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La Maraîchine Normande
22 février 2013

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU ♣ DEUXIEME PARTIE (1)

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(Bourg, Thermidor, an VIII)

DEUXIEME PARTIE (1)

La réaction thermidorienne s'exerça évidemment avec la plus grande violence, pendant les années qui suivirent la chute de Robespierre, an III, an IV, an V, de la République française. C'est aussi pendant ces années que se commirent en très grand nombre les excès et les scènes de meurtre que nos contrées eurent à déplorer.
Mais, avec le temps, ces terribles représailles diminuèrent peu à peu de nombre et en quelque sorte d'intensité. Le gouvernement commençait à se reconstituer d'une manière solide et durable en France. Aussi les partisans du désordre, ne pouvant plus lutter à force ouverte et à main armée contre les troupes, songèrent à un autre genre d'attaque. Les diligences furent arrêtées la nuit à de fréquents intervalles et les fonds de l'Etat transportés dans toute la France, furent partagés entre les membres de ces coupables associations.

Etaient-ce là encore les Compagnons de Jésus qui massacraient les prisonniers à Lyon, à Bourg et à Lons-le-Saunier ? Rien ne l'indique d'une manière bien précise, mais il est permis de penser que ces gens, pour la plupart réduits à la dernière misère, agissant sans esprit politique sérieux, songèrent à satisfaire l'activité dévorante dont ils étaient animés, en se jetant dans cette vie aventureuse et criminelle qui devait les conduire à l'échafaud.

Est-il démontré par quelque document authentique que ces hommes, qu'on a désignés sous le nom de Compagnons de Jésus ou de Jéhu, correspondissent avec les Vendéens et les Chouans, et que le produit de leurs déprédations servit à alimenter la Caisse des armées royales ?

Cette question a été posée dans plusieurs journaux scientifiques, notamment dans le journal l'Intermédiaire (édité par Duprat, rue du Cloître Saint-Benoît à Paris). Voir le n° du 10 mars 1865.
On y a répondu en citant les souvenirs de Charles Nodier. Nous savons maintenant quel degré de véracité on doit leur accorder.
Dans tous les cas notre tâche n'est pas d'indiquer les résultats de ces scènes de véritable brigandage, mais d'en faire le fidèle récit. Or, il est un fait incontestable, c'est que dans le cours des ans VII et VIII, de la République, l'Est et le Midi de la France surtout furent le théâtre de ces arrestations de diligences dans la nuit et du pillage des fonds de l'Etat.

Un journal de Lyon (Salut public, 13 mars 1867) rappelait tout dernièrement un évènement de cette nature qui avait produit à cette époque la plus vive sensation. Une diligence faisant le service de Lyon à Avignon, connue sous le sobriquet populaire alors de la Turgontine, fut arrêtée par des malfaiteurs aux environs de Saint-Fons, et soulagée (sic) des cent quatre-vingt-dix mille francs.
Enfin l'arrestation du Courrier de Lyon et la condamnation de Lesurques ont donné lieu, chacun le sait, à un drame devenu populaire.
Ce sont aussi le roman et le drame d'Alex. Dumas, les Compagnons de Jéhu, qui m'ont donné l'idée de voir ce qu'ils pouvaient contenir de véridique et de rechercher à quelles sources, le romancier célèbre avait puisé l'idée première de son ouvrage. Mais avant d'arriver au fait même qui a donné naissance à ce roman, tiré en partie des Souvenirs et portraits de Charles Nodier, c'est-à-dire à l'attaque de la diligence de Lyon à Genève par Amiet, Leprêtre, Guyot et Hyvert, jetons un coup d'oeil sur l'état des esprits dans le département de l'Ain, à cette époque.

On était alors sous le coup d'une épouvante générale. Chaque jour, les diligences dans toutes les directions étaient attaquées ; les routes n'offraient plus de sécurité aux voyageurs. On voit dans les délibérations du directoire départemental de l'Ain, (délibérations dont les registres déposés aux archives de la Préfecture de Bourg, m'ont été obligeamment communiqués par M. Baux, archiviste), que les troupes étaient harassées de fatigue ; les chevaux de la gendarmerie, chargés d'escorter les voitures publiques, étaient presque tous fourbus, et plusieurs arrêtés du directoire votèrent les fonds nécessaires pour accorder à quelques brigades des bidets (sic) de renfort.
Les documents que j'ai consultés sont des pièces officielles extraites du dossier criminel de Leprêtre, Amiet, Guyot et Hivert.

Le premier est un procès-verbal d'enquête adressé par le juge de paix de Montluel et relatifs à un vol de neuf mille francs, commis dans la nuit du 30 messidor an VII, sur la malle allant de Lyon à Strasbourg. Neuf individus se présentèrent subitement devant le conducteur, à minuit, lui ordonnèrent de mettre pied à terre, en le menaçant de leurs fusils. Ils lui dirent qu'ils ne voulaient point de son argent, mais que la République leur ayant pris tout ce qu'ils avaient, c'était l'argent de la République qu'ils réclamaient. Le poignard sous la gorge, le conducteur ouvrit les caissons de la voiture et remit à ces brigands neuf mille trois cent-vingt et un francs en onze paquets adressés, dit le procès-verbal, à divers particuliers.
Le conducteur, ainsi que les autres voyageurs, disaient que tous ces hommes "étaient vêtus en Carmagnoles très-propres de différentes couleurs. Quelques-uns avaient des pantalons, d'autres des bottes et d'autres enfin des bas de soye (sic), que tous avaient de très-gros mouchoirs au col couvrant le menton et qu'enfin ils étaient d'une tenue très-recherchée et parlant très-bon français."
Cette fois-ci les malfaiteurs furent assez heureux pour pouvoir s'échapper ; mais les choses ne se passaient pas toujours d'une manière aussi commode pour eux, et la malle de Strasbourg à Lyon, ayant de nouveau été arrêtée et volée dans la nuit du 26 fructidor an VII (environ deux mois après) entre Montluel et Meximieux, au lieu appelé la Dangereuse, un nouveau procès-verbal du juge de paix de Montluel donne les détails suivants :

Capture plein écran 22022013 223617Le conducteur avait été également réveillé sur son siège.  Quatre individus armés de fusils et de pistolets le mettaient en joue : "Vite, s'écrient-ils, les clefs et descends de la voiture." Ils s'emparèrent d'une somme de dix-sept mille cinq cents francs, mais au moment où ils la partageaient, un des chasseurs à cheval qui escortait la voiture et qui se trouvait alors un peu en retard, ayant fondu courageusement sur eux, ils l'étendirent mort d'un coup de feu. Quelques instants après tout le détachement de chasseurs stationné à Miribel, prévenu de ce qui venait de se passer, se mit à leur poursuite ; il les atteignit sur le chemin de Mionnay près des Grands-Echets. Cernés par le détachement ils firent une résistance énergique, deux furent mis à mort par les chasseurs et les autres, quoique blessés, s'échappèrent dans les bois où il fut impossible de les rejoindre.

Cette affaire eut un certain retentissement et fut l'objet d'un rapport fait au Conseil des Cinq-Cents par le citoyen Vézu de l'Ain, "sur le civisme et le dévouement des habitants de Meximieux et autres citoyens qui ont poursuivi et mis en déroute une bande de voleurs."

(Séance du 4e jour complémentaire, an VII)

J'en extrais le passage suivant :
"L'un des brigands tués que l'on croit le chef de la bande se nommait Dutel dit le Prussien, boucher à Lyon. L'autre était un jeune homme qui a été reconnu pour appartenir à une riche famille de la même commune."

Telle était l'incurie de cette époque que les chasseurs de l'escorte n'avaient point de cartouches, ce qui (dit le citoyen Vézu) les a privés de l'avantage de détruire jusqu'au dernier de ces brigands.

Les attaques de diligences n'en continuèrent pas moins et la malheureuse malle de Strasbourg à Lyon fut encore attaquée dans la nuit du 25 brumaire an VIII près de Bourg et sur le chemin de Saint-Etienne-du-Bois.
Le sieur Claude Romain Chevrier, juge de paix de Bourg, procéda à une enquête minutieuse à ce sujet.
Ainsi que dans les attaques précédentes, le conducteur avait été obligé de descendre, de donner la clefs et les voleurs s'étaient enfuis emportant des sacs d'argent sans qu'on pût les atteindre. Parmi les dépositions assez caractéristiques, recueillies à cette occasion par le juge instructeur, nous allons citer la suivante qui ne manque pas d'un certain intérêt :
"Jeanne Judith Pécold, née Colliot, demeurant à Arbois, âgée de quarante-deux ans, laquelle, après avoir promis de dire la vérité, déclare : "Que ce jourd'hui environ sur les sept à huit heures du soir, étant dans la malle du Courrier de Strasbourg à Lyon, et se trouvant environ à une lieue de Bourg, cette voiture a été arrêtée par des hommes armés (ce que la déclarante a connu par le bruit de quelques armes à feu). On a fait descendre les voyageurs et on les a fait asseoir sur le bord du fossé, le dos tourné contre la voiture. On a même voulu leur lier les mains, ce qui a si fort effrayée la déclarante qu'elle a été sur le point de s'évanouir et alors l'un des voleurs lui a donné des eaux de senteur et a défendu qu'on liât les voyageurs, auxquels ainsi qu'au Courrier et postillon, on a parlé avec douceur en disant de rien craindre.
Comme il faisait nuit et qu'il était défendu aux voyageurs de tourner la tête, la déclarante ne peut décrire ni leur figure ni leur habillement, qui est tout ce qu'elle a dit savoir et a signé."

Nous verrons quel parti habile Charles Nodier et après lui Alex. Dumas ont su tirer de cet incident assez original d'un voleur faisant respirer des sels à la voyageuse qu'il vient d'arrêter.
Cependant comme contre-partie de cette déposition nous pourrions citer celle d'une femme Girard, cabaretière sur la route de Pont-d'Ain à Bourg, à la montée de Seillon, chez laquelle s'étaient reposés un instant, le lendemain matin, les auteurs de cette arrestation. L'un d'eux la paya en lui donnant un écu faux.
"Sur quoi, dit l'enquête, elle lui avait rendu cet écu qu'elle lui désigna.
Alors le particulier, après avoir réfléchi un instant, tira un écu de sa poche qu'il remit à la déclarante, laquelle lui rendit l'écu faux. Les traces des malfaiteurs furent suivies, mais sans qu'elles puissent amener leur arrestation."

Capture plein écran 22022013 232503On sut plus tard qu'ils s'étaient dirigés du côté de Treffort, qu'ils avaient passé le Revermont, qu'ils étaient arrivés à Thoirette et que là un nommé Georges Velu Fustier, leur avait fait descendre la rivière en bateau et qu'on les avait complètement perdus de vue.
Nous retrouverons plus tard ce nom à propos du procès criminel commencé cette année-là à Bourg.
Une dernière attaque en effet, tout aussi audacieuse que les précédentes, fut encore dirigée sur la malle poste de Lyon à Genève, dans la nuit du 25 au 26 ventôse an VIII (trois mois plus tard environ). C'est à la suite de cette attaque que furent arrêtés Leprêtre, Guyot, Amiet et Hyvert. Ces quatre hommes, traduits devant le tribunal criminel de l'Ain, à Gourg, furent condamnés à mort le 21 thermidor an VIII, exécutés sur la place du Bastion, le 23 vendémiaire an IX.

C'est à ce procès célèbre dans les fastes judiciaires du département de l'Ain qu'il me reste à entretenir le lecteur. Mais avant cet examen, voyons ce qu'en disent Nodier et Dumas.
L'imagination du lecteur sera charmée, mais sa raison ensuite plus complètement satisfaire, en mettant sous ses yeux, le roman d'abord, le procès ensuite.

Alexandre Dumas dans ses Causeries (1er série, page 192), explique lui-même avec cette gaieté et cet entrain qui ne l'abandonnent jamais, comment l'idée lui vint de faire son roman les Compagnies de Jéhu. Un jour, à la campagne, tous les Souvenirs de Charles Nodier lui revinrent à la mémoire. Il comprit de suite tout suite tout le parti que son imagination pourrait tirer de ces dramatiques situations et, tout entier à cette idée, il se rendit immédiatement à Bourg.
Son arrivée, son séjour dans cette ville, ses relations avec l'artiste potier Bozonnet, sa visite à l'église de Brou, tout cela a fait le sujet d'un charmant chapitre que mon intention n'est pas d'analyser, voulant en laisser tout le plaisir au lecteur.
Ceci, du reste, nous détournerait trop du but de notre ouvrage. Il est curieux de voir cependant, avec quelle facilité d'esprit et quelle promptitude le célèbre romancier, qui a déjà son plan dans la tête, visite les lieux, retient leurs noms, tire parti de leur situation, en un mot, arrange, esquisse, crayonne cette oeuvre de pure fantaisie à laquelle il a donné le nom de Compagnons de Jéhu.

Je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage :
"Nous visitâmes d'abord la Chartreuse de Seillon. Je l'eusse fait bâtir exprès, qu'elle n'eût pas été plus à ma convenance. Cloître désert, jardin dévasté, habitants presque sauvages. Merci, hasard !"
De là, nous passâmes à la Correrie ; c'était le complément, je ne savais pas encore ce que j'en ferais : mais il est évident que cela pouvait m'être utile. ...
Le héros, dans le roman d'Alexandre Dumas, est un certain baron de Sainte-Hermine qui, sous le nom de Morgan, fait la guerre au gouvernement du Directoire ; il dévalise les diligences, et envoie cet argent aux émigrés, tout en rendant aux voyageurs celui qu'il leur a pris, et en faisant respirer des sels aux jeunes dames nerveuses, effrayées à l'aspect de ses terribles compagnons. Ce sont, en effet, les Compagnons de Jéhu que Morgan a organisés, convoqués la nuit dans les ruines de la Chartreuse de Seillon, et qui, brillants jeunes gens le jour, deviennent la nuit, en apparence du moins, de véritables brigands. Puis se place ici naturellement l'intrigue romanesque. Morgan a épousé secrètement une jeune fille noble, Amélie de Montrevel, dont le frère, en qualité d'aide-de-camp du premier Consul, et capitaine de cavalerie, lui fait une guerre acharnée. Le lecteur comprend facilement quelles péripéties amène cette lutte, entre le frère et la soeur, décidés l'un à perdre et l'autre à sauver Morgan ...

... à suivre ...

 

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU
(Bourg, thermidor an VIII) par Ernest Cuaz
Impr. de Milliet-Bottier (Bourg) 1869

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