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La Maraîchine Normande
21 mars 2013

MADAME LA COMTESSE DE LA ROCHEJAQUELEIN ♣ LE COMPLOT DE LANDEBAUDIERE ♣ 4ème partie

L'ARRESTATION ET L'ÉVASION
DE MADAME DE LA ROCHEJAQUELEIN
AU CHATEAU DE LANDEBAUDIERE (VENDÉE)
EN 1831

P1190524

4ème partie

IV - UNE ÉVASION PITTORESQUE

Tandis que, à Rubion, Bussière poursuivait fiévreusement ses recherches, Mme de la Rochejaquelein et Mlle de Fauveau étaient arrivées, sous la garde des baïonnettes, à Landebaudière où elles étaient accueillies par les domestiques stupéfaits.
Mme de la Rochejaquelein, elle, a l'air de trouver tout naturel ce qui se passe ; sans s'occuper des soldats auxquels elle est confiée, elle se dirige vers sa chambre et demande à déjeuner car il est déjà onze heures.

Cependant, le caporal prend ses dispositions pour exécuter la consigne qu'il a reçue. Trouvant avec raison plus facile de garder la chambre de Mme de la Rochejaquelein qu'une si grande maison, il place une sentinelle à la porte de la chambre donnant sur le corridor ; une autre sentinelle fait les cent pas devant la façade du château où s'ouvre la fenêtre de la chambre de Mme de la Rochejaquelein, cependant que le caporal et ses deux autres soldats se promènent dans le corridor. (Depuis 107 ans, la disposition des appartements a peu changé. La chambre de Mme de la Rochejaquelein est actuellement la salle à manger)

Pendant ce temps, Mme de la Rochejaquelein déjeune dans sa chambre avec Mlle de Fauveau. Naturellement les domestiques vont et viennent librement, puisque la seule consigne est d'empêcher les deux femmes de sortir du château.
Un peu après midi arrive le détachement que Bussière a fait demander au capitaine Lescaméla et qu'un gendarme a conduit à Landebaudière. Ce sont douze soldats du 29e de ligne, commandés par un sergent nommé Berthier, et deux caporaux.
Au sergent, le chef de poste relevé explique la consigne qu'il tient, dit-il, du lieutenant de gendarmerie : ne pas laisser sortir du château Mme de la Rochejaquelein et Mlle de Fauveau, mais laisser les domestiques aller et venir dans la chambre de la prisonnière pour leur service. Les prisonnières peuvent aussi communiquer ensemble.
Ceci fait, Berthier et le caporal qu'il relève viennent demander la permission d'entrer dans la chambre de Mme de la Rochejaquelein pour vérifier sa présence. Puis ils relèvent les sentinelles et en placent de nouvelles aux mêmes endroits.

Mme de la Rochejaquelein passa ainsi toute la journée dans sa chambre avec Mlle de Fauveau. Les domestiques vont et viennent sans cesse, surtout la femme de charge Marie Poirier, dite "Manette", qui explique aux soldats qu'"elle soigne Madame la Comtesse qui n'est pas bien portante". D'ailleurs, toute personne qui entre ou qui sort et reconnue et fouillée. - on s'assure qu'on ne laisse pas échapper Mme de la Rochejaquelein.

A la nuit tombante, vers cinq heures du soir, un nouveau poste vint relever celui qui gardait le château depuis midi. Le sergent Berthier, faisant preuve d'intelligence, pensa soudain, en relevant les sentinelles, qu'on avait oublié de visiter l'appartement de la prisonnière. Il entra alors dans la chambre de Mme de la Rochejaquelein, pour s'assurer qu'on en gardait bien toutes les issues, et reconnut effectivement que sa prisonnière pouvait parfaitement sortir de chez elle sans être vue. A sa chambre, ¤ en effet, était contigüe une petite pièce servant de bibliothèque, où une porte s'ouvrait dans une partie du couloir séparée par une cloison de l'autre partie où veillait une sentinelle devant la porte de Mme de la Rochejaquelein. Au bout de ce couloir, une porte vitrée permettait de passer sur la terrasse située à l'extrémité de la maison. On pouvait aisément descendre de cette terrasse grâce à la margelle d'un puits encastré dans le mur de soutènement. A deux pas sont les bosquets du parc ... L'évasion aurait été par là d'une extrême facilité !
Plein d'une terreur rétrospective, Berthier plaça donc des nouvelles sentinelles ; une devant le perron du château, une sur la terrasse au nord, devant la porte vitrée par où aurait pu passer Mme de la Rochejaquelein, et une troisième sur la terrasse au sud.
Ayant ainsi entouré le château de sentinelles, il croyait maintenant ses prisonnières bien gardées ; il n'était pas inquiet, jamais Mme de la Rochejaquelein ne pourrait s'échapper après tant de précautions. Et dans cette persuasion, le brave Berthier s'en alla "manger la soupe" à la Gaubretière.

Pourtant il avait grand tort d'être si tranquille. Car, sans passer par la porte devant laquelle se tenait un factionnaire, sans passer non plus par le couloir et la porte vitrée que Berthier avait reconnus, Mme de la Rochejaquelein pouvait sortir de sa chambre sans aucune difficulté.
A la bibliothèque communiquant avec sa chambre, était en effet contigüe une autre petite pièce servant de pharmacie, qui à première vue semblait sans issue. En réalité, au fond d'un placard, une porte masquée s'ouvrait sur un escalier "dérobé" par lequel on gagnait le premier étage. Aucune sentinelle n'était placée dans cette partie de la maison. Dès lors, l'évasion devenait très facile.

Aussi la résolution de Mme de la Rochejaquelein fut vite prise. Le lendemain, au petit jour, elle s'habillerait en fille de cuisine et essaierait ainsi de sortir de la maison ; grâce aux allées et venues des domestiques, dont elle connaît le dévouement, peut-être passera-t-elle inaperçue.

Au début cette partie de l'évasion semblait une chose sans difficultés, car les domestiques, pendant la journée du 9, sortaient librement de la maison. Malheureusement, au soir de cette journée, un officier du 32e qui était rentré à la Gaubretière les perquisitions terminées, vint, par curiosité, voir ce qui se passait à Landebaudière, il recommanda vivement au chef du poste de bien faire attention à ce que ses prisonnières ne s'échappent pas.
Prenant alors une initiative très intelligente, le brave sergent Berthier décida que désormais personne ne sortirait plus de la maison.
Heureusement, les officiers facilitèrent, - sans trop s'en douter -, l'évasion de Mme de la Rochejaquelein.

Voilà en effet qu'au soir, après le dîner, la cuisinière du château qui retourne chaque soir au bourg, réclame énergiquement la permission de sortir, permission que Berthier refuse d'accorder. Le mari de la cuisinière, qui est venu à ce moment réclamer sa femme est envoyé à la Gaubretière demander cette permission aux officiers. En revenant l'homme dit au sergent qu'il les a trouvés chez le maire qui les avait invités à dîner ; on l'a introduit et il a demandé au capitaine une permission par écrit pour qu'on laisse sortir sa femme : "Mais bien sûr, s'est écrié M. du Retail, les domestiques peuvent parfaitement entrer et sortir ; pas besoin de permission par écrit !" Tout le monde a approuvé. La consigne est simple : les domestiques sont libres d'aller et venir pour leur service. Seules Mme de la Rochejaquelein et Mlle de Fauveau doivent ne pas sortir du château.

Berthier explique alors la consigne à ses hommes, en prévision du lendemain matin, où les domestiques auront à sortir sans cesse pour leur service. Seulement il ajoute que chaque personne devra venir lui demander à lui-même la permission de sortir. Cette décision était très intelligente, et si elle avait été appliquée jamais Mme de la Rochejaquelein n'aurait pu s'échapper. Seulement, ce n'est pas pour rien que Dieu avait créé la vigne ! ...

Cependant la journée touchait à sa fin. A dix heures, Mlle de Fauveau et Marie Poirier, ayant réglé tous les détails de l'évasion pour le lendemain, quittaient Mme de la Rochejaquelein. Comme elles sortaient, le sergent passait dans le couloir en tournée d'inspection ; Marie Poirier lui expliqua que "Madame la Comtesse n'était pas bien portante et que si elle se trouvait mal elle sonnerait, ainsi elle serait peut-être obligée de revenir pendant la nuit dans la chambre de Madame". Le plus naturellement du monde, Marie ferma donc la porte à clef et s'en alla, en mettant tranquillement la clef dans sa poche. Le sergent ne fit pas d'objection. Mais maintenant Mme de la Rochejaquelein pouvait être tranquille : le lendemain, personne ne viendrait la déranger pendant son évasion.

Berthier resta un instant dans le corridor ; il entendit Mme de la Rochejaquelein, se parlant à elle-même, dire à haute voix ; "Allons, je suis bien gardée, je peux aller me coucher !". Berthier revint à la cuisine et répéta cette phrase au gendarme de planton, qui soupira : "Elle a bien de la chance ; moi, je n'ai pas le droit d'en faire autant ..."

Pendant ce temps, Marie Poirier explique à son mari et aux autres domestiques la consigne essentielle : enivrer les soldats ; cela ne manquerait pas de faciliter demain à Mme la Comtesse sa sortie du château. - A cette évasion, les domestiques vont travailler inlassablement pendant toute la nuit ; leur dévouement pour leur maîtresse fut vraiment admirable ; et l'on se reprocherait de ne pas signaler au passage, le dévouement de ces braves gens.

Poirier s'est chargé d'enivrer les soldats qui ont établi leur corps de garde dans la cuisine, particulièrement le sergent chef du poste et le gendarme chargé de maintenir l'ordre dans la maison. Pour les mettre en goût, il leur offrit d'abord du pain, de la viande rôtie, des morceaux de gâteaux : chacun accepte et dévore sa part. Voilà maintenant qu'il apporte une vingtaine de bouteilles. Le sergent, légèrement méfiant, n'en accepte que cinq ou six. Mais cela permet de trinquer ; le vin est bon, et du coup on oublie qu'on est adversaire, on fraternise, et, lentement, la méfiance tombe. D'ailleurs, Poirier n'est pas pressé : n'a-t-il pas toute la nuit pour exécuter la consigne que lui a transmise Mme la Comtesse ? Et puis, il voit bien qu'il n'aura pas de peine à exécuter cette consigne, car les soldats qui gardent le château sont tous jeunes et visiblement indisciplinés. (Plusieurs dépositions en témoignent. Le gendarme Beauchemin, qui était alors de planton au château, racontera dans sa déposition, que vers neuf heures du soir, ayant fait une ronde, il trouva le soldat placé en faction devant la porte du château, à quarante pas de son poste, et causant tranquillement avec la sentinelle placée sur la terrasse).

Un moment après, on recommence à trinquer. Poirier offre la goutte au gendarme et autres soldats du poste. Chacun accepte avec reconnaissance et de nouveau on fraternise. L'eau-de-vie est bonne ; cela réchauffe, et aussi cela fait peu à peu disparaître toute méfiance : peu à peu on fait moins de façons pour accepter.

Le valet de chambre, Louis Coquet, de son côté ne restait pas inactif, mais il usait de moyens plus pittoresques. De la fenêtre de sa chambre, située à l'entresol au-dessus de la terrasse au nord, il avait appelé la sentinelle, parlait amicalement au soldat, lui offrait un bon coup d'eau-de-vie pour le réchauffer, car la nuit était très froide, et, à l'aide d'une ficelle, descendait un gobelet que le soldat acceptait avec reconnaissance. Ayant bu, il appelait ses camarades les plus proches. Malheureusement l'arrivée du sergent et du gendarme qui faisaient une tournée, vint interrompre la beuverie. "Qu'est-ce qui se passe ?" - "Rien, répondit le brave soldat, simplement qu'on voulait m'offrir à boire, mais bien sûr j'ai refusé".

Dans la cuisine, où est établi le corps de garde, Poirier continue paisiblement son travail ; il n'est pas pressé, puisqu'il a toute la nuit devant lui. Dès qu'un soldat relevé de faction revient dans la cuisine, vite on lui apporte de bonnes bouteilles qui vont le réchauffer, car dehors il ne fait pas chaud. Maintenant la méfiance a bien disparu. Et toute la nuit, on trinque à tout propos, et les soldats ne se font pas prier car le vin est bon ...

Si bon que, au matin, le sous-lieutenant Renaud, venant voir ce qui se passe au château, trouva, il le dit lui-même dans sa déposition, le chef du poste, le gendarme de planton et plusieurs soldats, complètement ivres.

Capture plein écran 21032013 200038Cependant le jour se lève. La maison s'est éveillée et commence à s'animer. Les domestiques vont et viennent sans cesse, très affairés ; il y a même plus d'animation que de coutume - car il faut faciliter par tous les moyens l'évasion de Madame. Journaliers et journalières qui, chaque jour, viennent innombrables travailler au château, vont casser la croûte dans la cuisine, ainsi que les domestiques qui logent dans les communs.

C'est le moment que chacun attend depuis la veille.

Dès le petit jour, Marie Poirier, profitant de l'incessant va-et-vient dans la maison, a apporté à Mme de la Rochejaquelein, par le passage secret, le costume qu'elle doit revêtir ; voilà le gros jupon, le bonnet, les gros sabots ... Elle habille sa maîtresse : sous les mains expertes de Manette, Mme de la Rochejaquelein s'est, en un tournemain, transformée en une fille de cuisine ou fille de basse-cour ; sans doute Marie Poirier lui a aussi noirci les bras, le visage.

Voilà tout est prêt ...

Mme de la Rochejaquelein et Manette sont sorties par le passage secret, qu'elles referment soigneusement ; elles gagnent le premier étage, redescendent à la cuisine : les soldats sont là, et, au premier coup d'oeil, Mme de la Rochejaquelein a pu voir que ses domestiques ont fidèlement exécuté la consigne. Elle saisit deux "buies" (deux cruches), et d'un pas ferme elle se dirige vers la porte où veille une sentinelle. En principe, il faudrait toujours pour sortir la permission du sergent. En fait, on ne la demande plus, car depuis le petit jour les domestiques entrent et sortent sans cesse, et puis le brave Berthier a trop bu pour s'occuper de ces détails ! Aussi les sentinelles laissent maintenant passer à peu près sans difficulté.

La fille de cuisine, ses deux cruches à la main, est à la porte : elle sort tranquillement. "Où vas-tu ?" crie la sentinelle. "Trécher d'lève, laissé me passer" bredouille en patois Mme de la Rochejaquelein. Là voilà dehors. D'un pas lent et balancé de paysanne, elle s'éloigne tranquillement vers un puits imaginaire ... vers les bosquets du parc ... vers la liberté !

Capture plein écran 21032013 203226Entrée sous les arbres, elle a vite traversé le parc ; dans le mur une porte s'ouvre sur la campagne. Jetant ses cruches au premier buisson, elle s'élance à travers champs, en tournant le dos à la Gaubretière. A quelque distance du château, elle rencontrait un brave paysan, le meunier du Drillais, nommé René Buissonnière. Déjà il connaît l'arrestation de Mme de la Rochejaquelein, car l'histoire a vite fait le tour du pays. Sur sa demande, il prit Mme de la Rochejaquelein en croupe sur son âne, et la conduisit jusqu'à Chambrette, vielle tour carrée, vestige d'un ancien château, qui se dresse au fond d'un vallon en la paroisse des Landes-Génussons.
Là habite un vieillard, M. de la Roche Saint-André, vétéran des "anciennes guerres", compagnon d'armes du Général de Suzannet. Retiré dans sa vieille tour, il se désintéresse de la politique, car, infirme, il ne pourra plus prendre les armes : mais son coeur est tout entier avec les fils de ses anciens compagnons d'armes ; et ce fut avec joie qu'il offrit l'hospitalité à celle qui maintenant était vraiment le chef du Bocage Vendéen.

... Pendant ce temps, un soldat faisait toujours gravement les cent pas dans le couloir du château de Landebaudière, devant la chambre de Mme de la Rochejaquelein. Seulement, dans cette chambre, il n'y avait plus personne.

La suite ICI


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