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La Maraîchine Normande
6 mars 2013

LES ANGOISSES DE LA MORT OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS ♣ 1ère partie

LES ANGOISSES DE LA MORT
OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS

écrites dans les prisons d'Arras par deux Dunkerquois
POIRIER ET MONTGEY
EN 1794

1ère partie

... Notre âme, encore oppressée, se soulève, & notre voix se joint à celle des tombeaux pour vous crier : Hommes justes, le sang innocent a coulé ! ... La liberté a été poursuivie jusque dans la conscience des hommes libres, la justice & l'humanité ont été outragées.
(Extrait de l'Adresse des Citoyens d'Arras réunis en assemblée générale, à la Convention nationale du 15 thermidor)

Une loi bienfaisante nous invite à dénoncer l'oppression & les oppresseurs ; il faut lui obéir & rompre enfin le silence, qui n'a que trop longtems enseveli dans l'ombre du mystère, les persécutions que nous n'avons cessé d'éprouver pendant notre détention.

Capture plein écran 06032013 104524Vérrouillés dans les prisons de la commune d'Arras, nous avons été successivement témoins de l'enlèvement des victimes destinées aux massacres, dont Joseph Lebon se faisoit une fête, & qui lui tenoient lieu de partie de plaisir.

Si nous avons échappé à l'instrument de mort, suspendu pendant quatre mois sur nos têtes, nous ne le devons qu'au réveil vengeur de la Convention nationale, sur la conduite d'un de ses perfides mandataires ; il n'est aucun de nous qui ne doive son salut à la connoissance qu'elle a acquise de nos dangers.
Nos malheurs ont commencé avec le renouvellement des autorités constituées ; amenées, pour ainsi dire, à la force armée en la ville d'Arras, des hommes pervers & n'ayant d'autre aptitude que celle du mal, se sont emparés des places, qui, pour le bonheur des administrés, ne devroient être occupées que par les hommes vertueux & instruits.
Sans doute, il en est dans toutes les classes ; mais plus ceux-ci avoient démérité, plus ils étoient en but aux jalousies, aux inimitiés ; leur modestie ne les en garantissoit pas.
L'abus d'autorité devoit être une conséquence d'une organisation, qui n'avoit pas été le fruit d'un choix libre & réfléchi, & encore moins celui d'une bonne intention.

La loi du 17 septembre 1793 (vieux style) avoit eu pour objet d'éclairer les administrateurs sur les cas où ils pourroient employer les mesures rigoureuses de sûreté générale, en un mot, les arrestations. Elle déterminoit également la formalité, qui, dans ces cas, devoit être suivie.
L'article 4 de cette loi vouloit que "les membres du Comité de surveillance, ne pussent ordonner l'arrestation d'aucun individu sans être au nombre de sept & à la majorité absolue des voix."
Cette forme supposoit donc que personne ne seroit arrêté par ordre du Comité sans une délibération ad hoc, & qui fût motivée sur un des cas exprimés par cette loi ; il étoit à présumer que les autres autorités seroient jalouses pour leur propre justification, & par respect pour cette même loi, de ne jamais attenter à la liberté d'un citoyen sans se conformer à ses dispositions.

ÉPOQUE DES ARRESTATIONS

Toutes avoient eu le tems de la méditer, puisque la première époque des arrestations, qui répandit l'effroi dans l'âme des citoyens de cette ville, date du 17 octobre suivant, & qu'elle s'est perpétuée sans relâche pendant l'espace de sept à huit mois.
On aura peine à croire que sur deux à trois mille individus, il n'en est pas un vis-à-vis duquel ces formalités ayent été observées, & qu'ainsi tous ayent perdu leur liberté au mépris de cette même loi, qui étoit leur sauvegarde.

En effet, l'un est arrêté parce qu'il a, dit-on, l'aristocratie gravée dans le coeur ; un autre, parce qu'elle est peinte sur sa figure ; celui-ci, sous le prétexte d'une destitution supposée & démentie par des actes publics ; celui-là comme suspect sans autre énonciation ; un autre sur l'observation d'un seul membre ; un autre parce que son père, son frère ou un autre de ses parens étant déjà en arrestation, il convient aussi qu'il y soit ; d'autres enfin, & c'est le plus grand nombre, sans aucun motif, sans aucune délibération ou procès-verbaux, & sans aucune cause connue, soit de la part du Comité de surveillance, soit de celle des autres autorités.
Il en est même que l'on croyait libres chez eux, quoique depuis près d'un an ils fussent dans les fers.
On cessera d'en être étonné lorsqu'on saura qu'il n'étoit pour ainsi dire aucun membre des administrations diverses qui ne se crût en droit de faire enlever de sa propre autorité, de son propre mouvement & sans le concours des administrations dont il étoit, tel ou tel citoyen qui lui déplaisoit.

Le Comité de surveillance s'étoit apperçu de cet abus, & avoit pris des résolutions qui sembloient devoir garantir les citoyens de cette atteinte à la liberté ; mais cette résolution, quoique de juste obligation & quoiqu'amenée par la conviction intime du civisme des citoyens incarcérés, n'eut de stabilité que pendant quelques jours, & fut après cela totalement oubliée.

A l'égard des femmes, les mêmes vexations se pratiquoient, & l'immoralité de ceux qui se les permettoient, ainsi que la vertu de celles qu'ils attaquoient, en étoient souvent la seul cause. Leur perversité n'en permettoit pas l'aveu, & conséquemment à l'égard de celles-ci, il n'existoit aucun acte qui désignât le motif de leur arrestation.

Nous n'entendons pas dire que les administrateurs quelconques fussent tous coupables ; il en est sans doute qui n'ont eu, ni pu avoir d'autre alternative que celle du morne silence, ou celle de se voir enveloppés dans la même proscription que nous.
Mais les pervers qu'il est permis de désigner d'après la voix publique, sont notamment les Daillet, Carlier, Oobrière, Duponchel, Darthé, Lefetz, etc., & tant d'autres monstres que Joseph Lebon avoit associés à ses crimes.
Combien, sans, doute, chers concitoyens, n'avez-vous pas été affectés douloureusement, lorsqu'on commença à arracher de leurs foyers & du sein de leur famille, des personnes, qui avoient les plus justes droits à votre estime, & dont vous eussiez garanti le civisme, s'il vous eût été permis de le faire, & que vos connoissances locales vous avoient fait distinguer de tout tems comme les amis de la paix, de l'ordre & de la justice.
Combien n'avez-vous pas été scandalisés, en apprenant les atrocités qui se commettoient lors de leur arrestation & du moment même où on les avoit conduit en prison, avec les mêmes humiliations que celles qu'on employoit dans les tems de la tyrannie, lorsqu'enfin vous aviez l'intime persuasion qu'ils n'éprouvoient ce sort que par esprit de vengeance particulière.

Vous vous disiez, ne craignant pas de vous comparer à la plupart de ceux qui étoient ainsi enlevés, quelle conduite faut-il donc tenir pour être à l'abri de semblables orages ? la retraite, la vie la plus ignorée vous parurent le moyen le plus sûr d'échapper aux mêmes outrages ; & cependant, en suivant cette route, combien parmi vous n'ont pu se soustraire aux fureurs de la même inquisition ; mais nous parlons à ceux qui ont eu le bonheur de rester dans l'oubli, et nous leur demandons quelle a été leur existence ? D'eux-mêmes ils faisoient de leur maison une prison, de laquelle ils n'osoient sortir ; mais vers le soir, lorsqu'on venoit frapper ou sonner à leur porte, quelle étoit leur situation ? Sans doute chaque coup de marteau ou de sonnette étoient pour eux autant de coups de foudre, & avant d'aller à la porte, combien parmi vous ne se livroient pas aux adieux les plus tristes ? Combien de larmes amères n'avoient pas déjà arrosé le sol de la liberté, qui, cependant, eu égard à vos craintes  continuelles, n'étoit que le sol de l'esclavage le plus pénible ?

Par une espèce de rafinement, les barbares divisoient l'exécution des nombreuses arrestations qu'ils avoient préméditées, & affectoient dans leurs mesures tyranniques une espèce de lenteur qui n'étoit que plus funeste pour ceux qu'ils devoient sacrifier. Ils publioient à l'avance que tels & tels seroient arrêtés, mais qu'il en étoit un plus grand nombre qu'ils gardoient in petto.
Par ces moyens, ceux dénommés gardoient leur domicile au milieu des alarmes & des pleurs de leur famille ; ceux qui ne l'étoient pas, gardoient pareillement leurs foyers dans l'espérance, qu'en ne se montrant pas, ils éviteroient la réclusion.

Déjà la ville cessoit d'être reconnoissable, eu égard à l'activité dont elle avoit joui sous les premières administrations révolutionnaires ; déjà les rues étoient désertes, & le petit nombre des habitans qu'on y rencontroit, sembloient étranger les uns aux autres, & ne s'entrevoyoient respectivement qu'avec l'oeil de la méfiance & de l'abattement.
Ces premières inquiétudes n'étoient que le prélude des autres chagrins que leur préparoient les atrocités qu'on ourdissoit dans l'ombre du mystère.

Les mois d'Octobre & de Novembre (vieux style) ainsi écoulés, un nouvel aurore sembloit naître sur la ville d'Arras & devoir y ramener le calme et la justice.

Laurent, digne représentant du Peuple François, aussi sévère qu'équitable, ne fut pas sans s'appercevoir, que la plupart des détentions n'avoit d'autres principes que le jeu des passions individuelles sous le masque du faux patriotisme.
Autant qu'il fût en son pouvoir, il écouta les justes réclamations des uns & des autres, & d'après les renseignemens qu'il se procura, un grand nombre dut à son équité éclairée, le triomphe de son innocence & le retour à la liberté.
Si on imaginoit que ceux, qui avoient été assez heureux pour faire proscrire ces actes arbitraires n'avoient plus rien à redouter, puisqu'un représentant avoit irrévocablement statué sur leur sort, on se tromperoit.
Car, peu de jours s'écoulèrent, sans qu'ils se soient vus exposés de nouveau aux fureurs des meneurs, ci-dessus désignés, de la commune d'Arras.
Ceux-ci cherchèrent à persuader, qu'on avoit surtout la religion du représentant Laurent ; qu'étranger à cette ville, il ne pouvoit connoître ses habitans. Ils profitèrent du moment où le service des armes exigeoit sa présence, pour rendre sans effet les actes de sa justice & réincarcérer ceux qu'il avoit jugé dignes de leur liberté.
Prévoyant le danger auquel ils s'exposoient en dégradant l'autorité de la représentation nationale, par la substitution de la leur, & en sens inverse, ils se flattèrent de couvrir l'odieux de leur conduite, en concertant avec Joseph Lebon les moyens de consommer leur persévérante inimitié.

Joseph Lebon avoit été momentanément envoyé en mission à Arras, pour dissiper un rassemblement de prétendus patriotes, qui s'y étoient rendus, pour y établir une ligue sous le titre de "Société populaire centrale des trois départements, du Nord, de la Somme & du Pas-de-Calais".
On profita de cette mission, pour demander qu'il fût spécialement chargé de tout ce qui pouvait être relatif à la commune d'Arras.
On calomnia peut-être Laurent, dans la vue de s'attacher un homme, qui quoique de la même ville que celle qui a vu naître le traître Robespierre, étoit déjà un de ses esclaves, & sans doute, ce fut par l'ascendant de celui-ci, qu'il fut accordé à cette demande par l'un des Comités de la Convention.

Pour disposer les réincarcérations projetées de ceux élargis par Laurent, voici la manière dont on s'y prit.
Le 1er janvier 1794, (vieux style), Lebon fit convoquer la "Société populaire d'Arras" ; il y parut accompagné d'une clique infernale ; il se permit d'annoncer, que la plupart des membres de cette Société ne méritoient pas d'y conserver leurs places ; qu'ils n'avoient ni assez de caractère, ni assez d'énergie pour emplir envers la Patrie, les services qu'elle avoit droit d'exiger de leur sévérité.

Se faisant aussi tôt représenter le tableau, il ouvrit le champ à des dénonciations stimulées, dont il se rendit seul le juge, pour de suite en rayer tous ceux dont les sentiments notoires n'auroient pû s'allier avec ses projets liberticides.
C'est ainsi qu'il désorganisa & refondit la "Société populaire d'Arras", pour ne la recomposer que de ceux qu'il se persuadoit devoir être constamment à sa seule dévotion.
Les choses ainsi disposées, il établit un prétendu scrutin épuratoire sur les citoyens mis en liberté par le représentant Laurent, d'après une liste préparée à cet effet. Chacun plaçoit son mot, chacun donnoit son épithète ; & c'étoit de leur part autant d'arrêts de proscription, autant d'insultes & de contraventions à la justice du représentant Laurent.
On décida dans cette même séance, qu'à l'avenir on ne pourroit mettre en liberté aucuns des citoyens incarcérés & à incarcérer, sans l'approbation de Lebon.
On poussa l'impudence, jusqu'à menacer d'emprisonner tout le Comité de Surveillance, si, dans les 24 heures, il ne réintégroit pas dans les maisons d'arrêt ceux qui en étoient sortis.

Ce Comité, présidé pour lors par un homme qui croignoit pour lui-même, gascon de nom & d'effet, marchand d'or & d'argent, condescendit à l'ordre impératif, non de la Société, mais de ceux qui en avoient usurpé le nom.

... à suivre ...

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