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La Maraîchine Normande
17 mars 2013

RÉCITS VENDÉENS ♣ LA MÉTAIRIE BRULÉE ♣ 4ème partie

4ème partie


Quel réveil ! ... Elle crut d'abord à un rêve ; puis, un cri déchirant s'échappa de sa poitrine ; elle enfouit sa tête dans ses mains et elle tomba sur le sol comme une morte.
- Allons, la belle, allons, pas tant de grimaces ! disait Bécavin en se baissant pour la relever. Ne dirait-on pas que ça n'a jamais envisagé un homme en face ! ... Au fait, ça ne connaît que ses momeries, son curé et son bon Dieu ! ...
Il laissa les trois hommes à la garde de la prisonnière ; puis il appela le caporal Manlius et se retira avec lui un peu à l'écart pour délibérer sur le cas.

Au même instant, René, qui avait entendu le cri perçant de sa soeur, accourait de la Rivière et sautait par-dessus un échalier dans le pré.
- Un louveteau ! un louveteau ! crièrent les Bleus.
Ils le mirent en joue, et René, qui avait la rage dans le coeur, mais qui, voyant sa soeur prise, ne songeait point à s'enfuir, fut saisi au collet et gardé à vue auprès d'elle.

Bécavin et Manlius, que cet incident avait dérangés dans leur délibération, reprirent leur grave conseil de guerre, et ils agitèrent la question de savoir si, comme le disait la chanson, l'airain allait vomir le trépas de ces traîtres ou si le détachement les emmènerait avec eux au quartier.

Le trop sensible Bécavin, qui n'en était point à son coup d'essai, penchait pour le premier parti ; Manlius pour le second.
- A ta place, disait-il à son chef, je les remorquerais. Ça n'est pas amusant, j'en conviens ; c'est reculer pour mieux sauter, car ils sauteront toujours le pas, j'en suis sûr ; mais Cordelier entrera dans une colère rouge si tu lui rapportes que nous avons battu pour rien les buissons ; tandis que le frais minois de la petite le mettra d'une humeur d'ange. Tu sais qu'il est amateur, le coquin !

Quelle était la pensée du caporal ? Etait-ce un intérêt déguisé, un reste d'humanité, le souvenir d'une soeur, qui le faisait penser et parler ainsi ? On aimerait à le croire. Toujours est-il que Bécavin se rangea à l'avis de son inférieur.

Lorsque les Bleus avaient paru dans la prairie, la Rousse ne les avait pas aperçu tout d'abord ; mais, au moment où ils entouraient Madeleine, elle s'était soulevée tout d'une pièce, et en bondissant avait pris sa course vers l'autre extrémité. Elle cherchait à s'enfuir du côté de la métairie. Là encore il y avait des soldats ; et elle restait à distance égale des deux groupes, le corps à moitié plongé dans le buisson, soufflant violemment et faisant des efforts inouïs pour s'échapper dans le taillis.

Un des gardiens de la maison dit tout à coup :
- Eh ! les autres ; il y a longtemps que nous ruminons du petit salé ; un quartier de viande fraîche, ça ne vous ferai-il pas plaisir ? Tenez, en voilà là-bas qui se promène. Je m'en vas tout simplement appréhender la bête, et, avec la permission de l'autorité, nous la tirerons par le licou jusqu'au bivac.
- Bien trouvé ! répondit-on.
Tenant son fusil d'une main et tendant l'autre pour saisir la corde, le républicain marcha à grands pas vers la vache.
A mesure qu'il approchait, la pauvre bête reniflait, tremblait de tous ses membres, battait ses flancs de sa queue, et pesait de tout son poids en reculant vers la haie qui s'écrasait.
- Là, là, bellement, faisait le Bleu. Chien de pays, où l'on ne sait pas qui est le plus sauvage, les bêtes qui mangent de l'herbe ou les bêtes qui mangent du pain !
Et il saisit le licou.
- Ah ! ah ! je te tiens tout de même, vache de brigand !

Il n'y avait pas de quoi se réjouir ; la Rousse baisse la tête, enfonce sa meilleure corne dans le ventre de l'imprudent, qui saute en l'air comme une balle, pirouette sur lui-même et va retomber lourdement à six pas, son fusil de ci et lui de là, qui vomit le sang à pleine bouche.

Une double clameur s'élève aussitôt de chaque groupe, et les fusils s'abaissent et foudroient l'animal assez sauvage pour se souvenir et pour avoir peur et horreur des uniformes.
La détonation avait rappelé Madeleine à elle-même ; elle s'était redressée en sursaut. Quand la pauvre Rousse s'affaissa sans vie sur le gazon qui l'avait nourrie si longtemps, on eut dit que le frère et la soeur avaient été foudroyés comme elle, et de grosses larmes roulaient sur leurs joues.
- Ainsi jusqu'au dernier, s'écria solennellement Fleurdepied, puissent périr les animaux du fanatisme !
- En attendant, répliqua Manlius, notre pauvre diable de camarade est assez mal troussé !
Il fallut faire un brancard. Le sergent donna l'ordre de se mettre en marche ; au milieu du détachement, et les mains liées derrière le dos, étaient placés les prisonniers, - les deux agneaux que l'on menait à l'abattoir, avec cette différence, tout en faveur des agneaux, qu'ils ne connaissent pas le sort qu'on leur réserve.
- Le blessé venait ensuite ; mais il n'embarrassa pas longtemps ses amis ; moins d'une heure après le départ, il rendait l'âme avec un dernier flot de sang. On le déposa, sans plus de cérémonie, sous un chêne, puis on continua à cheminer.

Cette sanglante aventure avait glacé la gaieté ; personne ne desserrait les dents, et Fleurdepied ne se sentait pas la plus petite vélléité d'entonner un des cent flons-flons de son répertoire.
- C'est bête et embêtant, pas moins, se contenta de dire le philanthrope Bécavin, de finir comme un chien par la malice d'une misérable vache ... et d'une vache écornée encore !

Ce fut là toute l'oraison funèbre de la victime de la Rousse. Celle de la pauvre bête, dont la fin avait provoqué les larmes et les regrets de deux coeurs vraiment sensibles, était sans contredit plus éloquente.

Dix heures du soir sonnaient à l'église de la Trinité, quand la petite troupe fit son entrée dans la ville de Clisson, récemment tombée au pouvoir des républicains.

Le jour commence à poindre. Dans la plus grande chambre d'une maison dont la façade donne sur la rue qui conduit au château, et regarde par derrière la Sèvre qui coule au bas de son jardin et dont on entend le charmant murmure, nous retrouvons nos amis, René et Madeleine, assis sur un banc de bois adossé à la muraille, entre deux soldats, le caporal Manlius et l'un des hommes du détachement.
Le mobilier de cette pièce, blanchie à la chaux, se compose de quelques chaises de paille rangées devant une table en sapin placée au fond, et derrière laquelle s'étale un vieux fauteuil en velours ponceau, flanqué de deux chaises également de paille. Devant chacun de ces sièges, un cahier de papier blanc, une écritoire carrée en plomb et des plumes couvrent la table. Au-dessus du fauteuil et attaché avec clous, on admire un dessin colorié, dont l'exécution est sans doute un peu primitive, mais le sujet la rachète amplement ; il représente un niveau égalitaire traversé par une pique, laquelle est coiffée d'un bonnet phrygien, dont la teinte, du carmin le plus vif, contraste agréablement avec les rayons, du plus beau jaune serin, qui font autour dudit bonnet une splendide auréole. Le long des côtés du triangle symbolique, on lit ces mots : Liberté - Egalité - Fraternité ;
puis ce couplet sous la base du triangle :
Ah ! le patriote enchanté
Chérit les lois, l'égalité ;
Son niveau, voilà son emblème ;
Sa devise est la vérité,
Et son flambeau l'Etre-Suprême.

Madeleine est pâle assurément ; elle ne lève pas les yeux et semble absorbée par une contemplation intérieure, peut-être par la prière, car ses lèvres remuent ; mais on ne découvre pas dans ses traits l'abattement qui y serait pourtant bien naturel ; ils reflètent plutôt une mélancolique résignation. Quand à René, il est le même ; on dirait qu'il ne se doute pas de la scène qui va se jouer. Il regarde obstinément et d'un air fort intrigué la flamboyante image de la muraille, et il se creuse le cerveau pour en saisir le sens hiéroglyphique. Une seule chose lui paraît claire : il prend le bonnet rouge pour un coquelicot la tête en bas et assez mal imité.

Au bout de quelques minutes, une porte s'ouvre derrière le bureau et donne successivement passage à quatre personnages dont le premier s'installe au fauteuil, les deux autres, - un capitaine et un lieutenant, - s'asseyant à ses côtés, et le dernier prend une chaise et va se poser un peu à l'écart, en face des prisonniers, qu'il regarde d'un air narquois, tout en tirant sa longue et vieille moustache : c'est le sergent Bécavin, dit Francoeur.

Le président de ce tribunal militaire, qu'on reconnaît de suite pour un général, à ses épaulettes à gros grains et à son habit chamarré d'or, est un de ces types effacés dont on ne sait trop que dire. Point de distinction dans cette physionomie, mais rien non plus qui peigne la férocité dont cette âme s'est fait une douce habitude. On s'attend à voir une tête fortement accentuée, quelque chose de saisissant et de monstrueux qui donnerait presque au crime une sorte de grandeur, une face de tigre enfin ; et c'est tout au plus la plate et mesquine figure de la hyène au repos qui s'offre à vos regards déçus.

Tel était l'un des douze satellites de Turreau et l'un des plus sanguinaires, le fameux général Cordelier.
Après avoir un instant examiné en dessous le frère et la soeur, - surtout la soeur ;
- Caporal, dit-il, fais avancer les prévenus.
D'un peu pâle qu'il était tout à l'heure, le teint de Madeleine s'était subitement coloré des roses de la pudeur quand elle s'était vue exposée au feu des regards brillants de convoitise, incessamment dardés sur elle par les trois juges.
Les premières demandes d'usage ayant été faites :
- Citoyenne Madeleine Blaineau, ajoute Cordelier, tu es accusée, ainsi que ton frère, René Blaineau, ici présent, d'avoir conspiré contre les lois de la République une et indivisible, en cachant des prêtres réfractaires ... Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
- Pas grand'chose, monsieur, répond-elle d'un ton de voix doux et tranquille ; pour les cacher, il aurait fallu voir ces messieurs prêtres ; et, je vous le jure bien, monsieur, je n'en ai pas rencontré un seul depuis que la guerre se fait.
- Monsieur ! messieurs ! répartit aigrement Cordelier ; il n'y a pas de messieurs ici ; nous sommes des citoyens. - Je continue : - On vous a pris tous les deux dans un repaire, dont la flamme vengeresse de la Nation avait déjà fait justice ; depuis quand étiez-vous là ?
- Depuis huit jours, monsieur ... citoyen.
- Et de quoi y viviez-vous ? De cendres, de pierres ou d'herbes, puisqu'il n'y avait pas autre chose ?
- Pardon, citoyen ; nous avions découvert une chambre qui n'avait pas été brûlée ; il y avait une maie et un peu de farine dedans. J'en ai fait deux pains.
- Ah ! ... et comment étaient-ils larges, les pains ?
- Dame, citoyen, fit Madeleine en souriant ingénument, ils n'étaient toujours pas plus large que la gueule du four !

Toute l'assistance se sentit prise de l'envie de rire, mais on la maîtrisa ; car le représentant de la justice révolutionnaire n'était pas là pour rire, lui, et partant, pour se laisser désarmer.
Il s'écria avec une mauvaise humeur de plus en plus marquée :
- Ah ! oui, tu te passes la plaisanterie, brigande ! Eh bien, puisque tu as vu la gueule du four, nous allons bientôt te faire faire connaissance avec la gueule du p....

Un officier, qui venait d'entrer rapidement par la porte de derrière et qui se penchait vers Cordelier pour lui parler, l'empêcha d'achever le dernier mot. Il lui dit à demi-voix, mais pas assez bas pour que tout le monde ne l'entendit :
- J'ai à te dire, général, que nos éclaireurs nous signalent la présence d'une bande de brigands à une lieue d'ici. Que veux-tu qu'on fasse ?
- Qu'on double partout les postes, et qu'on m'attende ; je te suis.
Puis, après avoir, en moins d'une seconde, pris l'avis de ses deux acolytes, il se retourna vers les accusés :
- Voyons, il est temps d'en finir. - Toi, fille Madeleine Blaineau, et toi, René Blaineau, la Justice vous reconnaît coupable au premier chef d'incivisme (leur qualité de Vendéens), de fanatisme (la croix et le chapelet de Madeleine) et de recel de prêtres réfractaires ; et pour ces causes, dont une seule serait plus que suffisante, elle vous condamne tous deux à la peine de mort.

Madeleine et René levèrent en même temps les yeux au ciel. La jeune fille, qui sentait mieux que jamais, depuis un quart d'heure, de quels périls son innocence était entourée, rendait grâces à Dieu de cette sentence ; et puis, aller au ciel, n'était-ce pas rejoindre toute sa famille ... et Joseph lui-même ? - René, le pauvre enfant, n'était pas si résigné ; son sang bouillonnait sans ses veines, et il appelait la justice céleste à son aide contre la justice de ces bourreaux.
- Fille Blaineau, écoute-moi, reprit Cordelier d'un ton radouci : bien que tu te sois entachée de crimes épouvantables, la République tient à te montrer qu'elle est une bonne mère, et que si elle n'hésite jamais à sévir contre le coupable endurci, elle consent toutefois à pardonner, quand le coupable manifeste un sincère et profond repentir ... Nous te ferons grâce de la peine capitale, si tu veux nous jurer de devenir une vertueuse patriote, une vraie citoyenne, et, comme telle, de renoncer à tous rapports avec les aristocrates et les calotins. Dis-nous donc : Je le jure ! et puis scelle ton serment du cri de : Vive la République ! ...

Madeleine n'en croyait pas ses oreilles. La Fromentière en cendres, ses parents, son fiancé égorgés, René qui allait périr, le piège exécrable tendu à sa vertu, tout cela passa comme un éclair devant ses yeux, et, d'une voix vibrante, elle s'écria :
- Vive Dieu et le Roi !
- Vive Dieu et le Roi ! répété René avec enthousiasme en agitant son chapeau.
- Soldats, au château ! dit Cordelier avec rage.
Et la séance fut levée.

... à suivre ...

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