POÉSIE ♣ CAMPAGNE VENDÉENNE

CAMPAGNE VENDÉENNE

I

Le dernier songe démâté
Dérive au gré de la rivière,
Épave d'irréalité
Roulée au flux de la lumière.

Parti des rivages du soir
Avec les astres dans ses voiles,
Il a chaviré sans espoir
A l'heure où sombrent les étoiles.

Mais sur l'eau calme du matin,
En une vague lueur blonde,
Flotte encor l'éclat incertain
De la beauté d'un autre monde !

II

Brouillard bleu du matin : mobilité d'un songe !
Vapeur évanescente où la rivière plonge.
Dans le bruissement des herbes et de l'eau,
Brouillard léger, qu'un vent capricieux déchire :
Les peupliers se font plus vagues en ses spires
D'où s'élève le chant d'un invisible oiseau.

III

Toi qui veilles aux jeux de tes chèvres agiles
Soupirant ton plaisir en des chants inhabiles,
L'aurore, pure aussi, s'émeut de tes quinze ans
Et la brume plus claire au frais de la fontaine
Nimbe ton jeune corps des lueurs incertaines
D'un amour encor vague et d'un jour hésitant.

IV

La fille qui conduit les bêtes aux pâtures
Murmure un air si bête et si doux à la fois
Que l'on en pleurerait s'il n'y avait sa voix,
Sa voix de fille simple où passe la nature
Avec ses prés, ses champs, ses sources et ses bois.

V

L'ombre tourne, l'heure passe,
Le soleil glisse aux coteaux ;
Un premier brouillard s'enlace
Aux plus humides roseaux.
Écoute au loin sur la route
Les derniers bruits du hameau,
Écoute tomber par gouttes
Le chant d'amour d'un crapaud,
Recueille dans le silence
Les reflets et les échos,
Et la lune qui s'élance
De la pointe d'un bouleau.

A.R. SALMON-MALEBRANCHE
(Revue du Bas-Poitou - 1940 - 2ème livraison