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La Maraîchine Normande
2 mars 2013

MUSCAR, "BRAVE SOLDAT", FUSILLEUR DE FEMMES ...

Capture plein écran 02032013 214252Le Château d'Aux - La Montagne (44)

 

Le 2 août 1793, sur le rapport de Barrère, la Convention avait édicté un ensemble de mesures "tendant à détruire la Vendée et à exterminer cette race rebelle des Vendéens". Deux mois après, le 1er octobre, elle décrétait que, "le 1er novembre suivant, elle décernerait des honneurs et des récompenses aux armées et aux généraux qui auraient exterminé les brigands de l'intérieur". - "Il faut, portait la proclamation à l'armée révolutionnaire de l'Ouest, que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin d'octobre" (Moniteur du 2 octobre 1793).

On sait comment ces ordres impitoyables trouvèrent pour les remplir des bourreaux plus impitoyables encore. M. Albert Duruy (auteur de la biographie du Brigadier Muscar) a des accents indignés pour flétrir "l'abominable plan de destruction imaginé par la Convention, ce monument d'ivresse sanguinaire et de barbarie" ; il stigmatise avec force les misérables qui s'en firent les exécuteurs, Huché, Grignon, Turreau, Commaire, les deux Cordelier, Carpentier, Duquesnoy. Eh bien ! Muscar, "ce brave homme, ce brave soldat, qui ne fut pas seulement un vaillant à une époque de vaillance, mais qui eut toujours le mérite de bien faire, dans les diverses situations qu'il occupa, et dont la vie fut toute d'honneur et de devoir", Muscar fut l'émule des Huché, des Grignon et des Duquesnoy.

Une étude de M. Alfred Lallié, composée, comme toutes celles de ce patient et consciencieux érudit, sur des documents authentiques, puisés aux sources les plus sûres, va nous édifier sur ce point de la façon la plus complète.

Lorsque parurent les décrets de la Convention nationale, ordonnant l'extermination des Vendéens, Muscar tenait garnison, avec son bataillon et une centaine d'hommes de la garde nationale de Nantes, au château d'Aux, situé non loin de Bouguenais, sur le coteau de la rive gauche de la Loire qui domine Indret. - Il fit faire plusieurs battues dans les communes voisines. L'une de ces battues eut lieu le 1er germinal an II (21 mars 1794). En voici le récit, tracé par un contemporain :

"Une colonne infernale passe dans la commune (de Bouguenais) ; les soldats, dignes de ceux qui les commandent, entraînent les femmes sur le seuil de leurs portes ; ils les violent et les massacrent au milieu des cris et des lamentations de leurs enfants. Deux jeunes gens, Pierre et Jacques Lemerle, habitants des Couëts, sont trouvés dans leur lit, où les retenait la fièvre ; Ils y sont hachés à coups de sabre par le commandant Beilver et deux de ses volontaires. En un seul jour, 1er germinal, soixante et quelques personnes périrent ainsi dans cette commune ..."

Le patriote Beilver, qui dirigeait cette expédition, était le bras droit de Muscar et son intime ami. Il n'appartenait pas à l'armée ; c'était un homme de sac et de corde, qui fut poursuivi plus tard, en l'an V, pour crime d'assassinat.

A quelques jours de là, le 11 germinal (31 mars 1794), avait lieu une nouvelle battue ; 210 personnes - et parmi elles des femmes, des enfants, des vieillards - furent saisies et conduites au château d'Aux. M. Lallié a retrouvé, aux archives du greffe de Nantes, deux listes, dressées les 13 et 14 pluviôse an III, relatant le nom de ces malheureux et l'indication des circonstances dans lesquelles ils furent arrêtés. La première de ces listes, datée des Couëts et signée de vingt-quatre habitants, est intitulée : Noms des hommes et garçons qui ont été pris, liés en corde, le 31e jour du mois dernier, ensuite conduits au château d'Aux, par une colonne de volontaires, leur promettant à tous des billets civiques, afin d'être tranquilles à leurs travaux ; là rendus, on les a fusillés tous, à l'exception d'un petit nombre qui n'y ont pas été.
La seconde, datée de Bouguenais et signée de quinze habitants de la commune, commence ainsi : Liste d'une partie des habitants et cultivateurs de la commune de Bouguenais, qui ont été pris par la troupe du château d'Aux, sous prétexte de leur donner des billets de civisme, et qui, après y être arrivés, ont été fusillés et mis à mort.

J'ai ces listes sous les yeux, et j'y relève, presque en face de chaque nom, des indications du genre de celles-ci :

"Bessac (Pierre), du village de la Bouvre ; pris chez lui ; les volontaires lui dirent : Viens avec nous au bourg de Bouguenais, ton maire doit s'y trouver, il te donnera un billet civique."

"Bichon (Pierre) père et fils, pris à leur porte, allant à leur ouvrage ; leur promettant, comme aux autres, un billet civique".

"Berthaud (Charles), tisserand ; pris dans son jardin, tenant un enfant entre ses bras ; lui demandent son billet civique, leur dit qu'il n'en avait pas ; lui dirent : Viens au commandant, on t'en donnera un ; ensuite ont pris des cordes pour le lier".

"Biton (Jean) père, un des notables ; ayant été au village des Couëts, où était la colonne, pour réclamer ses voisins ; ayant un billet civique ; on l'a encordé comme les autres ; âgé de soixante-quinze ans, n'était jamais sorti de chez lui pour courir le brigandage ; au contraire, d'encourager tous ses voisins d'en faire autant ; quelque temps après sa mort, sont revenus faire pillage chez lui."

"Archin (femme de Pierre), née Marie Brisson ; prise chez elle et fusillée sur-le-champ et coupée à coups de sabre. Beilver lui avait dit : "Donne-moi ce que tu as d'argent et d'assignats, et tu n'auras pas de mal." Malgré cette remise, elle fut taillée en pièces. Il est à remarquer qu'avant de la tuer, Beilver la fit dévorer par son chien, mais, ennuyé, il dit à sa troupe : "Tuez-moi cette b.......-là, mais ne tuez pas mon chien." On tira pour lors, et la femme et le chien furent tués ; ce qui causa de grandes plaintes de sa part, en disant qu'il aurait mieux aimé perdre cent louis d'or."

Il ne s'agit point ici de prisonniers de guerre, d'hommes saisis les armes à la main, mais de pauvres paysans pris chez eux, dans leurs champs, à leur ouvrage, l'un "pris à semer des pois", un autre "pris à tailler", un autre "pris à tirer de la pierre pour la république."

A peine ces malheureux étaient-ils arrivés au château d'Aux que muscar avisait de leur capture le représentant du peuple Garreau, lequel requérait aussitôt "la commission militaire établie au Mans à la suite de l'armée de l'Ouest, de se transporter de suite au château d'Aux pour y juger les individus qui s'y trouvaient détenus".

En deux jours, les 13 et 14 germinal (2 et 3 avril 1794), la commission militaire jugea les 210 prisonniers. Un seul fut acquitté, Jean Lorient, âgé de treize ans. Les 209 autres furent condamnés à mort et fusillés sur-le-champ. Un des condamnés, Jean Herdot, n'avait que quinze ans ; trois autres n'avaient que dix-sept ans ; sept autres étaient âgés de soixante-douze à soixante-dix-huit ans. Outre ces 209 victimes, 60 autres environ avaient été fusillées sur place, lors des battues dirigées par Beilver.

Les exploits de Muscar ne se bornent point à ces horribles hécatombes de germinal an II. Si la fusillade en grand avait ses préférences, il ne dédaignait point de se faire à l'occasion le pourvoyeur de la guillotine. Voici ce que lui écrivait, en décembre 1793, le citoyen Lenoir, président d'une commission établie à Nantes par arrêt de Carrier et Francastel :

"Nous avons reçu ta lettre du 18 frimaire (8 décembre 1793) ; les quatre brigands sur lesquels elle contenait des renseignements ont été jugés de suite. Ils subiront ce jour la peine due à leurs crimes ; quand tu nous enverras des renseignements sur les cinq derniers, prompte justice sera faite ... Sois tranquille, la tête des coupables tombera ; nous en avons hier condamné sept : Vive la République !"

Mais envoyer des brigands à Nantes, c'est trop long ; et puis décidément la guillotine est trop lente. Muscar écrit donc aux membres de la commission Lenoir, le 8 nivôse an II (28 décembre 1793) :

"Encore sept brigands de fusillés hier. Tous les jours ce jeu patriotique va se reproduire, bien décidé à donner la chasse à mort à tous ceux qui infestent encore ces environs ; j'espère qu'aucun n'échappera à mon activité et à ma haine implacable contre tout ce qui ose fouler aux pieds les lois saintes de la République" (lettre originale de la main de Muscar / Archives du greffe de Nantes).

L'accusateur public de Nantes, le citoyen David Vaugeois, avait sans doute réclamé, trouvant que le commandant du château d'Aux rognait un peu trop l'office de la guillotine. Toujours est-il que Muscar lui écrit le 2 floréal (21 avril 1794) :

"Je vous envoie une petite collection de brigands, au nombre de quarante-cinq, que j'ai fait prendre hier au Pont-Saint-Martin. Vous en nourrirez la guillotine. Le citoyen Beilver, ce fléau des brigands, vous donnera des renseignements plus circonstanciés sur ces coquins. Que ne puis-je vous envoyer toute l'armée de Charette !"

Le lendemain :

"Je t'envoie Beilver, pour vous donner des renseignements sur les brigands que vous allez juger. Il porte une pièce de conviction trouvée chez eux : un habit de volontaire percé de balles et coupé de coups de sabre. D'ailleurs il ne faut pas de grands renseignements sur le compte de gens qu'on est moralement sûr d'avoir été les brigands : le tact révolutionnaire doit plus faire dans ces procès que les formes."

Et ce n'est pas tout. Ce "brave soldat", ce "brave homme", - Oh ! M. Duruy ! - était un fusilleur de femmes.

Le 7 germinal an II (27 mars 1794), Muscar écrivait au général Vimeux : "J'ai dans les prisons douze brigandes qui ont été condamnées à la peine de mort. Il y a, dans ce nombre, des mères qui ont des enfants à la mamelle ; c'est ce qui a fait suspendre l'exécution. J'ai consulté sur la conduite que j'avais à tenir les représentants ; ils ne m'ont pas encore répondu. Il est cependant urgent de tirer ces femmes de leur cruelle situation."

Dix d'entre elles en étaient tirées dès le lendemain par le sensible Muscar qui, pour ne pas prolonger plus longtemps leurs tortures, les envoyait à la mort. Voici dans quels termes il transmettait cette nouvelle à ses amis de la commission militaire de Nantes, par une lettre en date du 8 germinal :

"Je viens de faire fusiller dix brigandes ; une onzième, nommée Jeanne Bouneau, tout aussi coupable que les autres, étant femme d'un brigand et complice de son mari, est enceinte de cinq mois. Le conseil militaire assemblé pour la juger, craignant d'offenser la nature en suivant le cours rigoureux de la justice, a cru devoir la renvoyer à votre tribunal. Votre sagesse saura concilier les égards qu'on doit à son état avec l'inflexible sévérité de la loi (cette lettre de la main de Muscar porte sur l'adresse : "Aux membres de la commission militaire séante maison Pépin, à Nantes / Archives du greffe)."

Je laisse à un juge dont M. Albert Duruy ne récusera pas l'autorité, le soin de caractériser la conduite de l'homme qui fait fusiller des femmes, des vieillards de soixante-dix-huit ans et des enfants de quinze ans. Le 16 mai 1798, au moment de partir pour l'expédition d'Egypte, le général Bonaparte adressait aux commissions militaire de la 9e division l'ordre du jour suivant :

"J'ai appris, citoyens, avec la plus grande douleur, que des vieillards, âgés de soixante-dix ou quatre-vingts ans, de misérables femmes enceintes ou environnées d'enfants en bas âge avaient été fusillés, comme prévenus d'émigration.
Les soldats de la liberté sont-ils donc devenus des bourreaux ? La pitié qu'ils ont portée jusqu'au milieu des combats serait-elle donc morte dans leurs coeurs ? La loi du 19 fructidor a été une mesure de salut public ; son intention a été d'atteindre les conspirateurs, et non de misérables femmes et des vieillards caducs. Je vous exhorte donc, citoyens, toutes les fois que la loi présentera à votre tribunal des vieillards de plus de soixante ans ou des femmes, à déclarer qu'au milieu des combats vous avez respecté les vieillards et les femmes de vos ennemis. Le militaire qui signe une sentence de mort contre une personne incapable de porter les armes est un lâche."

Maintenant qu'il connaît le véritable rôle de Muscar en Vendée, M. Albert Duruy, j'en ai la conviction, regrettera de l'avoir présenté à la jeunesse comme un modèle à suivre.
Je n'insiste pas, et je me borne, en finissant, à tirer de cette étude deux conclusions.

La première, c'est qu'il ne faut pas se hâter, lorsqu'on est en face d'un républicain, de crier au héros et au "brave homme". Il importe, au contraire, si l'on ne veut pas être dupe, d'y regarder de près, de substituer aux apparences la réalité ; et alors qu'arrive-t-il presque toujours ? Le masque tombe, le républicain reste, et le héros s'évanouit.

Ma seconde moralité sera celle-ci. Lorsqu'on écrit à Paris, fût-ce dans la Revue des Deux Mondes, il ne faut pas dédaigner les humbles travailleurs qui mettent à profit les loisirs que leur fait la province pour écrire patiemment consciencieusement, des livres qui, s'ils ne font pas de bruit, n'en font pas moins de bonne besogne. Dans le cas présent, on vient de le voir, M. Albert Duruy ne se serait pas mal trouvé d'avoir consulté, avant de composer la biographie du Brigadier Muscar, le petit volume de mon modeste et savant ami Alfred Lallié :

On a souvent besoin d'un plus petit que soi.

CAUSERIES LITTERAIRES - EDMOND BIRÉ - 1890

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Commentaires
S
Le greffe du tribunal de Nantes ne possède plus que deux des jugements rendus par le conseil militaire du château d'Aux et signés tous les deux par Brutus Hugo (greffier). Le premier condamne à la peine de mort Marie Brosset, femme Joseph Gauthier, âgée de trente-quatre ans, coupable d'avoir fait du pain pour alimenter son mari, brigand. Le second a trait à une jeune fille âgée de quinze ans. Jeanne Onillon, accusée "d'avoir porté le fusil d'un brigand son oncle, qu'elle a dit être saoul." [Le Correspondant - 1882 - Nouvelle Série T.90 - page 623]
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