heureux de revoir les écoliers, et qu'il informerait le roi de notre bonne conduite.
Le 9 juin, les royalistes se portèrent sur Musillac, petite ville près de la mer et à huit lieues de Vannes. Là allaient se décider le sort et l'avenir de l'armée royale. Manquant d'armes, de souliers, ayant déjà épuisé dans les premières rencontre presque toutes ses munitions, elle était plus que compromise si elle ne réussissait pas à recevoir, dans un bref délai, les armes et les munitions que lui apportait une flotte, déjà depuis quelques jours en vue des côtes. C'était la vie et le salut pour les royalistes.

De leur côté, les bonapartistes comprirent toute l'importance d'empêcher ce débarquement. Les blancs sont à Musillac pour le recevoir ; les bleus y arrivent pour s'y opposer, sous les ordres du général Rousseau venant de Vannes.

A quatre heures du matin, le 10 juin, les premiers coups de fusil se font entendre ; le général Rousseau avait voulu surprendre les royalistes, et peu s'en fallut qu'il ne réussît. Heureusement, au premier moment de l'attaque, Cadoudal s'était porté en avant avec sa légion d'Auray pour défendre le pont, et arrêta l'ennemi dans sa marche.
Cependant, les écoliers se sont rendus au moulin de Penesclus, poste important, à l'extrême droite, qu'ils ont l'ordre de protéger. Placés sur une éminence, ils dominent le champ de bataille ; mais aussi l'ennemi les a reconnus. Le général Rousseau ordonne de les mitrailler. Le bruit du canon et le sifflement de la mitraille, chose inconnue pour nous, se font entendre en même temps. Dès la première décharge, le sergent Le Thiec tombe, la tête fracassée par un biscaïen. Cette journée devait être glorieuse, mais aussi bien funeste pour les collégiens ! Nous aurions bien voulu pleurer un peu la mort de notre bon camarade ; mais le sergent Berthaud, que l'odeur de la poudre a électrisé, déclare positivement que cela ne s'était jamais vu, et se sert de l'occasion pour nous reprocher ironiquement de baisser la tête à chaque coup de canon ; mais l'ennemi ne nous laissa, ni le temps de nous attendrir, ni de discuter les théories sentimentales de notre intrépide sergent.

Repoussé sur le pont de Musillac, le général Rousseau espère enfoncer les royalistes, en les attaquant sur le coteau occupé par les écoliers. Une colonne d'attaque, protégée par la mitraille et de nombreux tirailleurs, veut traverser en conséquence la chaussée du moulin. Les collégiens comprennent la gravité de leur position ; ils décident qu'ils se serreront en masse et que les plus petits, dans le centre, devront seulement recharger les fusils des premiers rangs ; mais, au moment même où ils se préparent ainsi à la résistance, une balle vient frapper au coeur le capitaine Nicolas. Dans cet instant critique, les collégiens se rappellent qu'ils doivent vaincre ou périr jusqu'au dernier ... Un bataillon fait feu sur eux, presqu'à bout portant. Les écoliers répondent par un cri de Vive le Roi ! et une décharge générale ! La mêlée est terrible, mais l'ennemi est repoussé. Enhardis par ce premier succès, les écoliers se précipitent à leur tour contre lui, le forcent à repasser la rivière et à regagner le corps principal.
A la vue du danger que nous venions de courir et de surmonter, le chevalier de Margadel était accouru pour nous encourager. Voyant bien que la journée n'était pas terminée, il nous ordonne de conserver précieusement le peu de cartouches qui nous reste. Cette recommandation ayant été générale, le feu, faute de poudre avait cessé sur toute la ligne. Cependant l'ennemi se préparait à une seconde attaque qui devait être décisive. Que ne doit-on pas attendre des efforts d'une population dévouée ? Les femmes de Musillac, sachant que les royalistes manquaient de munitions, se hâtèrent de fondre leur vaisselle d'étain, et de confectionner des cartouches ; elles ont le courage de venir elles-mêmes les distribuer dans nos rangs, tout en prodiguant des soins à nos blessés. Admirable et généreux dévouement des femmes de Musillac, que partagea, qu'inspira peut-être une noble femme, la comtesse du Bodérut, alors présente à Musillac.
Pour la seconde fois, une colonne de grenadiers se précipite sur le pont de Musillac, et pour la seconde fois, Joseph Cadoudal la repousse. Pendant cette sérieuse attaque, de nombreux tirailleurs sont de nouveau lancés contre les collégiens. Ceux-ci, fiers de leur premier succès, décidés à faire payer cher à l'ennemi la mort de leur capitaine, et soutenus maintenant par la légion Margadel, se précipitent aussi en tirailleurs au-devant de l'ennemi, qu'ils obligent à se replier de nouveau et à repasser la chaussée du moulin de Penesclus, avec une perte considérable. Il était dix heures ; ce fut alors que Gambert, dont l'absence avait été si regrettable pendant le combat, se présenta à la tête de son terrible bataillon sur les derrières de l'ennemi ; cette manoeuvre, soutenue par un admirable feu, força les bleus à une retraite précipitée, que le comte de Francheville, avec ses marins de Sarzeau, ne laissera pas s'opérer sans leur faire éprouver de nouvelles pertes. C'est ainsi que tout l'avantage de cette importante journée resta aux royalistes.

Les écoliers veulent aussi se mettre à la poursuite de l'ennemi ; mais ils s'arrêtent tout à coup. L'ennemi n'a pas pu emporter tous ses blessés, beaucoup sont restés abandonnés sur le champ de bataille. A cette vue, les collégiens oublient la guerre et ses fureurs ; ils se débarrassent à la hâte de leurs armes pour secourir ces pauvres soldats blessés. Sur ce nouveau champ de bataille, ils vont se montrer aussi humains, aussi compâtissans que tout-à-l'heure ils se sont montrés hardis et intrépides.
Tous à l'envi déchirent leurs mouchoirs, leurs chemises, leurs cravates, pour bander les plaies et étancher le sang. De leurs plus douces voix, de leurs plus gracieuses paroles, ils consolent ces pauvres blessés. Des enfants portent dans leurs bras de vieux soldats qu'ils vont déposer avec une tendre et respectueuse sollicitude, dans une maison voisine, à l'ombre de quelques arbres. Il s'échangea des paroles singulières et mémorables entre ces soldats blessés et ces jeunes collégiens. On a entendu un vieux grenadier mourant, dire à un jeune enfant qui lui témoignait un intérêt filial : "Tu es un bon petit b... de calotin."
Un caporal de voltigeurs avait eu la cuisse brisée ; il fut emporté dans une grange voisine par quelques écoliers qui se mirent à panser sa blessure. Lorsque le jeune militaire eut repris ses sens, il reconnut, parmi ceux qui lui donnaient des soins, le fils de la famille où il avait son logement depuis trois mois, et auquel il avait souvent donné des cartouches sans se douter de l'usage qui en serait fait plus tard.
La reconnaissance fut dramatique : le militaire donna à l'écolier des nouvelles de ses parents ; il les avait quittés la veille au soir ; et, au moment de partir, sa mère, en pleurant, lui avait parlé de son fils ... et celui-ci, dans un billet écrit à sa mère, lui recommanda vivement le pauvre caporal de voltigeurs.

Toutes ces émotions nous préparaient assez mal à en supporter une plus grande qui nous attendait encore. L'armée est dans la joie, car la journée a été bonne pour les royalistes restés victorieux à Musillac ; mais les écoliers reviennent attristés sur le lieu de leur triomphe : il vont rendre les derniers devoirs à leur capitaine et au sergent Le Thiec. C'est au cimetière de Bourg-Paul, dont ils sont peu éloignés, que vont être inhumés leurs camarades. Les prêtres ont chanté la prière des morts, au milieu de nos sanglots et de nos larmes, qui coulèrent encore, en leur rendant les honneurs militaires et en leur adressant les derniers adieux !
Le capitaine Nicolas fut regretté, et il méritait de l'être ! C'était un digne, bon et beau jeune homme, aux nobles sentimens, aux manières simples, mais distinguées. Ils étaient deux frères jumeaux dans la compagnie ; leur union, leur attachement étaient aussi remarquables que leur ressemblance était frappante ; leur mère s'y était souvent trompée elle-même. Le frère du capitaine avait été aussi blessé à Musillac. Quelques jours après, il fut lui-même, comme son frère, frappé au coeur d'une balle mortelle. Pourquoi le même tombeau n'a-t-il pu réunir ces deux frères qui s'étaient tant aimés et qui devaient tous deux, presque en même temps, périr de la même mort !
Le sergent Le Thiec avait un de ces coeurs généreux, qu'on peut appeler un coeur d'or ; d'un caractère toujours gai, toujours égal, il aimait à chanter des vers qu'il improvisait ; son bonheur était d'obliger ses camarades et de leur rendre service : on l'a vu porter trois et quatre fusils pour soulager les petits écoliers trop fatigués ; on l'a vu, au passage de rivières ou de ruisseaux, prendre sur ses épaules les écoliers de faible complexion, en leur disant avec une ingénieuse et admirable bonté "qu'on ne devait pas s'enrhumer, quand on ne pouvait pas se soigner".
Le sergent Le Thiec me fait souvenir d'un autre élève, qui s'appelait Laurent ; nous l'avions surnommé Lenoir, pour le distinguer de plusieurs autres Laurent, dont un, son cousin-germain, s'appelait le Saint. Laurent-Lenoir, qui est mort notaire à Malestroit, avait beaucoup d'esprit ; il était barde et poète, comme Le Thiec, et faisait fort heureusement des vers ; c'est lui qui avait composé ce que nous appelions notre chanson de mort.

La nuit était arrivée quand les collégiens rentrèrent à Musillac : l'intérêt général dont ils furent l'objet, l'accueil qui leur fut fait par l'armée et les habitants furent une consolation pour eux, et une approbation de leur conduite pendant cette journée.
Disons, avant de terminer le chapitre de Musillac, que la mort du brave Nicolas opéra un changement parmi les officiers. Le lieutenant Bainvel, qui eut l'honneur de commander au combat de Musillac, fut proclamé capitaine ; Lequellec devint lieutenant ; Lequellec, par sa sagesse et sa prudence, était le Nestor et le Mentor du collège ; d'une santé faible, il avait l'âme forte et énergique.
Le sergent-major Rio fut promu au grade de sous-lieutenant ; Rio était alors à peine un adolescent ; mais déjà il faisait pressentir qu'il obtiendrait un jour un rang distingué dans les sciences et les belles-lettres.

Un mot encore sur nos camarades blessés à Musillac. Ceux qui reçurent les plus graves blessures furent Le Ray et Allio. Le Ray était un enfant de 15 à 16 ans, d'une douceur remarquable ; blessé gravement à la jambe, il fut déposé, pendant l'affaire, à côté du capitaine Nicolas, pour lequel il ne cessa de prier. "Puisque je ne puis plus me battre, disait-il, je prierai du moins pour lui et pour les autres."

Le caporal Allio était aussi brave que modeste ; on eut toutes les peines du monde à le décider à accepter les fonctions de caporal. Blessé d'abord à la tête, il l'enveloppa de sa cravate noire et continua à se battre. Un moment après, blessé au bras, il ne voulut pas quitter le combat, et de la seule main dont il pouvait se servir, il distribuait des cartouches à ses camarades ... Allio, devenu prêtre, est mort en 1830, aimé et regretté. J'ignore si le bon petit Le Ray, comme nous l'appellions, vit encore. Hélas ! la liste de ceux qui n'existent plus est bien longue depuis 1815 !

... à suivre .

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