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La Maraîchine Normande
19 mars 2013

TÉMOIGNAGE DE L'ABBÉ FRONTAULT, PRETRE ANGEVIN, ÉCHAPPÉ AU MASSACRE DES CARMES

UN PRETRE ANGEVIN
ECHAPPE AU MASSACRE DES CARMES
(2 septembre 1792)

Capture plein écran 08032012 000337Dans la livraison de décembre 1867 des Etudes religieuses, historiques et littéraires, des PP. de la compagnie de Jésus, nous avons trouvé un précieux document, qui revient de droit à l'Anjou, par conséquent, à notre recueil spécialement et uniquement consacré à l'histoire angevine.
Ce document, édité par le P.C. Somervogel, a été trouvé parmi les manuscrits du P. Barruel. Il a pour titre : "Lettre de M. l'abbé Frontault à M. l'abbé Villelle, ou Relation de ce qui s'est passé à l'égard des prêtres français emprisonnés et massacrés, au couvant des Carmes, rue de Vaugirard, à Paris, le 2 septembre 1792".
A la fin du manuscrit se trouve cette note, qui lui sert comme de cachet authentique : "Cette relation est la copie exacte de la lettre de M. Frontault, curé de 28 ans du diocèse d'Angers, écrite à M. l'abbé de Villelle, élève de Saint-Sulpice. Cet intéressant ecclésiastique échappé au massacre des Carmes, est venu en échange mourir martyr de la charité, au service des prisonniers et blessés français à Maestricht, en 1793. C'est de cette ville qu'il a écrit sa relation."

M. l'abbé Frontault était curé de Saint-Aubin des Ponts-de-Cé. Ayant refusé de prêter le serment à la Constitution civile du Clergé, et pour ce fait dépossédé de sa cure, il était venu se réfugier dans la maison de retraite des prêtres de Saint-sulpice, la solitude d'Issy. C'est là que les fureurs de la Révolution le vinrent chercher pour le traîner à la mort, qu'il n'évita que par une sorte de miracle, comme il le racontera lui-même. Nous regrettons de ne pouvoir donner sa lettre toute entière ; elle déborderait de notre cadre trop étroit, et nous devons nous borner aux parties les plus saillantes de ce drame émouvant.

Pretiosa in conspectu Domini
mors sanctorum ejus (Ps. CXV).

...

Ce fut le 15 du mois d'aoust (1792) que le Seigneur nous annonça par l'arrivée d'une horde de brigands dans l'enclos de la Solitude, que nous étions choisis pour confesser sa foi devant le peuple et devant les tribunaux. Jusqu'à ce moment nous avions été effrayés de tout ce que nous savions se préparer contre les ministres catholiques ; nous connoissions tout ce que Monseigneur l'archevêque d'Arles, et une trentaine de prêtres déjà renfermés aux Carmes avoient eu à souffrir, ce qu'ils avoient montré de fermeté et de courage dans leur arrestation, et combien ils inspiroient d'intérêt par leur vie toute de prière et d'oraison dans leur prison ; mais nous ne trouvions point encore en nous cet esprit de force et de soumission qui caractérise un confesseur de la foi. Nous tremblions qu'une semblable épreuve ne fut pour nous une occasion de chute et de scandale pour l'Eglise de France. Mais à peine nous eut-on enjoint de suivre, que nous nous trouvâmes des hommes nouveaux - nous partons gaiement, et dès ce moment tout est prodige.

Des cris, "à bas la calotte, à la lanterne ..." nous accompagnent jusqu'au lieu désigné pour le rassemblement des victimes. Nous y fûmes reçus par des bravo de fureur et de rage. De nouveaux satellites consignés à la garde de cette maison, nous environnent ; et bientôt un homme aux yeux étincelants, d'une voix plus que barbare, nous dénonce à la vengeance du peuple : "Vous êtes des scélérats, nous dit-il ; depuis longtemps le peuple est votre dupe ; vous ne tarderez pas d'être ses victimes. Qu'on les garde bien, ajoute-t-il, et qu'aucun de mes soldats ne parle à ces coquins." Bientôt d'autres cris de cannibales nous annoncent de nouveaux confesseurs. Messieurs de Saint-François de Sales arrivent et se rangent parmi nous. Ils étoient au nombre de neuf ; plusieurs de quatre-vingts ans, le plus jeune passoit l'âge de soixante. Un de ces vénérables ose élever une voix presque éteinte par l'âge et les infirmités, et se récrie contre l'imputation de conspirateurs qu'on leur reproche. Au même instant sa tête est courbée, la hache se lève sur lui ; plusieurs des confesseurs se mettent à genoux en prières, tous détournent le visage pour ne pas voir couler le sang. Le moment n'étoit pas arrivé ; la scène ne fut pas ensanglantée ; elle finit par des menaces, des imprécations et des blasphèmes ...

Le cliquetis des armes, le son des tambours, l'ordre très-brusque du commandant, nous annoncèrent qu'il fallait partir ...

Je placerai ici une anecdote qui me regarde seul, et qui devient cependant intéressante par un contraste de cruauté et de sensibilité qu'elle offre dans la même circonstance. Malgré la défense faite de nous parler, un jeune breton s'approche de moi, et me dit qu'il est fâché de me voir dans une telle aventure. Je lui réponds par un témoignage de reconnoissance et de surprise de sa sensibilité. En vous voiant, me dit-il, j'ai éprouvé un sentiment d'intérêt dont je ne puis me défendre. - Votre sensibilité, lui dis-je, me flatte, mais elle m'est inutile. - Avez-vous un habit laïc, continua-t-il ? je ne sçaurois vous sauver si vous restez en soutane ; et dans le cas où le peuple de Paris voudroit vous sacrifier à votre arrivée, comme je le crains bien, je vous aiderai à vous confondre dans la foule, si vous êtes en habit laïc, et vous vous sauverez. - Sur ma réponse positive, il obtint du commandant une permission, pour que je sois conduit dans ma chambre, et que je puisse quitter mon habit long. Deux de ses camarades se joignent à lui pour m'accompagner. Il s'en falloit beaucoup qu'ils partageassent ses sentimens. Armés d'un large sabre qu'ils tenoient toujours suspendu sur ma tête, ils me disoient énergiquement qu'il falloit périr, ou promettre serment. Le jeune breton me serrant toujours la main, me répétoit à voix basse, qu'il ne falloit rien dire. Mon silence fut pris pour un outrage. Plusieurs fois ils s'élancent sur moi, je crus être à mon dernier moment : mais mon jeune protecteur paroit les coups. - "Laisse-nous faire, disoient-ils, c'est une bonne oeuvre que de détruire un monstre semblable. Non il n'en seroit que cela, si nous lui passions nos sabres au travers du corps." Nous nous remîmes en route pour rejoindre nos confrères. Je fus obligé de promettre au jeune breton, que pendant la route je me tiendrois à ses côtés.

Nous partîmes donc d'Issy au bruit de toutes les imprécations d'un peuple immense qui nous accompagna jusqu'à Paris. Notre arrivée étant annoncée, notre cortège s'augmenta infiniment.
Nous comptions être conduits à l'Hôtel-de-Ville ... mais un commissaire de la section du Luxembourg, envoié au devant de nous par cette section, arrêta notre marche, et nous fûmes conduits à l'assemblée qui se tenait au séminaire de Saint-Sulpice. ...

On lut dans l'assemblée du peuple le procès verbal : c'était l'histoire de notre arrestation et non celle des accusations faites contre nous ; il n'y en avait aucune. Le peuple donna son avis, et on nous conduisit à la prison des Carmes ...

Mon jeune breton ne m'abandonna pas un moment pendant toute la route. Les expressions d'amitié et de regret, les serrements de main furent réciproques. Avant de nous quitter, il voulut sçavoir mon nom et ma patrie : il les répéta souvent pour les retenir ; il me donna les siens, "dans l'espérance, me dit-il, qu'un autre ordre de choses pourroit favoriser notre plus ample connoissance." Celui qui me précédoit pour entrer dans la prison (M. Ploquin) reçut un soufflet du garde qui le conduisoit : "Tiens, lui dit-il en le frappant, voilà le sceau de la bête." En se détournant il voulut également me frapper ; mais mon jeune breton l'arrêta et lui dit : "J'aime et protège celui-là."

Après un appel exact et une visite scrupuleuse pour ne nous laisser ni couteaux, ni ciseaux, ni canifs, nous fûmes introduits dans ce sanctuaire que trente fervents prêtres venaient encore de sanctifier davantage par l'offrande généreuse de leur vie.

... La surveille du massacre, à dix heures du soir, un commissaire de la commune de Paris vint nous signifier et nous lire le décret de déportation, et le fit afficher dans plusieurs endroits de la prison. Pouvions-nous nous imaginer que c'étoit une nouvelle insulte à nos malheurs, et une dérision outrageante qu'on ajoutoit à tant d'autres qu'on nous avoit faites jusqu'à ce moment ? Nos coeurs reprirent donc de nouvelles espérances : mais elles furent bientôt troublées et détruites par cette pensée que la déportation ne nous seroit accordée que comme le prix de notre obéissance au serment nouvellement inventé de liberté et d'égalité. Nous le connoissions ce serment, nous l'avions pesé devant Dieu, et nos Evêques nous avoient ouvert leurs coeurs, et fait part de leurs alarmes sur cette nouvelle tentation qui alloit éprouver l'Eglise de France. Nous étions résolus de ne pas même toucher des lèvres cette coupe qui n'en renfermoit pas moins un poison réel et mortel. Le samedi, veille du massacre, se passa, sans qu'on nous annonçât aucun terme à nos maux. Nous reprîmes donc notre état de sacrifice et de victimes. Nous étions dans ces dispositions, lorsque nous apprîmes la nouvelle encore prématurée de la prise de Verdun.

Les tambours qui battoient la général, le son du tocsin, le bruit du canon d'alarme, nous annoncèrent bientôt que le peuple était en fureur, qu'il demandoit des victimes, et que nous étions celles qu'on lui destinoit. La tranquillité de la prison n'en fut pas troublée un moment. Chacun rentra dans son coeur, rappela sa foi, demanda la grâce de Dieu, lui offrit sa vie, et continua en paix ses exercices. La récréation après le repas ne se ressentit pas de la froideur de la mort qui s'avançoit. La même gaieté et la même sérénité régnèrent dans la conversation. La circonstance seulement rappela à un ancien missionnaire de la Chine tout ce qu'il avoit eu à souffrir d'humiliations, d'affronts, de cruautés dans ce pays où il avoit été annoncer la foi, et comment plusieurs de ses confrères y avoient terminé courageusement une vie de travail, de souffrances et de gloire. Ce dernier trait de la mort de ses confrères était presque le seul qui ne nous convînt pas. L'appel pour aller au jardin nous sépara ; il étoit quatre heures du soir ; et le tableau de ressemblance fut bientôt achevé.

Un bruit épouvantable, des hurlements furieux, tels que les pousseroient des tigres affamés de sang, pénétrèrent tout à coup notre enceinte. La nature parla un moment : des cris de "nous allons périr" se font entendre. Mais la grâce triomphe bientôt : le plus morne silence annonce que chacun se prépare, et se dépouille pour aller au bûcher ou monter à l'échafaud. Je me réunis à plusieurs qui, les yeux fixés sur une image de la sainte Vierge, attendoient de son intercession la force et le courage de verser leur sang en esprit de foi et de religion. Au même instant nous jugeons par les cris redoublés des cannibales que la garde est forcée. Leurs blasphèmes affreux nous rappellent que c'est en haine de Dieu et de sa religion, que nous allons être immolés. Je cours au devant des bourreaux ; je les vois, la rage les transporte ; la soif du sang les précipite sur nous ; un d'eux me touche déjà de son arme tranchante ; j'allois périr ; mais le mouvement qu'il fait pour frapper son coup plus vigoureusement, m'en laisse faire un autre qui met entre lui et moi un mur de séparation. Il lui importait peu quelle victime frapper. Il m'abandonne et je franchis précipitamment le jardin où j'étais tombé. Je rencontre au pied du mur de clôture deux de mes confrères, mon cher Montfleuri et un diacre des Missions étrangères, que la Providence avoit protégé de la même manière. Nous escaladons avec vivacité ce premier mur très-élevé ; des espaliers fort bien attachés facilitent notre évasion. Le second jardin qui nous reçoit ne nous présentant aucune issue, nous passons dans un troisième. Bientôt nous avons traversé plusieurs appartements d'un hôtel voisin ; nous arrivons dans la rue du Cherche-Midi.

L'air naturel et tranquille que nous composâmes dans notre route, nous mit à l'abri d'une nouvelle arrestation, qu'un moment d'effervescence rendoit plus à craindre que jamais. Nous nous rendîmes chez nos connoissances pour reprendre nos sens. Mais les miens n'ont jamais été si troublés que dans ce moment. L'image de mes confrères, de mes amis mutilés, égorgés, se représentoit sans cesse à mon imagination ; je ne pus donner un moment au sommeil ; tous furent donnés à la douleur, aux plaintes et aux regrets. Que cette tristesse s'est renouvelée de fois depuis cette époque !

Le lendemain j'appris qu'une vingtaine avait échappé à l'horrible carnage. Je vous laisse à penser combien j'avois d'intérêt à les revoir. Notre entrevue fut celle de quelques passagers qui se retrouvent après une horrible tempête, qui a englouti l'équipage avec ce qu'ils avoient de plus cher au monde. Nous donnâmes un libre cours à nos larmes qui ne fut arrêté que par cette pensée ... que ceux sur qui nous pleurions étoient en paix. ...

Je voulois transcrire cette relation ; mais je ne le sçaurois ; ma santé est aussi délabrée qu'elle fut jamais brillante.

Je suis avec considération
Votre très-humble et très-obéissant serviteur
FRONTAULT

Bulletin historique et monumental de l'Anjou
1868

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