Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
17 mars 2013

RÉCITS VENDÉENS ♣ LA MÉTAIRIE BRULÉE ♣ 1ère partie

1ère partie

La Fromentière est une ferme cachée dans un des cantons les plus sauvages et les moins accessibles du Bocage vendéen. C'est ce qui explique pourquoi, au moment où s'ouvre notre récit, c'est à dire dans les derniers jours du mois de mars 1794, elle est debout, intacte, habitée, comme dix ans auparavant et comme si rien d'extraordinaire ne se passait dans les campagnes environnantes. - Il est des nids si bien enfouis dans l'épaisseur du buisson qu'ils échappent à toutes les investigations des maraudeurs. - Grâce à Dieu et aux impraticables chemins des alentours, la Fromentière n'avait pas jusqu'à cette heure cessé de jouir de ce rare et inestimable privilège.

Il est huit heures du soir. Au dehors, l'obscurité profonde n'est éclairée de temps à autre que par quelques rayons de la lune qui essaie de percer les nuages, poussés par un vent d'ouest assez impétueux. Dans la ferme, le repas vient de finir. Un feu de genêt qui s'éteint et la chandelle de résine, brûlant comme un cierge dans le coin de la cheminée, jettent des lueurs incertaines et rougeâtres qui laissent à peine distinguer les personnages réunis dans la chambre principale.

Pierre Blaineau, le chef de famille, a pris une chaise en quittant la table et s'est posé en face du foyer. Les deux mains sur ses genoux, il regarde la flamme du genêt et se laisse aller à une rêverie qui l'absorbe entièrement. C'est un homme de quarante-cinq ans, de moyenne taille, et encore dans la vigueur de l'âge. Ses longs cheveux commencent à grisonner ; ses traits accentués indiquent un caractère plein d'énergie.

A droite et à gauche du foyer, ses deux fils, Jean et René, l'un âgé de dix, l'autre de treize ou quatorze ans, sont assis sur des escabeaux et s'amusent à pousser dans le feu les petits morceaux de genêt et les brindilles qui n'ont pas été saisis par le premier embrasement de la flamme.

Debout, le long d'un des lits, la mère Blaineau accroche sa quenouille à son côté et se dispose à tourner le fuseau, jusqu'à l'heure peu éloignée du coucher.

Au milieu de la chambre, une jeune fille débarrasse sa table des restes du repas, enveloppe le pain dans sa nappe, va serrer les plats dans le garde-manger, mais sans rompre, autrement que par le bruit léger de ses pas, le silence que chacun observe depuis un bon moment, et que le grillon de l'âtre met à profit pour lancer son cri-cri monotone.

Autant qu'il est possible d'en juger dans la demi-obscurité qui l'enveloppe, Madeleine paraît avoir entre seize et dix-huit ans. Lorsqu'elle se rapproche de la lumière, on entrevoit que sa figure respire la douceur ; elle est blonde, ne manque pas de fraîcheur, et - chose peu commune - le hâle des champs n'a pas étendu sur sa physionomie sa disgracieuse empreinte.

Tout à coup Pierre Blaineau se lève comme poussé par un ressort, monte sur sa chaise, et saisit son fusil étendu au-dessus du manteau de la haute cheminée.
- Eh ! Jésus Maria ! quelle idée te prend donc, mon pauvre Pierre ? s'écrie sa femme, qui ne sait trop où il en veut venir. Pourquoi faire, ton fusil ? Vas-tu te mettre en campagne ?
A ces mots, Madeleine, René et Jean ont relevé la tête et attendent avec une certaine anxiété la réponse de leur père.K
- Calmez-vous, calmez-vous, les enfants ; ce ne sera toujours pas pour ce soir, si le bon Dieu le permet. Je pensais qu'il y a déjà du temps que ce brave fusil-là n'a pas été soigné, et m'est avis qu'un petit coup de nettoyage ne lui fera sûrement pas trop de mal.
Quand on attend de bons services de ses amis, faut pas les négliger.
- Mon père, fit Madeleine, est-ce que vous craignez ... ?
- Les temps sont durs, vous le savez bien, les enfants. A propos, comme dit l'autre, va toujours et se t'y fie point. Nous sommes tranquilles chez nous pour le quart d'heure ; ça durera-t-il ? Le bon Dieu le veuille ! En attendant, préparons nos défenses.

Sur un signe de leur père, René et Jean sortent prestement de leur coin, et bientôt ils déposent devant lui de vieux chiffons, de l'huile, et tous les ustensiles nécessaires à l'opération annoncée.
Et le Vendéen se met à fourbir la carabine.
- Mon père, dit Jean, racontez-nous donc comment vous avez pris ce beau fusil ; vous savez bien, ce jour-là que les paysans ont donné une si belle chasse aux soldats ... aux soldats ... comment les avez-vous donc surnommés ?
- Aux soldats de faïence, s'écrie René, parce qu'ils ne tiennent pas au feu.

Pierre Blaineau céda sans peine au désir de ses enfants et, pour la dixième fois au moins, il leur narra, à sa manière, la grande journée de Torfou à laquelle il se faisait gloire d'avoir assisté. En arrivant sur le champ de bataille, il n'avait pour arme qu'une faux retournée, - arme terrible, mais incommode. La bataille finie, il était revenu à la Fromentière, un sabre au côté - celui là même qui pend le long du mur - et dans les mains un excellent fusil, le tout formant les dépouilles opimes d'un Mayençais avec lequel il avait longtemps lutté et qu'il avait enfin moissonné d'un revers de sa redoutable faux.

Madeleine, qui s'était mise à filer près de la table, écoutait, bouche béante et le fuseau suspendu, le récit de cette lutte gigantesque, et, comme sa mère, poussait des soupirs et des exclamations de pitié. Quant aux deux enfants, le cou tendu vers le narrateur, ils ne respiraient plus, leurs coeurs battaient, leurs yeux brillaient, et l'on sentait que s'ils plaignaient quelqu'un, c'était eux qui, trop jeunes, n'avaient pu prendre part à cette héroïque mêlée.
- Oh ! ce Louis, est-il heureux d'être venu avant nous au monde ! s'écrièrent-ils en même temps.
Pierre Blaineau avait achevé de polir le fusil, qui luisait comme un étang sous le soleil. Il le tint debout entre ses jambes, puis, le faisant sonner d'un coup sec de sa main droite ;
- Ah ! nous en avons vu tous deux, mes bons amis ! et si j'entreprenais de vous raconter nos aventures brin à brin, nous ne ferions pas, cette nuit, grand mal à nos draps.
- Dieu merci, mon père, dit Madeleine, voilà tantôt deux mois bien comptés que le sabre et le fusil n'ont pas bougé de dessus la cheminée. Si le ciel écoutait mes prières ...
- Et les miennes donc ! interrompit la mère Blaineau, en joignant les mains et levant les yeux.
- Si le ciel voulait nous entendre, il ne serait plus question de cette affreuse guerre.

- A qui la faute, mes pauvres enfants ? répartit Pierre Blaineau.
Que ces Bleus de malheur nous laissent en paix, qu'ils s'en aillent au diable - d'où ils sont venus, - et nous sommes tout prêts à accrocher au clou nos fusils et nos sabres ; et nous ne songerons plus à rien autre qu'à labourer, semer, moissonner, faucher, panser nos bestiaux, prier le bon Dieu soir et matin, et à aller prendre la messe au bourg, le dimanche. Mais, je vous le dis, ces enragés ne sont pas à bout de causer de la misère au pauvre monde. Ils font le mal partout, toujours, et rien que pour le plaisir de le faire. Et tenez, la dernière fois que ce fusil m'a servi, ne se sont-ils pas conduits encore en infâmes scélérats qu'ils sont ? Nous étions, comme vous savez, réfugiés dans le bois de Vezins. Voilà tout soudain que monsieur Henri et monsieur Stofflet nous disent comme ça : "- Mes enfants, les Bleus sont à deux pas d'ici, à Nuaillé, où il mettent le feu. Chassons-les, et vive le Roi !" - Et nous courons. Pan ! pan ! pan ! ... Ces beaux messieurs décampent, que c'était une bénédiction de les voir filer comme des lièvres. Nous avions toujours suivi monsieur Henri. Il tressautait d'aise sur son cheval. - "Ca va bien, mes amis, ça va bien !" nous criait-il. - Nous revenions sur la route qui mène à Cholet. Voilà que quelques bons gars sautent vivement dans un champ de blé, et courent, et courent, mon bon Jésus ! ... Monsieur Henri s'arrête, regarde : - "Qu'y a-t-il ? Que se passe-t-il ?"
- "Monsieur Henri, voyez-vous pas ? ce sont deux grenadiers qui sont dépaves. Les gars vont leur enseigner leur chemin." - "Arrêtez ! arrêtez !" s'écrie monsieur Henri. - Et il pique son cheval, et le voilà ventre à terre dans le champ. Il était temps, sans quoi le compte des Bleus était bon. - "Ne leur faites pas de mal, mes bons amis ; je veux leur parler ; je leur fais grâce !" - Comme de juste, les gars s'écartent, quoique ça leur en coûte joliment. Un des deux maudits s'approche, présente son fusil par le petit bout à monsieur Henri, qui va pour le saisir ... le coup part ! ...

Pierre Blaineau ne put achever ; les larmes lui étranglaient le gosier. Sa femme et ses enfants pleuraient en silence, et il en était toujours ainsi, chaque fois qu'il revenait sur ce lamentable drame.

- Justice du ciel ! reprit-il en se redressant, quand nous vîmes ce pauvre cher jeune homme, cet ange du bon Dieu, pour qui nous aurions donné dix fois notre sang, quand nous le vîmes étendu là, mort ..., oui mort ! le crâne fracassé, oh ! avec quelle rage nous saisîmes nos fusils et l'assassin fut abattu comme un chien gâté par vingt coups à la fois, et massacré, haché, pilé ! ... Il nous semblait que sa mort allait rendre la vie à notre général bien-aimé ! ... Hélas ! c'était fini, c'était à jamais fini ! ... Et vous voulez, après cela, les enfants, que j'attende quelque chose de bon de ces damnés ! ... Non, non, voyez-vous, entre eux et nous c'est une guerre à mort ! ...

Pierre Blaineau se rassit et Madeleine s'approcha de lui et avec son mouchoir essuya la sueur qui dégouttait de son front et l'embrassant avec tendresse :
- Si vous voulez, mon père, nous dirons ce soir ensemble un Pater et un Ave pour le repos de l'âme de ce bon monsieur Henri.
-Disons-le tout de suite, fit la mère, et allons au lit, car il se fait tard, et les bêtes en pâtiraient demain matin.

Le fusil fut réintégré à sa place accoutumée ; on s'agenouilla sur la pierre du foyer et sur la terre qui faisait le sol de la chambre ; Madeleine dit à haute voix et avec un recueillement touchant le Pater et l'Ave auxquels on répondit, puis on se levait pour aller se coucher, quand un sifflement aigu se fit entendre au milieu du silence.
- Qu'est cela ? dit Pierre Blaineau à demi-voix et en courant à son fusil.
- Jésus, Marie, protégez-nous ! s'exclamèrent les deux femmes.

Le petit Jean s'était réfugié dans la robe de sa mère, tandis que René s'efforçait d'atteindre le sabre du Mayençais.

Au bout d'une minute, le même sifflement se répéta en se rapprochant, puis un troisième, et l'on entendit des pas pressés dans la cour.

- Ah ! Dieu soit loué ! s'écria Pierre Blaineau, en déposant son fusil, c'est Louis qui nous arrive !

Au même instant, celui que l'on appelait Louis franchissait le seuil, et tous les bras s'ouvraient pour le recevoir, et toutes les lèvres se hâtaient pour l'embrasser, au milieu des cris de joie et des exclamations du bonheur le plus vrai.

... à suivre ...

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité