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La Maraîchine Normande
6 mars 2013

LES ANGOISSES DE LA MORT OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS ♣ 2ème partie

LES ANGOISSES DE LA MORT
OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS

écrites dans les prisons d'Arras par deux Dunkerquois
POIRIER ET MONTGEY
EN 1794

2ème partie

RÉINCARCÉRATION

En 24 heures de tems, depuis le grenier jusqu'à la cave, toutes les prisons regorgèrent de victimes.
On perdit de vue les tourmens que les citoyens élargis de l'Abbatiale avoient enduré. On oublia qu'on avoit déjà tout disposé pour les réduire à la vie commune & qu'on avoit imprimé & distribué avec profusion un règlement atroce.
On se plaignit de se voir entassés les uns sur les autres ; on sollicita tant pour la salubrité des détenus, que pour celle même des habitants de la ville, d'être moins foulés, mais ce fut en vain. On nous flagorna toujours par de fausses promesses.
Ainsi s'écoulèrent plusieurs décades, toujours bornés à ces vaines consolations, toujours vivant dans l'espoir d'une sortie très-prochaine.

Faciles à persuader, n'imaginant point que des hommes parvenus aux administrations, puissent être aussi corrompus & aussi traîtres qu'on les trouvera, nous nous adressions à eux avec une aveugle crédulité.
Ils abusèrent astucieusement de notre bonne foi, nous ne dirons pas tous, car le citoyen Effroy est à excepter de ce nombre ; qu'il reçoive ici le tribut de la reconnoissance, non pas d'un seul malheureux, mais de milliers d'infortunés qui ont gémi dans les différentes prisons de cette ville ! Nous espérons avoir encore occasion de le rappeller à nos concitoyens ; homme vraiment vertueux, vraiment patriote, qu'il est doux pour toi de n'avoir jamais paru au milieu de nous, que pour y porter des consolations !!! (Cet honnête citoyen venoit tout exprès pour autoriser les visites de nos parens & amis).
A l'exception, disons-nous, de cet être bienfaisant, tous s'étudioient pour aggraver nos malheurs.
A cette époque on nous insinua que Joseph Lebon, qui parcouroit le département, alloit revenir ; qu'il débuteroit par refondre les autorités constituées ; qu'on s'occuperoit des détenus & que l'épuration s'en feroit à la "Société populaire".

SCENES DU CLUB

Enfin, le moment d'y comparoître arriva ; nous l'avions attendu jusqu'alors avec tranquillité, parce que nous le regardions comme le signal de la justice, parce qu'effectivement on nous l'indiquoit comme le jour réservé au triomphe de l'innocence.
Mais l'appareil imposant qu'on mit à venir nous prendre, ne tarda pas à nous désiller les yeux.

Une compagnie de chasseurs & de gardes nationaux, annoncée par le son de la trompette & le bruit de la caisse, s'arrêtèrent vers les deux heures aux portes de l'Abbatiale.
Là, ils firent halte, chargèrent leurs armes & entrèrent tout-à-coup dans notre prison.
En vain, essayerons-nous de tracer ici tout ce que nous fit ressentir une entrée aussi effrayante, tout ce qu'on se rappelle, c'est qu'on vit des femmes tomber en défaillance, des filles se jetter dans les bras de leurs mères éplorées, des pères, des époux éperdus au point de ne pouvoir donner des secours à ce qu'ils avoient de plus cher, n'en recevant eux-mêmes que des citoyens qui étoient sans aucun parent détenu avec eux & qui, émus, par une scène aussi affligeante, ne pouvoient que se rendre foiblement utiles, quoique n'épargnant aucuns des soins qui dépendoient d'eux.

C'est ainsi que les meneurs, au milieu des bayonnettes, firent l'appel nominal des hommes & les placèrent pour les conduire partiellement sous escorte au club.
Là, on les rangea dans une salle particulière, les appelant alternativement & les faisant placer sur un siège de bois, élevé à la hauteur de dix pieds, pour être mieux exposés à la risée des malveillans et être plus en butte aux dénonciations de toute espèce ; en le disposant uniquement pour cet objet, on l'avoit nommé le "redoutable Fauteuil".
Alors tous les insatiables de crimes, de meurtres & d'horreurs, cramponnés à la table de notre fameux Joseph, se levèrent tour-à-tour, s'exhalèrent en propos injurieux.
Aux uns, ils firent un crime d'avoir de l'esprit ; aux autres, d'avoir des talens & des connoissances ; à la plupart d'avoir des moeurs & des principes.
Quelques-uns, cependant, obtinrent leur élargissement, & deux spécialement attendrirent tellement leurs concitoyens, que sur-le-champ on les rendit à la liberté (Ce furent les citoyens Stroupi & Lallart-Delbuquière cadet, mais replongés peu de tems après dans les fers).

Cette expédition dura environ trois heures, après lesquelles on nous reconduisit au lieu de notre détention de la même manière qu'on nous en avoit tiré ; c'est-à-dire, couverts d'opprobes.
Arrivés là, nos premiers soins furent d'annoncer aux femmes ce que nous avions éprouvé & de les résigner au courage.
Nous les vîmes aussi partir à leur tour, elles furent escortées comme nous l'avions été nous-mêmes & subirent les mêmes humiliations.
Car les familiers de notre Lebon, qui sembloient avoir épuisé sur nous toutes leurs fureurs, prirent envers elle le ton amer de la raillerie, & en leur prodiguant à toutes des fadeurs dérisoires, ils dressèrent à l'avance les prétextes qui, par suite, ont servi de base pour déterminer le meurtre de plusieurs de ces concitoyennes.

A celles qui réunissoient à la jeunesse le sourire des grâces & la candeur de l'innocence, ils leurs faisoient un crime de n'avoir pas fréquenté ces bals, où le désordre qui y régnoit, en écartoit tout ce qui avoit des moeurs ; à celles plus avancées en âge qui n'y avoient assisté que par crainte, ils leur reprochoient d'y avoir occupé la place des patriotes ; à celles, en un mot qui étoient parvenu à l'âge de repos, ils les inculpoient de même, en les blâmant encore d'être gangrenées du poison de leurs anciennes habitudes.
Voilà ce que ces infortunées nous apprirent lorsqu'elles vinrent se réunir à nous, fondantes en larmes.

Pour nous laisser respirer un peu, on parut nous oublier quelques jours, c'est-à-dire, pendant tout le tems que Lebon fut occupé à faire alternativement les mêmes opérations pour les autres prisons de la ville, & à reprendre ensuite ceux des autres prisonniers qui, par maladie ou autrement, n'avoient pas encore comparu au club.
Après avoir ainsi passé en revue une foule de personnes, il prit encore fantaisie à Joseph de vouloir y rassembler toutes les ex-religieuses qui habitoient la ville. Il leur enjoignit, sous les peines les plus graves, de se rendre à ses conciliabules. Là, il leur tint un langage obscène & inconnu jusque lors à des êtres dont la simplicité des moeurs étoit le plus bel ornement. Il leur fit des promesses, des menaces, il finit par envoyer celles qui ne prêtèrent pas le serment dans la maison de l'Abbatiale. Alors, quelques affidés de Lebon s'emparèrent de chacune d'elles, & la garde, à leur exemple, les traîna ignominieusement dans notre lieu de réclusion.
Ces misérables ont sans doute cru les punir en les envoyant parmi nous ; qu'ils se sont trompés ! ... à peine y furent-elles rendues, qu'on s'empressa, à l'envi des uns des autres, de les secourir & de leur donner des consolations.

REGLEMENT DES PRISONS

Le lendemain il survint des ordres plus rigoureux ; on défendit l'entrée du jardin ; on afficha un règlement digne du tartufe qui l'a rédigé, & qui, depuis, en a éprouvé avec nous toute la dureté.
En conséquence de ce règlement approuvé par l'exterminateur de notre déplorable ville, les hommes furent séparés des femmes ; toutes communications furent interdites.
Un obscur horloger venoit à tout instant insulter à nos malheurs ; il arrêta les papiers publics, défendit toutes communications à l'extérieur, & chaque fois qu'il paroissoit, sa sinistre figure nous présageoit de nouveaux chagrins.
Ce fut encore ce même ouvrier qui vint installer les directeurs ; il nous obligea de leur exhiber les billets que nous écrivions pour demander les choses nécessaires à la vie ; il nous assujettit à laisser visiter nos papiers & tout ce qu'on nous apportoit ; enfin, on nous intima la défense d'écrire, celle même de recevoir à manger : c'est sûrement ce qu'on aura peine à croire.

On commençoit ainsi par gradation à nous faire boire le calice amer de la douleur ; nous l'avons épuisé jusqu'à la lie ! ...

Quelques jours se passèrent dans le resserrement d'une plus étroite captivité, tandis que toutes les autorités constituées méditoient les moyens d'aggraver nos maux & d'indiquer les jours où ils exécuteroient leurs abominables projets.
Ils n'arrivèrent que trop-tôt, ces jours de deuil & de douleur !...

PREMIERE VISITE

Le 8 février 1794 (vieux style), vers les trois heures de l'après-dîner, nous entendîmes le son répété de la trompette & le bruit de la caisse ; nous ne savions à quoi en attribuer la cause, lorsque, tout-à-coup, nous fûmes surpris d'apprendre qu'une troupe de chasseurs & de gardes nationaux étoient aux portes de notre prison.
Vers les cinq heures du soir nous entendîmes des évolutions militaires en face de la maison ; les portes s'ouvrirent & on commanda à la troupe de charger ses armes.

Des affidés de Lebon présidoient cet appareil militaire ; nous étions tous dans nos chambres regardant d'un oeil inquiet ces préparatifs effrayans. Nous vîmes cette horde se concerter à la muette, & tout-à-coup on nous intima ce terrible ordre : "Que les hommes passent d'un côté & les femmes de l'autre ! ..." Alors la troupe se divisa en deux pelotons, l'un pour garder les hommes, & l'autre pour empêcher les femmes de les approcher.
Envisageant ce moment comme notre dernière heure, nous ne pensions qu'à rassembler toutes nos forces pour terminer avec courage une vie intacte & irréprochable.
Telle étoit notre affreuse position, lorsqu'un apôtre d'une religion anti-sociale, nommé Lefetz, aussi hypocrite que scélérat, s'avançant vers les hommes, en fit venir un, le fouilla, retourna ses poches & s'empara de tous ses papiers & en fit de même aux autres. Ce brigand poussa la duplicité au point de rendre les porte-feuilles en disant : "qu'il n'en vouloit pas à notre bourse."

Autant en faisoit le nommé Cavrois, marchand drapier entre les deux places, assisté du fameux Carrau, brasseur. Ils visitoient les femmes avec une indécence qui n'a pas d'exemple, & les dévalisèrent au gré de leurs caprices.
Cette fouille ayant durée environ trois heures, fut suivie d'autres excès.

Lefetz, cet homme qui, comme ses semblables, n'auroit jamais dû sortir de l'état de mépris & d'abjection où la Révolution l'a concentré, obligea tout le monde de rester dans les cours, s'empara de toutes les issues, y posa des gardes & leur tint ce langage : "Sentinelles ! ... si un de ces ... avance pour entrer, f...-lui la bayonnette au travers du ventre".

Nos dignes frères d'armes, qui jusque alors n'avoient pu se refuser d'obéir aux ordres qu'on leur avoit donnés, furent indignés d'une telle rigueur & n'eurent garde de l'exécuter. Ils mêlèrent leurs larmes avec les nôtres ; ils s'offrirent même à venger les cruautés qu'on nous faisoit endurer. Notre soin fut de les apaiser & de les engager à ne rien faire. Aussi depuis, nous avons remarqué que jamais ces mêmes frères d'armes n'ont reparu à l'Abbatiale.
Le but de cet ordre féroce n'avoit pour objet que d'exercer d'autres fouilles dans les chambres & d'en enlever le vin & les autres provisions qui s'y trouvoient.
Pendant tout ce tems, nous restâmes dans la cour au nombre de trois cens personnes, sans autre siège pour nous asseoir que les marches du perron.
Cette visite intérieure se prolongea jusqu'au lendemain sept heures du matin, que ces ivrognes se retirèrent gorgés des vins & des vivres qu'ils avoient raflés. Tandis que, d'un côté, une femme demandoit un pain, qu'une autre n'avoit d'autres ressources pour rappeller ses forces épuisées, que celles de quelques essences, ces scélérats s'étoient retirés dans la chambre des citoyennes Grandval, s'y chauffoient à l'aise, & y consommoient les vivres que plusieurs de nous avoient réservés pour le souper.

DEUXIEME VISITE

Le lendemain à pareille heure, même marche militaire, même commandement, même entrée, même ordre contre les détenus.
Lefetz, toujours à la tête, fit avancer un des hommes, lui demanda ses boucles, sa montre, son portefeuille, son numéraire ; il les fouilla tous, les dépouilla successivement & ne leur laissa d'autres vêtemens que ceux qu'ils portoient.
On mit tous ces objets dans des paniers à bras ; on n'y attacha qu'une mauvaise bande de papier, ainsi que sur les portefeuilles ; on se contenta de faire semblant de tenir des notes qui ne portoient aucune description des objets enlevés.

On en fit de même aux femmes, & ce nouveau Cartouche, après avoir tout disposé comme il l'avoit fait la veille pour la dépouille intérieure, fatigué des débauches qui avoient accompagné ses premières dilapidations, ne pouvant passer une seconde nuit, chargea les nommés Carrau et Cavrois d'enlever le reste de nos dépouilles.
A l'exemple de leur général, ceux-ci prirent tous nos effets, disposèrent en Mandrins d'une partie de nos literies ; déchirèrent le peu de livres d'histoire & autres dont on nous permettoit l'usage, & apposèrent le scellé sur tout ce qui fermoit à clef. Quant à nos vivres, ils furent perdus pour nous.
Nos représentations, pour qu'il nous fût permis d'emporter avec nous un faible nécessaire, ne reçurent d'autres réponses que la vaine promesse de nous remettre à chacun six chemises, six mouchoirs & six paires de bas.

Cette scène dura jusqu'au lendemain matin, & les détenus furent de nouveau exposés à l'intempérie de la saison.

... à suivre ...

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