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La Maraîchine Normande
22 février 2013

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU ♣ DEUXIEME PARTIE (3)

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(Bourg, Thermidor, an VIII)

DEUXIEME PARTIE - suite (3)

Ce ne fut pas sans peine que l'autorité parvint à arrêter une partie des auteurs de l'attaque de la diligence de Lyon à Genève. Grâce à l'activité du citoyen Nicod, commissaire du gouvernement à Sonthonax, et aux précautions prises par lui, on put enfin mettre la main sur Hivert, Guyot et Amiet. Voici une lettre écrite par le citoyen Nicod à son collègue de Nantua, à la date du 26 ventôse an VIII, (datée de Mataflon).

Cher concitoyen,
"Un des ouvriers que j'avais envoyé dans les bois, revient à toute bride me rendre compte, d'après la consigne que j'avais donnée et après avoir entendu du bruit au haut de ma forêt, territoire de Samognat, où mes gens se sont rendus ; n'ayant entendu que fuir, ils ont trouvé sur la place des débris de caisses et de papiers écrits en latin, autant que l'on me dit. J'attends d'autres documents pour vous en faire part. Envoyez de suite la gendarmerie sur les bords de la rivière d'Ain, pendant que de mon côté je vais former un cordon pour entourer les bois ; ordonnez la même mesure à l'administration d'Oyonnax et de Montréal, afin que les brigands soient cernés de toutes parts.
Salut et fraternité, dépêchons-nous, cher collègue, détruisons la canaille.
Signé : NICOD"

Les précautions prises par Nicod amenèrent les plus heureux résultats. Les paysans armés de fusils firent une battue dans la forêt de Samognat où les coupables, après l'arrestation de la diligence près du lac de Silan, avaient établi leur quartier général et déposé une partie des objets volés. Mais n'étant pas assez nombreux pour la cerner entièrement, ils ne purent saisir que trois des malfaiteurs. Ils étaient sortis de la forêt près du pont de Coizelet, ils furent suivis jusqu'au village de Corcelle et arrêtés chez un nommé Jean-Baptiste Girod, fustier. Leprêtre ne fut pas arrêté immédiatement, mais une lettre du commissaire de police général de Lyon, du 5 floréal an VIII, avertissait le juge de paix de la commune de Nantua que plusieurs individus de Lyon lui avaient été désignés comme voulant tenter un coup de main pour délivrer leurs camarades qui étaient dans les prisons de Nantua. Leprêtre était à la tête de ce complot, il fut désigné à la police et arrêté le même jour. Voici le procès-verbal d'arrestation :

"Cejourd'hui 5 floréal an VIII républicain, d'après les ordres du général de police de la commune de Lyon, en date dudit jour, nous nous sommes transportés, accompagnés des citoyens Fortout et Rivet, agents de police, Martin et Verguet, tous deux gendarmes de Lyon, à la rue du Boeuf, dans le domicile du citoyen Brochet, n° 60, au 3e, nous avons frappé à la porte ; voyant que personne ne répondait, muni d'un second ordre qui nous autorisait à requérir un serrurier, à cet effet nous avons requis le citoyen Pierre Dubaud, demeurant rue Saint-Jean et avons invité le présent à l'ouverture. Les citoyens Philippe Blanc, vinaigrier, et Claude Conte, cordonnier, demeurant susdite maison, les citoyens sus dénommés ont été présents, le citoyen serrurier a procédé à l'ouverture de l'appartement, nous sommes de suite entrés et avons trouvé ledit Leprêtre couché sur un lit ; alors nous l'avons remis entre les mains des gendarmes, avons procédé à une perquisition, nous avons fait ouvrir la malle audit Leprêtre, nous y avons trouvé une ceinture dans laquelle étaient 26 pièces de 24 fr. et 2 pièces de 48 livres, le tout en or, que nous avons enveloppé et cacheté de notre sceau de cire rouge ; en continuant notre perquisition nous avons trouvé, dans une commode la carte de sûreté, le passeport et congé dudit Leprêtre et un matteau de soie que ce dernier nous a déclaré appartenir au citoyen Brochet ; avons du tout fait un paquet que nous avons attaché avec du fil, sur le noeud duquel nous avons apposé notre cachet avec invitation audit Leprêtre d'y apposer le sien a répondu n'en point avoir. Le tout fait en présence des sus nommés sur une heure de sept de relevé, à l'exception dudit Leprêtre qui a dit être inutile, fait et clos, le jour et an susdits et avons signé."

Capture plein écran 22022013 225603L'instruction de cette affaire fut poursuivie avec le plus grand soin. Le juge de paix de Nantua, le citoyen Guichon, reçut, le 26 ventôse an VIII, à 2 heures du matin, la déclaration et les plaintes de tous les voyageurs dévalisés. Ils étaient au nombre de sept. Le conducteur de diligence, Raymond ; Paul Ducret, postillon à Châtillon-de-Michaille, puis les voyageurs qui étaient dans la diligence arrêtée et dont voici les noms : Paul Tribert, payeur-général à l'armée d'Italie ; Xavier Espoulier, sous lieutenant à la 56e demi-brigade ; François Alamand, commis-négociant à Genève ; Alexandre-Louis Ferrier, négociant à Lausanne ; Louis Liodet, négociant à Genève, et Jean-Joseph Gindre, marchand aux Rousses. (Ce dernier avait été assez heureux pour se glisser dans les buis qui bordaient la route et s'était enfui jusqu'aux Nérolles, où ses compagnons le rejoignirent quelques heures plus tard). On procéda ensuite à l'examen de la voiture et des valeurs qu'elle contenait encore. Cette voiture était partie le soir de la ville de Genève avec une quarantaine de mille francs en or et argent et quinze mille francs en montres et bijoux. Toutes ces sommes et valeurs étaient adressées à des banquiers et des négociants de Lyon. C'est ainsi qu'un groupe de dix mille francs était adressé à MM. Gaillard frères, banquiers à Lyon, et un autre de vingt-sept mille à M. Morin, à Lyon. Toutefois, tout le chargement de la voiture ne fut pas heureusement perdu ; on trouva dans un hâvre-sac tombé près de la voiture une somme de 17.000 fr. en or, enfin des trois caissons contenant des montres, deux furent trouvés intacts dans la diligence, le troisième seul avait été volé.

Bientôt les battues organisées par la garde nationale sous les ordres du citoyen Nicod, amenèrent les plus heureux résultats. Les gardes nationaux découvrirent dans le bois de Louchon, commune de Samognat, où les voleurs avaient campé, 6 chaînes de montre en or et 35 montres en or et en argent, ainsi qu'une somme de 19.296 livres tournois qui fut saisie dans une caisse de bois de sapin, près du lieu du campement. Le tout fut déposé au greffe de Nantua le 28 ventôse an VIII.

De nombreux témoins furent entendus ; nous indiquerons seulement les passages de dépositions les plus importantes ; presque toutes ont trait aux recherches faites dans la forêt de Samognat et aux arrestations qui en furent le résultat.

Le sixième témoin, Mathieu, charpentier à Fontaine, dit que le 24 ventôse, le matin vers 7 heures, il vit François velut, fustier, demeurant à Courtoufle, porter précipitamment dans la montagne de Samognat des vivres, du pain et des oeufs et une cruche, dont les débris furent retrouvés près de la caisse contenant l'argent, par les gardes nationaux. La complicité de Velut était donc évidente. Le témoin assista à l'arrestation de Guyot, Amiet et Hivert, chez Girod, à Corcelles ; on saisit sur Guyot deux pistolets anglais cachés dans le fond de son chapeau et trois montres en or dans ses bottes, Hivert sortit également de la poche de sa carmagnole deux pistolets qu'il remit à ceux qui venaient de l'arrêter.
Du reste Guyot et ses compagnons avaient été vus le 25 ventôse (la veille de l'arrestation de la diligence) à Charix ; des témoins les avaient entendus s'informer avec soin de l'heure à laquelle devait passer la diligence de Genève près du lac de Silan.

Une déposition assez intéressante fut celle du citoyen Bataillard, notaire à Thoirette, qui logea chez lui, pendant quelque temps, le fils Hivert dont le père, marchand de bois aux Brotteaux, à Lyon, était connu dans le pays. Il y avait avec lui Laurent Guyot et un troisième individu nommé Leprêtre, fils d'un ancien rénovateur des rentes, noble, des comtes de Saint-Jean à Lyon. A cette époque Hivert acheta deux barcots à Thoirette. lors de leur séjour chez Bataillard ils jouaient au billard et aux cartes ; ils avaient du reste des habitudes fort tranquilles et ils ne portaient aucune arme sur eux, pas même des couteaux.
M. Gaillard, entrepreneur de messageries, à Lyon, fut également entendu ; il avait vu à Lyon le père Hivert et comme il lui apprenait l'arrestation de son fils, le père répondit qu'il avait quitté depuis quelque temps Lyon en compagnie de Laurent Guyot et de Leprêtre ; il ajouta qu'il savait que son fils avait passé à Thoirette où il avait joué au rouge et noir, qu'il connaissait Leprêtre pour un joueur de profession et qu'il avait bien peur qu'il n'eut débauché son fils.

La déposition de Raymond, conducteur de la diligence, fut importante ; il reconnut positivement Amiet, Guyot et Hivert comme étant de ceux qui avaient arrêté la voiture ; mis en leur présence, il n'hésita pas un seul instant, il déclara qu'Hivert s'écria au moment où il le saisissait : "Il est bien temps que nous te tenions, tu nous a fait faire trois cents lieues pour t'arrêter et quand même nous prendrions dans cette diligence de grosses sommes d'argent, nous n'en prendrions jamais autant que cette ? ... de république nous en a volé."
Le postillon Ducret, de Châtillon-de-Michaille, fit le même récit.
Leprêtre fut également reconnu par un grand nombre de témoins et plus tard le nommé Philibert Merin, postillon au service du citoyen Monestier à Meximieux, le reconnut aussi pour être un de ceux qui avaient également arrêté la malle de Lyon à Strasbourg, dans la nuit du 25 au 26 fructidor an VII, entre Meximieux et Montluel.

Que répondirent les prévenus à toutes ces charges accablantes réunies contre eux ?
Ils nièrent avec énergie toute participation directe ou indirecte à l'attaque de la diligence de Lyon à Genève.

Le premier qui fut interrogé, Hivert, déclara, le 27 ventôse, devant le juge de paix de Nantua, qu'il se nommait Etienne Hivert, âgé de 19 ans et demi, marchand de bois de moule, bateau et plâtre, natif de Lyon, demeurant chez son père domicilié à la porte Saint-Clair, à Lyon. Il avoua avoir été condamné, il y avait environ trois ans, par le tribunal de Bourg, pour avoir maltraité une femme Tabourin, de Neuville, à un mois de prison et à 150 fr. de dommages-intérêts. Il continua à soutenir qu'il était venu à Thoirette, à Cortofle et à Corcelles pour son métier de marchand de bois et qu'il ne savait pas ce qu'on voulait lui dire quand on lui parlait de l'attaque de la diligence de Lyon à Genève.

Le second accusé dit se nommé Laurent Guyot, âgé de 32 ans, natif de Dijon, résidant actuellement à Lyon, rue Lanterne, n° 34, au 3e étage, avec Anne Perrin qu'il a épousée depuis cinq mois ; étant avant la révolution clerc de procureur, pendant la révolution commis de magasin, chez le sieur Praz, bonnetier à la Guillotière, puis sous-lieutenant au 2e bataillon des Côtes-du-Nord, puis simple chasseur au 13e régiment de hussards, actuellement négociant en plâtre. Il soutint qu'il était venu à Thoirette acheter du plâtre et qu'il ne connaissait pas l'arrestation de la diligence de Lyon à Genève. Le juge de paix lui demanda d'où lui provenaient les trois montres qu'on lui avait trouvées cachées dans ses bottes ; il dit qu'il les avait trouvées en route et qu'il les avait cachées ainsi parce qu'il avait peur qu'on l'accusât de les avoir volées.

Le troisième prévenu déclara se nommer François Amiet, âgé de 34 ans, natif de Neuville-sur-Saône, boulanger domicilié à Neuville. Il était venu, disait-il le 24 ventôse à Thoirette pour acheter un bateau. Il entra en marché avec un nommé Velut ; puis il alla à Corcelles et c'est là qu'il fut arrêté. Il déclara ne connaître ni Hivert ni Guyot et être complètement innocent de l'attaque de la diligence de Lyon à Genève.

Cependant l'auteur principal de cette attaque audacieuse, celui que l'on pourrait appeler le chef de la bande, arrêté à Lyon le 5 floréal an VIII comparut devant le juge de paix de Nantua et déclara se nomer Antoine Leprêtre, âgé de 31 ans, rentier demeurant à Lyon ; "il répondit avoir été arrêté chez le citoyen Brochet, rue du Boeuf à Lyon, lequel Brochet exerce la profession de courtier et néanmoins distribue des tisanes à ceux qui sont atteints de la maladie vénérienne ; que, depuis quatre ou cinq nuits il couchait chez ledit Brochet, chez lequel il prenait des remèdes. Quand on lui demanda quelles étaient ses occupations et ses liaisons à Lyon, il répondit qu'avant l'arrivée du Préfet à Lyon, il taillait le rouge et le noir dans un café de société, avec divers particuliers.
Nous continuons de citer l'interrogatoire.
A lui demandé : "Si depuis qu'il est retiré du service il est toujours resté à Lyon ?
Répond : qu'il est allé à Beaucaire et à Marseille.
A lui demandé : Quel était l'objet de ces voyages ?
Répond : que c'était pour tailler le 31.
A lui demandé : s'il n'est point allé à Thoirette-sur-Ain ?
Répond : qu'il est allé il y a quelque temps à Bourg, mais qu'il ne se rappelle pas être allé à Thoirette.
A lui demandé : s'il ne connaît pas les nommés Hivert, Guyot et Amiet et principalement le nommé Hivert qui, comme lui, habite la commune de Lyon et est très-répandu dans les cafés ?
Répond : que non.
A lui observé : qu'il est prévenu d'avoir fait parti du rassemblement armé qui, dans la nuit du 25 au 26 ventôse dernier, a arrêté et pillé la diligence de Genève à Lyon.
Répond : si la diligence n'a été arrêtée que par lui elle doit être encore existante."

Leprêtre déclara plus tard qu'il s'était engagé au 31e régiment, qu'ayant acheté son congé, il était entré ensuite au second bataillon de Rhône-et-Loire en qualité de sous-lieutenant, qu'étant parvenu au grade de capitaine, lors de l'embrigadement, il profita de la faculté qu'avaient les officiers de donner leur démission et se retira dans la commune de Lyon, son domicile.
Lors de leur comparution, le 16 prairial an VIII, devant le conseil de guerre de Besançon, les prévenus firent au capitaine rapporteur qui les interrogea préalablement les mêmes réponses que celles qu'ils avaient faites au juge de paix de Nantua.
Nous avons vu qu'à la suite d'une décision du jury d'accusation de Nantua, les quatre accusés avaient été renvoyés devant le tribunal criminel de l'Ain, séant à Bourg. Quelque temps avant leur comparution devant ce tribunal, le 23 messidor an VIII, ils furent interrogés tous les quatre par M. Thomas Riboud, président du tribunal criminel ; leurs réponses furent les mêmes ; nous croyons inutile de les rapporter ici, ils se renfermèrent toujours dans un système complet et absolu de dénégations.

Capture plein écran 22022013 114354Enfin, ils comparurent devant le tribunal criminel de l'Ain, le 18 thermidor an VIII (6 août 1800). Nous avons le procès-verbal entier de cette session importante qui, commencée le 18 thermidor, se termina le 21 (9 août 1800) par la condamnation à mort des quatre accusés. ...

Les condamnés se pourvurent en cassation, mais la cour de cassation (section criminelle), rejeta à la date du 6 vendémiaire an IX le pourvoi de ces malheureux (29 septembre 1800). La cour de cassation décida que le tribunal criminel de l'Ain, en condamnant les accusés à la peine de mort, comme convaincus d'avoir effectué une attaque "avec dessein de tuer", accompagnée du vol, avait fait une juste application de la loi pénale.
L'acte d'accusation annonçait en effet qu'il y avait eu violence envers les voyageurs ; le conducteur et le cocher de la diligence, après avoir été contraints de descendre, furent liés, gardés et "menacés le poignard sur la gorge".

Après ce rejet du pourvoi, le droit de grâce n'existant plus à cette époque, (il fut en effet rétabli par un sénatus-consulte du 16 thermidor an X qui le réservait au premier consul), les condamnés durent subir leur peine.

Ce fut le 23 vendémiaire an IX (19 octobre 1800), que ce terrible arrêt reçut son exécution. Nous avons sous les yeux le procès-verbal qui contient le récit de ce drame sanglant. Le voici, copié textuellement :

"Ce jourd'hui vingt-trois vendémiaire an IX, le commissaire du gouvernement près ce tribunal, qui a reçu dans la nuit à onze heures du soir le paquet du ministre de la justice, contenant la procédure et le jugement qui condamne à mort Laurent Guyot, Etienne Hivert, François Hamiet (Amiet), et Antoine Leprêtre, le jugement du tribunal de cassation du six du courant qui rejette la requête en cassation contre le jugement du vingt-un thermidor ; a fait avertir par lettre entre six et huit heures du matin les quatre accusés que leur jugement à mort serait exécuté ce jourd'hui à onze heures ; dans l'intervalle qui s'est écoulé jusqu'à onze heures ces quatre accusés se sont donné des coups de poignard en prison, Leprêtre et Guyot suivant le bruit public étaient morts, Hivert blessé à mort et expirant, Amiet blessé, mais conservant sa connaissance, tous quatre en cet état ont été conduits à la guillotine, et "morts ou vivants" ! ils ont été guillotinés à onze heures et demie. L'huissier Colin a remis le procès-verbal de leur supplice à la municipalité pour les inscrire sur le livre des morts.
Le capitaine de la gendarmerie a remis au juge de paix le procès-verbal de ce qui s'est passé en prison, où il a été présent, pour moi qui n'y ai point assisté je certifie ce que la voix publique m'a appris.
Bourg, le vingt-trois vendémiaire an IX,
DEBOST, greffier."

J'ai été assez heureux pour trouver encore un témoin de cette exécution, (M. Charnaud, commis greffier à Bourg), qui a bien voulu me donner la note ci-jointe, dans laquelle il a relaté ses souvenirs de cette triste journée, (M. Charnaud a aujourd'hui 76 ans). Voici textuellement copiée cette note qu'on ne lira pas sans intérêt :

"Les faits dont je me souviens le mieux, qui m'ont le plus frappé et qui sont restés le plus profondément gravés dans ma mémoire sont ceux-ci.
J'avais huit ans lorsque l'exécution a eu lieu. A cette époque les exécutions se faisaient au bas du Bastion à onze heures du matin.
Le 19 octobre 1800, dès dix heures la place de la prison était déjà envahie par une foule plus nombreuse que d'habitude, parce que l'on connaissait en ville le drame qui avait eu lieu dans la prison, le suicide des condamnés que chacun commentait à sa manière. On ne pouvait comprendre comment à un moment donné ils avaient pu se trouver nantis des couteaux ou poignards dont ils avaient fait usage et que, suivant les uns, ils avaient trouvés dans les pains que l'on distribuait aux prisonniers ; que suivant d'autres, au contraire, il tenaient de la femme du concierge.
Ce qui accréditait ces on dits ou ces diverses versions c'est qu'une nommée Babet Chambard, fille d'un médecin de Bourg et amie de la femme du concierge de la prison, passait aux yeux de tout le monde pour l'amante d'un des prisonniers ; la concierge jeune alors et assez jolie passait également pour être celle d'un autre des condamnés.
C'est par une pierre lancée de la rue dans la cour la nuit qui précédait l'exécution, qu'ils apprirent le rejet de leur pourvoi et par conséquent le jour de leur exécution ; les prisonniers qui ne pouvaient se voir mais bien s'entendre de leurs cellules ou cabanons après s'être demandés si ils étaient prêts et sur les réponses affirmatives, l'un d'eux compta à haute voix jusqu'au nombre trois et c'est à ce dernier nombre qu'ils se frappèrent simultanément.
Trois tombèrent, le quatrième après s'être frappé plusieurs fois resta debout, et, tournant le poignard dans sa poitrine s'écriait ; mais je n'ai donc point de coeur !
A onze heures, ces cadavres ensanglantés sortirent de la prison, le survivant porté par l'exécuteur et ses aides les autres traînés par les jambes et leurs têtes frappant l'escalier, tous placés sur une voiture arrivèrent sur la place et furent exécutés, le survivant le premier.
A cette époque on faisait parcourir au patient le trajet de la prison au Bastion en descendant par le Greffe, la rue d'Espagne, dite Grand'rue, la place d'Armes et la rue Crève-Coeur ; mais ce jour-là par dérogation ils furent conduits de la prison au lieu d'exécution par le trajet le plus direct.
On a toujours pensé que les quatre condamnés avaient constamment caché leurs véritables noms, on a prétendu qu'ils appartenaient à de nobles et riches familles." ...

Plaignons donc, sans toutefois les exalter, ces malheureux jeunes gens, la plupart sans famille, sans appui, sans direction utile et éclairée, livrés à toutes leurs passions, emportés par la tourmente révolutionnaire et payant de leur vie un crime qui de nos jours ne mériterait pas la mort.

Cette étude, de cette sombre et terrible affaire, que nous avons taché de rendre aussi consciencieuse que possible, aura eu, nous l'espérons, pour résultat, d'en faire saisir le véritable caractère . ...

NOTICE HISTORIQUE SUR LES VRAIS COMPAGNONS DE JÉHU
(Bourg, thermidor an VIII) par Ernest Cuaz
Impr. de Milliet-Bottier (Bourg) 1869

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