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La Maraîchine Normande
22 février 2013

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU ♣ DEUXIEME PARTIE (2)

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(Bourg, Thermidor, an VIII)

DEUXIEME PARTIE - suite (2)

Il nous reste maintenant à mettre sous les yeux du lecteurs le passage Des souvenirs et portraits de la Révolution, d'où le roman de Dumas a été tiré. Nous avons cru devoir le transcrire en entier ; on n'y perdra rien ; il est difficile de raconter d'une manière plus vive et plus émouvante. Une fois cette lecture terminée et le roman bien connu, nous arriverons à la triste et terrible réalité.

C'est Charles Nodier qui parle :
"Les voleurs de diligence dont il est question dans l'article Amiet, s'appelaient Leprêtre, Hyvert, Guyot et Amiet. Leprêtre avait 48 ans ; c'était un ancien capitaine de dragons, chevalier de Saint-Louis, doué d'une physionomie noble, d'une tournure avantageuse et d'une grande élégance de manières. Guyot et Amiet n'ont jamais été connus sous leur véritable nom. Ils devaient ceux-là à l'obligeance si connue des marchands de passeports. Qu'on se figure deux étourdis d'entre 20 et 30 ans, liés par quelque responsabilité commune qui était peut-être celle d'une mauvaise action, ou par un intérêt plus délicat et plus généreux, la crainte de compromettre leur nom de famille. On connaîtra de Guyot et d'Amiet tout ce que je m'en rappelle. Ce dernier avait la figure sinistre, et c'est peut-être à sa mauvaise apparence qu'il doit la mauvaise réputation dont les biographes l'ont doté. Hyvert était le fils d'un riche négociant de Lyon, qui avait offert au sous-officier de gendarmerie, chargé de son transfèrement, 60.000 francs pour le faire évader. C'était à la fois l'Achille et le Pâris de la bande. Sa taille moyenne, mais bien prise ; sa tournure gracieuse, vive et svelte. On n'avait jamais vu son oeil sans un regard animé, ni sa bouche sans un sourire. Il avait la physionomie qu'on ne peut pas oublier, et qui se composait d'un mélange inexprimable de douceur et de force, de tendresse et d'énergie. Quand il se livrait à l'éloquente pétulance de ses inspirations, il s'élevait jusqu'à l'enthousiasme. Sa conversation annonçait un commencement d'instruction bien faite et beaucoup d'esprit naturel. Ce qu'il y avait d'effrayant en lui, c'était l'expression étourdissante de sa gaieté qui contrastait d'une manière horrible avec sa position. D'ailleurs on s'accordait à le trouver bon, généreux, humain, facile à manier pour les faibles, car il aimait à faire parade, contre les autres, d'une vigueur réellement athlétique, que ses traits un peu efféminés étaient loin d'indiquer. Il se flattait de n'avoir jamais manqué d'argent et de n'avoir jamais eu d'ennemi. Ce fut sa seule réponse à l'imputation de vol et d'assassinat. Il avait 22 ans.

Ces quatre hommes avaient été chargés de l'attaque d'une diligence qui portait 40.000 francs pour le compte du gouvernement. Cette opération s'exécutait en plein jour, presque à l'amiable, et les voyageurs, désintéressés dans l'affaire, s'en souciaient fort peu. Ce jour-là, un enfant de 10 ans, bravement extravagant, s'élança sur le pistolet du conducteur et tira au milieu des assaillants. Comme l'arme pacifique n'était chargée qu'à poudre, suivant l'usage, personne ne fut blessé, mais il y eut dans la voiture une grande et juste appréhension de représailles. La mère du petit garçon fut saisie d'une crise de nerfs si affreuse, que cette nouvelle inquiétude fit diversion à toutes les autres, et qu'elle occupa tout particulièrement l'attention des brigands. L'un d'eux s'élança près d'elle en la rassurant de la manière la plus affectueuse, en la félicitant du courage prématuré de son fils, en lui prodiguant les sels et les parfums dont ces messieurs étaient ordinairement munis pour leur propre usage. Elle revint à elle, et ses compagnons de voyage remarquèrent que, dans ce moment d'émotion, le masque du voleur était tombé, mais ils ne le virent point.
La police de ce temps-là, retranchée dans une observation impuissante, ne pouvait s'opposer aux opérations des bandits, mais elle ne manquait pas de moyens pour se mettre sur leur trace. Le mot d'ordre se donnait au café, et on se rendait compte d'un fait qui emportait la peine de mort d'un bout du billard à l'autre. Telle était l'importance qu'y attachaient les coupables et qu'y attachait l'opinion. Ces hommes de terreur et de sang se retrouvaient le soir dans le monde et parlaient de leurs expéditions nocturnes comme d'une veillée de plaisir. Leprêtre, Hyvert, Guyot et Amiet furent traduits devant le tribunal d'un département voisin. Personne n'avait souffert de leur attentat que le trésor qui n'intéressait qui que ce fût, car on ne savait plus à qui il appartenait. Personne n'en pouvait reconnaître un si ce n'est la belle dame, qui n'eut garde de le faire. Ils furent acquittés à l'unanimité.

Cependant la conviction de l'opinion était si manifeste et si prononcée que le ministère public fut obligé d'en appeler. Le jugement fut cassé ; mais telle était alors l'incertitude du pouvoir, qu'il redoutait presque de punir des excès qui pouvaient le lendemain être cités comme des titres. Les accusés furent renvoyés devant le tribunal de l'Ain, dans cette ville de Bourg, où était une partie de leurs amis, de leurs parents, de leurs fauteurs, de leurs complices. On croyait avoir satisfait aux réclamations d'un parti en lui ramenant ses victimes. On croyait être assuré de ne pas déplaire à l'autre, en les plaçant sous des garanties presque infaillibles. Leur entrée dans les prisons fut en effet une espèce de triomphe.

L'instruction commença. Elle produisit d'abord les mêmes résultats que la précédente. Les quatre accusés étaient placés sous la faveur d'un alibi très-faux, mais revêtu de cent signatures, et pour lequel on en aurait trouvé dix mille. Toutes les convictions morales devaient tomber en présence d'une pareille autorité. L'absolution paraissait infaillible, quand une question du président, peut-être involontairement insidieuse, changea l'aspect du procès. "Madame, dit-il, à celle qui avait été si aimablement assistée par des voleurs, quel est celui des accusés qui vous a accordé tant de soins ?"

Cette forme inattendue d'interrogation intervertit l'ordre de ses idées. Il est probable que sa pensée admit le fait comme reconnu ; et qu'elle ne vit plus dans la manière de l'envisager, qu'un moyen de modifier le sort de l'homme qui l'intéressait. "C'est monsieur," dit-elle, en montrant Leprêtre. Les quatre accusés, compris dans un alibi indivisible, tombaient de ce seul fait sous le fer du bourreau. Ils se levèrent et la saluèrent en souriant. "Pardieu, dit Hyvert, en retombant sur sa banquette avec de grands éclats de rire, voilà, capitaine, qui vous apprendra à être galant." J'ai entendu dire que peu de temps après cette malheureuse dame était morte de chagrin.

Il y eut le pourvoi accoutumé, mais cette fois il donnait peu d'espérance. Le parti de la Révolution que Napoléon allait écraser un mois plus tard, avait repris l'ascendant. Celui de la contre-révolution s'était compromis avec des excès odieux. On voulait des exemples, et on s'était arrangé pour cela, comme on le pratique ordinairement dans les temps difficiles, car il en est des gouvernements comme des hommes, les plus faibles sont les plus cruels. Les Compagnies de Jéhu n'avaient d'ailleurs plus d'existence compacte. Les héros de ces bandes farouches, Debeauce, Astier, Borg, le Coq, Dabri, Delboude, Storkenfeld, étaient tombés sur l'échafaud ou à côté. Il n'y avait plus de ressources pour les condamnés dans le courage entreprenant de ces fous fatigués, qui n'étaient pas même capables dès lors de défendre leur propre vie, et qui se l'ôtaient froidement, comme Piard, à la fin d'un joyeux repas, pour en épargner la peine à la justice ou à la vengeance. Nos brigands devaient mourir.

Leur pourvoi fut rejeté ; mais l'autorité judiciaire n'en fut pas prévenue la première. Trois coups de fusils tirés sous les murailles du cachot avertirent les condamnés. Le commissaire du directoire exécutif qui représentait le ministère public près des tribunaux, épouvanté par ce symptôme de connivence, requit une partie de la force armée, dont mon oncle était alors le chef. A six heures du matin, 60 cavaliers étaient rangés devant la grille du préau.

Quoique les guichetiers eussent pris toutes les précautions possibles pour pénétrer dans le cachot de ces quatre malheureux, qu'ils avaient laissés la veille si étroitement garottés, et chargés de fers si lourds, ils ne purent pas leur opposer une longue résistance. Les prisonniers étaient libres et armés jusqu'aux dents. Ils sortirent sans difficulté après avoir enfermé leurs gardiens sous les gonds et sous leurs verrous, et, munis de toutes les clefs, ils traversèrent aisément l'espace qui les séparait du préau. Leur aspect dut être terrible pour la populace, qui les attendait devant la grille. Pour conserver toute la liberté de leurs mouvements, pour effectuer peut-être une sécurité plus menaçante encore que la renommée de force et d'intrépidité qui s'attachait à leur nom, peut-être même pour dissimuler l'épanchement du sang, qui se manifeste si vite sous une toile blanche, et qui trahit les derniers efforts d'un homme blessé à mort, ils avaient le buste nu. Leurs bretelles croisées sur la poitrine, leurs larges ceintures rouges, hérissées d'armes, leur cri d'attaque et de rage, tout cela devait avoir quelque chose de fantastique. Arrivés au préau. Leur aspect dut être terrible pour la populace, qui les attendait devant la grille. Pour conserver toute la liberté de leurs mouvements, pour affecter peut-être une sécurité plus menaçante encore que la renommée de force et d'intrépidité qui s'attachait à leur nom, peut-être même pour dissimuler l'épanchement du sang, qui se manifeste si vite sous une toile blanche, et qui trahit les derniers efforts d'un homme blessé à mort, ils avaient le buste nu. Leurs bretelles croisées sur la poitrine, leurs larges ceintures rouges, hérissées d'armes, leur cri d'attaque et de rage, tout cela devait avoir quelque chose de fantastique. Arrivés au préau, ils virent la gendarmerie déployée, immobile, impossible à rompre et à traverser. Ils s'arrêtèrent un moment et parurent conférer entre eux. Leprêtre qui était, comme je l'ai dit, leur aîné et leur chef, salua de la main le piquet, en disant avec cette noble grâce qui lui était particulière : "Très bien, messieurs de la gendarmerie !" Ensuite il passa devant ses camarades, en leur adressant un vif et dernier adieu, et puis se brûla la cervelle. Guyot, Amiet et Hyvert se mirent en état de défense, le canon de leurs doubles pistolets tourné sur la force armée. Ils ne tirèrent point, mais elle regarda cette démonstration comme une hostilité déclarée ; elle tira. Guyot tomba raide mort sur le corps de Leprêtre qui n'avait pas bougé. Amiet eut la cuisse cassée près de l'aine. La Biographie des Contemporains dit qu'il fut exécuté. J'ai entendu raconter plusieurs fois qu'il avait rendu le dernier soupir au pied de l'échafaud. Hyvert restait seul, sa contenance assurée, son oeil terrible, ses pistolets agités par deux mains vives et exercées qui promenaient la mort sur tous les spectateurs ; je ne sais quelle admiration peut-être qui s'attache au désespoir d'un beau jeune homme aux cheveux flottants, connu pour n'avoir jamais versé le sang et auquel la justice demande une expiation de sang, l'aspect de ces trois cadavres sur lesquels il bondissait comme un loup excédé par les chasseurs, l'effroyable nouveauté de ce spectacle suspendirent un moment la fureur de la troupe. Il s'en aperçut et transigea : "Messieurs, dit-il, à la mort ! j'y vais ! j'y vais de tout mon coeur ! mais que personne ne m'approche, ou celui qui m'approche je le brûle, si ce n'est monsieur, continua-t-il, en montrant le bourreau. Cela c'est une affaire que nous avons ensemble et qui ne demande de part et d'autre que des procédés."

La concession était facile, car il n'y avait là personne qui ne souffrit de la durée de cette horrible tragédie, et qui ne fut pressé de la voir finir. quand il vit que cette concession était faite, il prit un de ses pistolets aux dents, tira de sa ceinture un poignard et se le plongea dans la poitrine jusqu'au manche. Il resta debout et en parut étonné. On voulut se précipiter sur lui : "Tout beau, messieurs", cria-t-il en dirigeant de nouveau sur les hommes qui se disposaient à l'envelopper,  les pistolets dont il s'était ressaisi pendant que le sang jaillissait à grand flots de la blessure où le poignard était resté, "vous savez nos conventions ; je mourrai seul ou nous mourrons tous trois ; marchons". On le laissa marcher. Il alla droit à la guillotine, en tournant le couteau dans son sein. Il faut, ma foi, dit-il, que j'aie l'âme chevillée dans le ventre ! Je ne peux pas mourir. Tâchez de vous tirer de là." Il adressait ceci aux exécuteurs.

Un instant après, sa tête tomba. Soit par hasard, soit par quelque phénomène particulier de vitalité, elle bondit, elle roula hors de tout l'appareil du supplice et on vous dirait encore à Bourg que la tête d'Hyvert a parlé !"

Laissons maintenant parler les documents officiels : voici le crime tel qu'il a été commis, raconté par l'acte d'accusation lui-même ; mais avant d'examiner ce document, il est nécessaire de jeter un coup-d'oeil rapide sur la législation criminelle de cette époque. Avec les idées de liberté que la Révolution avait propagées, nos moeurs judiciaires subirent de grandes modifications : le jury, de cette importation anglaise, fut accepté avec enthousiasme en France ; on voulut l'utiliser le plus possible et non seulement il y eut un jury de jugement près des tribunaux criminels, analogue à celui de nos jours ; mais encore un jury d'accusation, plus spécialement chargé de statuer sur l'exécution des affaires. C'était la loi du 3 brumaire (an IV), (25 octobre 1795), qui était en vigueur à l'époque.

Or, (d'après ce code des délits et des peines), le jury d'accusation avait un directeur qui remplissait les fonctions du juge d'instruction de nos jours ; il y avait un jury d'accusation dans chaque arrondissement ; les jurés d'accusation étaient au nombre de huit. Le directeur du jury devait dresser un acte d'accusation et le soumettre aux jurés réunis au jour indiqué. Lorsque la majorité des jurés trouvait que l'accusation devait être admise, leur chef mettait au bas de l'acte d'accusation la fortune affirmative ; la déclaration du jury est oui, il y a lieu. Après cette déclaration, le directeur du jury rendait une ordonnance de prise de corps contre l'accusé, qui était ensuite renvoyé devant le tribunal criminel du département.

Dans chaque département il y avait un tribunal criminel. Ce tribunal criminel était composé d'un président et de quatre juges, d'un accusateur public et d'un commissaire du pouvoir exécutif, ainsi que d'un substitut qui lui était donné spécialement par le Directoire exécutif pour le service du tribunal criminel, plus d'un greffier.

Une loi postérieure au code de brumaire an IV et qui est à la date du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) supprima les fonctions d'accusateur public ; (c'était là un mot que Fouquier-Tainville avait trop tristement illustré). Cette loi réunit les fonctions d'accusateur public à celles de commissaire du gouvernement. C'était cette loi qui était en vigueur au moment où fut jugé ce procès. Je crois inutile d'entrer dans de plus grands détails sur l'organisation de la justice criminelle de cette époque. Le jury de jugement qui devait assister le tribunal criminel dans chaque département s'assemblait le 15 de chaque mois ; une liste générale était faite auparavant comme aujourd'hui ; le nombre des jurés dans chaque affaire était de douze, ils promettaient (seulement) de bien remplir les fonctions dont ils étaient investis.

Les débats avaient lieu à peu près dans la même forme que celle qui est suivie aujourd'hui, la manière de voter des jurés présentait plus de complications, mais après qu'ils avaient rendu leur verdict, les juges prononçaient la peine édictée par la loi. Ces indications sommaires sur la procédure du temps ont paru de quelque utilité, pour la complète intelligence du débat important, qui s'engagea à cette époque devant le tribunal criminel de l'Ain.

Capture plein écran 22022013 231056Dès que l'attentat commis, dans la nuit du 25 au 26 ventôse an VIII, par Hivert, Guyot, Amiet et Leprêtre, sur la diligence de Lyon à Genève, fut arrivé à la connaissance des magistrats de Nantua, le directeur du jury d'accusation de Nantua (M. Merchior Bonifax) procéda à une enquête minutieuse et acquit bientôt la preuve que les quatre individus successivement arrêtés, étaient bien les vrais coupables de cette attaque à main armée. Mais là se présenta une difficulté de procédure, on pensa que conformément aux articles 2 et 4 de la loi du 29 nivôse an VI (arrestation à main armée), les coupables étaient justiciables des conseils de guerre. Une ordonnance du 11 floréal an VIII, rendue par le directeur du jury de Nantua, renvoya les quatre détenus devant le conseil de guerre séant à Besançon. Sur un avis donné à la même époque à ce conseil de guerre par le Ministre de la justice (le citoyen Abrial), le conseil de guerre de Besançon, à la date du 20 prairial an VIII, présidé par le citoyen Thirion, chef de brigade, après avoir entendu les quatre prévenus et considérant que la loi du 29 nivôse an VI n'ayant eu qu'une application momentanée, on rentrait, par suite de son abrogation tacite, dans les dispositions de la constitution générale française à cette époque ; renvoya Guyot, Hivert, Amiet et Leprêtre devant le jury de l'arrondissement de Nantua afin que, conformément au code du 3 brumaire an IV, l'instruction dirigée contre eux fût continuée. Une décision du tribunal criminel de l'Ain, le 22 floréal an VIII, cassa et annula l'ordonnance de renvoi du directeur du jury de Nantua devant le conseil de guerre de Besançon ; il ordonna que la procédure commencée contre les prévenus fût continuée devant le jury de l'arrondissement de Nantua, et que Guyot, Hivert, Amiet et Leprêtre fussent transférés sous bonne garde de Besançon à Nantua. C'est après cette décision que l'instruction fut reprise dans cette ville et que le directeur du jury d'accusation, ayant entendu de nombreux témoins, formula son acte d'accusation à la date du 15 messidor an VIII.

Voici ce document important que nous allons maintenant textuellement mettre sous les yeux du lecteur, et qui lui fera connaître la nature exacte du crime dont la justice avait à punir les coupables :

ACTE D'ACCUSATION

"Dans la nuit du 25 au 26 ventôse dernier, sur environ l'heure de minuit et demi, la diligence de Genève à Lyon fut arrêtée à l'extrémité du lac de Silan, du côté de Nantua, par une bande de voleurs qui s'étaient cachés dans les buis qui avoisinent la route ; lesquels voleurs après avoir préalablement cassé le réverbère de la voiture avec le bout d'un fusil et éteint la lumière firent ensuite descendre de la voiture les voyageurs qu'elle contenait, les conduisirent à environ vingt pas de la voiture, les firent asseoir par terre, leur lièrent les mains derrière le dos et les jambes croisées avec des cordes ainsi qu'au postillon, où ils furent gardés à vue par deux des voleurs armés de deux fusils, dont l'un à deux coups ; qu'ensuite deux des voleurs se saisirent du conducteur de la diligence, le forcèrent à remettre les clefs des caissons de la voiture, que n'ayant pu les ouvrir, l'un d'eux, un poignard à la main, força le conducteur d'ouvrir lui-même la vache qui couvre le talon de la voiture, dans lequel étaient renfermées des caisses contenant des groupes d'or, d'argent, des montres, bijouteries ; qu'ils amenèrent ensuite ledit conducteur auprès des voyageurs, le firent aussi asseoir par terre et lui lièrent les mains et les pieds avec des cordes, après quoi les voleurs enfoncèrent à coups de hache les caisses qu'ils avaient sorties de la voiture et enlevèrent les effets et métaux qu'elles renfermaient et disparurent ensuite au signal donné par le chef de la bande qui cria : à cheval ! ; que le conducteur de la diligence et les voyageurs étant parvenus à se débarrasser de leurs liens, ils se levèrent et se rapprochèrent de la voiture autour de laquelle ils trouvèrent deux caisses en sapin brisées à coups de hache, comment encore quatre montres, un carnier soit hâvre-sac en cordes qui se trouva contenir une grosse somme d'argent ; qu'arrivé à Nantua sur environ les deux heures après-midi, Antoine-Michel Rémond, conducteur de la diligence, se transporta auprès du juge de paix de Nantua pour faire par devant lui la déclaration des faits et circonstances de ce délit dont il a porté plainte, et faire procéder au recensement des objets énoncés sur la feuille de chargement qui lui était confiée ; qu'il résulte du procès-verbal dressé en conséquence que neuf des articles chargés sur cette feuille ont été la proie des voleurs à l'exception de dix-sept mille quatre cents francs en or et trois mille quatre cent trente-huit francs en argent, qui se sont trouvés dans le hâvre-sac trouvé auprès de la voiture après la fuite des voleurs, de cette sorte qu'il a été reconnu qu'il avait été volé des articles du chargement de la voiture, en espèce, la somme de 24.258 fr., deux caisses contenant horlogerie, bijouterie, à l'exception de deux montres en or et une en argent qui furent trouvées dans la boue auprès de la voiture.  Dansla journée du 26 ventôse dernier il fut trouvé par la garde nationale de Nantua mise sur pied à la poursuite des voleurs, tant sur le local où a été commis le délit que dans les montagnes environnantes, un sabre, un fusil simple cassé, une carmagnole brune, un pistolet, un mouchoir et une besace ; qu'il a été trouvé pareillement, dans la matinée du susdit jour, dans le bois communal de Samognat appelé Louchon, deux petites caisses en bois de sapin couvertes de toile cirée, l'une marquée D.L.G. n° 2, qui a été ficelée d'une corde au bout de laquelle est gravé, d'un côté, ces mots : Revenus nationaux. Bureau de Genève, et de l'autre : République française ; l'autre boîte également couverte de toile cirée avec une adresse marquée des lettres P.P. n° 9, lesquelles deux caisses avaient été toutes deux enfoncées, étaient en partie remplies de papier mou et de coton et dans l'une desquelles était une petite boîte en carton à quatre chalits, remplie en partie de papier mou et de coton ; ce qui avait déterminé le Commissaire du gouvernement de Sonthonax et d'après les avis qu'il avait reçus des autorités constituées de Nantua du vol qui avait été commis la nuit précédente, de mettre sur le champ les gardes nationales de son canton sur pied, et à faire environner et faire faire une battue dans le susdit bois de Louchon ; que lors de cette battue il fut trouvé dans le bois un mouchoir de poche marqué de deux lettres, I.L., et une mauvaise anglaise, soit roupe brune déchirée sur le flanc ; que lors de cette battue et à la tombée de la nuit, l'on entendit dans le bois deux ou trois sifflements, comme des gens qui se rappellent, que plusieurs individus furent aperçus au sortir des dits bois vêtus de carmagnoles brunes et blanches, dont l'un d'eux portait un chapeau de toile cirée ; que trois d'entre eux ont été aperçus traverser la rivière d'Ain, que suivis à sa piste, ils ont été arrêtés au village de Corcelles, ayant avec eux un chien appartenant au citoyen Nicod, qui avait été perdu dans le bois de Louchon, lors de la battue qui y fut faite ; que lors de leur arrestation l'un d'eux, qui dit s'appeler Hivert, était armé de deux pistolets chargés, que dans le fond du chapeau d'un autre qui dit s'appeler Laurent Guyot, fut trouvé deux pistolets de poche et dans ses bottes trois montres en or à double boîte et à répétition renfermées dans des petits sacs de peau ; que le lendemain 27 ventôse, il aurait été trouvé, d'après une nouvelle fouille faite dans le susdit bois de Louchon, par les gardes nationales de Samognat, enfouie dans la terre recouverte de feuillage sec, en plusieurs paquets, une somme de 19.296 fr. en espèces, 10 chaînes de montre en or, 2 tabatières en or, 35 montres et autres pièces de conviction qui ont été reconnues comme faisant partie des objets volés dans la diligence, dans la nuit du 25 au 26 ventôse dernier ; que lesdits Etienne Hivert, François Amiet, Laurent Guyot, Antoine Leprêtre, actuellement détenus en la maison d'arrêt de cette commune, et François Velut, fustier au port de Thoirette, contumace, sont prévenus d'être les auteurs et complices dudit vol.

Il résulte de tous les détails, qu'il a été commis un vol avec attroupement et armée nocturnement sur une grande route, sur quoi les jurés auront à prononcer, s'il y a lieu, à accusation contre les dits Etienne Hivert, Laurent Guyot, François Amiet, Antoine Leprêtre et François Velut, à raison du délit mentionné au présent acte.

Fait à Nantua, le 15 messidor an VIII de la République française.

BONIFAX.

Vu par nous, juge suppléant au tribunal de Nantua, remplaçant le Commissaire du gouvernement pour cause de récusation :
Nantua, le seize messidor an VIII. - HUMBERT.
La déclaration du jury est : Oui, il y a lieu.
Nantua, le 20 messidor an VIII de la République.
Signé : BISON, chef du jury."

... à suivre ...

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU
(Bourg, thermidor an VIII) par Ernest Cuaz
Impr. de Milliet-Bottier (Bourg) 1869

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